Accueil
Madagascar
Réunion
Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil” : 1
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques


présentation

Une présentation raisonnée des pages WEB qui composent ce site
sous forme d’un ouvrage électronique téléchargeable
sur la page d'accueil
(2 Go, 1900 pages au format A4)
voir
SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


Chapitre 5

L’Âme du Mil :

sur l'agronomie traditionnelle

I - 5.1

(Repris de : “Note sur l’Ame du Mil”, Journal des Africanistes, 1991. t. 61, fasc 2, Paris)

Qu’il n’est peut-être pas inutile de faire appel à l’agronomie pour approcher des pratiques, sans doute polysémiques, qui ont la reproduction de la graine pour objet, c’est l’idée de cette enquête qui s’appliquera en premier lieu à suivre la description et l’analyse, signalées pour leur précision, d’un rite royal intitulé “l’Ame du mil” qu’on trouve dans l’ouvrage qu’Alfred Adler a consacré à la royauté moundang du Tchad (1982 : 355-62) .

L’hypothèse avancée concerne le Pénicillaire ou Mil chandelle. Le caractère allogame de Pennisetum, dont il sera question ici, intéresse le très grand nombre de ses formes. L’Index to Grass Species (Chase, Nile, 1962) comporte ainsi près de 400 entrées sous cette appellation. La section Penicillaria du genre Pennisetum comprend, avec les mils céréaliers, des formes herbacées spontanées propres à la zone soudano-zambézienne. Brunken et al. (1977 : 165) dressent comme ci-après la carte de répartition de la forme sauvage de P. americanum.


Deux caractères définissent la section : des anthères surmontées d’une touffe de poils et un nombre chromosomique égal à 7 ou multiple de 7. Dans leur Flora of West Africa, Hutchinson et Dalziel (1931) distinguent huit espèces de mils cultivés (annuelles à 2n = 14 chromosomes) et douze espèces de mils spontanés (une espèce vivace à 2n = 28 chromosomes [P. purpureum] et onze espèces annuelles à 2n = 14 chromosomes).


Présentation du texte proposé en référence

“ En ce milieu de saison sèche (décembre - janvier), tous les mils sont venus à maturité et les chefs de famille s’en vont dans leurs champs pour couper les plus beaux épis du champ royal.
Un jeune homme est secrètement désigné par les hommes du roi pour porter la gerbe qui représente l’Ame du mil, gerbe sur laquelle le chef des hommes du roi a disposé discrètement trois objets qui appartiennent aux regalia : un fer de houe, une faucille et un couteau de jet.” (Pour la commodité de l’exposé, nous diviserons le rite en quatre séquences.)

Séquence 1. Autour d’une porte constituée par deux tiges de mil coiffées d’un épi et plantées dans le sol, des jeunes gens dansent en cercle, ce sont les wé-za-talé, “fils adoptifs ” du roi, auxquels tous peuvent se joindre, à l’exception des incirconcis. Le chef des hommes du roi pénètre dans le cercle, une corde à la main et, faisant semblant d’attraper l’un des jeunes hommes, jette la corde sur un autre qui est aussitôt ceinturé. “ On le déshabille complètement, on lui enserre le torse avec la corde et on lui enduit tout le corps avec des cendres. ” Les deux tiges de mil qui constituaient “ la porte ” dont il a été question sont données au porteur de l’année précédente ; il sera “ comme le moniteur et l’ange gardien de son successeur ” (op. cit. : 357), tenant l’extrémité de la corde passée autour du “ captif ”, selon le dessin d’un enfant de Léré qui fait face à la description (op. cit. : 356).

La gerbe représentant l’Âme du mil, dont le poids peut varier entre 40 et 50 kilogrammes, est composée d’épis “appartenant à sept variétés de mil” (Adler 1982 : 356-357). (L’artiste paraît avoir représenté ces variétés en figurant explicitement sept panicules.)

Séquence 2. “ L’épisode suivant est un rite d’initiation, semblable à celui que subit l’héritier dans les cérémonies funéraires : après avoir fait franchir aux porteurs trois fois le seuil imaginaire de la “ porte ” qui vient d’être retirée, deux “ crocodiles ” (deux hommes du roi au corps tacheté d’ocre et de noir, un couteau entre les dents) se précipitent sur le jeune homme et font mine de le circoncire pour lui passer ensuite un étui pénien fraîchement tressé sur la verge ” (op. cit. 357). On pose alors sur la tête du porteur la gerbe dont le poids peut varier entre quarante et cinquante kilogrammes.

Séquence 3. Le chemin est ouvert par le groupe des hommes du roi et des dignitaires à cheval. À quelque distance, et suivi d’une imposante procession composée de cavaliers, de fantassins et de la foule des hommes, marchent le porteur et son ange gardien. “ Tandis que le cortège chemine en direction du palais, dans un Léré déserté où quelques femmes continuent à vaquer à leurs affaires, le roi est seul. Debout sur le seuil de son vestibule, il scrute le fond lointain de la place d’où surgira, enveloppé d’un nuage de poussière, l’avant-garde des cavaliers ” (op. cit. : 358). Son visage est marqué de “ médecines ” et il tient à la main des petits cailloux qui sont une autre variété de médecines. “ Dès qu’il devine le cortège, il jette trois cailloux dans la direction du porteur et esquisse un mouvement de fuite vers l’intérieur du palais. Peu de temps après, le même geste et la même mimique sont répétés... Enfin, quand le cortège est bien en vue, sauf le porteur que le roi ne saurait voir [...] il jette ses trois derniers cailloux et s’enfuit définitivement dans ses ’appartements’” (op. cit. : 358-359). Les hommes du roi pénètrent les premiers dans le palais, suivis par le porteur de la gerbe. Entouré par les Grands, celui-ci avance vers le grenier central (dont la hauteur approche trois mètres). “ On ne peut que retenir son souffle, écrit Adler, quand on voit un adolescent, plutôt frêle d’apparence, escalader les ’marches’ inégales (parfois glissantes) taillées dans le tronc fourchu d’un rônier servant d’échelle et déposer sa précieuse et terrible charge dans l’ouverture pratiquée au sommet du cône que forme le haut du grenier. Son ange gardien et les hommes du roi sont là pour veiller sur lui, mais au cas où il viendrait à trébucher, ils n’hésiteraient pas - c’est la loi - à le tuer sur place ” (op. cit. : 359).




“L’intérieur du tata du chef de Léré : les magasins à grains”, photographie due à la mission Moll,
parue dans l’Illustration du 20 avril 1907 ; au premier plan l’échelle Moundang.

Séquence 4. Pendant trois mois, le porteur de la gerbe est comme un homme en deuil, il est tenu à une rigoureuse chasteté, car le commerce sexuel met en danger de mort celui qui est marqué par la “ médecine ” (contenue dans la gerbe et dont était marqué le front du porteur). Le roi aussi est soumis à cet interdit, mais pour une période de trois jours seulement (Ibid., eod. Loc)



Extrait de : l'Habitat au Cameroun, 1952


Comme l’indique le nom du rite, l’Âme du mil , il s’agit de “ transporter ” le principe vital du mil dans le grenier du palais. La gerbe porte les épis dont le grain sera semé la saison prochaine et dont le pouvoir de reproduction garantit la future récolte. Afin que le grain ne meure, c’est la vie même qu’il faut réinsuffler ou entretenir dans cette graine précisément sauvée de la pourriture par la récolte et la mise au sec. Mais l’induration de son tégument, sorte d’arrêt du temps qui permet la conservation de la graine, est aussi un arrêt de la vie. Afin que le grain ne meure, il faut lui conférer la nature de semence, le rapporter au principe vital dont lui-même est issu ; le mettre en mesure d’hériter, de prendre en charge la lignée germinative, c’est-à-dire en position d’héritier. Le jeune homme choisi pour transporter la graine de semences du champ jusqu’au grenier royal, ainsi identifié à la graine, constituerait - non dans sa personne mais dans sa fonction - le “ modèle” de ce processus d’héritage. Tous deux sont en relation d’homologie comme semen développé du roi . Le grain procède de la semence comme le fils procède du père ; dans chaque enclos, c’est le fils qui porte la gerbe dans le grenier familial. Le porteur de la gerbe royale est, de même, “ dans une position filiale par rapport au roi [...], il en reçoit une épouse et, dans l’acte même de rapporter le mil [...], il accomplit le devoir d’un fils aîné ” (op. cit. : 360). De même que l’héritier est investi de la lignée dont il est issu, le “ fils ” du roi, ou fils du grain, prend en charge le phylum germinatif (phylè).

Mais pourquoi ce “ modèle ” du grain doit-il être mis en condition de mort initiatique ? Quel rapport entre l’initiation, et notamment cette circoncision symbolique qui constitue la séquence 2, et la production de la semence ? En quoi la circoncision peut-elle valoir arrachement - puisqu’il est dit qu’elle est arrachement de “ l’âme folle ” du mil - de ce que le rite désigne homologiquement comme tel ?

On formera ici l’hypothèse que cette symbolique conceptualise une opération bien réelle : celle de la sélection de la semence. Cette hypothèse n'épuise pas un scénario à strates mutliples, dans lequel le processus d'héritage (le fils est au père comme la semence au grain), le rite de passage et la maturation du grain sont conçus de manière analogique, comme nous l'avons rappelé [supra : 2.01 : “La cicatrisation de la circoncision qui délivre le garçon de son humidité, la dessiccation du cadavre qui permet d’en prélever le crâne et d’en faire un reliquaire (on y dépose parfois les semences), l’induration du tégument qui achève la maturation du grain sont conçus comme des processus homologues développés sur l’opposition des genres” et 2.13 in fine]. Dans cette cosmologie des peuples de la Bénoué (Moundang, Chamba, Dowayo...), où la maturation des récoltes, le croît des humains et la vie après la mort (la céréale, le sexe, le cadavre) sont pensés sous un même concept, la circoncision signifie aussi la différenciation sexuelle sur le mode de la cicatrisation (de la verge), du mûrissement (du grain : on entonne des chants de circoncision quand on bat le nouveau mil - Barley, 1995 : 53), ou du dessèchement (du crâne) selon une symbolique de la “cuisson” qui peut emprunter son vocabulaire à la technique de la poterie (Barley, 1994 : 146).

... /...

Plan du chapitre :

I - 5.1 Introduction
I - 5.2 Le syndrome de la domestication





Rechercher dans :
http://www.AnthropologieEnLigne.com