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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...” : 2
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques
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SOMMAIRE


anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


I - 2.02 Des rois agricoles

Il n’est peut-être pas inutile, en effet, de commencer par une remarque élémentaire : qu’il s’agisse de la Grèce archaïque ou des sociétés africaines dont il sera fait mention, ce sont les valeurs de communautés agraires, où la reproduction des cycles naturels est vitale, qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit quand on aborde les institutions en cause. Cela est évident, mais il nous faut faire un effort d’adaptation ou d’accommodation et, le plus souvent, d’information, nous modernes, formés à exclure du politique tout ce qui a rapport à la nature, pour évaluer certaines conséquences de cette donnée première. Conséquences qui sont, en revanche, tout à fait claires pour les sociétés concernées.

Soit un exemple (développé dans le chapitre 5) qui annonce le sujet traité, puisqu’il intéresse et l’initiation et les Moundang. Il existe chez les Moundang un rite royal de récolte appelé l’“Ame du mil”. Dans ce rite, la symbolique de la circoncision intervient de manière tout à fait insolite car on ne voit guère, a priori, ce que la circoncision a à faire avec la graine du mil. On peut montrer, en faisant appel à quelques notions élémentaires de génétique des plantes, que cette mise en parallèle du processus éducatif (de l’initiation) et de la récolte révèle une opération de sélection de la semence et ce, de la manière la plus circonstanciée. En effet, le mil (Pennisetum) se spécifie par un mode de reproduction croisé. La fécondation s’opère alors que la fleur est ouverte (à la différence du sorgho, du riz ou du blé où la fécondation s’effectue, normalement ou majoritairement, quand la fleur est fermée) et le pollen d’un sujet va féconder les ovules d’un sujet voisin. Dans les zones géographiques ou le mil a été domestiqué, le mil cultivé coexiste avec des populations de mil sauvage. Cette situation de contact a évidemment la conséquence suivante : le pollen du mil sauvage peut, porté par le vent et jusqu’à des distances de l’ordre du kilomètre, féconder le mil domestique. L’agriculteur sait identifier les hybrides issus de ces croisements et il effectue la sélection de la semence en fonction de cette contrainte. La présence d’une circoncision symbolique dans un rite de récolte ne serait donc pas qu’une belle image. Elle révélerait un savoir agronomique et une répétition du processus de domestication de la plante...

Une autre donnée positive qui échappe aussi largement au moderne, c’est la connaissance des étoiles qui commande les travaux agricoles et qui donne un fondement nécessaire au concept du temps. L’alternance de l’apparition et de la disparition des Pléiades avec l’alternance des pluies et de la sécheresse en zone tropicale, par exemple, les fait responsables du régime pluvial. Les parapegmata grecs ou l’“almanach” d’Hésiode scandent les travaux et les jours par l’observation des étoiles. “Commence la moisson au lever des Pléiades [...] et les semailles quand elles se couchent” (Les Travaux et les Jours, 383-4). “Soixante jours après que Zeus ait tourné le soleil (après le solstice d’hiver), quand Arcturus monte, radieuse, du milieu des ténèbres [...] songe à travailler tes vignes” (Ibid. : 564-570). “Quand le Porte-maison (l’Escargot) monte de la terre à l’escalade des arbres, fuyant devant les Pléiades [...], c’est l’heure de ramasser vos récoltes chez vous” (Ibid. : 571-7). “Dès que paraît la force d’Orion [...] ordonne à tes esclaves de fouler le blé sacré” (Ibid. : 597-9). Quant à la signification de l’irrégularité, notamment des éclipses, on peut en juger a contrario par l’enthousiasme de Pline à l’endroit de l’homme qui fut sans doute, en effet, le plus grand astronome de l’Antiquité, Hipparque, pour avoir prédit sur plusieurs siècles les éclipses de la lune et du soleil : “La suite des temps a témoigné qu’il n’eut pas mieux fait s’il avait pris part aux décisions de la nature. Grands hommes qui vous êtes élevés au-dessus de la condition humaine en découvrant la voie que suivent les divinités […] salut à votre génie, interprètes du Ciel, vous dont l'esprit embrasse la nature entière, créateurs d’une science qui vous a permis, en décryptant et en révélant les calculs des dieux, de vous arracher à l'esprit misérable et craintif des mortels !” (Histoire naturelle, II : 53-54).


Le calendrier liturgique athénien
(extrait du Guide grec antique, Paul Faure et Marie-Jeanne Gaignerot, Hachette, 1991)

C’est donc le gouvernement de communautés agricoles, attentives à la régularité naturelle, que nous avons à considérer, se représentant la régularité sociale et la régularité des cycles germinatifs sous un même concept. Appeler le dérèglement des cycles germinatifs ou la stérilité qui en est la conséquence c’est la forme suprême de la malédiction. Œdipe proclame : “A ceux qui n’obéiraient pas, je souhaite que les dieux ne fassent sortir ni moisson de leurs champs ni enfants du sein de leurs femmes” (Œdipe-Roi, 269 et s.). L’être monstrueux est désordre, menace de subversion généralisée des re-productions. Nous tenterons donc, suivant la voie tracée par Henri Jeanmaire, de comprendre sous de mêmes attendus Thésée et le roi “frazérien”. Commençons par ce digest sur Thésée extrait d’un dictionnaire encyclopédique, posant par là que le sens “populaire” est aussi ce qui nous importe.

“THÉSÉE. Héros grec, émule d’Héraclès ; fils nominal d’Égée, roi d’Athènes ; fils réel de Poséidon et d’Aethra. Élevé à Trézène, loin d’Égée, il voulut, arrivé à l’âge d’homme, rejoindre son père. En chemin, il tua les brigands Sinis et Procuste. À Athènes, il lutta contre les Pallantides, dompta le taureau de Marathon, alla tuer en Crète le Minotaure, affranchissant ainsi Athènes de l’obligation de payer au monstre, chaque année, l’horrible tribut de 7 jeunes garçons et de 7 jeunes filles ; il fut aidé par Ariane, qu’il abandonna dans l’île déserte de Naxos, et pour sa punition, causa à son retour, en oubliant de changer en voile blanche la voile noire de son navire, la mort d’Égée [...] Chassé d’Athènes et retiré à Skyros, il fut jeté du haut d’un rocher par le roi Lycomédès. La légende de Thésée semble renfermer des éléments historiques. Chef d’une petite principauté de la plaine de Marathon, puis de la Tétrapolis, confédération de quatre villes, il aurait réuni les autres bourgades de l’Attique en une seule cité, Athènes, avec une seule citadelle, l’Acropole, avec un culte national, celui d’Athéna.” (Dict. encycl. Quillet)
On distingue immédiatement dans cette notice plusieurs traits qui apparentent Thésée au roi rituel qu’on désigne sous le nom de “roi sacré" : - une origine : une filiation discutée et une ascendance divine ; - une habilitation par un exploit : l’expédition en Crète où Thésée tue le Minotaure ; - un règne dont le caractère rituel est démontré par sa conclusion : la mort casuistique d’Égée (on explique par une méprise une disparition nécessaire). La périodicité de la souveraineté et le rôle de chef initiatique du successeur, essentiellement, seront les deux caractères ici présentés.

Ayant rappelé que les rois en cause étaient des rois “agricoles”, il est expédient, avant d’en revenir à Thésée, de marquer un enjeu rituel commun aux systèmes de gouvernement considérés.

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Plan du chapitre :

I - 2.01 Introduction
I - 2.02 Des rois agricoles
I - 2.03 La paille et le grain
I - 2.04 Apollon, dieu Septime
I - 2.05 Le scandale de la mort programmée du roi
I - 2.06 Thésée, chef d’initiation ?
I - 2.07 De la stérilité à la “panspermie”
I - 2.08 L’énigme du monstre
I - 2.09 Souveraineté de la distinction
I - 2.10 Climatérique de la souveraineté
I - 2.11 La roue du temps et la mise hors course du vieux roi
I - 2.12 Pourquoi “le sang de la circoncision emporte la vie des rois”
I - 2.13 Quand régicide et initiation sont un




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