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Les fondements neurologiques de l'expression des émotions
et de la communication :
Éléments pour une archéologie des émotions (3)
« Les fonctions de l'animal forment deux classes très-distinctes : les unes se composent d'une succession d'assimilations et d'excrétions [
] [L'animal] ne vit qu'en lui par cette classe de fonctions ; par l'autre, il existe hors de lui : il est l'habitant du monde et non, comme le végétal, du lieu qui le vit naître. Il sent et aperçoit ce qui l'entoure, réfléchit ses sensations, se meut volontairement d'après leurs influences et, le plus souvent, peut communiquer par la voix ses plaisirs et ses peines. J'appelle vie organique l'ensemble des fonctions de la première classe, parce que tous les êtres organisés, végétaux et animaux, en jouissent à un degré plus ou moins marqué, et que la texture organique est la seule condition nécessaire à son exercice. Les fonctions réunies dans la seconde classe forment la vie animale, ainsi nommée parce qu'elle est un attribut du règne animal » (Xavier Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, 1805, 3° édition, Paris : Brosson, an XIII, p. 3).
L'émotion et la communication sont ainsi des propriétés adaptatives du vivant. Exister « hors de soi », vivre et se survivre, communiquer, tel est le champ propre de l'émotion. L'idée que les émotions seraient gérées par un circuit neuro-anatomique spécifique est ancienne. Elle est suggérée par Darwin quand, après avoir cité Claude Bernard, et en avoir appelé au jugement des « plus grands physiologistes » (voir page précédente, op. cit., p. 74), il qualifie d'« obscur » l'effet de cette irritation des circuits nerveux qui caractérise les émotions. « Chez presque tous les animaux, chez les oiseaux eux-mêmes, la terreur fait trembler le corps. La peau devient pâle, la sueur ruisselle, le poil se hérisse. Les sécrétions du canal alimentaire et des reins sont augmentées, et involontairement expulsées, par suite du relâchement des muscles sphincters [
] ; la respiration se précipite. Le cur bat vite, tumultueusement et avec violence ; envoie-t-il pour cela le sang plus efficacement dans toute l'économie ? Il est permis d'en douter, car la surface du corps paraît exsangue, et la vigueur des muscles fait rapidement défaut [
] Les facultés intellectuelles sont profondément troublées [
] » (p. 81).
Dans un article de 1878, intitulé « Anatomie comparée des circonvolutions cérébrales, le grand lobe limbique dans la série des mammifères » (Revue d'anthropologie, 1878, p. 385-498), Paul Broca souligne « l'importance [de] l'étude du grand lobe limbique [= gyrus cingulaire + gyrus para-hippocampique] et de ses connexions dans la série des mammifères » (p. 498). L'objet de cet article est de mettre en évidence, au-delà de ses nombreuses variations, l'unité anatomique de cette structure du plancher cérébral en corrélation avec le développement du lobe olfactif : « Il y a dans le manteau de l'hémisphère une partie commune à tous les types cérébraux des mammifères : c'est le grand lobe limbique, qui tantôt grand, développé et distinct dans toutes ses parties, tantôt plus ou moins modifié par l'atrophie et par la fusion, conserve néanmoins son identité anatomique » (p. 498). On peut considérer que cette identification prépare les recherches fonctionnelles qui mettront en évidence la part des éléments de cette structure dans la genèse des émotions.
Broca classe les mammifères en deux groupes (cette distinction n'ayant pas de base zoologique) : les « osmatiques » et les « anosmatiques ». Cette opposition est inscrite dans le développement relatif du lobe olfactif. La description anatomique de Broca, extrêmement précise, illustrée de figures schématiques et de dessins au diagraphe concerne : la loutre, la marmotte, le castor, le lapin (osmatiques lissencéphales), le cheval, l'uneau [on lui accordera de n'avoir pas pu se « procurer le cerveau de l'unau », le paresseux à deux doigts (Choloepus didactylus), et d'avoir emprunté ses illustrations à un Mémoire sur l'encéphale des édentés, paru en 1869, cf. note de la page 426], le renard, le tapir, le chevreuil, le porc, le chien (osmatiques gyrencéphales), le dauphin, le phoque (anosmatiques aquatiques), et plusieurs primates, jusqu'au chimpanzé. Il relève que, chez les primates, « la scène change tout à coup [par rapport au carnassier]. Le lobe frontal devient très-grand, le lobe pariétal très-petit » (p. 484) « Pendant que la scissure sous-frontale des primates grandit, comme le lobe frontal dont elle est solidaire, un changement inverse se produit dans la scissure sous-pariétale » (p. 492). « Tous les caractères distinctifs du type cérébral des primates sont donc subordonnés à un caractère fondamental qui, en quelque sorte les résume tous, et qui peut se formuler en deux mots : prédominance frontale. L'apparition simultanée de ces nombreux caractères amène de grandes modifications extérieures et bouleverse toute la morphologie cérébrale, à tel point que l'on croit entrer dans un ordre tout nouveau, comme si la chaîne des êtres étaient interrompue, comme si la nature, après avoir brisé ses anciens moules, s'était remise à l'uvre aves des plans tout différents » (p. 496).
Au sens «brutal » qu'est l'odorat a donc succédé la « prépondérance de l'intelligence » soit le « grand développement du lobe frontal et l'atrophie du lobe olfactif ». « On ne peut pas dire [que l'odorat] soit en raison inverse de l'intelligence, mais on peut dire du moins qu'il prédomine chez la brute, et on peut le qualifier de sens brutal, car il tire son importance du degré de perfection de l'appareil organique qui lui est attribué, bien plus que des actes intellectuels qu'il met en jeu dans l'ensemble du cerveau » (p. 393-394). « Ceux qui ont cru, par ces remarques parfaitement vraies [savoir que l'intelligence redresse et interprète l'image reçue par l'il] rabaisser le sens de la vue, en ont, sans le vouloir, proclamé la supériorité, car ils ont prouvé par là même que la vue est le plus intellectuel des sens. La vue vaut pour un animal ce que vaut son intelligence » (p. 393). « Chez ces animaux, la vue est à la fois la principale sentinelle et le principal guide ; elle est le sens le plus utile ; le rôle des autres sens est amoindri ; l'odorat en particulier perd une grande partie de son importance et l'on sait que chez les primates l'appareil olfactif est considérablement atrophié » (p. 393). « Cet appareil est au contraire extrêmement développé chez la plupart des mammifères. L'odorat joue chez eux un rôle souvent égal et même supérieur à celui de la vue. C'est lui qui les guide dans le choix de la nourriture, dans la poursuite de la proie, dans la fuite du danger, dans la recherche de la femelle, dans le retour au gîte » (p. 393).
C'est le sens même de l'évolution cérébrale qui est exprimé dans la conclusion proposée par Broca : « Tous les types cérébraux, jusques et y compris celui des primates, ne diffèrent les uns des autres que par des caractères d'évolution, c'est-à-dire par la forme et le volume relatif, et non par la nature de leurs parties constituantes » (p. 498). Le problème du rôle des formations cérébrales frontales est posé en même temps que celui de la part rémanente du « lobe olfactif » dans l'écologie des primates. L'étude de Broca ne porte pas sur le rôle du circuit limbique dans la genèse des émotions, mais en mettant en évidence la corrélation inverse des deux fonctions étudiées, il pose la question du rôle du système limbique dans le comportement instinctif des mammifères et dans la régulation des émotions chez l'homme.
Le terme de « rhinencéphale » (étymologiquement cerveau-nez, qui désignera l'hippocampe et le lobe limbique associés au septum et au complexe amygdalien) aurait pu résumer le champ expérimental de l'article de Broca. Quoi qu'il en soit, ce que l'on dénomme aujourd'hui « système limbique » qualifie les centres nerveux subcorticaux qui contrôlent la vie végétative (on l'appelle aussi le « cerveau viscéral) mais aussi le comportement. Vivre (assimiler), survivre (se conserver) et se reproduire sont les trois domaines où l'instinct et l'émotion vont de pair. Ce « central », doté de mémoire, donc de capacité d'analyse de l'environnement, est en mesure de traiter l'information de manière bipolaire : plaisir-déplaisir / nocuité-innocuité. Quand les stimulations des noyaux du septum engendrent des sensations de plaisir, celles du noyau amygdalien engendrent des comportements de fuite ou d'attaque. Le jugement de Broca, cité plus haut, constatant l'évolution de la morphologie cérébrale « comme si la chaîne des êtres étaient interrompue, comme si la nature, après avoir brisé ses anciens moules, s'était remise à l'uvre avec des plans tout différents » pose la question de la dépendance réciproque des formations néo-corticales et des formations sub-corticales. Quel est le destin, eu égard à l'unité fonctionnelle du cerveau, des pulsions émanant du cerveau profond, interprétées à la fois par le thalamus et par les aires associatives ? Le développement des formations frontales tenant l'office assumé par le « lobe olfactif » (dans les termes de Broca) a pour agent la vue, « le plus intellectuel des sens [
] [et valant] pour un animal ce que vaut son intelligence ». Parallèlement ou concurremment aux réponses instinctives, ce sens place les ressources de la survie sous contrôle, appréciant les événements en les confrontant aux traces mémorielles. La découverte des neurones miroir, quand voir c'est faire, dans la zone F5 du cerveau du macaque, qui est, chez l'homme, l'aire du langage, dite « aire de Broca », met en relief la continuité de l'analyse visuelle et de la communication.
L'exploration de la neurologie contemporaine a permis d'identifier le support matériel des émotions. Le cerveau émotionnel (l'« organe du sentiment ») mobilise notamment un circuit neuro-anatomique spécialisé qui a été mis en évidence par Christofredo Jakob, en 1908 ("Centenary of Christfried Jakob's discovery of the visceral brain", Neuroscience & Biobehav. Reviews 5 (32), pp. 984- 1000, 2008) puis par James Papez en 1937 (« A proposed mechanism of emotion », Arch. Neurol. Psychiat. 38 : 725-743). Le circuit de Papez-Jakob (thalamus, hypothalamus, cortex cingulaire, cortex cérébral temporal) n'épuise pas la régulation des émotions. Les lésions au sein des structures mentionnées entraînent principalement des déficits de la mémoire, les processus émotionnels impliquant également d'autres structures (comme l'amygdale) qui ont été intégrées dans ce que Paul MacLean décrira comme étant, en référence à Broca, le système limbique (MacLean, P. D. (1949) « Psychosomatic disease and the « visceral brain ». Recent developments bearing the Papez theory of emotion », Psychosom. Medecine, 11 : 338-353). Il situera ce système émotionnel dans un emboîtement de « trois cerveaux » composant le « cerveau triunique » : - le cerveau « reptilien », composé du tronc cérébral et du cervelet et régulant les fonctions vitales de l'organisme (les comportements réflexes et les fonctions autonomes : rythme cardiaque, respiration, thermo-régulation
) ; - le « cerveau limbique », composé principalement de l'hippocampe, de l'amygdale et de l'hypothalamus, en mesure de mémoriser les situations de plaisir et de déplaisir et, par conséquent, de réguler les émotions ; - le « néo-cortex », constitué par les deux hémisphères cérébraux frontaux, siège de la conscience et du langage. (Le succès de ce type d'hypothèse tient à sa simplicité et à son caractère hiérarchisant. C'est le propre des théories qui paraissent réduire la complexité du réel : cerveau gauche / cerveau droit, ou dans un tout autre domaine la division des langues indo-européennes en satem et centum selon une répartition géographique est-ouest). Une théorie des émotions doit évidemment être en mesure d'expliquer l'interaction de ces trois structures : si la réalité évolutive de cette architecture est avérée, l'organisation de l'unité cérébrale fait débat.
L'alerte émotionnelle
La compréhension de la fonction des émotions est redevable des recherches sur le stress qui mettent en évidence le fait que toute perception d'une modification critique de l'environnement, physique ou social, entraîne une réaction réflexe de l'organisme. L'émotion, manifestation de cette adaptation est, à cet égard, ce qui caractérise, comme l'analyse de Bichat, citée plus haut, le rappelle, la vie animale. Dans un article paru dans Nature en 1936, article qui tient sur une page intitulé « A Syndrome produced by diverse nocuous agents », Hans Selye caractérise un syndrome de réaction de l'organisme (« general adaptation syndrome ») qui est à l'origine des recherches modernes sur le stress (il n'emploie pas le terme stress dans l'article de 1936, terme emprunté à la physique et qui désigne la contrainte exercée sur un matériau). Selye pense pouvoir identifier une réaction non spécifique de l'organisme à l'agression, « the symptoms of which are independent of the nature of the damaging agent or the pharmacological type of the drug employed, and represent rather a response to damage as such » (Nature, 138 : 32). Dans un article de 1946 cette fois l'article comporte 113 pages et 698 références : « The general adaptation syndrome and the deseases of adaptation », J Clin. Endicronol. 117-230 il développe la nosologie et les conséquences de ce « syndrome général d'adaptation ».
Selye se place dans la continuité des travaux de Walter B. Cannon avec son concept d'homéostasie, hérité des travaux de Claude Bernard sur la constance du « milieu intérieur » (c'est la différence entre les homéodermes et les poïkilothermes tel le lézard dont l'activité dépend de la température extérieure). Cette constance suppose des mécanismes de régulation autonomes qui assurent, indépendamment du système nerveux volontaire, les principales fonctions végétatives. Cannon caractérisait les réactions du système nerveux sympathique en cas d'agression par l'expression, devenue banale, de « fight-or-flight responses » (e. g. 1939 : The Wisdom of the Body, New York : WW Norton). L'article de Selye de 1936 définit le syndrome général d'adaptation par trois phases : la réaction d'alarme ; le stade de résistance ; le stade d'épuisement. L'alarme engendre les premières réactions adaptatives en provoquant (par l'activation de l'axe hypothalamo-pituito-surrénalien, HPS) la sécrétion d'adrénaline et de noradrénaline mobilisant le système « fight or flight ». De la perception du danger à la sécrétion d'hormones préparant l'organisme à faire face, la réponse met en jeu, successivement : le système limbique, l'hypothalamus, l'hypophyse et les glandes surrénales. Celles-ci sécrètent des glucocorticoïdes qui vont interagir avec les récepteurs de la sérotonine du cerveau. L'effet est immédiat, principalement l'augmentation du débit cardiaque et l'accélération du rythme respiratoire qui assurent l'irrigation prioritaire des muscles, du cur, des poumons et de l'encéphale. Le caractère spectaculaire du syndrome général d'adaptation s'exprime par la chaîne de réactions qu'il engendre. Les glandes surrénales ayant libéré de l'adrénaline, le cur se met à battre plus vite et plus fort, la pression sanguine augmente, les artères coronaires se dilatent. Cet accroissement de la circulation sanguine procure un apport accru d'oxygène au cerveau et aux muscles. Les poumons, bronches dilatées, ventilés par davantage d'oxygène, relâchent davantage de gaz carbonique. Le foie libère du sucre en vue de la consommation musculaire. Les muscles se durcissent. La transpiration augmente pour assurer l'homéothermie générale. L'activité cérébrale change de nature, les réactions automatiques court-circuitent l'analyse. La digestion diminue ou s'arrête. Les reins, la vésicule biliaire et le gros intestin stoppent leur activité. La bouche devient sèche du fait de la contraction des vaisseaux sanguins qui irriguent les glandes salivaires. Une mobilisation du système immunitaire par contraction de la rate permettra à l'organisme de se protéger en cas de blessure, la cicatrisation des plaies sera plus rapide et, à la faveur d'une production exceptionnelle d'endorphines, la douleur sera moindre
On le voit par ce résumé, l'émotion, part visible de la biologie de l'adaptation, échappe à la volonté et, pour partie, à la conscience. Deux questions complémentaires s'élèvent de ce constat : que serait l'homme sans la protection de ces dispositifs adaptatifs ? et comment a-t-il pu (s'il se peut) s'émanciper de cette protection contrainte ? Quand l'émotion, de la paramécie à l'homme, est le fait de tout être sensible, le sentiment, représentation interne (et externe) de l'émotion, engage la communication, la vie sociale et la réflexion. Ce complexe affectif et cognitif peut être considéré comme un soubassement de la culture. On retrouve ici l'hypothèse de Rousseau et de Darwin sur l'origine du langage (voir la page précédente). En posant la question de savoir « pourquoi les diverses émotions et sensations provoquent l'émission de sons aussi différents » (p. 91) et se demandant si « le principe de l'antithèse [qu'il a mis en évidence dans la communication animale] a joué un rôle dans le développement des sons comme moyen d'expression » - p. 97), Darwin engage la réflexion sur les fondements de la signification (sur le sens, cet « incorporel » de l'école stoïcienne - ni la matière du son, ni la chose désignée). « Dans la langue il n'y a que des différences » pourra écrire le fondateur de la linguistique moderne. « Si vous augmentez d'un signe la langue, vous diminuez d'autant la signification des autres. Réciproquement, si par impossible on n'avait choisi au début que deux signes, toutes les significations se seraient réparties sur ces deux signes » (Eléments de linguistique générale [1916] 1989, I, p. 159). L'hypothèse de Darwin, savoir « que, lorsque la voix humaine est mise en jeu par quelque émotion violente, elle doit tendre à revêtir, en vertu du principe de l'association, un caractère musical », que « les ancêtres de l'homme ont probablement commencé par émettre des sons musicaux, avant d'acquérir la faculté d'articuler le langage » (p. 93) identifie la capacité à produire du sens en relation avec la communication émotionnelle. Celle-ci a une valeur sélective si les sujets et les espèces en mesure de se faire comprendre (du prédateur, du congénère) et de se comprendre à la faveur de ce monde hors du monde, de cet incorporel créé par le langage, support d'une distance au réel, peuvent exercer un retour analytique sur les réactions automatiques.
Etre ému, c'est émouvoir. Une caractéristique des émotions, c'est qu'elles disent tout, immédiatement. Peur ; Colère ; Surprise ; Dégoût ; Tristesse ; Bonheur. Elles signalent l'urgence vitale ou l'engagement vital : terreur-aversion / attraction-félicité
C'est ce dispositif de vie et de survie qui a permis aux créatures de persévérer dans leur être (« Even the worm
», note Darwin, cité plus haut). Immédiates et totales dans leur expression, les émotions sont aussi immédiatement comprises. Le « miracle » de la communication émotionnelle, c'est qu'elle est instantanée et qu'elle ne demande aucun décryptage. C'est la remarque d'Adam Smith : « The passions, upon some occasions, may seem to be transfused from one man to another, instantaneously, and antecedent to any knowledge of waht excited them in the person principally concerned » (The Theory of Moral Sentiments, 2nd edition, 1761, London : Millar, p. 5). (On pourrait également évoquer ici le constat de Sapir à propos du langage des gestes : « secret et complexe, écrit nulle part, connu de personne, compris par tous », 1949, trad. 1967 : Anthropologie I, p. 48, Paris : Éditions de Minuit). Deux conditions sont nécessaires à l'accomplissement de cette performance : le support neurologique de chaque émotion doit être spécifique et son expression physique ostensible, catégorique et sans ambiguïté. Le principe de l'antithèse, relevé par Darwin, est précisément le mode d'expression qui développe le sens avec la plus claire évidence. Quelle que soit la signification et la place que les différentes cultures accordent aux différentes émotions, toutes paraissent avoir un même registre en partage. C'était la conclusion de Darwin, c'est aussi celle des travaux conduits par Paul Ekman. Ce caractère universel est un argument en faveur du caractère primaire de la vie émotionnelle. L'émotion est antérieure à la culture. On peut résumer l'approche d'Ekman par cet extrait de l'un de ses derniers ouvrages : Unmasking the Face (Paul Ekman and Walllace V. Friesen, Cambridge, MA Malor Books, 2003). A la question « Les expressions faciales sont-elles universelles ? » les auteurs répondent. « Dans une expérience, on a montré des films stressants à des étudiants de second cycle aux États-Unis et au Japon. Une partie du temps, chaque sujet a regardé le film seul et une autre partie il pouvait dialoguer avec un assistant de recherche appartenant à sa propre culture. La mesure des mouvements musculaires des visages, enregistrés sur des bandes vidéo, a montré que lorsqu'ils étaient seuls, Japonais et Américains avaient des expressions faciales pratiquement identiques. Mais que, en présence d'une autre personne, quand s'appliquent des règles culturelles de gestion des expressions faciales (les règles du maintien), il y avait peu de correspondance entre les expressions du visage japonaises et américaines. [
] Ce qui est universel, c'est l'aspect distinctif de la face pour chaque émotion primaire. Mais les membres des diverses cultures se différencient quant à ce qu'ils ont appris sur la gestion ou le contrôle de l'expression faciale de leurs émotions » (p. 23-24 ).
Les fondements neurologiques de l'émotion
L'émotion a donc un double visage, interne et externe. Réaction à un choc, elle adapte le sujet à une situation forte et imprévue : elle est physiologique. Elle est aussi expressive : le sujet ému est un sujet émouvant, touchant, prenant, apitoyant, etc. : contagieux. L'émotion délivre un message qui traduit sa fonction d'adaptation et sa fonction de communication (à l'intention du sujet qui la provoque et à l'intention d'éventuels congénères). Comme son étymologie l'indique, l'émotion est un principe de mouvement. Alors que l'état de vigilance envoie normalement le message : R.A.S., c'est la réponse à une alerte. Le sujet affecté réagit et donne une réponse comportementale à un stimulus exceptionnel. Aversion et attraction, au cur de ce qui meut chaque être vivant, elle est au principe de la mobilité. Quand bien même un système spécifique (ou un circuit) est impliqué dans l'expression des émotions, celle-ci n'est pas réductible à un processus unique. Sous l'unité lexicale et une certaine identité phénoménologique, la diversité des enjeux auxquels les émotions répondent a pour support une spécialisation cérébrale dont la neurologie moderne a dressé la carte et dévoilé la fonctionnalité. Derrière les manifestations communes (et connues) des émotions, l'analyse cérébrale révèle des circuits neuronaux spécifiques.
Quelques exemples
La colère et l'agression
L'expérimentation des années 30 (Walter Cannon, Philip Bard, Samuel Wilson
) sur l'implication du tronc cérébral dans l'expression des émotions inaugure les recherches systématiques sur la cartographie des aires du système nerveux mobilisées par les émotions et mettent en évidence (en simplifiant) un double registre : une expression de nature innée qui aurait l'hypothalamus pour siège et une fonction inhibitrice exercée par les lobes frontaux. A la suite de Walter Cannon, Philip Bard (1883-1958) expérimente sur l'animal et, confirmant des expériences antérieures, déclenche des réactions innées de rage (sans stimulus extérieur, sham rage) en séparant le cortex du tronc cérébral. La neutralisation de l'hypothalamus met fin à cette réaction, sa stimulation (postérieure) l'active. Chez l'homme, l'implant d'électrodes utilisées pour la stimulation électrique des structures cérébales profondes de parkinsoniens gravement affectés se révèlera également susceptible de provoquer les manifestations physiologiques et expressives de la colère (« Aggressive behavior induced by intraoperative stimulation in the triangle of Sano », Neurology, November 12, 2002 vol. 59 no. 9 1425-1427, Bejjani, B.P., Houeto, J.L., Hariz, M.,Yelnik, J., Mesnage, V., Bonnet, A.M., Pidoux, B., Dormont, D., Cornu, P. and Y. Agid). L'imagerie cérébrale a pu mettre statistiquement en évidence chez des épileptiques sujets à des crises d'agression comparés à des épileptiques ne manifestant pas de tels symptomes un déficit du cortex frontal, plus marqué à gauche, supposé rendre compte de l'épilepsie temporale en cause (« Reduction of frontal neocortical grey matter associated with affective aggression in patients with temporal lobe epilepsy: an objective voxel by voxel analysis of automatically segmented MRI », Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry, 68 (2), 162-169, FG Woermann, LT van Elst, MJ Koepp, SL Free, PJ Thompson).
Le dégoût
Avec la colère, la peur, la surprise, la joie et la tristesse, le dégoût est l'une des six émotions primaires. Sous l'angle qui intéresse principalement ici, celui de la communication, toutes ces émotions sont des signalements ou des avertissements. L'expression du dégoût en est un, et vital, puisque, visant essentiellement les aliments et leurs précurseurs, l'olfaction et la vision (d'une substance putréfiée par exemple), elle avertit de l'inconsommable. Cet avertissement peut avoir une valeur sanitaire, l'objet de la répulsion contenant des agents pathogènes, ou culturelle, l'objet en cause pouvant être un marqueur identitaire répulsif. Si les goûts et les dégoûts sont proverbialement divers, et notamment selon les cultures, ils possèdent un fondement biologique universel (épidémiologique), sur lequel les différentes formes de dégoût se construisent. (Voir : Valerie Curtis, Mícheál de Barra, and Robert Aunger, « Disgust as an adaptive system for disease avoidance behaviour ». Philosophical Transactions of The Royal Society B Biological Sciences, Feb 12, 2011; 366(1563): 389-401).
L'impureté du corps, dont les Lois de Manu (135) listent les douze expressions (« la matière sébacée, le sperme, le sang, la crasse de la tête, l'urine, les excréments, le cérumen, les ongles, le mucus nasal, les larmes, la chassie, la sueur »), focalise le dégoût de l'autre. Si le système des castes a porté cette stratégie à sa perfection, la stigmatisation sociale étant fondée sur la vie même de l'autre homme (tout corps vivant transforme et rejette), le sentiment du dégoût est souvent instrumentalisé pour exprimer un rejet social. L'odeur étant reconnue exprimer l'entente ("Je ne peux plus le sentir"
), la stigmatisation de l'autre par son odeur est un classique. Au Japon, l'expression bata [butter] kusai, « qui pue le beurre », désigne l'occidental (dont la flore cutanée décompose les lipides de la sueur en molécules odorantes caractéristiques de l'acide butyrique ; le jésuite portugais Luís Froís, qui séjourne au Japon pendant plus de trente ans, écrit en 1585 : « Nous aimons les mets confectionnés avec du lait, du beurre ou de la moelle dos ; les Japonais abominent tout cela qui sent très mauvais à leur nez » - Européens et Japonais, traité sur les contradictions et différences de murs, Chandeigne, 1998, p. 50). "Le Noir attire ou dégoûte" note l'essayiste camerounaise Thérèse Kuoh-Moukouri, Les couple dominos. Aimer dans la différence. Paris : L'Harmattan, 1983, p. 22). La mauvaise odeur, de la bromidrose à la triméthylaminurie, pathologie dont les victimes dégagent une odeur de poisson pourri, quand bien même, entre le soi et l'autre, sa valence puisse être inversée (Suus cuisque crepitus bene olet) tient à distance l'inférieur, l'étranger. C'est, dans la mythologie indienne, l'histoire de Satyavatî (Mahabharata, 1, 57), apparentée à l'Apala du Rig-Veda, atteinte d'une maladie de peau. Née de la semence de Vasu Uparicara, roi des Paurava, échappée pendant son sommeil et avalée par un poisson, Satyavatî empeste le poisson (Matsya-gandha). L'histoire finit bien, Matsyagandha (Matsyagandhi), désirée par le sage Parasara deviendra Kasturi-gandhi (« musc embaumé »), mais létiologie de son teknonyme est sans ambiguïté. C'est aussi le personnage de l'autre dans la Tempête, qui sent la morue (poor-john) :
"What have we here ? A man or a fish ? Dead or alive ?
A fish : he smells like a fish ; a very ancient and fish-like smell ;
a kind of not of the newest poor John".
(The Tempest, acte II, scène 2)
L'IRM fonctionnelle montre l'activation de l'insula antérieure lorsqu'on fait goûter des saveurs désagréables à des patients. L'insula répond également aux expressions faciales du dégoût. Les lésions de l'insula et des noyaux gris entraînent un déficit dans l'expression de cette émotion. Une étude d'imagerie cérébrale montre que l'expérience mentale du dégoût, en l'absence de tout stimulus matériel, mobilise les mêmes circuits cérébraux que le dégoût stricto sensu : l'insula, l'hippocampe, le cortex cingulaire, les noyaux gris, le thalamus et les aires visuelles primaires (Fitzgerald, D. M., Posse, S., Moore, G. J., Tanner, M. E., Nathan, P. J., et Phan, K. L. 2004. « Neural correlates of internally generated disgust via autobiographical recall : a functional magnetic resonance imaging investigation ». Neurosciences Letters, 370 : 91-96). Une recherche visant à différencier les effets d'une présentation, parmi des images neutres, d'images de contamination, de mutilation humaine et d'attaque, montre également une réponse sélective de l'insula aux images de contamination (Wright, P., He, G., Shapira, N. A., Goodman, W. K., Liu, Y. « Disgust and the insula : fMRI responses to pictures of mutilation and contamination », Neuroreport. 2004 Oct 25;15(15):2347-51). Selon une observation datée de 1955, due à Wilder G. Penfield, « The insula ; further observations on its function » (Penfied, W., Faulk, M. E., Brain. 1955 ; 78(4) : 445-70), la stimulation électrique de l'insula provoque une sensation de nausée. La partie antérieure de l'insula serait plus précisément engagée dans la traduction des sensations de dégoût en réactions viscérales, spasmes ou vomissement. Au plan de la communication émotionnelle, il apparaît que la contagion du dégoût par l'entremise de l'expression faciale n'est pas (seulement) une affaire cognitive : celui-ci se propage par l'activation des aires cérébrales mobilisées par le dégoût primaire, notamment l'insula antérieure, viscéromotrice. Partager, ce n'est pas seulement voir et comprendre, c'est être. Le dégoût partagé est bien un liant de la cohésion sociale
La peur
L'étude de la peur conditionnée à l'aide de l'IRM fonctionnelle met en évidence l'implication de l'amygdale (« Human amygdala activation during conditioned fear acquisition and extinction: a mixed-trial fMRI study ». LaBar, K. S., Gatenby, J. C., Gore, J. C., LeDoux , J. E., Phelps, E. A., Neuron, 1998 May ; 20(5) : 937-45). L'amygdale, lobule cérébral (pair) en forme d'amande (d'où son nom), voisin de l'hippocampe, joue un rôle central dans le sentiment de peur, mais le réseau mobilisé concerne aussi l'hippocampe, le cortex cingulaire, l'insula et le cortex préfrontal. Au cur de ce réseau, l'amygdale réagit à la nature émotionnelle des informations sensorielles. Système d'alerte, elle engage les comportements et les transformations physiologiques (décrites plus haut à propos du stress) liés à la peur et à l'anxiété. Impliquée dans la gestion des émotions, à l'interface du sujet et de son environnement, le rôle de l'amygdale se révèle central dans l'interprétation des signes et notamment ceux de la communication émotionnelle. Ainsi, le régime acoustique particulier du hurlement, qui occupe une niche distincte des autres signaux de communication, notamment du langage, assure sa fonction biologique et sociale : communiquer la peur. En l'espèce, l'activation de l'amygdale est provoquée par des oscillations rapides du volume du son que les chercheurs proposent d'appeler la rugosité (roughness), dans lintervalle de 30 à 150 Hz (Current Biology, vol. 25, issue 15, 3 august 2015, p. 20512056, "Human Screams Occupy a Privileged Niche in the Communication Soundscape", Luc H. Arnal, Adeen Flinker, Andreas Kleinschmidt, Anne-Lise Giraud, David Poeppel). Une lésion au niveau de l'amygdale entraîne une incapacité d'exprimer les émotions, mais aussi un déficit de la reconnaissance des expressions faciales de peur, de colère, de surprise et de dégoût. Comme les patients souffrant d'analgésie congénitale que la douleur ne prévient pas du danger, les sujets en cause ne développent pas de méfiance à l'égard de visages hostiles. Alors que la stimulation chirurgicale de l'amygdale engendre un sentiment confus de danger imminent et la peur, les victimes d'accidents vasculaires cérébraux qui affectent cette structure ne réagissent pas aux signaux de la peur.
L'amygdale, qui semble avoir en charge les « questions vitales » (danger, nourriture, reproduction, communication intraspécifique primaire), est connectée, on l'a noté, à d'autres structures cérébrales : l'hippocampe, le thalamus sensoriel, l'hypothalamus, le septum, le tronc cérébral, le cortex sensoriel et le cortex préfrontal. Les différents modes opératoires de ce « cablâge » révèlent l'amygdale dans son rôle de gestion des urgences vitales. L'information en provenance d'un stimulus externe peut en effet arriver à l'amygdale de deux façons différentes : par une voie courte, rapide mais vague, en provenance directe du thalamus sensoriel, et par une voie longue, plus lente mais précise et circonstanciée, qui passe par le cortex. L'intérêt évolutif de la voie courte est évidemment de précaution, soit de préparer l'organisme à faire face au danger avant toute expertise (thalamique, puis corticale) du stimulus en cause. L'amygdale réagit donc aux signaux de danger et de détresse et gère ce que nous appelons banalement les peurs « instinctives » : la phobie des serpents, par exemple. Avec, d'ailleurs, un système dual ocytocine-vasopressine dont la nature a été mise en évidence (Huber, D., Veinante, P., Stoop, R. « Vasopressin and oxytocin excite distinct neuronal populations in central amygdala », Science, 2005 ; 308 : 245-248). Elle assure sécurité et communication. La voie courte (supra) étant propre à l'administration des situations de surprise, elle anticipe aussi le sens « vital » des mots. Ainsi, une expérience conduite sur des patients épileptiques (le traitement de certaines formes d'épilepsie justifie la pose d'électrodes intracérébrales et constitue une voie d'accès à la connaissance de cette région inférieure du lobe temporal) montre-t-elle que la valeur émotionnelle d'un mot peut être perçue avant son sens. À la différence d'un mot émotionnellement neutre, un mot connoté « danger » (e. g. le mot « poison ») affiché pendant 29 millisecondes au milieu d'une série de signes dénués de sens (technique de l'amorçage masqué) provoque une activité électrique de l'amygdale (Naccache, L., Gaillard, R., Adam, C., et al. « A direct intracranial record of emotions evoked by subliminal words », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2005, 102 : 7713-17 ; Hamann Stephan, Mao Hui, « Positive and negative emotional verbal stimuli elicit activity in the left amygdala », dans Neuroreport, vol. 13, no 1, 2002, p. 15-19). Quand il s'avère que la voie courte n'était pas la bonne : e. g. le tuyau d'arrosage pris pour un serpent ou le tigre empaillé introduit dans la réserve des chimpanzés, qui déclenche d'abord des cris de frayeur et de menace puis, quand il se révèle n'être qu'un « tigre de papier » est bientôt réduit en charpie, chaque chimpanzé mettant un point d'honneur à venir donner le coup de pied de l'âne au roi des animaux... Conformément à la procédure commune, les stimuli émotionnels du danger sont traités prioritairement par les structures limbiques, avec un avantage de rapidité, les aires corticales étant ensuite sollicitées, permettant un traitement analytique de la source du danger.
Un dossier sur le rire : La chimie du rire
Un diaporama sur le rire : Une peau de banane sémantique
L'expression de la douleur et son partage : la double nature de l'émotion
Une étude dont l'objet était de vérifier l'hypothèse selon laquelle les fondements neurologiques de la douleur morale et de la douleur physique étaient communs : « Does Rejection Hurt? An fMRI Study of Social Exclusion », (Naomi I. Eisenberger, Matthew D. Lieberman, Kipling D. Williams, Science,10 October 2003 : Vol. 302 no. 5643 pp. 290-292) apporte une réponse affirmative à la question. Comme si tous ceux qui se reconnaissent semblables ne faisaient qu'un seul corps que l'on déchire douloureusement lorsqu'on exclut l'un de ses membres
Le cri de douleur semble d'ailleurs avoir pour origine ontogénétique la vocalisation de détresse du petit séparé de sa mère. La lésion du cortex cingulaire antérieur (ACC) induit une diminution des comportements sociaux chez le primate, probablement en raison d'une diminution du stress lié à l'isolement. Son ablation entraîne la disparition des geignements de détresse en cas d'abandon, alors que sa stimulation provoque de telles vocalisations.
William D. Hutchinson et ses collaborateurs ont montré que des neurones du cortex cingulaire antérieur étaient activés à la fois lors de l'expérience de la douleur et lors de l'observation de l'application d'un stimulus douloureux à un sujet neutre (« Pain-related neurons in the human cingulate cortex », Hutchison, W. D., Davis, K. D., Lozano, A. M., Tasker, R. R. & J. O. Dostrovsky, 1999, Nature Neuroscience, 2, 403 - 405). La communication des émotions trouverait son principal support dans la capacité à percevoir et reconnaître les émotions d'autrui. La partie antérieure du lobe de l'insula, on l'a rappelé, est active aussi bien quand un sujet éprouve du dégoût que lorsqu'il voit quelqu'un exprimer du dégoût. Le « crépitement » inattendu des neurones de l'aire F5 du cerveau du macaque (l'activité électrique des neurones en cause étant transformée grâce à un audiophone) à la vue d'une action alors que ce signal traduit normalement une action est à l'origine de la découverte de neurones pré-moteurs qui ont été dénommés « neurones miroir » (« Premotor cortex and the recognition of motor actions », Rizzolatti, G., Fadiga, L., Gallese, V., Fogassi, L., Brain Research. Cognitive brain research, 1996 Mar ; 3(2) : 131-41). Outre leur effet miroir, les neurones en cause sont caractérisés par leur spécialisation, répondant sélectivement à un type d'action, un mouvement de préhension, par exemple. Ces systèmes neuronaux, permettant de comprendre les états mentaux d'autrui et de partager ses intentions, sont impliqués dans l'imitation des gestes d'autrui et, en particulier, des expressions de la face. L'aire cérébrale impliquée (F5) correspondant à l'aire de Broca, Giacomo Rizzolatti forme l'hypothèse que la communication verbale reposerait sur ce dispositif de reconnaissance de l'expression gestuelle et faciale. Une partie des neurones de la région F5 s'active lors de l'observation de l'exécution des mouvements de la bouche (« Mirror neurons responding to the observation of ingestive and communicative mouth actions in the monkey ventral premotor cortex », Ferrari, P. F., Gallese, V., Rizzolatti, G., Fogassi, L., European Journal of Neuroscience, 2003 Apr. 17(8) : 1703-14), une autre à l'audition du son correspondant à une action réalisée dans l'obscurité. « Les neurones miroirs, propose Marc Jeannerot, pourraient constituer un système de communication fondé sur la reconnaissance gestuelle, pour les mouvements des doigts et les mouvements des lèvres : ce système aurait pu évoluer ensuite vers un système de reconnaissance du langage parlé (M. Jeannerod, La nature de l'esprit, Paris : O. Jacob, 2002, p. 217). L'aptitude que nous avons à comprendre les émotions d'autrui ne requiert qu'indirectement et secondairement l'intellect ; elle repose sur le ressenti subjectif de l'émotion de l'autre, ce partage s'exprimant sans ambiguïté dans une mobilisation quasi identique des supports neuronaux des émotions en cause.
Dans ce constat tient l'énigme de l'intersubjectivité. L'action de saisir un objet, programmée par la mobilisation d'une aire spécialisée dite prémotrice, engage le cortex moteur primaire. Mais ces mêmes régions sont également mobilisées quand l'action en cause est observée et imaginée. Une même « boîte à outils » paraît gérer l'action et sa représentation. Paradoxe que Jeannerod résume dans une formule qu'il qualifie d'« aphorisme » : « une action représentée est en fait une action, sauf qu'elle n'est pas exécutée » (p. 145-6). Cette équivalence est évidemment neurologique et non pratique (on ne saurait pousser l'égalité sans absurdité). Elle met en évidence la fonction de partage de l'observation et de la représentation de l'autre. Et définit l'autre par là-même. Dans l'exemple emblématique du ressenti empathique de la douleur, la technique de stimulation magnétique transcranienne a révélé l'activation neuronale du système sensori-moteur à l'observation d'une vidéo montrant un sujet une aiguille fichée dans la main ou le pied, ce qui n'est évidemment pas le cas si l'aiguille est enfoncée dans un objet noncorporeal, une tomate par exemple (Nat Neurosci. 2005 Jul ; 8(7) : 955-60. « Transcranial magnetic stimulation highlights the sensorimotor side of empathy for pain », Avenanti, A., Bueti, D., Galati, G., Aglioti, S. M.). Si voir le semblable faire (un enfant de sept mois étant en mesure de faire la différence entre l'animé et l'inanimé), c'est aussi "faire dans sa tête", cela signifie que l'homme est d'emblée uni à son congénère et qu'il n'y a de réelle différence entre le soi et l'autre, excepté ce que les voies de la proprioception notifient au cortex, que par l'effet de mécanismes inhibiteurs.
La neuropsychiatrie documente des cas d'imitation compulsive où le patient, alors que le geste introjeté reste ordinairement virtuel, ne peut se retenir d'exécuter l'action qui se déroule devant lui. Un certain nombre de phénomènes de contagion, évoqués dans un précédent chapitre sur les oscillateurs couplés, montrent un telle contagion de l'imitation dans les comportements collectifs. Dans ces autres troubles : le syndrome de Capgras, où le patient voit des doublures mystificatrices dans ses proches, ou le syndrome de Frigoli, où le patient voit des familiers grimés dans les étrangers, inverses mais étiologiquement identiques et parfois réversibles l'un en l'autre, c'est la communication des formations temporales avec les structures émotionnelles qui est prise en défaut. Thomas Antérion et alii rapportent le cas d'un homme qui ne reconnaît plus l'épouse avec qui il entretient des relations sexuelles et qui donc, selon le « best knowledge » des auteurs, serait « the only neurological patient who made his wife a mistress » sauf à inclure dans ce registre le destin de Monsieur de Clèves, contre-héros du roman de Madame de Lafayette, « adultère par passion de sa propre épouse », selon le mot de Valincour en 1678 (Antérion, T. C., Convers, P., Desmales, S., Borg, C., Laurent, B., « An odd manifestation of the Capgras syndrome : loss of familiarity even with the sexual partner », Neurophysiologie clinique, vol. 38, n° 3, 2008, p. 177-82). Cette pathologie s'expliquerait par une déconnexion entre le processus cognitif de reconnaissance visuelle et sa valence émotionnelle. Cognition sans émotion, voir sans reconnaître : c'est l'émotion qui identifie les proches parmi les ombres anonymes ou fonctionnelles qui nous entourent. Toutes les silhouettes deviennent proches quand l'urgence vitale fait de tout semblable un familier (c'est la définition que Gabriel Tarde donne du groupe : des individus qui s'imitent). La cécité affective frappe ainsi un patient au cortex frontal sous-orbital endommagé suite à un traumatisme ayant atteint la région frontale droite. Ce patient, qui se révèle particulièrement agressif avec les membres de l'équipe de soins, ne reconnaît plus sur le visage des autres l'expression de la colère ou du dégoût. Les auteurs expliquent cette pathologie par l'altération de l'aptitude du patient, auparavant connu pour sa pondération et sa conscience prefessionnelle, à anticiper les émotions négatives et en particulier la colère chez les autres (« Impaired social response reversal. A case of 'acquired sociopathy' », Brain, 2000 Jun ; 123 (Pt 6) : 1122-41. Blair, R. J., Cipolotti, L.).
Cet aperçu sur la neurolocalisation des émotions (qu'il faudrait d'ailleurs compléter par une thermodynamique des humeurs cérébrales : rien n'a été dit ici des neuromédiateurs engagés de l'expression des émotions) n'est évidemment pas sans évoquer, au moins formellement, la fantaisiste « phrénologie » de Gall. Franz Joseph Gall (1758-1828) a en effet développé une théorie matérialiste et localisationniste du fonctionnement cérébral. Pour la « crânioscopie », « crâniologie » ou « phrénologie », les différentes facultés intellectuelles et morales, sises dans la boîte cranienne, agissent indépendamment les unes des autres et possèdent un support spécifique, un « organe » propre. Il existe ainsi des « organes des dispositions » du cerveau (la phrénologie en identifie vingt-sept) dont l'importance relative se manifeste par des développements crâniens cartographiables.
Honoré Daumier. « Le Crânioscope-Phrénologistocope »
Oui, c'est ça. J'ai la bosse de l'idéalité, de la causalité, de la locativité, c'est une prodigiosité.
(Le Charivari, 14 mars 1836)
L'expression « bosse des maths » est un vestige de cette conception en vertu de laquelle, si l'on se réfère à la critique de Hegel, « l'être de l'esprit [phrenos] est un os » (Phénoménologie de l'Esprit, Paris : Gallimard, 1993, p. 335). L'être de l'esprit est-il un réseau de neurones ? Si l'« esprit » est l'impossible somme des traces et des projections somatopsychiques, sa prosopographie est nécessairement neuronale. Comment pourrait-il en être autrement ?
L'expression des émotions et le simulacre. Faut-il juger sur les apparences ?
Duchenne reprend Descartes : la capacité à simuler n'est pas totale et, quoi qu'il en soit, le simulacre est l'hommage de la copie au modèle, elle démontre la vérité et l'universalité des expressions de la face.
« Généralement, dit Descartes (cité par Duchenne), toutes les actions tant du visage que des yeux peuvent être changées par l'âme lorsque, voulant cacher sa passion, elle en imagine fortement une contraire, en sorte qu'on s'en peut servir à dissimuler ses passions qu'à les déclarer » (Les passions de l'âme, 2ième partie, art. 113).
Il est très vrai, note Duchenne, que certaines personnes, les comédiens par-dessus tout, possèdent l'art de feindre merveilleusement des passions qui n'existent réellement que sur leur physionomie ou sur leurs lèvres [
] Cependant il me sera facile de démontrer qu'il n'est pas donné à l'homme de simuler ou de peindre sur sa face certaines émotions, et que l'observateur attentif peut toujours, par exemple, découvrir et confondre un sourire menteur. Quoi qu'il en soit, les caractères de l'expression de la face humaine, qu'on les simule ou qu'ils soient produits réellement par un mouvement de l'âme, ne peuvent être changés ; ils sont les mêmes chez tous les peuples, chez les sauvages comme chez les nations civilisées, ne différant, chez ces dernières, que par leur modération ou par la distinction des traits » (p . 51-52).
Cette marge où se loge la capacité à simuler exprime, paradoxalement, la liberté de l'homme. Naturelle ou dénaturée, labile, contenue ou feinte, c'est parce que l'expression de l'émotion est immédiate et immédiatement comprise qu'elle peut être instrumentalisée. Dans Othello, Iago énonce le précepte suivant : "Les hommes devraient être ce qu'ils paraissent ou n'avoir pas forme humaine" (III, 3 ; 126). Mais il y a des apparences qui trompent et la forme humaine peut être un leurre, signifier des apparences trompeuses. Cette vérité à l'allure de proverbe (qui peut résumer le sujet d'Othello) définit la société des hommes. Fondateur de la « Société des observateurs de l'homme », Louis-François Jauffret, séduit par la phrénologie écrit : « Il est sans doute avantageux pour la tranquillité publique et pour le bonheur des particuliers, que la physiognomonie ne soit encore qu'une science conjecturale ; que le visage humain soit une espèce de masque aux yeux de ceux qui le regardent ; et peut-être entre-t-il dans les sages vues de la Nature que l'alphabet de ces caractères mystérieux qu'elle imprima sur le front de chacun de nous ne soit jamais révélé en entier : mais, tout en blâmant l'imprudent désir de vouloir déchiffrer chacun de ces traits, et la témérité de prétendre généraliser les inductions, la Société ne repoussera pas les observations sur un sujet si neuf et intéressant ; elle se fera même un devoir de les publier, lorsqu'elles auront été dictées par un zèle prudent et éclairé » (texte « resté à l'état de projet » publié par Robert Reboul, Les cartons d'un ancien bibliothécaire de Marseille, Draguignan : Lafil, 1875, p. 92).
L'expression des émotions peut être mécaniquement provoquée. Elle est matérielle et, par là, se révèle universelle. Les scrupules de Jauffret (faut-il tout savoir d'autrui ?) tracent la démarcation entre ce qui peut être partagé et l'histoire individuelle, la liberté / personnalité. L'intention de feindre peut relever de ce for intérieur, mais aussi l'inventivité qui soustrait l'homme aux stéréotypies instinctives. Si l'émotion n'est jamais simulée chez l'animal, c'est qu'il est le même partout et qu'il ne peut être qu'égal à lui-même, quand la diversité des adaptations et des systèmes sociaux distingue l'homme. Cette fidélité première des expressions aux passions qui définissent la carrière de l'homme fait du langage des émotions, non seulement un kit de vie et de survie, mais l'idiome de sa réalisation personnelle et sociale. Le mot de Lichtenberg (qui nous a servi ailleurs : anthropologieenligne.com) : « Le visage de l'homme est pour nous la province la plus passionnante de la terre » résume cet appétit pour la reconnaissance d'humanité, à l'opposé de l'homme de synthèse que serait l'homme sans passion, ou l'automate imaginé par Arnauld et Nicole. Dans La logique, ou l'art de penser, Arnauld et Nicole identifient la scène et la croix du sujet mondain. Ils invitent à « considérer que s'il n'y avoit au monde qu'un homme qui pensât, et que tout le reste de ceux qui auroient la figure humaine ne fussent que des statues automates [et qu'il puisse] en tirer tous les services que nous tirons des hommes, on peut bien croire qu'il se divertiroit quelquefois aux divers mouvements qu'il imprimeroit à ces statues : mais certainement il ne mettroit jamais son plaisir et sa gloire dans les respects extérieurs qu'il se ferait rendre par elles ; il ne seroit jamais flatté de leurs révérences, et même il s'en lasseroit, aussi-tôt qu'on se lasse des marionnettes ». « Ce n'est donc pas les simples effets extérieurs de l'obéissance des hommes, séparés de la vue de leurs pensées, qui font l'objet de l'amour des ambitieux : ils veulent commander à des hommes et non à des automates, et leur plaisir consiste dans la vue des mouvements de crainte, d'estime, d'admiration qu'ils excitent dans les autres » (1709, p. 60-61). Ce besoin de reconnaissance fait de la société du semblable une donnée constitutive de la subjectivité. Étrangers à nous-mêmes, instruits par le regard des autres que nous instruisons par ce que nous sommes, c'est le partage d'un même jeu d'expressions, préalable à la connaissance, qui nous fait conspécifiques.
Dans une expérience dont les images ont été souvent reproduites, Andrew N. Meltzoff et M. Keith Moore ont démontré que des nourrissons âgés de moins d'une heure peuvent imiter les actes humains (Meltzoff et Moore 1977, « Imitation of facial and manual gestures by human neonates ». Science, 198, 75-78 ; « Persons and representation : why infant imitation is important for theories of human development », in Nadel J. & G. Butterworth, dir. Imitation in infancy, 1999, pp. 9-13). Cette expérience, plusieurs fois reproduite, montre que l'aptitude à l'imitation faciale est innée. « Une perspective courante, développent Meltzoff et Moore, veut que les nouveau-nés ne fassent aucun lien intrinsèque entre l'expression faciale d'autrui et leurs propres expressions faciales invisibles. On pensait que de tels liens se forgeaient empiriquement, par exemple à l'aide de miroirs (rendant visible le non-vu) ou par exploration manuelle des visages (rendant tangible à la fois le moi et l'autre). Pour éliminer ces expériences d'apprentissage nous avons testé l'imitation chez des nouveau-nés en contexte hospitalier (Meltzoff et Moore, 1983, 1989), le plus jeune étant âgé de 42 minutes. Ce test porta sur un grand échantillon de nouveau-nés (N = 80). Les résultats attestèrent une imitation faciale réussie ». « On vit des nouveau-nés de 6 semaines se livrer à une imitation différée au terme d'une interruption de 24 heures . Les nourrissons auxquels un adulte montra un geste revinrent le lendemain et le virent poser avec un visage inexpressif. Ils regardèrent fixement ce visage et se livrèrent ensuite à une imitation de mémoire. Il n'est pas raisonnable de prétendre que les bébés ont un "réflexe" qui se déclenche un jour après la disparition de l'acte cible » (Meltzoff et Moore, 2005 « Imitation et développement humain : les premiers temps de la vie », Terrain, 44, pp. 71-90).
La facilité de la communication émotionnelle est démontrée s'il était besoin par l'expertise banale d'enfants de six ans qui, à l'instar des camarades de leur âge, sont en mesure de simuler les émotions primaires au simple énoncé de leur dénomination.
- Vas-y ! Je suis prêt !
- Pouah ! c'est dégoûtant !
- Questo è molto triste !
- Mais quelle surprise !
- Grrr
Je suis très en colère !
- Maman ! j'ai peur !
- Ouaouh ! les cloches sont passées !
"Rire Duchenne
"
Coda
Pour renouer avec l'analyse de Broca et le « bouleversement » de la morphologie cérébrale qu'il évoque, soit le « grand développement du lobe frontal », « l'atrophie du lobe olfactif », le primat de la vue, « le plus intellectuel des sens » et la « prépondérance de l'intelligence », on peut reconnaître dans le rôle emblématique des neurones miroirs, découverts dans l'aire F5 du macaque (supra), la scène où s'origine le décrochement proprement humain du socle émotionnel avec la naissance du langage. Supporté par le canal visuel, vecteur de l'imitation, le langage humain à ceci de particulier qu'il constitue une imitation médiate et différée (et non immédiate) et finalement détachée du réel observé. « Quiconque pose le pied sur le terrain de la langue, notait Saussure, peut se dire qu'il est abandonné par toutes les analogies du ciel et de la terre » (p. 169, note 10, p. 38, Cours de linguistique générale [1916] 1989, tome I, Wiesbaden : Otto Harrassowitz). C'est en effet la performance unique du langage humain que d'être en mesure de représenter le réel par la mise en uvre de signes arbitraires. Les sons linguistiques n'existent pas dans la nature et diffèrent d'une langue à l'autre. Le pouvoir d'agencer, dans des phrases, des mots composés de sons qui ne sont pas significatifs en eux-mêmes, mais dont la combinaison produit un sens (qui n'est ni la chose ni l'imitation de la chose désignée) spécifie ce langage. Quand on analyse la faculté de parole, on constate qu'elle permet de créer un monde hors du monde, de rendre présent ce qui est absent : le passé, le futur, l'hypothétique, l'imaginaire, le faux, l'impossible. En produisant une description objective de son environnement, elle habilite l'homme à peser sur le cours des choses ou à s'y adapter. Sa capacité d'interlocution (l'échange d'informations), de réflexivité, de méta-communication (on explicite ce que l'on veut dire) ou de commination mettent ce dispositif, supporté par un câblage neuronal propre, au centre de la vie sociale. La double articulation et la grammaire sont ainsi le point fixe et le levier qui permettent à l'homme, sinon de soulever, du moins de conquérir le globe si l'on considère qu'homo sapiens est le seul mammifère en mesure de s'adapter, du pôle aux tropiques, à tous les écosystèmes ou à s'en abstraire.
Si l'homme n'est pas un automate génétique et s'il échappe, dans ses (envahissantes) niches culturelles, à la fixité biotopique des espèces et aux lois de l'évolution, il n'habite pas pour autant son corps en propriétaire. La réflexivité en cause, seconde et réactive, oriente mais ne transforme pas la lave des passions humaines. « Maître cerveau sur son homme perché » reste otage des sentiments de son hôte. Les observations ici inventoriées, empruntées à la littérature spécialisée, militent pour un renversement copernicien de la perspective subjectiviste. La considération de l'émotion révèle que ce n'est pas le sujet qui rayonne, mais bien, à l'inverse, gravitant dans un ensemble de cercles qui va de la société des proches jusqu'à l'appartenance à l'espèce, qu'il emprunte sa quiddité à ce qui le fait commun. Si la qualification de l'existence rationnelle est : « Je pense, donc je suis », celle de l'émotion est : « Je suis ému, donc j'appartiens ». A l'ascèse solipsiste du chercheur de vérité, pour qui la société est un empêchement (dans une lettre à Guez de Balzac du 15 mai 1631, Descartes écrit de son séjour à Amsterdam : « je n'y considère pas autrement les hommes que j'y vois, que je ferais les arbres qui se rencontrent en vos forêts ») s'oppose l'immersion originelle de celui qui est ému. Le propos est ici de rappeler la présence première du corps dans la vie sociale. Nous nous voyons comme des êtres pensants doués de sentiment : à l'inverse, nous sommes des mammifères sensibles capables de penser.
Plan du chapitre :
A) Quelques données sur la prohibition de linceste : sur la culture de lespèce
Communication présentée au colloque Mariage - Mariages, Palais du Luxembourg et Université Jean Monnet, Sceaux, mai 1997.
B) Transmettre le patrimoine génétique, transmettre le patrimoine économique : paradoxes de la reproduction
Communication présentée au colloque FamillesParentésFiliation (Hommage à Jean Gaudemet), Palais du Luxembourg et Université Jean Monnet, Sceaux, juin 2005.
C) L'"effet McClintock" et effets apparentés (dossier pédagogique)
D) Duchenne de Boulogne : Éléments pour une archéologie des émotions (1)
E) L'Expression des émotions chez l'homme et l'animal, Charles Darwin (1872) : Éléments pour une archéologie des émotions (2) (Note de lecture)
F) Les fondements neurologiques de l'expression des émotions et de la communication : Éléments pour une archéologie des émotions (3)
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