|
La chimie du rire :
sur la sagesse vitale
IV - 12.1
L'argumant du Ris est si haut et profond, que peu de philosophes y ont attaind,
et nul ha gagné le pris de l'avoir su bien manier.
Laurens Joubert
Traité du Ris,
contenant son essance, ses causes, et mervelheus effais,
curieusement recerchés, raisonnés & observés.
(1579)
Traité du Ris
Laurens Joubert
(1579)
Le présent développement a pour objet le commentaire dun savoir empirique illustré par des expressions qui associent le rire à la sagesse vitale (Un cur joyeux guérit comme une médecine, un esprit chagrin dessèche les os ; Cur joyeux est vie pour la chair ; Lallégresse de lhomme prolonge ses jours - Proverbes, XVII, 22 ; XIV, 30 ; Ecclésiaste, XXX, 22) et à linsensibilité : Mieux vaut en rire pour ne pas en pleurer.
- Il est construit sur largument que, lorsquon emploie une telle expression, on décrit, en réalité, un processus qui ne répond pas seulement à une disposition desprit, mais à un mécanisme émotionnel réflexe dadaptation au réel qui a, paradoxalement, le refus du réel pour principe.
- Il souscrit à lhypothèse que le rire peut être compris dans la continuité des moyens dont lorganisme dispose pour faire face au danger quand ce danger se révèle immédiatement sans danger (quelque laideur ou quelque défaut qui ne cause ni peine ni frayeur dit Aristote, donnant en exemple le masque de la Comédie) spécifiquement, on le voit par cette citation, quand il sagit de faire face à la déformation ou à la difformité de la forme humaine et que lefficacité de cette dénégation a lanesthésie pour principe, selon des voies qui peuvent être décrites par la neuropsychologie.
- Il pose que cette dénégation réflexe et récréative, cette plaisante insensibilité, recouvrant une formation neurale associée à léconomie du contact et de la grégarité (le rire provoqué par le chatouillement), est en mesure de faire apparaître lunité des diverses modalités du rire (expertise spontanée et marque de connivence) dans leur fonction dadhésion à différents cercles de proximité, cercles pouvant être constitués par un duo, une bande, un parti, une ethnie... lhumanité. Le rire est ici compris tel un embrayeur permettant de reconnaître le semblable et de faire corps avec lui. Bien que, dans une perspective évolutive, le rire napparaisse pas comme le propre de lhomme, le rire sémantique (qui constitue la matière première de ce dossier), expression dune vérité conspécifique culturellement déclinée est bien, lui, le propre de lhomme, puisque cest lhomme qui reconnaît lhomme.
- Il fait valoir que cette dénégation, endocrine et exocrine, à usage interne et externe, individuel et public a pour effet et pour objet de tenir le réel (la contradiction) à distance et de réaffirmer lallégeance du rieur à son monde de certitudes et à son cercle dappartenance : à sa vérité et à sa société. Bien que le rire soit inné et universel, comme lobserve Darwin (1877 : 210 et 222-3), lexercice de ce réflexe dagrégation nest pas précisément cuménique il sen faut. Le propre de lhomme fait le plus souvent voir lhomme tel un être singulièrement exclusif...
Les rubriques qui le composent tentent donc de répondre aux deux questions suivantes :
Le rire, comment ça marche ?
Le rire, à quoi ça sert ?
et darticuler le comment et le pourquoi.
Plan du chapitre :
IV - 12.1 Introduction
IV - 12.2 Le rire et la reconnaissance de la forme humaine
IV - 12.3 Le rire comparé aux états émotionnels causés par la surprise
IV - 12.4 Une peau de banane sémantique Une présentation en diaporama
IV - 12.5 La théorie du rire de Giambattista Vico
IV - 12.6 Nous bricolons dans lincurable (Emil Cioran)
IV - 12.7 Le rire et la reconnaissance de la forme humaine (bis)
IV - 12.8 Il ny a pas à pas à dire, quand on parle, ça découvre les dents (Francis Ponge)
... /...
(Repris et développé dune thèse de doctorat dÉtat soutenue en 1989 à la Sorbonne - op. cit.)
|
|
|