II - 7.5 Le modèle politique : lantique Athènes et sa caricature
La démocratie idéale, pour Aristophane (pour Xénophon ou pour Aristote), cest celle qui reposerait sur la classe moyenne, la république des hoplites ou république des paysans. La meilleure classe, écrit Aristote, est celle des laboureurs, et il est toujours possible détablir une démocratie partout où le peuple vit de la culture des terres et du soin des troupeaux (Pol. VI, 2, 9-16). La sympathie dAristophane pour les paysans - ses descriptions de la vie campagnarde se nourrissent vraisemblablement des expériences de sa jeunesse - court tout au long de son uvre. Léloge de lagriculture que Xénophon prête à Socrate (Économique, V) pourrait se résumer à léducation de la citoyenneté : lagriculture est, pour lhomme libre, un art de vivre dans lindépendance et la prospérité qui lattache à son pays, lui enseigne le courage et lart du commandement (le plus pauvre des paysans possédait vraisemblablement un ou deux esclaves). La classe moyenne apparaîtra aux théoriciens de la chose publique comme le point déquilibre de cet antagonisme irréductible qui précipite les cités dans les révolutions et le chaos (Chaque cité renferme au moins deux cités ennemies lune de lautre, celle des pauvres et celle des riches (République, 422 e). Cette classe moyenne, composée des petits paysans et des artisans, la crise économique du Vème siècle et la guerre contre Sparte lont dépossédée de ses moyens dexistence, et cest à la disparition de la petite propriété quil faut, selon Aristote, attribuer la crise de la démocratie (Pol. VII, 2, 1 ; 2, 7-8 ; 3, 4).
Le paradoxe, en effet, cest que cette démocratie de paysans est largement nourrie par la thalassocratie et que celle-ci engendre dautres valeurs et dautres murs. Lauteur anonyme de la République des Athéniens, un patricien adversaire de la démocratie, semploie non sans justesse à mettre en évidence ce rapport nécessaire de la démocratie avec ce qui fonde la puissance dAthènes et qui nourrit son activité, la maîtrise de la mer, pour conclure quil est impossible que les affaires de la cité se présentent dans un état différent de leur état actuel (vide supra : chapitre 6). À la veille de la guerre du Péloponnèse, Athènes contrôle lessentiel de lactivité commerciale de la Méditerranée. Le port commercial et militaire du Pirée est le poumon et le bras armé de la thalassocratie. Doter la cité dune marine puissante, cétait la volonté de Thémistocle qui amena insensiblement la cité à se tourner et à descendre vers la mer en lui montrant quavec son infanterie, elle nétait même pas de taille à tenir tête à ses voisins, tandis quavec la force de sa marine, elle pourrait repousser les barbares et dominer la Grèce. Des solides fantassins quils étaient, il fit, dira Platon, des matelots et des gens de mer, et il sattira ce reproche : Thémistocle, disait-on, a ôté aux citoyens la lance et le bouclier et réduit le peuple au banc et à la rame. Si, en agissant ainsi, Thémistocle corrompit ou non la pureté et lintégrité de la vie publique, cest plutôt aux philosophes à examiner la question. Mais que le salut des Grecs à cette époque leur soit venu de la mer et que le rétablissement de la ville dAthènes soit dû à ces trières, nous en avons, entre autres témoignages, celui de Xerxès lui-même (Vie de Thémistocle, 4, 4 ; 4, 5).
Mais ces paysans frondeurs, dont le carnaval mettait en scène la dérision des dieux, dont le carré de terre était l'assise et la conscience civique la constitution (vide supra : chapitre 6), s'abandonnent aux meneurs, se désaisissent de leur responsabilité et de leur esprit critique.
Oui, par Zeus ! car la houe décidément est une chose splendide quand elle est bien fourbie, et les pelles à trois fourchons reluisent au soleil. Certes un échant sen trouverait bien. Aussi moi-même je brûle à présent de retourner aux champs et de remuer avec mon hoyau ma petite pièce de
terre après un si long temps. Allons rappelez-vous, hommes, lancienne vie que la déesse nous dispensait jadis, ces briques de figues sèches, et les figues fraîches, et les myrtes, et le vin doux, et la bande de violettes près du puits et les olives que nous regrettons tant. En retour de tous ces biens, maintenant saluez la déesse.
Salut, salut, quelle joie nous cause ta venue, ô bien-aimée ! Le désir de toi ma emporté ; un instinct surnaturel me poussait à retourner aux champs, car tu faisais notre plus grand profit, ô désirée, à nous tous qui menions la vie rurale ; seule tu nous venais en aide. Que de douces jouissances nous avions jadis, sous tes auspices, gratuites et aimées ! Tu étais pour les campagnards le gâteau dorge vert et le salut. Aussi les vignes et les jeunes figuiers et les plantes de toute sorte te recevront avec un joyeux sourire (Paix, 566)
Quelle joie, quelle joie jéprouve dêtre débarrassé du casque, et du fromage et des oignons ! ce que jaime, ce ne sont pas les combats, mais, assis au coin du feu, cest boire à qui mieux mieux avec des camarades, après avoir allumé le plus sec de mon bois, les souches arrachées en été ; de griller des pois chiches, de rôtir des glands de hêtre, tout en baisant la Thratta, pendant que ma femme se lave.
Car rien nest plus agréable, une fois les semailles faites, que de voir le dieu bruiner et dentendre un voisin vous dire : Dis-moi, quallons-nous faire à cette heure, Comarchidès ? Jaimerais bien, moi, boire mon soûl, pendant que le dieu nous fait du bien. Allons, femme ! fais griller trois chénices de haricots, mêles-y des grains de froment et sors-nous des figues. Que Syra crie à Manès de quitter le champ, car il est impossible absolument débourgeonner la vigne aujourdhui, ni de travailler la boue, vu que le champ est détrempé. - Et que de chez moi on apporte la grive et deux pinsons, il y avait aussi du petit-lait au logis et quatre morceaux de lièvre ; à moins que la belette nen ait emporté hier soir, cal il y avait là-dedans je ne sais quel bruit et quel remue-ménage. Apportes-en, garçon, trois pour nous et donnes-en une au père. Demande à Eschinadès des myrtes, des branches avec leurs baies, et quen passant lon crie à Charinadès de venir boire une rasade avec nous puisque le dieu est propice et se rend utile à nos labours.
Et quand la cigale fait entendre sa douce chanson, jai plaisir à passer en revue mes vignes de Lemnos, à voir si elles mûrissent (car le plant est précoce), à regarder la jeune figue grossir, puis, quand elle est mûre, je la mange sans démordre, tout en fredonnant Saisons ailées; et je me fais une infusion de thym broyé ; et jengraisse à cette époque de lété... (Paix, 1126).
Le développement du commerce a entraîné une transformation des cultures en Attique, la concurrence éclipsant le blé athénien, la vigne et lolivier remplacent peu à peu les céréales (Jardé, 1925 : 118). La guerre du Péloponnèse a provoqué la ruine du petit paysan. Les terres en friche sont alors achetées par des spéculateurs, tels le père dlsomache, le grand propriétaire foncier du traité de Xénophon sur léconomie (XX, 22). Pendant la guerre même, la situation catastrophique de lagriculture, lennemi installé à demeure [...] courant le pays et le mettant au pillage [...] les troupeaux perdus (Thucydide, VII, 27), les campagnards réfugiés à lintérieur des murs, précipite une évolution économique qui modifie la nature de la démocratie. Dans la république de Périclès, les mêmes hommes peuvent sadonner à leurs affaires particulières et à celles de lÉtat (Ibid. : Il, 40 ), mais celui qui na rien à défendre ni à perdre (Xénophon, Helléniques, II, 40), comment peut-il faire un citoyen ? Et cest pourquoi Aristote, qui voit dans lextrême pauvreté une cause de perversion de la démocratie et qui préconise que la cité donne à chacun sil est possible, une somme suffisante pour acquérir une petite terre et, si cela nest pas possible, suffisant au moins pour servir de mise de fonds à un commerce ou à une exploitation rurale (Pol., VI, 5, 30). Ce sont ces hommes sans cause - en réalité leur politique vise la perpétuation de limpérialisme athénien dans la guerre, impérialisme qui permet à la cité dentretenir les pauvres - qui font et défont des décrets quon croirait, dit Aristophane, pris par des gens ivres et sous lempire de la démence (Ass., 137).
La conscience à laquelle Aristophane en appelle, alors que la nature est sans règle et variable selon les individus est celle où les hommes doivent obéissance [aux lois] pour cette raison, entre autres, quelles sont une invention et un don des dieux en même temps quune prescription dhommes sages, le contrat commun dune cité auquel tous doivent conformer leur vie (Ps. Démosthène, Contre Aristogiton, I, 15). Mais dans ce monde déréglé, la cité est devenue une sorte dentité tutélaire tenue au devoir dassistance envers ceux qui sont responsables de son destin. Nous devons considérer, dira Démosthène, que la cité tout entière a pour pères tous les citoyens et quil est juste, par conséquent, non seulement de ne rien leur enlever des nouvelles ressources, mais encore, si cela venait à faire défaut, de rechercher, par quelque autre moyen, à ne les laisser manquer de rien (Phil., IV, 41). Inversion et déréalisation significatives du sentiment de la responsabilité collective, la cité nest plus la conscience et lexigence communes, mais une caisse de secours tenue à lobligation alimentaire. Le privilège du citoyen, cest originellement la possession de la terre, signe de bonne naissance que les nouveaux riches sempressent dacquérir. Cest aussi le droit aux distributions de blé et aux allocations prélevées sur la caisse du Theorikon. Pour le citoyen pauvre, cette caisse, alimentée par les excédents budgétaires, est une sorte de fonds de secours qui prendra une telle importance quEschine pourra dire que ses gestionnaires détenaient en fait ladministration de lÉtat (III, 25). Mais lallocation de deux oboles ne suffisait pas à assurer une existence décente à ceux qui navaient quelle pour vivre et le système lui-même, contrôlé finalement par ses propres bénéficiaires, allait donner lieu à une suite de surenchères démagogiques. Quelques patriotes essaient bien [...] de rappeler les nécessités de la défense nationale, dopposer les stratiôtika aux théôrika, les excédents budgétaires deviennent lenjeu de la partie qui se joue sur la Pnyx; la lutte pathétique des intérêts personnels et de lintérêt commun, ce drame doù dépend le sort dAthènes, se résume dans la concurrence de deux caisses (Glotz, 1928 : 398). On partage les excédents, écrit Aristote (Pol. VII, 3, 4), et les besoins restent les mêmes : cest un tonneau sans fond quun pareil secours aux indigents.
En droit, la citoyenneté reste un privilège de la naissance. Après la chute des Trente, Thrasybule proposa daccorder la citoyenneté à ceux qui avaient combattu pour la démocratie, mais il ne fut pas suivi. Pour le plus grand nombre, en effet, ceux-là pour qui lopposition classificatoire à létranger est essentielle, la qualité de citoyen représentait un avantage économique non négligeable. Daprès Aristote (Const. dAth., 24) et Aristophane (Guêpes, 709), cest plus de vingt mille citoyens qui vivaient aux frais de la cité. En 451, une loi de Périclès restreignit la citoyenneté à lindividu né de père et de mère athéniens (il suffisait, auparavant dêtre né de père athénien). Cette mesure qui eut pour effet de réduire le nombre des citoyens eut aussi celui de décourager les mariages mixtes (lépigamie, droit de contracter une union légale avec une Athénienne, était un privilège accordé aux étrangers de haut rang). La démocratie constituait donc une sorte daristocratie. Toutefois, les registres des dèmes, sur lesquels chaque citoyen se faisait inscrire à lâge de sa majorité, nétaient pas toujours sincères, écrit Glotz (1928 : 179-180). Les métèques parvenaient à sy faire inscrire et, par suite, à se glisser dans lAssemblée. On avait beau fulminer contre eux la terrible action en extranéité qui entraînait la condamnation à la servitude, les mal inscrits étaient assez nombreux pour quon eût besoin, de loin en loin, de procéder à une révision générale des listes. Il était rare que lAssemblée fût composée, pour parler comme Aristophane, de pure farine, sans mélange de son. Inférieur dans le droit et dans la conscience publique, exclu du partage de la manne impérialiste, tenté de ségaler au modèle dominant, sollicité par la richesse de la cité, intimement mêlé à la vie économique, indispensable à la prospérité, tel est le métèque à Athènes. Son assimilation, impensable en régime oligarchique et repoussée par le Démos, le système démocratique la porte en puissance. Dans les faits, les inscriptions frauduleuses et les naturalisations finiront par avilir le droit de cité : Démosthène, écrit Glotz (1928 :419) dans une de ces tirades quil sait par cur et quil fait passer dun discours à un autre, oppose le temps où la plus belle récompense que pussent obtenir les souverains étrangers était une fictive exemption de taxe à ces tristes jours où le droit de cité nest quune vile marchandise offerte à des esclaves fils d'esclaves. Ce nest pas, dira-t-il à lAssemblée, que vous soyez pas nature inférieurs à vos pères ; mais ils avaient, eux, la fierté de leur nom, et cette fierté, vous lavez perdue.
Le principe de la diatribe dAristophane ne vise pas létranger comme tel - il loue lAssemblée davoir accordé la citoyenneté à ceux qui avaient défendu la cité les armes à la main. La citoyenneté, cest la conscience de ne faire quun avec le destin de la cité : il y a une volonté, pour létranger, de combattre sur mer avec [la cité], de vivre en corps qui fait de lui un citoyen de droit ; il y a une manière, pour le citoyen de naissance, dexciper dun usage privé du corps qui fait de lui un étranger dans sa communauté. Les plus réceptifs et les plus intéressés aux paroles de dissolution sociale étant ceux qui, par leurs murs dissolues, sont déjà des étrangers à leur propre corps et dans leur propre société. Mais comment faire perdurer un rêve identitaire quand le système prospère par léchange et par lindifférenciation ? Car la mesure de la démocratie, cest cette monnaie frappée qui exprime la primauté dAthènes dans la création et le contrôle des échanges, cet anneau de Gygès qui permet à son détenteur de rendre invisible sa nature originelle et imprime son pouvoir dindifférenciation à ceux qui le mettent en circulation. À Athènes, remarque lauteur de la République des Athéniens, rien ne distingue extérieurement les hommes et le système exige quon soit les esclaves des esclaves. Retour nécessaire de la matière sur la forme et de la valeur déchange sur la valeur dusage : Tous les affairistes accroissent indéfiniment leur richesse en espèces monnayées aussi loin quil le peuvent, parce que lacquisition de largent a pour objet le désir de jouissance qui est, par nature, insatiable (Pol. I, 12-13) Pour tout le reste, il vient un moment où l'on na plus faim : damour, de pain, de musique, de sucreries, dhonneur, de tartes, de vertu virile, de figues sèches, dambition, de pain dorge, de commandements militaires, de purée de lentilles, mais de toi, jamais personne ne sest rassasié. Un homme a-t-il reçu treize talents il nen est que plus acharné à en obtenir seize. Réussit-il, il en veut quarante. Sans quoi, déclare-t-il, la vie ne vaut pas la peine dêtre vécue (Ploutos, 189). Ceux donc qui, citoyens par droit de naissance ont pour principe que la patrie est partout où ils ont leurs intérêts, ceux-là évidemment sont gens à déserter le bien public pour courir à leur gain personnel, puisque ce nest pas leur cité qui est pour eux la patrie, mais leur fortune (Lysias, C. Philon, 6).
Pour réveiller la conscience de ce corps qui a perdu conscience de lui-même, démoralisé, travaillé par des forces contradictoires, livré aux images de dérèglement, ouvert aux paroles étrangères, Aristophane fait donc appel aux valeurs et à la culture de la gloire passée, sans réaliser que laxiomatique de la cité a produit une autre axiologie. La logocratie des enviandés dénoncerait une perte des idéaux. Ce sont deux hygiènes corporelles, deux stratégies politiques, deux conceptions de la cité qui sopposent ici. Le leitmotiv de la caricature dAristophane est que les perversions du fondement, les perversions de la parole et la crise politique ont une seule et même cause. La propension des euryproktoi à faire des orateurs ne serait pas fortuite : Nest-ce pas trop fort, en vérité que tu te fasses ainsi inspecteur des derrières et te vantes davoir réprimé les prostitués ? Dailleurs, ce ne peut être que par envie que tu les as réprimés, de peur quils ne deviennent des orateurs (Cav., 876). Le relâchement physique induit une passivité morale, un processus de déréalisation des mots qui culmine dans cette parole déréglée quest lart sophistique. Parmi les marchands étrangers qui affluent à Athènes, il y a ces commerçants en gros et en détail, ainsi que les nomme Socrate, que sont les sophistes, professeurs de vertu dont les cités où la vertu est loi ne veulent pas (Grand Hippias, 283), professionnels de la parole dont la marchandise na cours que dans les cités démocratiques. La réponse à la relativité des valeurs, cest léducation. Dès lenfance, Cléon montrait ce destin politique si funeste à la cité quand, volant un morceau de viande aux cuisiniers, il argumentait : Sil marrivait davoir été vu par lun deux, je cachais mon larcin entre mes fesses et je niais en jurant les dieux. Alors, un politicien, mayant vu faire, sexclama : Ce ptit gars-là un jour gouvernera le peuple ! - Il a deviné juste. Voilà toutes les qualités requises : voleur, parjure et morceau de viande entre les fesses ! (Cav. 422) Praxagora, dans lAssemblée des Femmes (110) Ne dit-on pas que les plus habiles parleurs de la cité sont aussi ceux qui se font le plus secouer ? Et nest-ce pas là, par une heureuse chance, un exercice que nous pratiquons assez bien ? En faisant capituler le Discours Juste devant le constat que le public des Nuées est composé dune majorité deuryproktoi, Aristophane pousse la charge à lextrême puisquil associe dans un même outrage Cléon et lassemblée des spectateurs.
Lart, pour Aristophane, est donc cette pédagogie qui uvre à la socialisation de lhomme, une création dimitations qui rassemblent et galvanisent les spectateurs, et non cette école du vice, du doute ou de la parole creuse. Cest Eschyle, et non Euripide qui peut être de secours pour la cité. Lhomme dEuripide ? Des citoyens qui se dérobent, des flâneurs dagora. Lhomme dEschyle ? Les combattants de Marathon ; Eschyle, va et sauve notre cité de bons conseils (Gren., 1500). Convoqué devant les spectateurs, Eschyle se justifie en ces termes : Jai fait un drame plein dArès [...] tout homme qui lavait vu brûlait dêtre au combat (Gren., 1021). Je nai point représenté des Phèdres prostituées, ni des Sthénébées, et nul ne peut citer une femme que jaie jamais faite amoureuse. Elle est vraie [lhistoire de Phèdre], mais le poète est tenu de cacher le vice et non de le mettre au jour et daccuser Euripide, coupable de lhomme nouveau (Gren., 1078). Il a mis en scène des procureuses, des femmes qui accouchent dans les temples, saccouplent à leurs frères et disent que la vie nest pas la vie ; Tu as enseigné à cultiver le bavardage et le verbiage qui a vidé les palestres, usé les fesses des petits jeunes gens babillards. De là vient que notre cité sest remplie de sous-greffiers et de bouffons singes amuseurs du peuple quils ne cessent de duper et que personne nest plus aujourdhui en état, faute dexercice, de porter la torche (Gren., 1086). Cest bien vrai, par Zeus, au point que jai failli mourir de rire, aux Panathénées, en voyant courir à la traîne et se donnant un mal terrible pour recoller au peloton un petit bonhomme poussif, blême et bedonnant. Et voilà que les gens du Céramique qui se tenaient devant leur porte se mettent à lui lancer des claques sur le ventre, sur les côtes, sur les reins et les fesses. Et lui, sous ces coups, lâche des pets, souffle sa torche et ... disparaît.
Lhistoire dAthènes devait confirmer cette description de labaissement physique du citoyen par défaut de cette éducation qui apporte la victoire (Platon, Lois, I, 641 e). Cest au bord de labîme, écrit Glotz (1928 : 411) quAthènes chercha le salut dans une forte organisation de léphébie, un retour aux exercices de gymnastique et à lapprentissage des armes. Il était trop tard. Ce déclin de lesprit militaire et de léducation physique, Aristophane lanalyse comme un déficit de la conscience collective. La distinction qui faisait la fierté dAthènes, Athènes école de la Grèce disait Périclès, cette universelle fierté dêtre unique est une valeur qui aujourdhui na plus cours et la cité semble saisie dune sorte de loi de Gresham de la citoyenneté (un décret visé dans lAssemblée des femmes (815 s.), pièce donnée en 392, démonétisait le numéraire en cuivre frappé sous larchontat de Callias. La loi dite de Gresham due à Nicole d0resme, 1300-1382, évêque de Lisieux, dans son Traité des monnaies , est connue sous la forme suivante : Quand deux monnaies sont sur le marché, la mauvaise chasse la bonne) :
Souvent, il nous a paru que cette ville en usait avec les mauvais et les honnêtes citoyens comme avec la monnaie ancienne et lor nouveau... Ainsi, parmi les citoyens, ceux que nous savons être bien nés, sages, justes, bons et honnêtes, formés aux exercices de la palestre, aux churs et à la musique ceux-là nous les vilipendons, et nous employons à toutes fins les pièces de cuivre , des étrangers, des rouquins, des gueux issus de gueux, derniers venus dont la cité, jadis, naurait même pas voulu comme pharmakoí (Gren., 733).
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