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Chapitre 21
La reconnaissance de la forme humaine :
figures de l'altérité, de la morale et du droit
(des "trente glorieuses" aux trente pleureuses)
IV - 21.5 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
Plan du dossier :
19.1 Exorde
19.11 "Et ta sur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1 L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire
IV - 21.5 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
Époques et climatères
Dans "Scènes de ménage en Californie" (FR 3, le 11 avril 1986), les protagonistes, filmés sur le vif, considèrent celles-ci comme un condiment indispensable à l'ordinaire : "On se dispute pour mieux se retrouver ensuite". Un sondage réalisé par la SOFRES, fin 1984, annonce que 16 % des Français vivant en couple reconnaissent se battre ou s'être battus avec leur conjoint. Avec une "constante inattendue", selon l'hebdomadaire féminin Marie-Claire qui commente ces résultats,"ce sont les femmes qui commencent". Une épouse précise : "En aucun cas je ne me sens battue. On se bat, c'est différent." Mais cet heureux temps n'a qu'un temps. Une lune de miel, un siècle de fiel. Alors que le vingt-huitième jour (vide supra : chapitre 8.12 : La découverte de lautre homme. Une « tant étrange tragédie » : le cannibalisme rituel dans le regard des voyageurs du XVIe siècle, à propos d'un mythe winnebago) met un terme (provisoire) à la lune de copulations hypocoristiques des just married, bientôt n'exagérons rien, la sagesse des peuples leur accorde sept années d'entente relative avant cette fatale métamorphose tandis que son régulier se refroidit, la régulière affiche, le plus souvent sans le savoir et contrariant parfois ses desseins immédiats ("C'est plus fort qu'elle") une indisponibilité permanente qui, de même que la menstruation s'annonce par des coliques et des humeurs périodiques, se reconnaît dans une aigreur caractérielle à plein temps. Pendant que le prince charmant qui savait les discours galants et "la danse qu'il faut" pour guérir la "plaie inguérissable"de la fille du roi (vide supra : chapitre 3.3 Dessin du dessein : esquisse dune représentation spatiale de la royauté sacrée, à propos d'un mythe d'origine de la royauté) se change en mufle ordinaire, celle-ci, qui n'était que miel, se change en pisse-vinaigre. Les prostaglandines, responsables du travail de l'accouchement et des contractions prémenstruelles sont, en réalité, une circonstance atténuante à cette humeur proverbiale. C'est ainsi qu'un tribunal britannique a jugé qu'une femme inculpée de meurtre, ayant déjà fait l'objet de 26 condamnations, devait bénéficier de la non-préméditation dans la mesure où elle agissait sous l'empire du travail prémenstruel.
"What makes Mama so cross?", illustration d'un article de Time du 27 juillet 1981 : "Coping with Eve's Curse".
Le galant tient aujourd'hui, aussi sûr de son fait qu'il l'était hier, qu'il a épousé une teigne telle qu'il n'y en a qu'une par siècle et se reconnaîtrait au quotidien dans le bonheur de ce proverbe yiddish (un peu arrangé : voir 12.4 : une peau de banane sématique) : "Quand une emmerdeuse quitte la pièce, on a l'impression qu'un ami vient d'arriver."
Nikola Nikolov
Kiks , 1974 (Yougoslavie)
Cette acariâtreté proverbiale mais la vérité statistique des proverbes résulte peut-être aussi de leur valeur de préceptes ne serait pas sans objectivité. Comme l'expose une lithographie (infra) que Daumier a intitulée : "Un retour de jeunesse", elle refroidit un mâle inopportunément intempérant, aussi déplacé qu'hors saison, et le convainc d'aller trouver un exutoire ailleurs. Elle constituerait un dispositif naturel de limitation des naissances et de prévention des générations monstrueuses qui voudrait se reproduire avec un dragon ? l'amabilité de sa figure affichant l'état de ses ovaires. Un célèbre psychanalyste expliquait que les jeunes filles autistes n'avaient pas leurs règles parce que l'ovulation signifie la relation. On pourrait retenir de cette interprétation, largement sentimentale, la réalité lunatique d'un mode de communication primitif, avec ses phases, ses syzygies, les dramatiques ou zygomatiques péripéties de ses zeugmas et de ses zizanies (woops !) : une raison que la raison ne connaît pas.
"Au lit, l'épouse gagne son douaire."
Dans la division pré-libérale du travail, l'épouse assume la totalité des tâches domestiques pendant que l'homme se ressource avec ses pairs. Sous un accusateur "Femmes, réagissez !" une lectrice du Quotidien de La Réunion (daté du 18 juillet 1993), prénommée Waldtraut, qui propose de rationner le rhum, de "mettre la bouteille à 400 F." [le rhum Charette coûtait alors environ 25 F. le litre], ou "de supprimer le bénéfice du RMI à tout individu trouvé en état d'ivresse, ne serait-ce qu'une seule fois" déplore : "Et ce qu'il vous fait subir après les coups avec violence, sans tendresse, sans complicité, vaut-il vraiment la peine de gâcher votre vie pour ça ?"
Reiser, Mon papa (1971)
llustration de Pessin d'un compte-rendu intitulé :
"Le mariage cède la place à la cohabitation" du rapport annuel de l'INED. (Le Monde du 29 décembre 1990)
"II aime comme il convient celui que son propre discours enflamme de passion." (Ovide)
Argus passe à l'acte
"Le caractère actif éteint le caractère perceptif" (Von Uexküll)
(Graffiti sur une palissade du XVe arrondissement de Paris, 1985.)
La sexualité apparaît à la conscience comme une affaire trouble. L'invite sexuelle est généralement indirecte. Le recours poétique au monde naturel fait voir le transport amoureux comme une soumission à l'ordre du monde. Le mot n'est jamais prononcé, alors que tout y tend. Sous peine de rompre le charme d'un rapprochement fait de synchronisation : harmonie des goûts, des sentiments, des voix, des sensations. Rencontre d'une poussée aveuglante et d'un aveuglement des signes. Si l'Amour a les yeux bandés, c'est peut-être aussi parce que le regard est encore de trop, une fois le couple distingué. Le cur est la négation du sexe. Avec son luxe de propretés, voilà peut-être pourquoi le sénateur Proxmire ne veut rien savoir (vide supra : chapitre 10 Du "mariage arrangé à l'"amour-passion"). La pudeur de l'amour s'oppose à ce regard objectif qui détaille la personne. Le moment où les corps se dissolvent et se fondent, la conscience ne les voit pas, absorbée, engourdie, embuée par l'ivresse amoureuse. La vision se brouille, tous les sens sont tétanisés. L'autre n'est qu'entre-aperçu. Cet abaissement du seuil de la vigilance occulte l'obscénité de la dépossession de soi. Le voilement du sexe, commun à la généralité des cultures, porte l'infini de l'imaginaire et préserve le corps de l'ambivalence. "Le Coran est comme une jeune mariée qui ne te laisserait pas voir son visage même si tu enlevais son voile. Si tu n'en ressens pas de joie, c'est que tu as essayé d'écarter le voile et que la jeune mariée se montre à toi sous l'apparence de la laideur comme pour dire: "Je ne suis pas ce que tu cherches". Le dévoilement du sexe, banalisé par la société moderne, a une limite matérielle. Il fait partie de ces paradis vérifiables qui font la désespérance de la chair.
La vie est une maladie sexuellement transmissible
L'éclosion naturelle des signes sexuels chez le jeune ((on parle du miracle de l'adolescence : «
pauvre figure de landais chafouin, de "landousquet" comme au collège on le désignait, triste corps en qui l'adolescence n'avait su accomplir son habituel miracle » - François Mauriac, le Baiser au lépreux, Paris : Grasset, 1922, p. 17 ), leur exagération par la culture, leur épuisement par la satiété ("Toujours du plaisir, ce n'est plus du plaisir"), et la distance ("Loin des yeux, loin du coeur"), la déception et les affres qu'ils engagent, la fatigue vitale mettent en évidence la fonction de leurre des formes vitales. Interprétés par une conscience froide, les fins de l'espèce sont d'une aveugle inhumanité. Associée aux signes de la reproduction, même la plus parfaite beauté, fausse et transitoire, est "chiennerie". L'art est ainsi plus vrai que le réel. Manipulation des formes dans la suspension de l'acte, c'est un leurre qui ne déçoit que si on le prend pour ce qu'il n'est pas. "La distance est l'âme du beau", écrit Simone Weil. (La Pesanteur et la Grâce) La forme achevée de l'uvre d'art n'est jamais une fin. Elle autorise une expérience toujours recommencée. Le feu de son étreinte jamais ne laisse de cendres. Au chapitre des délusions du corps (que l'idéal puisse être vu dans la forme corporelle pour qui considère maintenant la matière du corps) cette histoire, tirée du Konjaku-monogatari shû, à l'enseignement identique, dans son exception, au propos du célèbre poème de Swift, qui raconte comment un homme, éconduit et moqué par la femme qu'il courtise a l'idée, pour se déprendre d'elle et la rabaisser, de lui voler sa boîte à discrétion. Force lui est de conclure, à l'enchantement de ce qu'il y découvre, qu'"elle n'est point quelqu'un de ce monde". Notre homme tombe malade et meurt de dépit. (Comment Taira no Sadabumi courtisa Hon-in no Jijû)
Le jeu des formes humaines, quel que soit le degré de raffinement culturel et quelle que puisse être la latitude individuelle, est marqué par la nature. Cette valeur apparaît immédiatement dans le rapport presque obligé de la beauté, particulièrement de la beauté féminine, et de la jeunesse. (Un "beau vieillard" est dit tel en raison de la dignité de l'âge ou de l'expérience de la vie lisible sur le visage, mais l'agérasie est une exception). La « panmixie » que nous considérons obéit à des règles si l'on peut nommer ainsi la liberté dégagée par la suspension des obstacles que les pseudo-spéciations mettent aux appariements de la « sélection naturelle ». Qu'est-ce donc qui se reconnaît dans la reconnaissance ? A défaut de pouvoir répondre à cette question qui relève d'une impossible science de l'individuel, on peut relever ce qui s'oppose à la reconnaissance. C'est dans une classe d'individus donnée que s'enclenche le dialogue de la reconnaissance. C'est de l'appartenance à cette classe qu'il est, en premier lieu, jugé. L'ordre de cette convenance pourrait être illustré par la pratique du charivari : manifestation bruyante de la jeunesse sous les fenêtres du vieux ou de la vieille qui épouse une jeunesse. La conformité des âges est de ces critères moraux qui nous occupent.
"Vieille comme tu es, te parfumer ainsi !" (Archiloque, frag. 237)
Cette différence d'âge, qui est l'un des principaux facteurs du commerce de la chair humaine, se paie. La tendresse tarifée du tendron qui réveille l'humeur amoureuse du barbon et qui retend les plis de sa vieillesse est sans prix.
"- Mais, Erosine, il y a encore une chose qui m'inquiète. La fille est jeune [...] et les jeunes gens, d'ordinaire, n'aiment que leurs semblables [...] -Ah! que vous la connaissez mal ! [...] On lui voit dans sa chambre quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez-vous que ce soit? Des Adonis, des Céphales, des Paris et des Apollons ? Non : de beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor et du bon père Anchise sur les épaules de son fils" (Molière, L'Avare, II, 6).
H. Daumier Lithographie, 1843
Un retour de jeunesse
Ce qui se reconnaît dans la reconnaissance, ce serait d'abord une humanité définie par des traits culturels et naturels sous le contrôle de ce que l'on appelle la "voix de la nature". La convenance et l'appétance sentimentale permettraient de préciser un seuil au-dessous duquel il serait approprié de dire : "Tu es bien gentil. Mais ça ne peut pas aller jusque-là"... "Je ne donnerai jamais ma fille à un nain"... ou encore : "Vous êtes des monstres " (dans Freaks, vide supra : chapitre 14 : Morale et handicap). Parfois ironique, mais d'un même ordre : "II faut avoir le cur bien accroché !" ; "Comment fait-il ?..." ou "Comment fait-elle ?..." L'erreur de la culture, mesurée à cette vérité de la nature est manifeste dans cette stupeur horrifiée ; affichée par un homme se retournant sur le passage d'un Noir tenant une jeune femme blanche par la taille : "Voilà autre chose! Les filles se font couvrir par les singes maintenant !" On pourrait opposer à l'argument de cette aberration "zoologique" mais ce type de jugement, quand bien même il se présente en caractère discursif est inaccessible à la discussion un argument inspiré de la zoologie. Parmi les proverbes qui disent la précarité de l'homme dans le monde, il y a celui-ci : "L'homme propose. Dieu dispose". La version "profane" de ce proverbe énonce : "L'homme propose. La femme dispose". Dans la majorité des cas, les mâles sont le sexe demandeur, et les femelles le sexe dit "limitant". L'explication est que le femelles, dotées d'une fécondité limitée, investissent en général plus d'énergie que les mâles dans chacun de leur rejeton. C'est la femelle qui paraît détenir la clé de l'espèce : c'est sa réponse à la parade nuptiale qui décide de l'accouplement. Le refus, chez la Drosophile, d'un mâle apparemment absolument conspécifique (pour l'il humain) se justifie par une différence dans le mouvement de vibration des ailes pendant la parade nuptiale. Cet obstacle à l'accouplement définit en réalité deux espèces dites cryptiques ou jumelles. Argument déplacé et dépassé ? Sans doute. Voici pourtant la définition, citée en introduction de ce dossier, qu'on peut lire, dans l'édition de 1961 du Grand Larousse encyclopédique en dix volumes, au terme "Eugénésie" : "Nom donné par Broca au croisement entre races différentes et dont les produits sont indéfiniment féconds [...] c'est le cas dans le genre humain [...] et l'on a vu là un argument en faveur de l'unité de l'espèce humaine. Mais l'eugénésie n'a pas été rigoureusement démontrée pour les produits issus de deux races très éloignées, comme le Blanc et le Papou, et il semble qu'elle n'existe réellement qu'entre les différentes variétés d'une même race". La disposition féminine annexerait donc au genre humain des êtres à l'humanité, sinon douteuse, à tout le moins théorique ou lointaine...
La préférence humaine est un phénomène autrement complexe, puisque la nature de l'homme peut lui faire un devoir de mépriser la nature. Sans aller jusqu'à cette limite, il est bien évident, à 1'encontre de la vulgarité dont il a été question ici, que la "santé" ou conformité générale des apparences, ne peut suffire à définir la prédilection. Des valeurs sociales, morales, psychologiques, font du "choix sexuel" un choix qui répond à la diversité individuelle, autre nom de la liberté. C'est d'ailleurs par artifice, en quittant la forme humaine, qu'il est possible d'en rapporter l'assortiment à des lois naturelles. C'est toujours à travers la civilisation, quand bien même il voudrait "retourner à la bêtise" ou se comprendre dans la continuité du vivant, que la sexualité se découvre à l'homme. Toujours spécifiquement exposé, il ignore la sexualité : il est "sentiment", "sexe", "liberté"... La séduction est loin d'emprunter toujours les voies triviales auxquelles nous avons fait allusion. D'Aristote Onassis, richissime armateur que la gouvernante de Maria Callas voyait sous les apparences du crapaud, une autre femme a pu dire : "II est beau comme l'or!"
"Cette pose gracieuse et majestueuse, accentuée par la moue, réconcilie l'impression primitive que dégagent les bijoux portés par la femme tronc et sa propre nudité. Une belle image qui réussit à vendre bien l'or. Le contraste entre la peau bronzée et les bijoux est parfaite et le cadrage donne à l'ensemble une sensualité, sans pour autant occulter le message..."
Médias, hors série, "Les 400", décembre 1988.
"La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a."
On peut lire dans le Nouvel Observateur du 15 juillet 1985 que "la fille-couverture la mieux payée du monde [...] emblème vivant de la mode et de la France, donc de l'Europe" ne se sent aucun goût pour Charles Lambert (Tarzan à l'écran). "Il n'est pas du tout mon type d'homme. J'aime plutôt mieux les petits intellos malingres". Qu'on n'aille pas imaginer que ce trait dénote une indifférence à la perfection. La suite de l'article permet d'apprendre que Mademoiselle Inès de la Fressange a proposé ses services à Claude Lévi-Strauss. Le "meilleur anthropologue de France" (pour paraphraser une appréciation giscardienne visant les talents d'économiste de son premier ministre), donc de l'Europe, avait fait pleurer dans les chaumières en révélant à la télévision qu'il n'avait plus de secrétaire depuis qu'il avait quitté le Collège de France et qu'il épuisait son temps à répondre au courrier. La jeune femme écrivit : "Je peux vous aider bénévolement. Je n'ai aucun diplôme universitaire. J'ai mon permis de conduire et je suis d'une extrême gentillesse". L'heureux savant déclina l'offre qui lui était si gracieusement faite d'interposer cette gentillesse entre sa personne et les fâcheux qui lui écrivent : "Je vous regarderais tout le temps et je ne travaillerais plus."
La profondeur de la personne n'est pas seulement conséquente à l'unicité génétique, cette unicité se trouve démultipliée par une ouverture néoténique proprement humaine. La forme humaine se spécifie dans une dimension visible de caractère et d'histoire : le visage, le regard, l'apparence individuelle, aussi meurtrie soit-elle, annoncent, plus sûrement que la perfection anatomique, message de Freaks, la communauté morale. L'automate, imitation du principe animé, l'épouvantail, imitation de la forme comminatoire, la poupée gonflable, imitation de la passivité féminine ne prouvent, évidemment, ni l'âme, ni la colère (sauf pour nos frères ennemis, les nuisibles), ni la relation sexuée. Ils les supposent.
Mais c'est moins la spécification individuelle ou l'exception démonstrative que nous cherchons à préciser ici que certains caractères anthropologiques de la reconnaissance. La Fontaine a beau dire :
"Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme.
Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme
Assemblent l'un et l'autre point,
Souffrez que je ne cherche point"
"Il faut du r'mède à ça".
En restant dans une prudente et civile généralité, on peut noter :
- que l'"amour" est un certain besoin ;
- que ce besoin (ouvert) doit être formé et montré ;
- qu'une fois satisfait par un choix d'objet, dont le caractère personnel est fréquemment revendiqué, sa capacité d'ouverture et d'empreinte diminue.
Rien de plus personnel en effet que ce registre où, pourtant, comme il est dit dans le Roman de la Rose, "chacune (est) commune à chacun et chacun commun à chacune". Ce sont les lois de la nature qui engagent la reconnaissance de la personne. Dans une émission de télévision dont le principe consiste à faire commenter une photographie par un quidam, une jeune femme mannequin parle en ces termes à propos d'un cliché représentant un vieil homme assis absorbé dans la contemplation d'une statue qui représente une femme nue : "J'aimerais qu'un homme me regarde ainsi..." elle poursuit ou se reprend : "Bien sûr, être regardée comme un morceau de viande, ça n'est jamais agréable... Il y a un moment où le photographe vous regarde comme cela..." Puis elle revient à l'idée première : "Elle est tout pour lui, il est tout pour elle". Miracle de la communication : l'individu qui ne vit que pour lui vit par et pour un autre. L'intensification de la tension vitale s'exprime dans l'exaltation de la personne. Chantier des basses uvres de la nature, l'amour apparaît alors comme la chance et la forme de la culture. "Voix de la nature" : il suffit de présenter les signes psycho-sexuels de l'intérêt sexuel ("mettre les formes"). "Voix du cur" : le dialogue des signes personnalise un échange.
Plan du dossier :
19.1 Exorde
19.11 "Et ta sur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1 L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire
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