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III - 8.6 Une aptitude néo-corticale à créer un monde hors du monde
Mais ce sont là des péripéties qui naffectent pas le sens de lhistoire tel quici approché : celui qui procède de la cumulation dartefacts que tout homme peut sapproprier et dont le concept est déposé dans la mémoire du corps, dans la tradition orale, dans les écritures, dans les livres et les bibliothèques, dans les mémoires, analogiques ou numériques. Ce qui spécifie la nature humaine, cest évidemment sa capacité à saffranchir de la nature et de sa propre nature. Si la planète est aujourdhui en péril de la multiplication de lhomme, ce mammifère terricole que les préhistoriens décrivent presque inaperçu dans sa niche écologique, cest bien parce que celui-ci utilise léquipement neuronal qui fait loriginalité de sa matière cérébrale, non pas simplement pour répéter des actes indéfiniment programmés, ou pour les réfléchir, mais pour sen affranchir à la faveur de cette aptitude néo-corticale à créer un monde hors du monde. Lexpansion du progrès, son caractère universel et irréversible procèdent de cette nature cumulative de lesprit humain qui sapproprie aussitôt toute invention humaine. Il est évidemment insupportable que les lois objectives et apolitiques de la physique soient enseignées par des oppresseurs (nous sommes tous des Lyssenko). On peut trouver déplorable que chaque année un milliard de jeans soient achetés dans le monde, que souvre un MacDonalds toutes les dix-sept heures ou que nos enfants boivent du Coca-cola comme du petit-lait. Mais il est parfaitement contingent - quoique subjectivement considérable - que le vecteur de cette transmission soit arabe ou chrétien, américain ou japonais... Il est tout aussi patent, d'autre part, ce qui devrait constituer une pierre d'achoppement, que lhomme ne peut supporter sans mutilation sa condition moderne dexilé de sa propre nature qui supporte le progrès, alors que la nature lui renvoie limage de la nécessité qui règle le cours de ses passions. Il revendique une spécificité dans la procession des espèces et des êtres : une musique contre le corps, une esthétique contre la sensation, une vérité caractérisée par labstraction, ni le corps ni lâme ny trouvent compte. (Ce n'est évidemment pas un hasard si plaisir et esthétique sont liés, si la muse de la musique s'appelle Euterpe et Terpsichore celle de la danse, si l'idéogramme chinois qui signifie l'agrément représente un instrument de musique.) Pourquoi donc, envers et contre tout, le monde de lartefact envahit-il aujourdhui la planète, sans résistance ou en dépit dune résistance apparemment sans effet ? (La croisade contre la pollution morale que menait la Chine qui attrape des souris serait un exemple de la conversion ici désignée.) Vraisemblablement parce que le matérialisme dont il procède est la matrice de ces inventions inappropriables. Qui simposent dès quelles deviennent praticables. Et non pas simplement une fièvre attrapée dans le baiser de Judas du commerce de la valeur déchange. Parce que le matérialisme représente, au-delà de ces réalités et de ces apparences, malgré son évidente cécité morale, une supériorité de celles auxquelles on ne peut se soustraire quen se retirant du monde et qui obligent celui qui veut tout simplement suivre à cette conversion ; quadoptent dailleurs spontanément et auxquelles contribuent préférentiellement les jeunes générations, témoignant par là du développement naturel de la ressource individuelle, dès lors quelle est affranchie de la répétition et de la tradition. Cette aptitude à créer un monde hors du monde constitue le point d'appui qu'Archimède demandait pour soulever le globe.
Lever de terre observé à une altitude de 110 km au-dessus de la lune (Apollo 8, 24 décembre 1968)
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