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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...” : 9
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques

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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


I - 2.09 Souveraineté de la distinction


Ce monstre singulier qui disparaît sans combattre, comme le Vrtra de la tradition indienne (vide infra : Le sacrifice dans l'Inde ancienne 2) qui, lui aussi, “bloquait” les sources précisément taries dans ces histoires de loimós, révèle peut-être par là sa véritable nature de construction psychique. Lamia est vaincue sans résistance par le sauveur d’Alcyoneus, arrachée de son gîte, tirée au grand jour, précipitée du haut des rochers. Elle disparaît finalement comme s’il avait suffi de l’amener à la lumière pour qu’elle s’évanouisse, tel un phantasma, fantôme ou fantasme. Tirer le monstre au jour, c’est tirer l’énigme au clair (tirer l'énigme au clair, c'est tirer le monstre au jour). Et si les deux membres de cette phrase sont homothétiques, s’il y a rencontre du sens produit par le mythe et du savoir contenu dans l’expression, c’est que la langue et le mythe puisent au même fonds. L’énigme oppressante s’évanouit dans la clarté du concept. L’énigme (griphos, au sens propre : nasse, puis, métaphoriquement, énigme et obscurité) emprisonne et enveloppe. L’œil a besoin de lumière, le cortex a besoin de forme, l’individu a besoin de distinction. Le chiffreur ou le passeur exploitent l’obscurité qu’ils font régner sur ces êtres en fièvre de distinction que sont les adolescents. Vaincre l’angoisse ou la peur du noir, c’est un objet commun des rites d’adolescence (et des philosophies existentielles, d’ailleurs). L’énigme et le monstre s’évanouissent : comme la Sphinge, littéralement soufflée ou désintégrée par le travail de déchiffrement. Le monstre est une image virtuelle, envers d’un savoir qui tire sa créance de la crédulité et légitime sa tyrannie sur l’immaturité. Si résoudre l’énigme, c’est triompher du monstre, c’est dire qu’il était cette énigme. Avec ou sans question capitale - quand il s’agit de faire preuve de tête ou de la perdre – le monstre, c’est l’énigme – l’épreuve dont Thésée triomphe dans le labyrinthe est aussi une élucidation, à la faveur du flambeau ou du fil qu’Ariane lui remet.

Mais quelle énigme, quelle difficulté vise l’énigme ? Pour répondre à cette question, il suffit de regarder comment Œdipe et Thésée s’y prennent pour tuer le monstre : ils (l’) épousent. C’est le motif du Fier Baiser (une horrible sorcière assaille un jeune et beau chevalier : – Baise-moi, lui dit-elle ; s'il s'exécute, l'hideuse harpie se transforme alors en une éblouissante princesse...) Du point de vue des jeunes gens, cette exposition au monstre est la révélation d’un savoir et d’une pratique de la différence des sexes. Le rite est ce psychodrame qui permet a l’adolescent d’accéder à la maturité psychique après avoir défait les chimères produites dans la dépendance maternelle. Comment cette promotion libère-t-elle l’abondance ? Le défaut d’initiation, défaut de répétition des genres, porte un risque de stérilité généralisée si les définitions sexuelles, ainsi qu’on l’a noté, commandent le cycle des reproductions. Il y aurait dans l’adolescence l’expression d’une nature “sauvage”, rebelle aux catégories. Cette part sauvage de la repousse humaine renaît chaque année dans la végétation. Le parallèle entre génération naturelle et génération humaine (Gamélion était le mois des mariages) se développe à partir d’une opposition dialectique entre nature et société. Quand la floraison, éclosion du cycle annuel, contient, observance garder, la promesse des accomplissements, la fleur de la génération humaine doit être convertie pour être en mesure de porter ses fruits.

La mythologie grecque expose en effet le triste destin de héros dont les noms connotent l’exubérance printanière, l’éclat ou la pérennité de la végétation sauvage : Narcisse, Hyacinthe, Crocos, Carpos..., ces personnages meurent dans la fleur de leur jeunesse – accident ou suicide – et renaissent dans la nature. Ce que signifie leur mort est probablement exprimé dans la propriété que les Anciens attribuaient à l’hyacinthe : retarder la puberté. Les marchands d’esclaves qui faisaient commerce d’adolescents destinés à la prostitution en usaient à cette fin. (Jeanmaire, 1939 : 530 ; Dioscoride : 4, 63 ; Pline : 21, 97)

Hyacinthe est mortellement blessé par le disque – ici marqué d'un symbole solaire – lancé par Apollon.
Du sol taché de son sang naît la jacinthe.
(Sur la valeur de cette mort solaire vide :
chapitre 9.5 : un Œdipe sans complexes : souveraineté, pédagogie et différence des sexes in fine)
Musée du Louvre, coupe attique, "peintre de Kléoménos", c. 500
(la coupe porte l'inscription : Kléoménos kalos).

Retarder la puberté, c’est précisément le contraire de ce en quoi consiste l’initiation : mener la puberté à terme. La mort tragique de ces héros et leur renaissance dans la végétation fait d’eux, soit des avatars de cette “âme folle” que l’initiation arrache à la jeunesse, soit, quand leur histoire expose une fixation à l’adolescence, des modèles négatifs de la transformation initiatique. Cette fixation se marque par le refus ou par l’échec accidentel de la relation sociale et, spécifiquement, de la relation pédagogique. Leur histoire dramatise la nécessaire césure et le deuil de l’adolescence ; elle conjure l’incapacité de l’adolescent à dépouiller le jeune homme – ce narcissisme narcotique – ou la pétrification d’une relation éducative par essence transitoire, puisqu’elle vise à faire du néophyte (rejeton), au terme d’une éducation qui codifie l’activité virile, l’égal de l’initiateur.

Placé, en expiation d’une faute de son père, à la tête d’un tribut promis à la mort ou à la servitude et dont le paiement régulier écarte le spectre du loimós (stérilité de la nature et des hommes) ; parti, dans cette expédition sans retour, avec des adolescents, garçons et filles, ayant vocation à mourir à l’enfance ; perçant à jour, grâce à la complicité féminine (sachant y faire et touchant juste), l’énigme intestine, ou matricielle, du Labyrinthe ; affrontant victorieusement un monstre, mixte d’homme et de bête, dévoreur d’ambigus adolescents ; gagnant la fille du roi par ces deux exploits qui se révèlent de propédeutique matrimoniale ; de retour au temps des récoltes avec les jeunes gens – la fleur de la jeunesse – expédiés au temps critique des éclosions, des nouures et des soudures alimentaires et miraculeusement sauvés du monstre – bénédiction des accomplissements sur le spectre des virtualités –, Thésée apparaît à la fois comme le chef initiatique par excellence et le garant communautaire de la régularité végétative dans cette mission majeure de son sacerdoce, puisqu’elle l’habilite à succéder au père, qui se réalise dans la consécration des “prémices de la génération humaine”.

Mais pourquoi un tel souverain, recteur des définitions et des actions droites, maître du croît des espèces et des hommes, ne peut-il survivre à l’initiation ? Quel type de nécessité engage la mort du roi dans la naissance initiatique et subordonne la pacification et la purification des sauvageons – l’intégration sociale – à la violence, à la souillure du régicide ? Qu’y a-t-il dans le chiffre sept (ou huit, selon la manière grecque de compter), pour reprendre la question liminaire de ces pages, qui tranche le fil de la vie des rois ?

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Plan du chapitre :

I - 2.01 Introduction
I - 2.02 Des rois agricoles
I - 2.03 La paille et le grain
I - 2.04 Apollon, dieu Septime
I - 2.05 Le scandale de la mort programmée du roi
I - 2.06 Thésée, chef d’initiation ?
I - 2.07 De la stérilité à la “panspermie”
I - 2.08 L’énigme du monstre
I - 2.09 Souveraineté de la distinction
I - 2.10 Climatérique de la souveraineté
I - 2.11 La roue du temps et la mise hors course du vieux roi
I - 2.12 Pourquoi “le sang de la circoncision emporte la vie des rois”
I - 2.13 Quand régicide et initiation sont un



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