2ième partie :
III - 8.14 L'invention néolithique ou :
le triomphe des fermiers (bases pour travail en cours)
Le triomphe des fermiers
Le choc de la Découverte à lor pour objet et pour symbole. Deux gravures de Theodore De Bry (1594), inspirées notamment de lHistoria del Mondo Nuovo de Girolamo Benzoni (1565), figurent cette opposition touchant la signification et la fonction de lor. Sur la première, les conquistadores se font remettre par les Indiens lor quils possèdent : un amoncellement dobjets réalisés dans ce métal. Un Indien nu est désigné comme le détenteur de cet entassement aussi inouï quhétéroclite et se dégage lidée que cet or, inutile aux Indiens, trouve ses usagers et propriétaires naturels en la personne des conquistadores.
Sur la seconde, des Indiens versent de lor fondu dans la gorge dun Espagnol, tandis que dautres Indiens, à larrière-plan, se livrent à des pratiques anthropophages. Limposition par les Espagnols dun tribut en or fut à lorigine de la révolte dIndiens Jivaros en 1599. Après avoir envahi la ville de Logrono et capturé le gouverneur, les indiens le déshabillèrent complètement, lui lièrent pieds et poings et, tandis que certains se divertissaient fort à le frapper et à se moquer de lui, dautres installaient dans la cour une grande forge où ils mirent à fondre lor du tribut. Quand lor fut fondu, ils lui ouvrirent la bouche avec un os, disant quils voulaient voir si, pour une fois, il aurait assez dor
(Velasco, cité par Harner, 1973 : 192)
Gravures colorées à la main Francfort, 1594
Theodore De Bry
New York, NYPL, Rare Books Division, *KB + 1590
37 x 25,4 cm
En 1541, l'explorateur italien Girolamo Benzoni accomplit un long voyage à travers les Caraïbes, l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. En 1565, il publia une relation de ce périple sous le titre Historia del Mondo Nuovo, dont De Bry s'est inspiré pour réaliser ses gravures.
Une gravure de lindien quechua Felipe Guaman Poma de Ayala, dans sa chronique de la conquête du Pérou dont il commence la rédaction illustrée en 1587, confirme cet appétit des Espagnols pour lor dans le face à face dun Inca et dun Espagnol.
LInca :
Tu manges cet or ?
LEspagnol :
Este oro comemos.
Nous, Espagnols, disait Cortès, nous souffrons dune maladie de cur dont lor est le seul remède.
Colomb : Lor est la meilleure chose au monde, il peut même envoyer les âmes au Paradis.
Lappétit des Espagnols pour lor est aussi incompréhensible pour les Indiens que le cannibalisme pour les Européens.
(Léry : cet homme tant riche dont tu me parles ne meurt-il point ?
)
Colomb :
Deux autres gravures de Theodore De Bry (Americæ Pars Sexta, 1596, fol. 7 et Americæ Pars Quinta, 1595, fol. 18), quand Pizarre avalla par terre Hataualpa, ce dernier Roy du Peru pour semparer des brancars dor et de la cheze dor, selon les termes de Montaigne (Des coches, III, VI, p. 894) sur lesquels il était porté au milieu de la bataille et quand Pedro de Alvarado et ses soldats massacrèrent les Mexicains pour semparer des bijoux dont ils étaient parés à loccasion dune fête mettent en scène cette opposition.
Les auteurs de ces actes de brigandages sont en réalité une avant-garde du concept dEurope, signifiant de manière grossière et criminelle le fonctionnement ordinaire dun mode de production, dun écosystème avec ses valeurs, son code, son éthique. La fascination pour lor, concentré de richesse et symbole de toute richesse, objet par excellence de luniverselle convoitise, fin ultime de tout travail et de toute peine par-deça trouve ici une expression cruelle et tragique : ceux qui ont lor, donc qui ont tout, sont à la merci dune petite troupe dEspagnols ayant enfin à portée de main ce vers quoi tendait une expédition portée par le développement dune idée inconnue dans le Nouveau monde. Comment ces aventuriers ivres dun rêve héroïque et brutal, fatigués de porter leurs misères hautaines (tels que chantés par Hérédia hommes de sac et de corde, le plus souvent), rendus fous au spectacle de cette invraisemblable accumulation du métal fabuleux aux mains dIndiens nus et vulnérables auraient-ils pu agir autrement ?
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Le triomphe des fermiers
Ishi. Les bushmen
Contraints au repli sur la peau de chagrin de leur écosystème, puis nayant plus les moyens écologiques de leur survie, contraints de se rendre à la « civilisation » et de sy louer. Ils constituent le lunpenproletariat des fermes, haciendas, puis des usines
(pygmées et bantous
)
Non, non, mille fois non ! Ne me parlez pas de comprendre les Noirs. La mission du Blanc est dêtre le fermier du monde et il na pas à sattarder à des contingences aussi dangereuses quinutiles. (J.London, Linévitable Blanc, R. Laffont, Paris, 1985, p . 578)
Cest que dans les sociétés indiennes, les activités qui ont la subsistance pour objet nengendrent ni ne relèvent de la différenciation sociale.
Cest le regard que le laboureur peut avoir sur le chasseur-cueilleur
« Enfin les Californiens végètent plutôt quils ne vivent, et on est tenté de leur refuser une âme. »
Ce constat est porté par des aventuriers mus par la dureté de lexistence par deça (en Europe), la malédiction divine qui condamne Adam à quitter le Jardin dEden et à gagner son pain à la sueur de son front.
De Pauw ; Hegel / Tocqueville ; Conrad
Philosophes de cabinet et voyageurs
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Cornelius de Pauw et ses Recherches philosophiques sur les Américains
Parmi les singularitez de la Découverte : le constat de loisiveté et de lindifférenciation sociale des Indiens. Ils ignorent le travail, la spécialisation et la hiérarchie, au sens séculier de ces mots. Cette quasi-absence de stratification sociale banale, essentielle et constitutive de lordre des choses par-deça (dans lAncien monde) apparaît comme une marque princeps du Nouveau Monde. Chez les Amérindiens, en effet, les activités qui ont la subsistance pour objet nengendrent ni ne relèvent de la différenciation sociale.
Il nest pas sûr que ce trait nous soit aujourdhui aussi parlant. Nous voyons les sociétés lointaines avec la nostalgie dun âge dor ou à travers le prisme dun égalitarisme rêvé, nous savons que la stratification nest pas constitutive de lorganisation sociale et la découverte de lAmérique nest pas pour nous ce quelle fut : lévénement le plus mémorable parmi les hommes [
] en remontant des temps présents aux temps les plus reculés selon Cornelius De Pauw , dans son Discours préliminaire aux Recherches philosophiques sur les Américains jmp : p . I) Nostre monde vient dentrouver un autre. (Des coches, 886)
1774 : I, édition de Berlin, 3 vol. in-12
Ce constat précède et motive la Conquête et lExploitation. Les deux figures antithétiques du bon sauvage vivant comme aux premiers temps et du barbare hébété nayant jamais quitté létat de nature révèlent une même vulnérabilité : le cataclysme de la Conquête est contenu dans cette irruption dun monde organisé dans un monde naïf et primitif. Toute la force et linjustice étaient du côté des Européens : les Américains navaient que de la faiblesse : ils devaient donc être exterminés, et exterminés dans un instant. (jmp : p. II) Cestoit un monde enfant. Des coches (Montaigne, III, 6, 887)
De Pauw est de ceux qui compatissent et qui condamnent lextermination des Américains. Il est certain que la conquête du nouveau monde, si fameuse et si injuste, a été le plus grand des malheurs que lhumanité ait essuyé. (jmp p. II) Argumentant que la cupide Europe a suffisamment abusé de sa supériorité, il réprouve les politiques à projets et les philosophes possédant le don de linconséquence (allusion notamment à Charles de Brosses, et à son Histoire des navigations aux terres australes, parue en 1756) qui poussent à envahir les terres australes, ce pays ignoré (ce sont les expéditions de Cook, entre 1768 et 1775, traversant à trois reprises le cercle polaire antarctique, à la latitude de 66° Sud, qui démontreront linexistence de ce continent). Nachetons pas léclaircissement de quelques points de géographie, par la destruction dune partie du globe, ne massacrons pas les Papous, pour connaître au thermomètre de Réaumur, le climat de la nouvelle Guinée (Préliminaire jmp IV), plaide De Pauw.
Le sous-titre de son ouvrage Recherches philosophiques sur les Américains ou mémoires intéressants pour servir à lhistoire de lespèce humaine révèle sa véritable ambition : une histoire naturelle de lhomme. Il est du ressort de la philosophie de lHistoire de marquer par quel degrés lesprit humain sest élevé aux grandes inventions et dexpliquer pourquoi les mêmes découvertes ont été portées à un plus haut point de perfection dans un type que dans un autre (II, 176). Mais lhistoire de lhomme naturel (I, XI) est sans histoire.
Les relations des voyages et les traités touchant lAmérique lui servent à camper exclusivement une sorte dAntimonde qui, de même que lAntichtone est supposée faire équilibre aux masses continentales de lhémisphère Nord, représenterait, au moral, une sorte denvers de la civilisation : La nature a tout ôté à un hémisphère de ce globe pour le donner à lautre. LIndien est pour De Pauw la figure fantasmée de lhomme avant la civilisation, une sorte de contre-exemple pédagogique. Le programme cité (marquer par quels degrés
) ne reçoit aucun début de réalisation de sa part. Tout le génie de De Pauw sépuise, en réalité, dans la construction de cet épouvantail. Inutiles à eux-mêmes et à la société, les Californiens végètent plutôt quils ne vivent, et on est tenté de leur refuser une âme. (I, 140-141) Du fait de cette constitution congénitalement débile, dun vice radical, ce que cette survie sans invention, propre au Nouveau Monde, peut enseigner est négatif.
Lhistoire de lhomme naturel ne peut donc être que physique. Si nous avons dépeint les Américains comme une race dhommes qui ont tous les défauts des enfants, comme une espèce dégénérée du genre humain, lâche, impuissante, sans force physique, sans vigueur, sans élévation desprit, nous navons rien donné à limagination en faisant ce portrait, qui surprendra par sa nouveauté, parce que lhistoire de lhomme naturel a été plus négligée quon ne pense. (Préliminaire, p. VIII) Et De Pauw sexcuse auprès du lecteur du naturalisme de sa description :
La reconnaissance de lhomme physique ayant été le premier objet de ces recherches, ce seroit une bizarrerie extrême, de ne pas nous pardonner de certains détails quon pardonne tous les jours à ceux qui décrivent des insectes et qui composent des volumes entiers sur la façon dont les limaçons saccouplent. (Pr IX)
On a limpression que, dans ce fantasme de lhomme naturel, De Pauw en chargeant lAméricain poursuit un propos à la fois de conjuration et dédification : la civilisation quil décrit nest rien dautre que lenvers de la civilisation stratifiée qui caractérise les sociétés de lAncien monde.
Il doit exister dans lorganisation des Américains une cause quelconque
(I, 59-60)
Cette cause/raison quelconque se reconnaît à la dégénérescence des amérindiens, mais la dégénérescence est encore un effet et cest dans un autre effet, qui me paraît justifier le propos de notre auteur quelle saccomplit : luniformité sociale. Dans une tirade qui semploie à dénoncer cette imbécile uniformité, caractéristique du génie abruti des Américains, De Pauw dépeint avec une sorte dhorreur un monde où lon ne peut pas être soi, cest-à-dire différent, un antimonde caractérisé par luniformité, lapathie et, nécessairement, la stérilité (les italiques sont nôtres) :
Également barbares, vivant également de la chasse et de la pêche, dans des pays froids, stériles, couverts de bois quelle disproportion voudrait-on imaginer entre eux ? Là où lon ressent les mêmes besoins, là où les moyens de les satisfaire sont les mêmes, là où les influences de lair sont si semblables, les murs peuvent-elles se contredire, les idées peuvent-elles varier ? (I, 115)
Linsensibilité est en eux [les Californiens] un vice de leur constitution altérée ; ils sont dune paresse impardonnable, ninventent rien, nentreprennent rien, et nétendent point la sphère de leur conception au-delà de ce quils voient ; pusillanimes, poltrons, énervés, sans noblesse desprit, le découragement et le défaut absolu de ce qui constitue lanimal raisonnable, les rendent inutiles à eux-mêmes et à la société [
] on a même désespéré den pouvoir faire des esclaves. (I, 140-141)
Cest que dans les sociétés indiennes, les activités qui ont la subsistance pour objet nengendrent ni ne relèvent de la différenciation sociale
. (supra)
HEGEL
La raison dans lHistoire : lEsprit et les sociétés froides
Le regard porté sur les sociétés froides par un des grands noms de la philosophie européenne (dans sa version universitaire au moins) nest pas différent. Sa vision des civilisations amérindiennes est dans le droit fil de De Pauw, mais cest lAfrique noire qui constitue pour Hegel cet antimonde qui sert à penser lordre, la civilisation et lhistoire.
Hegel : la raison dans lhistoire (1830)
Mexique et Pérou : Une civilisation entièrement naturelle et qui devait, par conséquent, seffondrer au premier contact avec lEsprit. LAmérique sest toujours montrée et se montre encore impuissante aussi bien du point de vue physique que du point de vue moral. Depuis que les Européens ont abordé en Amérique, les indigènes ont disparu peu à peu au souffle de lactivité européenne. Même chez les animaux, on rencontre la même infériorité qui se remarque chez les hommes. (232) (Cest Buffon revu par De Pauw
)
Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. (269)
Distinguer : cest bien de lAfrique noire (lAfrique proprement dite (247) quil sagit, car lAfrique est, pour ainsi dire, composée de trois continents qui sont totalement séparés lun de lautre et nont aucune communication réciproque.(au nord du Sahara : lAfrique pour ainsi dire, européenne ; puis le bassin du Nil qui se rattache à lAsie - 245-6).
Dans cette partie principale de lAfrique, il ne peut y avoir dhistoire proprement dite. (249)
Ce caractère (de lAfrique) est difficile à comprendre, car il diffère complètement de notre monde culturel ; il a en soi quelque chose dentièrement étranger à notre conscience. (id.)
Lhomme, en Afrique, cest lhomme dans son immédiateté. Cest un homme à létat brut. (251) Le nègre représente lhomme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui sappelle sentiment si nous voulons saisir sa nature. Tout cela, en effet, manque à lhomme qui en est au stade de limmédiateté : on ne peut rien trouver dans son caractère qui saccorde à lhumain. Cest précisément pour cette raison que nous ne pouvons vraiment nous identifier, par le sentiment , à sa nature, de la même façon que nous ne pouvons nous identifier à celle dun chien ou à celle dun Grec qui sagenouillait devant limage de Zeus. Ce nest que par la pensée que nous pouvons parvenir à cette compréhension de sa nature ; nous ne pouvons en effet sentir que ce qui est semblable à nos sentiments. (251)
Le fait de dévorer des hommes correspond au principe africain. (259)
Une telle dévalorisation de lhomme explique que lesclavage soit, en Afrique, le rapport de base du droit. (id)
Lesclavage est une injustice en soi et pour soi, parce que lessence de lhomme est la liberté. Mais pour arriver à la liberté, lhomme doit acquérir la maturité nécessaire [
] Lesclavage ne doit pas exister car il est en soi et pour soi injuste selon le concept de la chose. Mais le doit exprime quelque chose de subjectif , il est, comme tel, non historique. Ce qui manque encore au doit , cest la substantialité éthique dun Etat. (260)
La polygamie des noirs a souvent pour fin la génération dun grand nombre denfants qui pourront tous être vendus comme esclaves. (261)
Ce que nous comprenons en somme sous le nom dAfrique, cest un monde anhistorique non-developpé, entièrement prisonnier de lesprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de lhistoire universelle. » (269)
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Haton, C. Mémoires, contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et la Brie, p. 38, édition F. Bourquelot, Paris, 1857.
« Par le congé du Roi », Villegagnon alla visiter les prisons de Paris » et « requit aux juges de lui délivrer ceux qui étaient criminels et qui devaient être condamnés à mourir pour les mener audit voyage. »
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TOCQUEVILLE / Tocqueville
Pendant quHegel philosophe ex cathedra sur les civilisations amérindiennes et africaines, Tocqueville entreprend, en 1931, un voyage en Amérique. Il porte sur les effets du souffle de lEsprit selon Hegel un regard plus informé.
Les Indiens, reprenaient notre hôte, ils ont été je ne sais trop où par-delà les Grands Lacs ? Cest une race qui séteint ; ils ne sont pas faits pour la civilisation : elle les tue. (360)
Un peuple antique, le premier et le légitime maître du continent américain, fond chaque jour comme la neige aux rayons du soleil et disparaît à vue dil de la surface de la terre. Dans les mêmes lieux et à sa place une autre race grandit avec une rapidité plus grande encore. Par elle les forêts tombent ; les marais se dessèchent, des lacs semblables à des mers, des fleuves immenses sopposent en vain à sa marche triomphante. Chaque année les déserts deviennent des villages, des villages des villes. Témoin journalier de ces merveilles lAméricain ne voit dans tout cela rien qui létonne. (361)
Je ne crois pas avoir jamais éprouvé un désappointement plus complet quà la vue de ces Indiens. (361)
Quest-ce que la vie dun Indien ? Cétait là le fond du sentiment général. Au milieu de cette société si policée, si prude, si pédante de moralité et de vertu, on rencontre une insensibilité complète, une sorte dégoïsme, froid et implacable lorsquil sagit des indigènes de lAmérique. Les habitants des Etats-Unis ne chassent pas les Indiens à cor et à cri comme faisaient les Espagnols du Mexique. Mais cest le même sentiment impitoyable qui anime ici ainsi que partout ailleurs la race européenne. (363)
Ce monde-ci nous appartient, ajoutaient-ils ; Dieu en refusant à ses premiers habitants la faculté de se civiliser, les a destiné par avance à une destruction inévitable. Les véritables propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer parti de ses richesses. (364)
Nous ne nous possédions pas de joie de connaître enfin un lieu que navait pas encore atteint le torrent de la civilisation européenne. » (369) Cet homme inconnu est le représentant dune race à laquelle lavenir du Nouveau Monde appartient, race inquiète, raisonnante et aventureuse qui fait froidement ce que lardeur seule des passions explique, qui trafique de tout sans excepter même la morale et la religion. (373)
Le pionnier
Sur ses traits sillonnés par les soins de la vie règne un air dintelligence pratique, de froide et persévérante énergie qui frappe au premier abord. (372)
Nation de conquérants [
] qui senfonce dans les solitudes de lAmérique avec une hache et des journaux [
] qui [
] na quune pensée, et qui marche à lacquisition des richesses, unique but de ses travaux, avec une persévérance et un mépris de la vie, quon pourrait appeler de lhéroïsme si ce nom convenait à autre chose quà la vertu. (373)
Cest à lui quest donné de semparer des solitudes du Nouveau Monde, de les soumettre à lhomme, et de se créer ainsi un immense avenir. (378)
Nos costumes de voyage et nos fusils nannonçaient guère des entrepreneurs dindustrie et voyager pour voir était une chose absolument insolite. (375)
Déjà en effet la race blanche savance à travers les bois qui lentourent et dans peu dannées lEuropéen aura coupé les arbres qui se réfléchissent dans les eaux limpides du lac et forcé les animaux qui peuplent ses rives de se retirer vers de nouveaux déserts. (382)
Le village de Saginaw
On peut le considérer comme un poste avancé, une sorte de guérite que les Blancs sont venus placer au milieu des nations indiennes. (401) Une fois par an, un vaisseau remontant le cours de la Saginaw vient renouer cet anneau détaché de la grande chaîne européenne qui déjà enveloppe le monde de ses replis. (401)
Depuis bientôt trois cents ans que le sauvage de lAmérique se débat contre la civilisation qui le pousse et lenvironne, il na point encore appris à connaître et à estimer son ennemie. Les générations se succèdent en vain chez les deux races. Comme deux fleuves parallèles, elles coulent depuis trois cents ans vers un abîme commun ; un espace étroit les sépare, mais elles ne mêlent point leurs flots. Ce nest pas toutefois que laptitude naturelle manque à lindigène du Nouveau Monde mais sa nature semble repousser obstinément nos idées et nos arts. Couché sur son manteau au milieu de la fumée de sa hutte, lIndien regarde avec mépris la demeure commode de lEuropéen ; pour lui, il se complaît avec orgueil dans sa misère, et son cur se gonfle et sélève aux images de son indépendance barbare. Il sourit amèrement en nous voyant tourmenter notre vie pour acquérir des richesses inutiles. Ce que nous appelons industrie, il lappelle sujétion. Il compare le laboureur au buf qui trace péniblement son sillon. (403-4)
Le désert était là tel quil soffrit sans doute il y a six mille ans aux regards de nos premiers pères ; une solitude fleurie, délicieuse, embaumée ; magnifique demeure, palais vivant, bâti pour lhomme mais où le maître navait pas encore pénétré. (407)
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De la démocratie en Amérique (1835)
Quoique le vaste pays quon vient de décrire fût habité par des nombreuses tribus dindigènes, on peut dire avec justice quà lépoque de la découverte il ne formait encore quun désert. Les Indiens loccupaient mais ne le possédaient pas. Cest par lagriculture que lhomme sapproprie le sol, et les premiers habitants de lAmérique vivaient du produit de la chasse [
] La Providence, en les plaçant au milieu des richesses du nouveau monde, semblait ne leur avoir donné quun court usufruit ; ils nétaient là en quelque sorte, quen attendant. (28)
On navait jamais vu parmi les nations un développement si prodigieux, ni une destruction si rapide. (373)
En contractant des goûts nouveaux, les Indiens nont pas appris lart de les satisfaire et il leur a fallu recourir à lindustrie des Blancs. (374)
Pendant que les besoins des indigènes saccroissaient ainsi, leurs ressources ne cessaient de décroître. (id) Ce ne sont donc pas, à proprement parler, les Européens qui chassent les indigènes de lAmérique, cest la famine. (376)
Les Espagnols lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes farouches [
] Les Espagnols, à laide de monstruosités sans exemples, en se couvrant dune honte ineffaçable, nont pu parvenir à exterminer la race indienne ni même à lempêcher de partager leurs droits ; les Américains des Etats-Unis ont atteint ce résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul principe de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de lhumanité. (393)
Dans une lettre à sa mère du 25 décembre 1831 (sur le Mississipi)2, le voyageur fait les observations suivantes ; « Vous saurez donc que les Américains des Etats-Unis, gens raisonneurs et sans préjugés, de plus grands philanthropes, se sont imaginé, comme les Espagnols, que Dieu leur avait donné le Nouveau Monde et ses habitants en pleine propriété. Ils ont découvert en outre que, comme il était prouvé écoutez bien ceci- quun mille carré pouvait nourrir dix fois plus dhommes civilisés que dhommes sauvages, la raison indiquait que partout où les hommes civilisés pouvaient sétablir, il fallait que les sauvages cédassent la place. Voyez la belle chose que la logique. » (
) Cest un témoignage empreint de triste ironie que Tocqueville livre alors : en effet, les Indiens, ici, les Chactas (ou Tchactwas), sont déportés « dans un désert où les Blancs ne leur laisseront pas dix ans en paix. Remarquez-vous les résultats dune haute civilisation ? »
2 Tocqueville, Alexis (de) Lettres choisies. Souvenirs (1814-1859) Quarto Gallimard 2003 p 254-259
« Cest une chose bien particulière, écrit-il 83, que la propriété individuelle que nous regardons comme une institution quasi naturelle, nexiste à dire vrai quen Europe. Quand on regarde au fond de toutes les législations de lAsie, on voit que le prince est, sinon en fait au moins en droit, le propriétaire de la terre. » La propriété est un sujet fort compliqué. « Les Anglais, écrit-il84, trouvent dans lInde la question de la propriété indécise. » Autrement dit, le gouvernement des hommes, et la domination, est bien plus aisé, en Inde comme en Afrique, que ladministration des choses, et la colonisation proprement dite.
82 Cette note est éditée dans le premier volume des OC en Pleïade p 993-1018
83 Ibid. p997
LAlgérie est-elle, en effet, un désert, comme beaucoup se la représentent ? Dans un désert, en effet, « plus de limites, plus de bornes aux champs, plus de titres à la possession de la terre »60. Un désert, à lévidence, est une zone de non droit. Loin de se rallier à cette idée reçue, Tocqueville entend au contraire la démonter. « On se figure en général en Europe que tous les Arabes sont pasteurs et on se les représente volontiers passant leur vie à conduire de nombreux troupeaux sans dimmenses pâturages qui ne sont la propriété de personne ou qui, du moins, nappartiennent quà la tribu tout entière. »61 Seule la culture du sol fonde la propriété des terres. La représentation est performante et efficiente : la terre appartient-elles aux animaux ? Cherchez des pasteurs, vous trouverez des terrains sans propriétaires. La tentation est grande, dès lors, de considérer les Arabes, tels des Indiens, comme des chasseurs ou des pasteurs
http://www.sens-public.org/imprimersans.php3?id_article=231
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Age de pierre, âge dabondance
En réalité, les civilisations en cause sont des civilisations dabondance, quand cest la rareté et le travail qui conditionnent lexistence par-deça. Le travail, rapporte Thevet, est en réalité un jardinage qui occupe quelque repos de guerre : Nos sauvages estant en quelque repos de guerre, nont guere autre vacation, que de faire leurs jardins ; et jaçoit que quelques uns dentre eux facent aucun trafic, si est ce que la necessité les contraint de cultiver la terre pour vivre. (Cosmo. f 947 v°) Léry : Le pay s de nos Tououpinambaoults soit capable de nourrir dix fois plus de peuple quil ny en a. (Léry, p. 139) Staden : Les Tupinamba ne se partagent pas la terre et ne connaissent pas largent : leurs trésors sont des plumes doiseaux. Celui qui en a beaucoup est riche ; et celui qui possède une belle pierre à mettre dans ses lèvres passe pour un des plus riches de la tribu. (op. cit. 196)
Ils ne sont pas en debat de la conqueste de nouvelles terres, car ils jouyssent encore de cette uberté naturelle qui les fournit sans travail et sans peine de toutes choses necessaires, en telle abondance quils nont que faire dagrandir leurs limites. (Montaigne I, XXXI, p. 208)
Cest une nation [
] en laquelle il ny a aucune espece de trafique ; nulle cognoissance des lettres, nulle science de nombres ; nul nom de magistrat, ny de superiorité politique ; nul usage de service, de richesse ou de pauvreté, ; nul contrat ; nulles successions, nuls partages ; nulles occupations quoysives [
] (I, XXXI, p. 204)
Des coches :
il ny a pas cinquante ans quil [ce monde] ne sçavoit ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestement, ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud au giron, et ne vivoit que des moyens de sa mere nourrice. (886-7)
contez, dis-je, aux conquerans cette disparité, vous leur ostez toute loccasion de tant de victoires. (888)
Commerce, écriture, numération (linvention de lécriture et de la numération sont associées à lenregistrement des productions et des biens), justice, hiérarchie, héritage, partage : soit accumulation au lieu de consomption, travail au lieu de cueillette ou jardinage, negotium au lieu dotium.
Mosaïque de la Chapelle Palatine (Palerme, XIIe siècle)
INSUDORE VULTUS TUI VESCERIS PANE TUO
Tu gagneras ton pain à la sueur de ton visage (Genèse, III, 16-19)
Le jardin dEden raconte un âge dor révolu
Probablement était-il devenu trop étroit
La révolution néolithique
Le fait que la révolution néolithique se soit produite à peu près en même temps en différents endroits du globe tend à montrer que ce changement de stratégie dans lacquisition des ressources alimentaires est une réponse à une contrainte environnementale, vraisemblablement une modification du climat. Prenant en charge les processus de reproduction des céréales et de certaines espèces animales, dont le croît naturel constituait leur subsistance, les hommes du dernier paléolithique ont dû modifier leur écologie en conséquence. Le passage, par exemple, de la cueillette du blé amidonnier sauvage à sa culture, à distance de son aire naturelle, dans les zones fertilisées par les alluvions qu'on observe ainsi au Moyen Orient (grâce à larchéo-palynologie) engage sédentarisation, concentration humaine, sélection des espèces végétales et animales, irrigation, constitution de stocks dès que les moyens de conservation sont disponibles. Dès que laccumulation est possible et quelle a un sens, la concurrence sinstalle pour le contrôle des ressources (la nécropole de chasseurs collecteurs stockeurs de graminées sauvages de Jebel Sahaba, en Nubie c. 8000 témoigne dun nombre important de morts violentes) et des moyens de production.
L'épuisement des sols, auquel la technique des proto-agriculteurs n'est pas en mesure de pallier, fait des terres enrichies par les apports naturels de limon un moyen de production particulièrement recherché et oblige les agriculteurs qui en sont exclus à la quête de nouvelles terres justiciables d'une agriculture extensive, quand les progrès de l'irrigation, de la sélection ou des méthodes d'exploitation assurent des rendements à peu près constants des sols alluvionnaires. Lorsque les capacités d'extension ont, pour une raison ou pour une autre, été atteintes, l'équilibre démographique, la spécialisation et la sujétion sociale avec son ferment subversif se mettent en place.
L'accroissement démographique et la stenochôria sont vraisemblablement à lorigine de deux processus complémentaires dexclusion résultant de la concurrence pour la possession des terres fertiles. Lun dexclusion horizontale, ou territoriale : démigration en vue de la recherche et de la mise en culture de nouvelles terres ; lautre dexclusion verticale, ou juridique : fondant un accaparement des moyens de production, une hiérarchie et une spécialisation sociale.
copie :
On observe ainsi au Moyen Orient, grâce à larchéo-palynologie, le passage de la cueillette du blé amidonnier sauvage à sa culture, à distance de son aire dexpansion, dans les zones naturellement fertilisées par les alluvions.
Un mythe dorigine betsileo rapporte ainsi le processus doccupation dune vallée. Plusieurs familles viennent successivement sy établir, délimitant létendue despace dont elles feront les rizières pour leur subsistance. Jusquà ce que tout lespace cultivable soit occupé. Arrive une dernière famille qui va sétablir au sommet de la colline, délimitant son territoire, comme ont fait ceux den-bas, là où la culture est impraticable. Les habitants de la vallée se moquent, bien entendu, de ces nouveaux arrivants qui comptent subsister dans les rochers
Un homme vient à mourir dans la vallée et les habitants ne savent que faire de son cadavre (quil est impensable denterrer dans les rizières). Ceux den-haut ont le cimetière approprié.
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Cimetière de djebel Sahaba (Nord de l'Ouadi Halfa, Egypte), 58 squelettes y sont ensevelis, la tête vers l'Est, en position fléchie. Une bonne partie d'entre eux sont morts par suite de violences : pointes de flêches en silex enfoncées dans les vertèbres cervicales ou dans les côtes, traces de coups sur d'autres ossements.
Nous commençons, en effet, à trouver alors les traces de massacres collectifs. Par exemple la nécropole de Jebel Sahaba (ou Djebel el Sahaba, act. Sahaba) en aval d'Assouan -proto-Néolithique local : -8 000 - contient une soixantaine de squelettes dâges et sexes divers, dont 24 portent les traces évidentes de violence (pointes de flèches et/ou sagaies) et dont les autres peuvent avoir été tués par moyens "contondants".
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SOCIÉTÉ 08/02/2010 À 00H00
Polygamies hexagonales
GRAND ANGLE
En France, des milliers de ménages vivent une conjugalité polygame, illégale. Difficultés économiques, tensions entre épouses, logements exigus ou vie «ordinaire» Des familles témoignent.
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Par MARWAN CHAHINE
Ibrahima Diallo a 54 ans. Il vit à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dans un F5 avec ses deux femmes, Aïssata et Djeneba, et leurs 13 enfants. Ibrahima a choisi dépouser plusieurs femmes «parce que cest la coutume ; que lislam lautorise, mais surtout parce que jai beaucoup de plaisir à avoir une très grande famille et plein de monde chez moi».
En plus de la famille, les Diallo reçoivent aujourdhui des cousins et des amis des enfants, invités à partager le foyo, couscous malien à base de semoule de mil. Chauffeur-livreur, Ibrahima gagne 1 500 euros par mois, auxquels viennent sajouter 1 000 euros dallocations familiales. «Cest parfois difficile, mais jassume mon choix», assure-t-il. Lhomme parvient même à mettre un peu de côté pour son village au Mali, où vit une troisième femme, la veuve de son frère, quil a épousée par tradition mais avec laquelle il na pas denfant. Ibrahima nignore pas que la question des allocations est épineuse. A ses yeux, elle constitue la raison principale pour laquelle la polygamie est interdite en France : «Quand je suis né, le Mali était français et ça nembêtait personne quon épouse plusieurs femmes.»
Inquiétudes et fantasmes
Une grande majorité des polygames vivant en France sont originaires de ce pays, dautres viennent du Sénégal ou de la Mauritanie, très peu du Maghreb. Contrairement à ses épouses, Ibrahima na pas la nationalité française.
Affable et chaleureux, lhomme élude les questions lorsquon évoque la place et la liberté des femmes dans un ménage polygame. Aïssata, sa première épouse, fait une moue ironique quand son mari assure quil lui a demandé son avis avant de se remarier. La deuxième épouse, Djeneba, nhabite plus lappartement. En théorie. Dans les faits, après avoir divorcé afin de se conformer à la loi et obtenir des papiers, Djeneba, qui vit à proximité, continue à venir très régulièrement et a gardé sa chambre. Ibrahima alterne quotidiennement les nuitées entre ses deux femmes. «Il est normal que ce soit lhomme qui se déplace et non linverse, explique-t-il. Cest pour ça que ça se passe bien chez nous.» En plus de léquité, le devoir de subsistance est une des conditions sous lesquelles lislam autorise la polygamie.
Dounama, 25 ans, fils aîné de la fratrie tempère un peu le tableau idyllique de son père, mais reste positif. Certes, enfant, il a essuyé des moqueries ; lappartement nest pas le lieu idéal pour faire ses devoirs ; larrivée de sa belle-mère alors quil avait 8 ans na pas été évidente, mais, avec du recul, Dounama juge que cela ne la pas entravé dans son développement : «Ce quon perd en affection, on le gagne en sens du partage et de la collectivité.» Aujourdhui employé de la Poste, il aide financièrement sa famille ; «par choix», précise-t-il. Pour expliquer le bon fonctionnement du ménage, il loue «le goût du dialogue de [son] père et le courage de [ses] mères». Doumana ne souhaite pas imiter le modèle familial et établit une distinction nette entre «la culture africaine et polygame de mon père et ma culture française monogame». «Cest une famille où il ny a pas plus de problèmes que dans des familles monogames dans la même situation sociale, estime pour sa part Geneviève Muscat, responsable associative, qui a longtemps côtoyé les Diallo. Une des clés de la réussite est sans doute que les femmes sont bien intégrées. Elles ont suivi des cours dalphabétisation, participent aux activités de quartier et sont attentives à lévolution des mômes.»
Mais la polygamie - ou plus précisément la polygynie (situation dun homme ayant plusieurs épouses), inverse de la polyandrie - ne se vit pas toujours aussi bien. LInstitut Montaigne, think-tank de tendance libérale, a récemment publié une note alarmiste sur la question. Son auteure, Sonia Imloul, fondatrice de lassociation Banlieue 93 et militante du Nouveau Centre, y soumet dix propositions pour combattre la polygamie quelle juge potentiellement dangereuse «pour lorganisation sociale et destructrice pour les enfants et les femmes qui la subissent». Le sociologue Christian Poiret - auteur de la thèse les Familles africaines en France - nuance. Selon lui, même si beaucoup de situations sont difficiles, «la note de Sonia Imloul ne sort pas dune logique victimisante et ne prend pas en compte la complexité des vécus». Constat semblable de Mamadou Diarra, médiateur éthnoclinicien au centre Georges-Devereux, qui reçoit de nombreux enfants de migrants : «La polygamie nest pas, en soi, traumatisante pour les enfants. Cela dépend beaucoup de la relation entre les épouses et des conditions socio-économiques de la famille.»
En France, la polygamie nourrit des inquiétudes, parfois des fantasmes. Pendant les émeutes de 2005, Bernard Accoyer, aujourdhui président de lAssemblée nationale, voyait dans la polygamie «certainement une des causes des violences urbaines». Pour Nicolas Sarkozy, alors ministre de lIntérieur, cétait une des raisons pour lesquelles un Africain sintégrait «moins bien quun Hongrois». Lhistorienne Hélène Carrère dEncausse, secrétaire perpétuelle de lAcadémie française, avait pour sa part expliqué les émeutes à la télévision russe : «Beaucoup de ces Africains sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants. Ils sont tellement bondés que ce ne sont plus des appartements, mais Dieu sait quoi ! On comprend pourquoi ces enfants courent dans les rues.»
«Donner à penser que les problèmes actuels des banlieues seraient directement liés à la polygamie est gênant, voire insupportable», avait alors répondu le maire socialiste dEvry, Manuel Valls. Même ses plus ardents détracteurs reconnaissent que la polygamie ne saurait être à lorigine des maux français. Lui-même fils de polygame, Jean-Marie Ballo, préside lassociation de médiation culturelle Nouveau Pas aux Ulis (Essonne). Il porte un jugement très sévère sur ce quil considère «comme un archaïsme, qui ne relève pas même de la culture mais de la simple pratique coutumière et réduit la femme au rôle dobjet». Cet ancien éducateur sportif admet cependant que le phénomène, «même sil peut être un facteur aggravant», reste marginal.
Une étude de la Commission nationale consultative des droits de lhomme (CNCDH) parue en 2006 estime quil y aurait entre 16 000 et 20 000 familles polygames résidant en France, en situation régulière ou non, soit environ 180 000 personnes (0,28% de la population française). Parallèlement à sa note, Sonia Imloul, qui sappuierait sur des estimations policières, a chiffré à 500 000 le nombre de personnes concernées. «Un chiffre fantaisiste», pour le sociologue Christian Poiret qui juge «impossible de quantifier un phénomène complexe où la mobilité est telle que les écarts sont trop grands pour être significatifs». En effet, un ménage polygame est souvent éclaté entre la France et le pays dorigine.
La «décohabitation»
Le droit français na jamais autorisé le mariage avec plusieurs femmes mais, entre 1980 et 1993, un arrêt du Conseil dEtat a permis le regroupement familial pour les ménages polygames. Les lois Pasqua de 1993 ont mis fin à cette jurisprudence. Pour être en règle, les épouses secondaires doivent donc divorcer et quitter le foyer : cest la «décohabitation». Cette pratique est soutenue par des municipalités et des associations féminines daide car elle peut permettre aux femmes de saffranchir. Elle nest pourtant pas sans poser problème.
Après quinze ans de mariage comme deuxième épouse, Mariam a divorcé. Un choix fait pour obtenir des papiers mais aussi parce que la situation nétait plus vivable. Avec les enfants de la première épouse, ils étaient 15 à loger dans un F3 à Saint-Denis, dans un esprit tendu où des clans sétaient formés. «Un seul W.-C. pour tout le monde, ça nest pas possible !» dit-elle avec humour pour résumer cette douloureuse période. Mais le divorce na pas été synonyme de libération immédiate. Pendant trois ans, sans véritable autonomie financière, maîtrisant mal le français, Mariam a vécu à lhôtel dans les Hauts-de-Seine tout en continuant à amener quotidiennement ses enfants à lécole en Seine-Saint-Denis, avec lespoir dun dénouement rapide. Et une grande culpabilité lorsque les petits réclamaient leur père. Aujourdhui, Mariam a des papiers et habite un F5 avec ses 6 enfants. Les rapports avec son ancien mari se sont apaisés. Il leur rend visite, de temps en temps. Mariam a envisagé de refaire sa vie avec quelquun dautre mais y a renoncé face à la pression de ses enfants. Plus sereine, elle nen reste pas moins marquée par son expérience : «Si javais su que ça se passerait comme ça, je serais restée au Mali.»
Dans ses démarches, Mariam a été accompagnée par lassociation des femmes relais de Bobigny et sa présidente, Fanta Sangare. Cette assistante sociale est dautant plus sensible aux problèmes liés à la polygamie quelle la elle-même vécue. Encore étudiante au Mali, elle est mariée à un homme de dix ans son aîné. Jeune mais instruite, Fanta exige un mariage monogamique, le code civil malien offrant les deux options. Le mari, haut fonctionnaire, accepte mais se ravise au dernier moment car, dit-elle, «un homme a besoin de montrer quil a des couilles, quil domine». «Jai terminé mes études et je suis devenue institutrice avant que nous cohabitions mais, entre-temps, il sétait entiché dautres femmes. Nous avons eu cinq enfants ensemble, mais je nai jamais accepté la situation et jai fait vivre un enfer à mes coépouses.» En 1991, Fanta décide de fuir avec ses deux plus jeunes enfants pour la France, où vit son père. Le vieil homme, très pieux et attaché aux traditions, lexhorte à rentrer au Mali. De retour au pays, Fanta engage une procédure de divorce. Elle revient en France, seule, et commence à sinvestir dans des associations de femmes. Elle obtient le divorce en 1996 et la garde des enfants en 2000, malgré des menaces de mort de son ex-mari.
«Simple rideau»
De son histoire, Fanta tire un engagement ferme contre la polygamie. «Si ça peut être supportable au Mali, dans un système traditionnel où chaque femme a un espace privé, cest très difficile en France en raison notamment de la forme de lhabitat : comment voulez-vous quune femme garde sa dignité quand elle nest séparée de sa coépouse que par un simple rideau ?» semporte-t-elle. Malgré son ressentiment, elle sefforce de nouer des liens avec les maris polygames et de ne pas juger les femmes qui saccommodent de la situation : «Elles sont tellement courageuses !»
Cet article a reçu le prix René-Mauriès, qui recompense chaque année un étudiant en journalisme.
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La perte / disparition / rétraction / du Paradis semi-tropical : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.
travail
Il y a travail parce quil y a concurrence. Le jardin dEden est derrière nous. La malédiction
John Locke : uneasiness : l'inquiètude vitale...
Ishi
"En 1849, année de la ruée vers l'or, les Yana de la Californie du Nord étaient plus de deux mille. Vingt et un ans plus tard, en 1870, ils sont exterminés. Une quinzaine d'entre eux, toutefois, de la sous-tribu yahi, disparaissent pour vivre une terrible vie clandestine qui durera trente-huit ans.
"Le 10 novembre 1908, des ingénieurs, en cours d'étude d'un barrage, découvrent pas hasard un village caché dans le chaparral le maquis californien et mettent en fuite ses quatre habitants, derniers survivants des Yahi. Ishi, l'un d'entre eux, continue à vivre entièrement seul, dans le plus grand dénuement, jusqu'ua 29 août 1911, date à laquelle, à bout de forces et désespéré, il se rend à la civilisation.
"Ishi entre dans notre vie à tous à l'aube du 29 août 1911, par la cour d'un abattoir. Le brusque aboiement des chiens tire les bouchers de leur sommeil. Dans le jour qui se lève, on distingue un homme traqué, tapi contre la barrière du corral. C'est Ishi.
Extrait de la 4e de couverture et de la page 13 de Ishi de Theodora Kroeber, trad. fr. Plon, Presses Pocket,1968.
La valeur
Potosi Historia, mai 2006, n° 713
Ce grand tableau (2,50 x 1,80 m) peint par Gaspar Miguel Berrio en 1758 (Musée Charcas, à Sucre), décrit avec précision la situation géographique, politique et sociale de ce que fut le plus grand centre minier d'Amérique : on y voit les différentes routes qui partaient de Potosí vers Buenos Aires, le Chili, Cuzco au Pérou... et qu'empruntaient les caravanes de lamas et de mulets chargés de sacs remplis de pièces d'argent. On y distingue, à gauche, les quarante-trois barrages de lacs artificiels construits par 20 000 Indiens en cinquante ans et dont l'eau faisait tourner une centaine de moulins de fonte ; les ingenios ou lavoirs pour l'argent (à droite), et, au coeur de la ville, les vingt-sept églises. Sur le flanc de la montagne, les drapeaux blancs de la procession de la Vierge de la Merced, protectrice des mineurs.
Lor symbolise cette opposition
Montaigne : nul, nul, nul
Il résume lhistoire de lEurope.
Parenté / possession :
Montaigne
Ils sentrappellent generalement, ceux de mesme aage frere ; enfans ceux qui sont au dessoubs ; et les vieillards sont peres à tous les autres. Ceux-cy laissent à leurs héritiers en commun cette pleine possession de biens par indivis, sans autre titre que celuy tout pur que nature donne à ses creatures, les produisant au monde. Si leurs voisins passent les montaignes pour les venir assaillir, et quils emportent la victoire sur eux, lacquest du victorieux, cest la gloire, et lavantage destre demeuré maistre en valeur et en vertu ; car autrement ils nont que faire des biens des vaincus. (I, XXXI, p. 208-09)
Montaigne :
cest que lusage de la monnoye estoit entierement inconneu, et que par consequent leur or se trouva touva tout assemblé, nestant en autre service que de montre et de parade, comme un meuble reservé de pere en fils par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient toujours leurs mines pour faire ce grand monceau de vases et statues à lornement de leurs palais et de leurs temples, au lieu que nostre or est tout en emploite et en commerce [
] Imaginons que nos Roys amoncelassent ainsi tout lor quils pourroient trouver en plusieurs siècles, et le gardassent immobile. (III, 6, p. 892)
La valeur même de la monnaie fait question :
On ne regarde plus ce que les monnoyes poisent et valent, mais chacun à son tour les reçoit selon le pris que lapprobation commune et le cours leur donne. On ne plaide pas de lalloy, mais de lusage : ainsi se mettent également toutes choses. (II, 12
)
Divorce entre la valeur nominale et le cours.
Les lois somptuaires qui visent à réglementer lusage des métaux précieux (et des étoffes) qui appauvrissent la balance monétaire et sont retirés de la circulation.
Cette inexploitation et cette inactivité qui justifie aux yeux des fermiers, lappropriation des terres et la mise en esclavage des hommes.
Lexpansion des Européens sur les terres inexploitées ou vierges a pour leitmotiv ce constat dun usage inapproprié des métaux précieux...
friche des moyens de production.
Cest lantique opposition des chasseurs-cueilleurs et des paysans néolithiques.
Cest lanalyse de philosophes de cabinet contre celle de voyageurs, jeunes, le plus souvent (Léry a « environ 22 ans » écrit-il quand il sembarque pour le Brésil, Tocqueville 25 ans quand il entreprend son voyage en Amérique.)
A quoi sert la liberté :
Dans le Code Noir :
Art. 59.
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.
Bourbon :
Delabarre de Nanteuil, Législation de lÎle Bourbon, répertoire raisonné, Paris, 1844
Linstitution de lesclavage remonte à lenfance de la Colonie. (89)
Il est reconnu que les Européens ne peuvent sans danger pour leur existence, se livrer à la culture des terres sous la zone torride, et que les noirs seuls peuvent y être employés, principalement ceux qui habitent les pays les plus rapprochés de léquateur.
Lesclavage existait à Madagascar ; le voisinage de cette île rendit alors facile lintroduction des Noirs à Bourbon.
DN cite alors une « Statistique de Bourbon » établie par un certain M. Thomas, ayant résidé dans lîle de 1818 à 1824 :
Lhomme ne travaille que pour satisfaire à ses besoins et aux projets de son ambition. Le noir ne connaît pas lambition et na que très peu de besoins. Abandonné à sa volonté, il ne fait rien ; sa vie nest quun long repos entrecoupé de rares instants dactivité. Il faut, pour sortir de cette inertie, quil soit forcé au travail et lon ny parvient quen lui imposant une entière soumission aux ordres dautrui.
[
]
Lesclavage est dans les colonies françaises une domesticité viagère, tandis quen France la domesticité est un esclavage annuel et temporaire. Voilà sa véritable définition. (90)
« Il serait difficile de concevoir un régime plus doux et plus ferme en même temps. Les maîtres sont aimés, parce quils sont justes [
]
certains articles de lédit de 1685, vulgairement appelé le Code noir, sont inconnus à Bourbon et ny ont jamais reçu dexécution : ce qui autorise à penser, dirai-je ici, quon connaît bien moins en France que dans les colonies le régime intérieur qui convient à celles-ci. (113)
John Calhoun
La liberté se mérite.... "It follows from what has been stated, that is a great and dangerous error to suppose that all people are equally entitled to liberty. It is a reward to be earned, not a blessing to be gratuitously lavished on all alike a reward reserved for the intelligent, the patriotic, the virtuous and deserving, and not a boon to be bestowed on a people too ignorant, degrated, and vicious to be capable either of appreciating or of enjoying it." (p. 42-43).
John Caldwell Calhoun (1782-1850) A Disquisition on Government, 1995, Shannon C. Stimson, Hackett Company, Indianapolis.
Ceux qui devancent les autres par la prudence et par la raison, même sils ne lemportent pas par la force physique, ceux-là sont par nature même les seigneurs ; par contre les paresseux, le esprits lents, même sils ont les force physiques pour accomplir toutes les tâches nécessaires, sont par nature des serfs. Et cela est juste et utile quils soient serfs, et nous le voyons sanctionné par la loi divine elle-même [
] Et sils se refusent à cet empire [des princes et des nations plus cultivés et plus humains], on peut le leur imposer par le moyen des armes et cette guerre sera juste, ainsi que le déclare le droit naturel
en 1550 à Valladolid, Las Casas v. Sepulveda
Proverbes
édition numérique par Jean-Marie Weber et www.JesusMarie.com.
http://www.jesusmarie.com/bible_crampon_proverbes.html
Chapitre 1.
1 Proverbes de Salomon, fils de David, roi d'Israël :
2 pour connaître la sagesse et l'instruction ; pour comprendre les discours sensés ;
3 pour acquérir une instruction éclairée, la justice, l'équité et la droiture ;
4 pour donner aux simples le discernement; au jeune homme la connaissance et la réflexion.
5 Que le sage écoute, et il gagnera en savoir ; l'homme intelligent connaîtra les conseils prudents,
6 il comprendra les proverbes et les sens mystérieux, les maximes des sages et leurs énigmes.
7 La crainte de Yahweh est le commencement de la sagesse ; les insensés méprisent la sagesse et l'instruction.
--Respect des bornes.--
10 Ne déplace pas la borne antique, et n'entre pas dans le champ des orphelins.
11 Car leur vengeur est puissant: il défendra leur cause contre toi.
--Contre la gourmandise.--
19 Ecoute, mon fils, et sois sage; dirige ton coeur dans la voie droite.
20 Ne sois pas parmi les buveurs de vin, parmi ceux qui se gorgent de viandes ;
21 car le buveur et le gourmand s'appauvrissent, et la somnolence fait porter des haillons.
--Respect des bornes.--
28 Ne déplace pas la borne ancienne, que tes pères ont posée.
-- Succès dans le travail.--
29 Vois-tu un homme habile dans son ouvrage ? Il demeurera auprès des rois, il ne demeurera pas auprès des gens obscurs.
«Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, rien de ce qui est à lui» (Exode, XX, 17).
Platon : République V, 461d :
Il instaure une parenté classificatoire
et mariage par tirage au sort.
Cf Praxagora dans la comédie dAristophane : (635-7)
Il nest pas de sot métier, il nest que de sottes gens
Touche à tout, bon à rien ;
Trente-six métiers, trente-sept misères
Qui terre a guerre a (c'est une paronomase...) Qui rien a pis a...
La division du travail et l'émulation : Antoyne de Montchrétien
p. 34-35
"En ce travail public divisé en tant d'arts et de métiers, on doit principalement faire observer une chose à vos sujets, de ne le mélanger et diversifier point tant en une seule main. Les Allemands et les Flamands sont plus imitables, qui ne s'emploient volontiers qu'à une besogne. Ainsi s'en acquittent-ils lieux : où nos Français voulant tout faire sont contraints de faire mal." (p. 51-52)
Si diverses que soient les professions, elles sont toutes solidaires et dignes d'honneur "tous ensemble font cette merveilleuse chaîne d'or à plusieurs anneaux entrelacés, qui remue et attire à soi toutes les choses d'ici-bas." (p. 18-19)
"L'émulation est en toutes choses un grand aiguillon à bien faire." (p. 51)
Traicté de l'conomie politique dédié au Roy et à la Reyne Mere du Roy, par Antoyne de Montchrétien, sieur de Vateville, Rouen, 1615.
Darfour ou Rwanda (-) versus Victimes du Tsunami (+) :
Cest «eux » et « nous » : les victimes du tsunami appartiennent à des sociétés stratifiées (!?)
Dans Alternatives économiques :
Le 1er partage du monde :
Carte de Cantino, 1502.
Latlas major, 1662, de Johannes Blaeu.
(réveil) Le marxisme est dautant mieux adapté à ces sociétés non stratifiées quil y existe déjà
Stratification
Gautier et Froidevaux prennent aussi appui sur le manuscrit qu'ils publient et sur le destin singulier de La Case pour proposer une réflexion sur la colonisation française et sur les raisons de l'échec de la colonie de Fort-Dauphin, dont voici la conclusion : "On touche du doigt le germe de décadence que notre établissement à Fort-Dauphin portait en lui-même. Il a échoué parce que Madagascar ne pouvait payer ses frais de colonisation, dans un siècle qui n'avait pas, au même degré que le nôtre les énormes accumulations de capitaux et de ressource qui permettent les longues patiences. Il a échoué pour la même raison qui fit que les Portugais, les Hollandais et les Anglais, commerçants mieux renseignés, touchèrent à la côte malgache sans s'y fixer, et allèrent chercher en Extrême-Orient les vieux pays surpeuplés, riches et rémunérateurs." (p. 15)
Code noir
A quoi sert la liberté
[Art. 1.
Voulons que l'Édit du feu Roi de glorieuse mémoire, notre très honoré Seigneur et Père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.]
Art. 57.
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nos dites îles et les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royaume, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les pays étrangers.
Art. 58.
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants, en sorte que l'injure qu'ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne : les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.
Art. 59.
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.
Revoir : Il faut se battre pour la constitution :
conditions démographiques
relation entre la stratification, lindividualisme, lincroyance et la démocratie
Aristophane et laccumulation v. le plat de lentilles
Invocation Ibo (dans Things fall apart, 1959) :
« Nous ne demandons pas la richesse parce que celui qui a la santé et les enfants aura la richesse. Nous ne prions pas pour avoir de largent mais pour avoir plus de parents. Nous sommes meilleurs que les bêtes, parce que nous avons des parents. Une bête, quand son flanc la démange, se frotte contre un arbre, tandis quun homme appelle un parent pour le gratter. »
Stokely Carmichael : « Au début nous avions la terre, ils avaient la Bible. Aujourdhui, ils ont la terre, nous avons la Bible. »
Hegel, de Pauw
Létonnement des « sociétés froides »
La dot et la stratification.
Les deux figures antithétiques du « bon sauvage » et de la « brute épaisse » pointent la même « originalité » : labsence de différenciation sociale.
Il semble que ce qui saute aux yeux des anciens voyageurs nous soit beaucoup plus difficilement perceptible : nous voyons les sociétés traditionnelles, certes contaminées par nous, avec la nostalgie dun âge dor perdu ou à travers le prisme dun égalitarisme rêvé. Dans le premier cas, labsence de différenciation sociale disparaît derrière linsouciance supposée ; dans le second, les figures du pouvoir et de la religion nous apparaissent comme autant de formes doppression et dignorance. Lanthropologie sera révolutionnaire ou ne sera pas ; le terrain est un paradis en souffrance.
De Pauw :
« Il doit exister dans lorganisation des Américains une raison quelconque qui hébète leur sensibilité et leur esprit » (Laplantine : 38)
(Ce « génie abruti des Américains »
« Enfin les Californiens végètent plutôt quils ne vivent, et on est tenté de leur refuser une âme. » « La nature a tout ôté à un hémisphère de ce globe pour le donner à lautre. »)
Lidéal du communisme dans une société stratifiée.
La malheureuse et fameuse première phrase de la Critique de la raison dialectique qui est aussi son épitaphe : le marxisme est la philosophie indépassable de notre temps, exprime limpossible et lindépassable mariage de la morale et de la politique, de légoïsme de la stratification et de laltruisme/fraternité de lhumanité.
La phrase de Lévinas : le communisme cest la morale appliquée à la politique.
(Un jugement de Lévinas au journal télévisé de midi on la invité pour présenter la réédition dun ouvrage au passage, à propos de lintervention israélienne au Liban : Elle est dure, mais elle est juste.)
Ça ne peut pas prendre
Joseph Conrad
Son expérience congolaise date de 1890. Le roman, The Heart of Darkness, est publié en 1899 (cité dans une édition bilingue, Lgf/Le Livre De Poche, 1993).
26 février 1885 : Conférence de Berlin.
p. 211 À lorigine, Kurtz avait été élevé en partie en Angleterre et, ainsi quil eut la bonté de le préciser, ses sympathies allaient là où il le fallait. Sa mère était à moitié anglaise et son père à moitié français. Toute lEurope a contribué à lélaboration de M. Kurtz. Et peu à peu jai appris que tout naturellement, la « Société Internationale pour lAbolition des Coutumes Barbares » lui avait demandé un rapport, pour orienter sa conduite dans le futur.
p. 123 Que voulais-je de plus ? Ce que je voulais en réalité, par Dieu, cétaient des rivets ! Des rivets. Pour avancer le travail, pour colmater le trou. Je voulais des rivets. Il y en avait des caisses pleines sur la côte, des caisses empilées, éclatées, fendues ! [
] Il suffisait de se baisser pour sen remplir les poches ! Mais il ny avait pas un seul rivet là où le besoin sen faisait sentir. [
] Et plusieurs fois par semaine une caravane arrivait de la côte avec des marchandises négociables : des calicots satinés tellement laid quon frémissait rien quà les regarder, de la verroterie qui valait bien deux sous le kilo, dhorribles mouchoirs de coton à pois. Mais pas de rivets.
(voir la caisse de boulons de Lenfant)
p. 121 M. Kurtz était un « génie universel », mais même un génie verrait avantage à travailler avec des « outils adéquats : des hommes intelligents ».
p. 29 La plupart des marins mènent, si lon peut dire, une vie sédentaire. Ils ont lesprit casanier et ils emportent partout leur maison avec eux : le navire.
p. 35 La conquête de la terre, qui signifie le plus souvent quon en dépouille ceux qui nont pas la même couleur ou qui ont le nez un peu plus aplati que nous, na rien de très joli quand on y regarde de trop près. Il ny a pour la racheter que lidée. Une idée derrière la conquête ; non pas une feinte sentimentalité, mais une idée ; et une fois désintéressée en lidée, ce que vous placez au-dessus de vous, devant uquoio vous pouvez vous incliner et à quoi vous pouvez offrir un sacrifice
p. 65 Nous nous sommes encore arrêtés en des endroits aux noms grotesques où la joyeuse ronde de la mort et du commerce se poursuit dans une atmosphère torride et terreuse comme celle dune catacombe surchauffée.
p. 73 La loi outragée leur était tombée dessus : mystère insoluble en provenance de la mer.
Id. Après tout, jappartenais aussi à la grande cause de ces nobles et justes procédés ?
p. 75 Mais là, sur ce flanc de colline, je sus que, sous le soleil aveuglant de cette terre, jallais faire la connaissance dun autre démon, inconsistant, prétentieux, lil terne, le démon dune folie avide et sans pitié.
p. 85 Et sans concentration, il est extrêmement difficile déviter les erreurs décriture sous ce climat.
p. 97 Un jour, alors que presque tous les « agents » du poste avaient été anéantis par diverses maladies tropicales, on lavait entendu déclarer : « Les hommes qui viennent ici ne devraient pas avoir dentrailles ».
p. 103 Le mot « ivoire » résonnait dans lair, se murmurait et se soupirait. On eût dit quils lui adressaient leurs prières. Un relent de rapacité imbécile soufflait sur tout cela, tel un effluve de charogne. Par Dieu, je nai jamais rien vu daussi irréel de toute ma vie ! Et à lextérieur, autour de cette minuscule parcelle de terre défrichée, limmensité sauvage et silencieuse me faisait leffet dune grandeur invincible, comme le mal ou la vérité, attendant patiemment que disparaisse cette étrange invasion.
p. 117 Étions-nous capables de venir à bout de cette chose muette, ou bien viendrait-elle à bout de nous ? Je ressentis combien elle était vaste, bigrement vaste, cette chose qui ne pouvait parler et qui était peut-être également sourde. Que renfermait-elle ? Je voyais bien quil en sortait un peu divoire, et javais entendu dire que M. Kurtz sy trouvait.
p. 133 Ce groupe denthousiaste se présentait comme lExpédition dExploration Eldorado. Et je crois bien quils étaient tenus par serment au secret. [
] Tout ce quils voulaient cétait arracher ses trésors aux entrailles du pays et il ny avait chez eux pas plus de préoccupation morale quil ny en a chez des voleurs qui fracturent un coffre.
p. 153 Le vapeur passait lentement tout près dune frénésie noire et incompréhensible. Lhomme préhistorique nous maudissait, ou encore nous offrait une prière ou la bienvenue, qui sait ?
Nous étions coupés de tout, incapables des comprendre ce qui nous entourait. Nous glissions sur leau tels des fantômes , étonnés et secrètement terrifiés comme le seraient des hommes sains desprit confrontés à une explosion denthousiasme chez des fous. Nous ne pouvions pas comprendre parce que nous étions trop loin pour nous souvenir, parce que nous voyagions dans la nuit des premiers âges, de ces âges qui ont disparu en ne laissant presque pas de traces et aucun souvenir.
La terre nétait plus la terre. Elle nous offre habituellement le spectacle dun monstre entravé et vaincu, mais là-bas elle restait monstrueuse et libre. Ce nétait plus la terre et les hommes
Non, ils nétaient pas inhumains. Eh bien, cétait ça le pire, finalement ; quils ne soient pas, en fait, inhumains. [
] Que disait ce bruit après tout ? La joie, la peur, le chagrin ; la dévotion, la valeur, la rage, qui peut savoir ? Il disait en tout cas la vérité, la vérité libérée des oripeaux du temps.
p. 157 Pourquoi ne suis-je pas descendu à terre me joindre aux hurlements et à la danse ? Cest vrai, je ne lai pas fait.
p. 207 Vous auriez dû lentendre dire : « mon ivoire » ! Oh oui, jelai entendu : « Ma Promise, mon ivoire, mon poste, mon fleuve, mon
» Tout lui appartenait. Je retenais mon souffle, certain que la nature sauvage allait faire entendre un éclat de rire prodigieux qui secouerait les étoiles immobiles sur leur axe.
p. 277 « Javais dimmenses projets » marmonna-t-il, irrésolu.
p. 293 Une image, une vision le fit crier à voix basse et à deux reprises un cri qui nétait guère plus quun soupir : « Cette horreur ! cette horreur ! »
Americo Vespucci Mundus Novus (1503) :
"Ils n'ont de vêtements ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n'en ont aucun besoin ; et il n'y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d'épouses qu'il leur plaît et le fils vit avec la mère, le frère avec la sur, le cousin avec la cousine, et chaque homme avec la première femme venue. Ils rompent leurs mariage aussi souvent qu'ils veulent et n'observent à cet égard aucune loi. Ils n'ont ni temples, ni religion et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus ? Ils vivent selon la nature."
Le rapt d'Europe : C'est celui du matérialisme appliqué au processus de différenciation sociale ce qui n'engage pas l'adoption d'un modèle culturel particulier, sauf quant aux formes minimales de ce processus. Si ce processus est déjà existant, le "progrès" (l'émergence économique) n'est une question de temps, d'assimilation de la technique par les voies de la formation. Les délocalisations sont l'école de cette libération économique...
On adapte donc et l'on conserve et cultive son identité.
Deux conditions sont requises pour l'adoption de la technique : il faut que la société en cause soit stratifiée (ce qui exclut les sociétés à l'agriculture extensive) et il faut que la religion ouvre l'espace économique (ce qui exclut les sociétés musulmanes)
HUGO :
Après le massacre de la Commune, la question sociale n'est plus d'actualité. Les dirigeants de la IIIe République se préoccupent bien davantage d'expansion coloniale. Toujours en phase avec la bourgeoisie de son temps, Victor Hugo lance, le 18 mai 1879, à l'occasion d'un banquet commémorant l'abolition de l'esclavage : «Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes; croissez, cultivez, colonisez, multipliez».
C'est l'"exportation des pauvres" pratiquée par les Grecs, les clérouquies, voir Platon...
Joseph Chamberlain, a soutenu la thèse de la nécessité économique de limpérialisme :
« Hier, jai assisté à une réunion de chômeurs à Londres et après avoir écouté les discours virulents qui nétaient ni plus ni moins quun cri pour demander du pain, je suis rentré chez moi plus que jamais convaincu de limportance de limpérialisme... Ce qui me préoccupe avant tout cest la solution du problème social. Par cela jentends que si lon veut épargner aux quarante millions dhabitants du Royaume-Uni les horreurs dune guerre civile, les responsables de la politique coloniale doivent ouvrir de nouveaux territoires à lexcédent de population et créer de nouveaux marchés pour les mines et les usines. Jai toujours soutenu que lEmpire britannique était pour nous une question destomac. Si lon veut éviter une guerre civile, il faut devenir impérialiste [12]. » (Dans Gollwitzer, op.cit.,p. 136. Cité par Lénine daprès Die Neue Zeit, XVI, 1, 1898, p. 304.)
Ploutos d'ARISTOPHANE : Pourquoi la Richesse est aveugle :
"Car si Ploutos recouvrait la vue et se partageait entre tous également, il n'y aurait plus ni art chez les hommes ni industrie exercée par personne : ces deux choses une fois abolies, qui voudra être forgeron, construire des vaisseaux, coudre, être charron, cordonnier, briquetier, blanchisseur, tanneur ? Qui voudra
Du sol avec le soc briser la croûte dure
Pour récolter les fruits que Déô nous procure,
S'il vous est permis de vivre oisif sans vous soucier de tout cela ?
cf. Plaute : Stichus, II, 24 : Paupertas artes omnes perdocet ubi quem attigit....
(Une deuxième vague d'expansion coloniale, conséquence de la première, avec la révolution industrielle et la croissance démographique de l'Europe, permettra d'"exporter les pauvres" sous-produits du "progrès" de peupler et d'exploiter les ressources des continents "vierges" et d'ouvrir de nouveaux marchés.)
FIN du chapitre 8
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