I - 2.05 Le scandale de la mort programmée du roi |
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Quest-ce quun roi sacré ? Nous retiendrons ici pour seul critère le trait minimal suivant : Un roi sacré est un personnage dont la souveraineté est programmée et qui est mis à mort quand son crédit est épuisé. Et nous citerons deux textes anciens qui montrent bien que cest le paradoxe dune souveraineté dont le titulaire sera mis à mort et le sachant qui constitue le trait criant de linstitution. Cette mise à mort programmée du roi, quand Frazer en a révélé le concept, fit leffet dun coup de tonnerre dans le ciel sans nuage du positivisme politique. Comment peut-il exister une toute-puissance qui accepte un tel sort ? À quoi bon être roi, pour parler vulgairement, si on nest même pas capable, au bout du compte, cest le cas de le dire, de sauver sa peau ?
Ces deux textes anciens, respectivement de Strabon et de Diodore de Sicile, se rapportent à un royaume, que les géographes grecs désignaient sous le nom dIle de Méroé, considéré comme un centre de diffusion darchétypes culturels en Afrique, notamment pour ce qui concerne linstitution royale. Lîle de Méroé Au nord de Karthoum, sur la rive droite du Nil entre la cinquième et la sixième cataracte, Méroé fut la capitale du royaume de Couch. Flavius Josèphe décrit ainsi Méroé dans ses Antiquités judaïques (II, 10, 2) : Cétait une place extrêmement difficile à enlever : le Nil lentourait dun cercle ; dautres fleuves, lAstapos et lAstaboras, rendaient lattaque malaisée à ceux qui tentaient den franchir le cours. La ville se trouvant à lintérieur est comme une île ; de fortes murailles lenserrent et, contre les ennemis, elle a pour abri ses fleuves, ainsi que de grandes digues entre les remparts, de sorte quelle ne peut être inondée, si la crue vient à être trop violente ; et cest ce qui rendait la ville imprenable même à ceux qui avaient passé ses fleuves.
À Méroé, aux temps anciens, le premier rang appartenait aux prêtres et telle était leur autorité quils pouvaient dépêcher un messager au roi pour lui signifier quil devait mourir et céder la place à un autre, par eux choisi. Mais il advint quun roi abolit pour toujours cet usage. À la tête dune troupe en armes, il assaillit le temple où se trouvait lautel dor et égorgea tous les prêtres. (Strabon, Géographie, XVII, 2, 4) Les Éthiopiens ont des lois fort différentes de celles qui régissent les autres nations, en particulier pour ce qui regarde lélection des rois. Les prêtres choisissent dabord les membres les plus distingués de leur ordre et celui des prétendants qui, au cours dun festin, est touché par limage du dieu rituellement arborée pour la circonstance, est acclamé roi par le peuple. À cet instant, chacun se prosterne devant lui et cet homme est désormais adoré et vénéré tel un dieu, comme sil tenait la souveraineté dune providence divine. Lélu est soumis au régime prescrit par les lois et tenu de suivre, dans tout ce quil fait, les usages ancestraux. [...] Mais de toutes ces coutumes, la plus extraordinaire concerne la mort des rois. À Méroé, les prêtres chargés du culte divin exerçaient lautorité la plus absolue. Ils pouvaient, si lidée leur venait à lesprit, envoyer un messager au roi pour lui ordonner de mourir. Ils déclaraient alors que telle était la volonté des dieux, manifestée par leurs oracles, et quil nétait pas permis à de simples mortels de sopposer aux ordres des immortels. Ils faisaient entendre encore dautres arguments quun esprit simple, élevé dans une tradition dont il ne peut saffranchir et nayant rien à opposer à cet arbitraire, accueille avec crédulité. Cest ainsi que les prêtres, sans armes et sans violence, se firent obéir par les rois aussi longtemps quils purent étouffer la raison de ces monarques sous des préjuges superstitieux. Mais, sous le règne du second des Ptolémées, Ergamène, roi des Éthiopiens, élevé à lécole des Grecs et instruit dans la philosophie, osa le premier, braver lordre qui lui était signifié. Prenant une résolution digne dun roi, il pénétra avec ses soldats dans le sanctuaire du temple dor des Éthiopiens, égorgea tous les prêtres et, ayant aboli cette coutume, il gouverna le pays à sa volonté. (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, III, 5, 5-6). Plan du chapitre : |
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