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III - 8.5 Malaise civilisateur, aise de lhomme sauvage :
la subjectivité de lhomme objectif
Le moderne peut être représenté dans sa forteresse (tout idéale), son identité circonscrite dans sa volonté, alors que lhomme traditionnel est physiquement et psychiquement dépendant dénergies sises hors de lui et auxquelles il ne peut se soustraire sans perdre son intimité. Chaque arbre est un temple ; chaque souffle est une âme. Lintention dautrui, la réalité desprits, le sens des formes constituent en même temps le for intérieur et le for extérieur de ses délibérations. Il est dautant plus puissant et dautant plus vulnérable que, tirant sa cohérence de la mise en communication de ces forces et de ces signes, il ne sappartient pas. La constitution du moderne, à lopposé, enfermé dans une subjectivité définie par son pouvoir dobjectivité, cest la constitution de la matière. Laction magique est ressemblance, participation. Elle est sans objet et sans effet dans le désenchantement du monde et de la société. Linsécurité du monde magique a pour contrepartie la sécurité dun monde en relation. Où lhomme se repose dangereusement de sa forme dans la forme des choses. Les adeptes des messes noires assurent trouver dans le frisson de la profanation une certitude existentielle quune religion convertie à la raison ne délivre plus. Le mal moderne de la solitude - mal honteux puisquil dénonce un échec adaptatif - les maladies de la liberté, la mode des thérapies corporelles et des thérapies de groupe dénoncent le retrait des formations collectives, où sélabore la fermeture individuelle, comme la cause du malaise civilisateur. Cest dans cette déshérence répondant à lidéal qui récuse la vérité spécifique (linflexion du corps, de la subjectivité, du temps, de la différence des sexes, de la métaphore) que sinstalle le malaise juvénile. La jeunesse, main invisible de léchange des valeurs adopte, ou croit adopter, révélés par les traditions exotiques accommodées dans les faubourgs des métropoles coloniales, les secrets perdus par la civilisation, redonnant vie aux stéréotypes raciaux. Dans la Force de l'âge, publiée en 1960, Simone de Beauvoir, née en 1908, se remémore les soirées au « Bal Nègre » dans les années trente :
"Le dimanche soir, on délaissait les amères élégances du scepticisme, on s'exaltait sur la splendide animalité des Noirs de la rue Blomet. [
] À cette époque, très peu de Blanches se mêlaient à la foule noire ; moins encore se risquaient sur la piste : face aux souples Africains, aux Antillais frémissants, leur raideur était affligeante ; si elles tentaient de s'en départir, elles se mettaient à ressembler à des hystériques en transe. [
] j'aimais regarder les danseurs ; je buvais du punch ; le bruit, la fumée, les vapeurs de l'alcool, les rythmes violents de l'orchestre m'engourdissaient ; à travers cette brume je voyais passer de beaux visages heureux. Mon cur battait un peu plus vite quand explosait le quadrille final : dans le déchaînement des corps en fête, il me semblait toucher ma propre ardeur de vivre" (Gallimard, p. 401).
Alors que le polytechnicien doit aller prendre des cours de danse chez Georges et Rosy (quand Polytechnique était au Quartier Latin) pour être en mesure de tenir sa partie au bal de fin dannée, le primitif aurait dans le sang ou dans la peau un savoir de la nature dont le défaut, la récusation ou la réfutation caractérise léducation moderne. Il est significatif que le stigmate danimalité, qui constituait hier largument majeur du racisme, puisse être aujourdhui un signe délection : [Il] donne en plus une leçon, et cest quun noir peut imiter un blanc et non linverse. Car la culture occidentale sapprend alors que lanimalité africaine est innée. Cette supériorité est spécialement manifeste dans Say, say, say, la chanson quil interprète aux côtés de Paul McCartney. Non seulement il chante aussi bien que son partenaire, mais il possède en plus une certaine sauvagerie dont Paul McCartney, lui, est démuni (France-Soir Magazine du 21 avril 1984). On mesure la nuance par rapport à la génération précédente avec une même et naïve essentialisation où, par exemple, ladoration de Sa majesté le Jazz était tempérée par la critique de jazz, cette spécialité blanche qui légitime et convertit linterprète en mettant du sens dans son naturel : et si les Blancs finalement, interroge une signature autorisée épinglant les effarantes faiblesses de Mo Better Blues, film du réalisateur noir Spike Lee (Il y a autant de Blancs dans mes films quil y a de Noirs dans les films de Woody Allen) ayant le génie du jazz et son exploitation commerciale pour sujet, avaient le talent de parler du jazz ? (Le Monde du 22 novembre 1992).
Deux Français au beau milieu d'une fête black, vus par Roland Monpierre, "trente ans, dessinateur antillais"
Dessin paru dans Actuel
"Les Français vus par les immigrés" (1985)
Quand la différence physique était la légitimation universelle de la mise en servitude de lAfricain
Remontant le fleuve Gambie, à la recherche des sources de lor pour le compte de la « Company of Adventurers of London Trading to the Ports of Africa » (fondée en 1618), le navigateur Richard Jobson fait un tableau des murs des Mandingos. Les notables avec qui il entre en contact sont au fait des attentes des européens. Mais alors que celui qui le reçoit (a great black merchant quil dénomme Buckor [Aboubacar] Sano) veut lui vendre des jeunes filles esclaves (He offers women to sell unto us) Jobson répond : I made answer, We were a people, who did not deale in any such commodities, neither did we buy or sell one another, or any that had our owne shapes et quand on lui objecte que cest ce que recherchent les hommes blancs (white men) comme lui, il note que they were another kinde of people different from us » (The Golden Trade [1623] London : Dawson, 1968, p. 112). Ce censeur inspiré de la mise en servitude du semblable se révèle néanmoins partager et accréditer une perception différentialiste et ségrégationniste de lhomme noir dont il voit lorigine dans la Bible. A propos des usages matrimoniaux des Mandingos (The number of their wives [
] Allowance of other women for necessitie sake), Jobson, interprète la coutume qui contraint les femmes enceintes à labstinence sexuelle comme une conséquence de la conformation des hommes et comme la preuve que les Mandingos sont issus de Canaan, frappé de la malédiction de Noé.
For undoubtedly these people originally sprung from the race of Canaan, the sonne of Ham, who discovered his father Noahs secrets, for which Noah awakeing cursed Canaan as our holy Scripture testifieth, the curse as by Scholemen hath beene disputed, extended to his ensuing race, in laying hold upon the same place, where the originall cause began, whereof these people are witnesse, who are furnisht with such members as are after a sort burthensome unto them, whereby their women being once conceived with child, so soone as it is perfectly discerned, accompanies the man no longer, because he shall not destroy what is conceived to the losse of that, and danger of the bearer neither until she hath brought up the child, to a full and fitting time to be weaned, which every woman doth to her owne childe is she allowed, in that nature, the mans society, so that many times it falles out, he hath not a wife to lie withall; and therefore as I said, hath allowance of other women, for necessities sake, which may seeme not over-strange unto us, in that our holy Writ doth make mention therof, as you may reade in the 23. chap. of the Prophet Ezechiel, where Ierusalem and Samasia, being called by the names of the two Sisters, Aholah and Aholibah, being charged with fornication, are in the twentie verse of the same chapter, said to doate upon those people, whose members were as the members of Asses, and whose issue was like the issue of horses, therein right and amply explaining these people (p. 65-67).
Cette extrapolation de la Genèse (9, 18-27), qui ne fait nullement fait mention de la couleur de Canaan et alors que largument va devenir un lieu commun qui justifiera la servitude du Noir, procède vraisemblablement de commentaires (rabbiniques et musulmans) dont la teneur a diffusé dans le siècle (sur le rôle des religions du Livre dans cette interprétation voir : Braude Benjamin, « Cham et Noé. Race et esclavage entre judaïsme, christianisme et Islam », dans : Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57? année, N. 1, 2002. pp. 93-125). Sagissant de la conformation en cause, Robert Graves et Raphael Pataï citent, dans Hebrew Myths, the Book of Genesis, (Greenwich : Greenwich House, 1983, p. 121), un texte qui pointe comme autant de conséquences de la malédiction de Noé les traits qui spécifient « les enfants de Canaan », couleur, cheveux, lèvres
et qui conclut : « their male members shall be shamefully elongated (p. 121 ; les auteurs revoient au Talmud de Babylone, au Traité Pessahim et au Midrash Tanhuma - p. 122). Les écrivains arabes se réfèrent, eux, à lautorité de Galien : Miquel, cite ainsi Masudi qui liste les traits différenciateurs de lhomme noir : « cheveux crépus, sourcils clairsemés, larges narines, fortes lèvres, dents pointues, odeur prononcée, prunelles très noires, pieds et mains crevassés, parties génitales volumineuses et pétulance excessive » (Miquel, André, 1975, La géographie du monde musulman, Paris-La Haye : Mouton, p. 141). Cette énumération est en réalité introuvable dans Galien.
Atlas catalan, 1375, attribué à Abraham Cresques
Si le terme « Mandingue » ou « Manding » est aujourdhui principalement associé à la civilisation Mandé ou à lhistoire de lempire du Mali (dont font état les chroniques dIbn Battuta ou dIbn Khaldûn et dont le Mansa Moussa figure sur une carte européenne datée de 1375, tenant une sphère dor), il est aussi utilisé dans lindustrie du film pornographique où « Mandingo » qualifie le porteur dun male member shamefully elongated (Mandingo est le nom de scène de lacteur de films X, Frederick Lamont, dont la notice Wikipedia, en français, précise quil est aussi doté dun « cursus académique honorable »).
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