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Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : 1
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques


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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


Chapitre 17

Habiter, cohabiter :
sur l’exemplarité

IV - 17.1 L'énigme du mal

Une recherche des constituants fondamentaux de l’habiter fait immédiatement apparaître un registre qu’on pourrait qualifier de “mystique de l’habiter”, tant son vocabulaire et ses réquisitions empruntent au langage du sacré (vide supra : chapitre 15 : Le juge, de quel droit ? et chapitre 16 : Droit au sol et mythes d'autochtonie). C’est, nous l’avons rappelé, l’idéogramme chinois représentant le verbe “habiter” en figurant un homme devant l’autel où brûle la flamme du sacrifice, c’est l’“amour sacré” de la patrie, le “frisson sacré” des exaltations nationales, ce sont ces enthousiasmes que, souvent, l’institution religieuse accompagne ou ritualise. L’inaliénabilité et la consubstantialité du sol et du soi s’expriment par l’autel : “L’Arabie Saoudite est une mosquée”… Religion et politique ne font qu’un quand le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad déclare devant 4 000 étudiants, lors d’une conférence intitulée “Le monde sans le sionisme”, que l’Etat d'Israël [devait] être “rayé de la carte”, (“comme l’a dit l'imam [Khomeiny]”), argumentant que “la nation musulmane ne permettra pas à son ennemi historique de vivre en son cœur même”, que “la nouvelle vague de lutte en Palestine balayera ce stigmate de la face du monde musulman”, que “les combats livrés sur la terre occupée font partie d’une guerre pour sa destinée” et que c’est “l'issue de centaines d'années de guerre qui se joue sur la terre palestinienne”.


Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad
devant 4 000 étudiants lors d’une conférence intitulée “Le monde sans le sionisme”
(26 octobre 2005)

La paix, c’est, étymologiquement, le pieu (indo-européen : *pag- : enfoncer) qui délimite le territoire (le païen, paganus, étant au-delà des bornes, pagus, du monde civilisé). Le pacte (pangere, pactus : enfoncer), c’est l’enregistrement dans le sol qui associe (tel le fatrangena malgache, poteau de fondation et d’offrande qui a la vérité : tanghena, pour racine et qui donne aussi son nom au poison d’épreuve, le tanguin, Cerbera venenifera Steud. vide : Le tanguin, poison d'épreuve à Madagascar : mode d'emploi) ou départage les protagonistes. La religion de l’habiter engage probablement les motions les plus archaïques de la psyché et l’anthropologie, qui montre à quelle rétorsion peut être soumis l’homme qui empiète sur le territoire de l’autre (l’intrus, le maraud, le casseur... vide : chapitre 9.41), révèle homo sapiens comme un être territorial. Mais c’est l’histoire, et c’est l’actualité de cette fin de millénaire, alors qu’apparaît, plus que jamais, la vérité de ce mot du philosophe : “Toutes les guerres sont civiles ; car c'est toujours l'homme contre l'homme, qui répand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles” (Fénelon, Dialogue des morts, 1692-1696), qui nous interroge sur les dérives, tragiques ou criminelles, du droit au sol. Le patriotisme – “l’amour sacré de la patrie” – est-il donc, selon le mot célèbre de Samuel Johnson, “le dernier refuge des coquins” ? Tel est le scandale de ce “droit” que les idéaux du droit moderne ont relégué dans le champ du non signifiant ou de l’insignifiant, droit d’un “naturel”, ou supposé tel, sur “son” territoire, dont le droit d’aubaine ou le droit pérégrin constituent une illustration archéologique et dont les crimes xénophobes, nationalistes ou racistes, et la “purification ethnique”, au cœur même de l’Europe, démontrent la permanence. La qualification de l’habiter remonterait donc, à rebours des idéaux des sociétés libérales, idéalement affranchies des contraintes locales et des nécessités reproductives, à l’activité d’un éthotype territorial, résistance au cohabiter d’aujourd’hui.



Droit d’aubaine : droit en vertu duquel le seigneur recueillait les biens de l’étranger (albain ou aubain : lat. alibi) soumis à sa protection. Droit exclusivement régalien à partir du XVIème siècle, il est supprimé par la loi du 14 juillet 1789. "La plupart des États ont des lois qui dégoûtent les étrangers de l’acquisition de leurs terres", écrit Montesquieu (L'esprit des Lois, XX, XXIII).
Droit pérégrin : juridiction à laquelle était assujetti, à Rome, l’étranger non-ennemi, exclu du
connubium, du commercium et des droits politiques. L’ensemble de ces dispositions constituant un ius gentium spécifique.


“‘Plus jamais ça’, une fois de plus” titre un “point de vue” du Monde à propos de la guerre des Balkans (20 avril 1999) qui voit dans la Shoah la clé qui permet de déchiffrer ce chaos, quand le philosophe du droit Ronald Dworkin, précédemment cité, déclare (Le Monde du 27 avril 1999) : “Au début de notre siècle, certains intellectuels prophétisaient que le nationalisme connaîtrait le même sort que les maladies infectieuses : on finirait par l’éradiquer. Force est de constater, hélas, que les maladies infectieuses sont de retour et que le nationalisme est devenu notre plus gros problème. Curieusement, la philosophie politique n’a, sur ce sujet, rien à dire” (les italiques sont nôtres). Et peut-être, en effet, l’actualité rend-elle d’autant plus nécessaire le retour sur un sujet qui a donné lieu à la plus importante production intellectuelle de la modernité que cette production nous laisse dépourvus devant le retour où la permanence de l’irrémédiable. Avec ce sujet dont la charge d’humanité relègue tout autre sujet dans une relativité profane, c’est la nécessité qui nourrit le négationnisme ou banalise l’extermination (un problème de robinet dans un devoir de physique ; “il y a un four crématoire au fond de chaque jardin”...), ce sont ces raisons qui préexistent à leurs arguments et que la raison et la pédagogie sont impuissantes à réformer qu’il s’agit, du même coup, d’identifier. Avec les mots de ceux qui, avec le génie des mots ou l’exhaustivité documentaire ont dit comment, notre propos est de contribuer à instruire le pourquoi. Comprendre que les crimes contre l’humanité sont des crimes de l’humanité oblige à examiner selon quelle contrainte, loi ou servitude l’inhumanité de l’humanité peut prospérer et c’est donc ici en fonction d’un problématique universel de territorialité, analysant l’antisémitisme comme une passion qui a l’habiter, le droit au sol, pour système et l’extermination comme une pathologie moderne de cette réquisition qu’il sera argumenté.

Plan du chapitre :

IV - 17.1 L'énigme du mal
IV - 17.2 Aux origines de la “conscience universelle”
IV - 17.3 Trois expressions de l'antisémitisme
IV - 17.4 L'exemplarité

... /...

(Une version de ce chapitre a été publiée dans la revue Alinéa, n° 11, 2000, sous le titre “Habiter, cohabiter, vivre ensemble”, introduite par le résumé suivant :

Un défi majeur du cohabiter d’aujourd’hui, alors qu’homo sapiens, presque inaperçu dans sa niche écologique originelle, a réalisé l’injonction biblique : "Croissez et multipliez-vous !" (Genèse, I, 28) – la planète étant devenue un village où la communication est la règle et la coexistence la nécessité – c’est que la réunification de la famille humaine se heurte non seulement aux différences que la dispersion de l’homme sur le globe paraît avoir solidifiées, mais aussi aux appropriations identitaires qui le justifient à s’inscrire dans une terre et à en exclure l’étranger. L’objet de l’article est de tenter de comprendre, à partir de l’analyse de ses dérives les plus extrêmes, et spécifiquement du génocide des juifs d’Europe centrale, d’où procède ce “droit au sol” dont nous semble participer cette négation radicale qui s’exprime dans l’extermination de l’autre homme. Comprendre que les crimes contre l’humanité sont des crimes de l’humanité constitue donc le difficile propos de ces pages. Faisant sien le constat de Julien Benda, en 1936, un des rares intellectuels à avoir prévu, contre ce qu’il appelait l’“optimisme démocratique”, la tragédie à venir : "C’est la rançon d’une éducation rationaliste de nous rendre étrangère à peu près toute l’espèce humaine" (Mémoires d’un clerc), on peut penser que le rôle des clercs est de tenter de regarder le négatif en face.)




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