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Duchenne de Boulogne :
Éléments pour une archéologie des émotions (1)
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L'uvre de Duchenne de Boulogne marque l'histoire de la recherche sur les émotions par la nouveauté de son approche. Duchenne cherche à mettre en évidence, à l'aide d'un appareil de faradisation, la fonction des muscles du visage dans l'expression des émotions.
"S'il était possible, écrit-il dans son Mécanisme de la physionomie humaine : ou, Analyse électro-physiologique de l'expression des passions (1862, chez Ve Jules Renouard) de maîtriser le courant électrique, agent qui a tant d'analogie avec le fluide nerveux, et d'en limiter l'action dans chacun des organes, on mettrait à coup sûr en lumière certaines de leurs propriétés locales. Alors, pour la face en particulier, avec quelle facilité on déterminerait l'action propre de ses muscles ! Armé de rhéophores [électrodes], on pourrait, comme la nature elle-même, peindre sur le visage de l'homme les lignes expressives des émotions de l'âme. Quelle source d'observations nouvelles !" (14). C'est en réalité le programme de son ouvrage
Duchenne s'est fait connaître dans le milieu médical par une publication technique : De l'Électrisation Localisée et de son Application à la Physiologie, à la Pathologie et à la Thérapeutique (Paris : J-B Baillière, 1855). Si son nom apparaît souvent dans les Archives générales de médecine et si les « patrons » de l'époque font appel à lui, il reste un médecin privé et n'occupera aucune charge officielle. "Duchenne n'avait pas fait grand bruit dans le monde", pourra dire Émile Brissaud dans une allocution prononcée lors de l'inauguration de la statue de Duchenne à Boulogne (1899, p. 69 : "L'uvre scientifique de Duchenne de Boulogne. Discours prononcé au Congrès de Boulogne le 21 septembre 1899", Revue Internationale d'électrothérapie, octobre 1899, n° 3, p. 69-90). Ce chercheur indépendant va se révéler pionnier dans l'identification de plusieurs maladies, dont la myopathie qui porte son nom, pionnier dans l'analyse de l'expression faciale (on parle aujourd'hui d'un "rire Duchenne" pour caractériser le rire vrai par opposition au rire faux) et pionnier de la photographie, aussi, apprise, précisément, dans le but d'étudier de manière objective les mécanismes de l'expression (un auteur relève, sur les clichés où l'on voit Duchenne opérer avec sa machine à induction, ses ongles noircis par le nitrate d'argent
) Qui n'a pas eu l'occasion, parcourant quelque ouvrage d'histoire de la photographie ou de la médecine, de découvrir les expressions, électriquement provoquées, du "modèle" privilégié de Duchenne, un cordonnier parisien frappé d'anesthésie faciale ? (Mécanisme
, note de la page 7 de la "partie scientifique" de l'ouvrage : "Préparations anatomiques et portraits") Et, sacrifiant de bonne foi aux stéréotypes qui stigmatisent la psychiatrie de l'époque, de compatir au sort de son patient-cobaye :
Duchenne de Boulogne et son appareil d'induction
En 1835, dans son cabinet de Boulogne, Duchenne expérimente l'électropuncture sur l'un de ses malades atteint de névralgie et qu'il soignait par la méthode répulsive (qui consiste à substituer un mal à un autre). La perception de la contraction du faisceau musculaire au point de la piqure à l'ouverture du courant lui donna-t-elle l'intuition qu'il pouvait y avoir dans cette technique un nouveau moyen d'investigation et de diagnostic du système musculaire ? C'est la question que pose le neurologue et historien des sciences Brissaud. Toujours est-il que « dès lors, il ne s'arrêta plus » (1899, p. 71).
Duchenne se lance, après cette expérience, dans l'étude systématique des applications médicales de l'électricité. Il s'installe à Paris, pourvu du matériel adéquat et suit chaque matin, comme un simple stagiaire, la visite de plusieurs chefs de service dans les hôpitaux parisiens, se proposant d'observer des cas susceptibles de relever de son exploration électrique. Il trouve un accueil favorable dans les services de plusieurs grands noms de la médecine de l'époque (dont Charcot et Vulpian à la Salpêtrière). "Hospitalier marginal" et n'aspirant à aucun titre, ce statut d'invisible et de supplétif permet à Duchenne de consacrer toute son énergie à la recherche. Dans une note de L'électrisation localisée et de son application à a physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique (Paris, Ballière, 3° édition, 1872, p. 601), il explique les aléas et les ressources de ce statut de "nomade" pour qui se voue à la recherche :
"Je dois répondre à ces reproches que je ne crois pas avoir mérités. Ceux qui me les ont adressés ignoraient sans doute qu'il m'a seulement été permis de glaner, pour ainsi dire, dans nos hôpitaux et que, si j'ai pu exister scientifiquement, c'est parce que j'ai été assez heureux pour recueillir, en parcourant les nombreux services de nos hôpitaux, les faits cliniques, je ne dirais pas dédaignés, mais qui avaient échappé à l'observation de tous. Ceux qui m'ont critiqué auraient dû savoir aussi que, lorsqu'il m'est arrivé de découvrir une espèce morbide non encore décrite, je n'ai pas eu le droit de disposer des sujets sur lesquels j'avais fait, de leur vivant, mes recherches cliniques. J'aurais eu, il est vrai, la liberté de compléter celles-ci par des recherches anatomo-pathologiques, si j'avais été médecin des hôpitaux. Mais alors, rivé pour ainsi dire à un service, je n'aurais pas pu remplir la tâche de chercheur que je me suis imposée ; et je suis convaincu que mes principaux travaux (entre autres sur l'atrophie musculaire progressive, la paralysie atrophique de l'enfance, l'ataxie locomotrice progressive, la paralysie glossso-labio-laryngée et la paralysie pseudo-hypertrophique) n'auraient jamais vu le jour. Pour les accomplir, en effet, il me fallait un champ d'observation plus vaste et s'étendant sur tous les hôpitaux de Paris. Si donc j'ai renoncé, si aujourd'hui je renonce encore aux honneurs des positions officielles, c'est afin de me livrer entièrement et librement à mon goût irrésistible pour les recherches phyiologiques et pathologiques. Doit-on me faire un reproche de ce désintéressement d'avoir fait de la science uniquement par amour de la science ?"
La nouveauté de l'"électrisation localisée" de Duchenne tient dans sa capacité à contrôler et à diriger l'action du fluide électrique, à "gouverner un agent aussi puissant, aussi rapide à travers les organes", à "lui imposer des limites". Cette "idée qui enflamma [son] imagination" (Mécanisme, p. 14), il la matérialisera en élaborant et en perfectionnant un appareil qui va devenir entre ses mains un moyen d'exploration méthodique et exhaustif du système musculaire et de sa pathologie. Sa capacité à identifier les types cliniques qui portent son nom est associée à cette technique qui lui a appris à "se servir de ses yeux" (Brissaud, p. 82). Son premier mémoire intitulé "De l'art de limiter l'excitation électrique dans les organes sans piquer ni inciser la peau, nouvelle méthode d'électrisation, appelée électrisation localisée" (présenté dans une note adressée en 1847 à l'Académie des sciences et publié dans les Archives générales de médecine, en juillet et en août 1850, février et mars 1851) expose l'originalité de sa méthode qui met en uvre un fait d'observation : il est possible de limiter et de diriger (de "localiser") les effets physiologiques de l'électricité en plaçant les rhéophores humides de l'appareil d'induction (ou de la pile), la peau étant elle-même préalablement humectée, sur les points d'élection (d'innervation) d'un muscle ou d'un faisceau de muscle donné. "Il n'y a pas de diffusion du courant si les rhéophores sont en bonne place" (Brissaud, p. 75). "Après plusieurs années d'expériences, il m'a été possible, rapporte Duchenne, d'arrêter à mon gré la puissance électrique à la surface du corps, et puis, lui faisant traverser la peau sans l'intéresser et sans l'exciser, de concentrer son action dans un muscle ou dans un faisceau musculaire, dans un tronc ou dans un filet nerveux. C'est à l'étude de la face que je fis la première application de la méthode que je venais de créer..." (Mécanisme, p. 14).
A l'époque de Duchenne, l'iconographie anatomique, grâce à la lithographie, a atteint son apogée. Les planches des huit volumes de l'Anatomie descriptive ou anatomie physiologique... de Bourgery et Jacob (Paris, Delaunay), parus de 1831 à1854, qui en sont l'accomplissement, résultent du savoir anatomique du scalpel. L'approche de Duchenne est entièrement nouvelle : anatomie animée, anatome animata, contre anatomie morte, elle permet, non seulement de "mettre d'accord l'anatomie morte avec l'anatomie vivante (l'électro-physiologie)" (Physiologie des mouvements, 1867, p. 821) mais aussi, décelant "les plus petites radiations des muscles", de réaliser des observations nouvelles qu'il présente, en 1850, aux académies de médecine et des sciences de Paris (page 15 du Mécanisme). Ce n'est donc pas sans raison que Duchenne note dans la préface de sa monumentale Physiologie
: "Je ne crois pas même être trop présomptueux en avançant que ce livre est devenu nécessaire" (p. XIV). "Pendant plus de vingt ans, Duchenne s'est appliqué à perfectionner cette partie de son uvre. On peut dire qu'il a passé en revue tous les faisceaux de la musculature humaine, soit isolément, soit dans leurs combinaisons fonctionnelles" (Brissaud, p. 76). L'électro-physiologie révèle ainsi des muscles qui ne sont ni classés ni même connus de l'anatomie. "Dans le muscle dit sphincter des paupières, écrit Duchenne, dont on a fait un seul muscle, on trouve quatre muscles indépendants qui président à des expressions diverses." "Un rhéophore, placé sur l'aile du nez, dilate la narine comme le fait la nature dans les grandes émotions. L'anatomie morte en est encore à trouver un muscle qui puisse expliquer ce mouvement : elle va même jusqu'à nier l'existence de fibres musculaires dans l'aile du nez" (Mécanisme
, p. 39).
L'application de la faradisation aux affections neurologiques a ainsi permis à Duchenne d'identifier et de décrire plusieurs maladies du système nerveux (voir : "De l'ataxie locomotrice progressive", Archives générales de médecine, Paris, 1858, 5 sér., 12: 641-652; 13: 36-62, 158-1881, 417-451 ; ici cité dans la réédition en 1868 : De la paralysie musculaire pseudo-hypertrophique ou paralysie myo-sclérosique, P. Asselin). Le nom de Duchenne est aujourd'hui connu du grand public à la faveur du Téléthon, émission emblématique de collecte de dons destinés à soutenir la recherche médicale pour le traitement de maladies génétiques. La myopathie de Duchenne, l'une des premières maladies héréditaires à avoir été identifiée à partir de son gène, a pour cause une mutation récessive sur le chromosome X : elle touche principalement les garçons (les XX sont conductrices mais peuvent manifester aussi, dans de rares cas, la maladie). L'origine de cette myopathie réside dans une mutation du gène DMD, situé au niveau du locus q21.2 du chromosome X codant la dystrophine, protéine dont le défaut d'expression entraîne la destruction progressive de l'enveloppe de la fibre musculaire. Les fibres contractiles s'altèrent lentement et sont remplacées par un tissu de comblement. Duchenne notait ainsi dans ses coupes "la minime quantité de fibres musculaires proportionnellement à leur tissu interstitiel hyperplasié" (op. cit., p. 62). Il a exactement décrit cette maladie incurable caractérisée par le contraste entre la faiblesse du muscle et son hypertrophie, alors que les nerfs et les connexions avec la moelle épinière restent intacts.
"La maladie que je vais décrire, écrit-il à propos de la maladie qui porte aujourd'hui son nom, est caractérisée principalement 1° par un affaiblissement des mouvements, siégeant généralement, au début, dans les muscles moteurs des membres inférieurs et dans les spinaux lombaires, s'étendant progressivement , dans une période ultime, aux membres supérieurs, et s'aggravant en même temps jusqu'à l'abolition des mouvements, 2° par l'augmentation du volume soit de quelques-uns des muscles paralysés, 3° par l'hyperplasie du tissu connectif interstitiel des muscles paralysés, avec une production abondante de tissu fibreux ou de vésicules adipeuses dans une période avancée.
Je propose d'appeler cette maladie paralysie pseudo-hypertrophique, d'après ses principaux signes cliniques objectifs, ou paralysie myo-sclérosique, d'après ses caractères anatomiques périphériques" (op. cit., p. 5).
Duchenne s'appuie sur 13 observations qui lui permettent de caractériser l'évolution de la maladie. Il relève, avant la lettre, le caractère de transmission génétique de cette affection neurologique : "La paralysie pseudo-hypertrophique est une maladie de l'enfance et qui paraît jusqu'à présent plus fréquente chez les garçons que chez les filles. On l'a observée chez plusieurs enfants d'une même famille ; c'est la seule espèce d'hérédité (atavisme) qui ait été constatée jusqu'à ce jour" (p. 116). (Gilles de la Tourette, relèvera, en 1885, la base familiale du syndrome qui porte son nom.)
Pour étudier les lésions musculaires en cause, Duchenne conçoit un appareil de biopsie (un "emporte-pièce histologique") qui lui permet d'évaluer au microscope l'état anatomique des muscles paralysés. "L'hyperplasie du tissu connectif instersticiel, peut-il conclure, avec production d'un tissu fibroïde plus ou moins abondant, est la lésion fondamentale des muscles dans la paralysie pseudo-hypertrophique" (p. 69). Quant à la pathogénie de la maladie, Duchenne est réservé : "L'anatomie pathologique n'ayant révélé jusqu'à présent aucune altération appréciable des centres nerveux, comment expliquer l'affaiblissement progressif des mouvements ?" (p. 116) "La pathogénie de la paralysie pseudo-hypertrophique est encore trop obscure aujourd'hui pour que l'on puisse en tirer des indications thérapeutiques précises" (p. 122).
Le Mécanisme
C'est donc un clinicien avisé et un expérimentateur inventif qui publie, en 1862, un ouvrage intitulé : Mécanisme de la physionomie humaine ou analyse électro-physiologique de l'expression des passions, "curieux ouvrage", illustrant les "hardiesses expérimentales" d'un médecin égaré dans le domaine de l'expression artistique, selon la critique de l'époque
Ce sont les éloges de Charles Darwin ainsi que l'utilisation qu'il fera des travaux de Duchenne dans son Expression des émotions chez l'homme et les animaux (1872) qui vaudront à ce dernier la reconnaissance de l'avancée scientifique de ses recherches dans le domaine de l'expression. Après les avoir ignorés, l'École des Beaux-Arts ne prendra en considération les travaux de Duchenne qu'à la nomination de Mathias Duval à la chaire d'anatomie, en 1873 (Mathias-Marie Duval est médecin ; en 1885, il occupe la chaire d'histologie de la faculté de médecine). C'est aux Beaux-Arts que Duchenne lèguera la collection de ses photographies. (En 1999, l'École organisera une exposition à partir de ce legs, dont 54 "ovales", ainsi que l'album personnel du Mécanisme.)
Les expressions de la face ont quelque chose de mystérieux : on ne voit pas comment elles sont produites. Spontanées et, le plus souvent échappant au contrôle de la volonté, c'est l'"âme" soudain manifeste, extériorisée, "en mission". Duchenne cite Buffon : "Lorsque l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos plus secrètes agitations" (préface, p. V). Une difficulté particulière s'attache à l'analyse anatomique des expressions faciales, note Duchenne : "1° à la face, il est peu de muscles dont on puisse reconnaître l'action par leur gonflement ou leur saillie ; 2° dans cette région, point de surfaces articulaires dont la configuration indique les usages des muscles voisins
" (page 10). C'est donc le mécanisme terminal de ces ébranlements de l'âme que Duchenne s'emploie à pénétrer et à fixer.
La critique de Pierre Gratiolet en 1865 épinglée par Darwin ("[Les] travaux [de Duchenne] ont été traités légèrement, ou même complètement négligés par certains de ses compatriotes.") résume la prévention naturelle à l'idée que la compréhension des émotions pourrait être authentiquement approchée par l'artifice d'une simple stimulation électrique : "Ces mouvements peuvent, à la vérité, simuler des expressions, mais sont-ce là des expressions véritables ? L'essence de la physionomie est de raconter les sentiments et les passions qui modifient l'être vivant. Or, comment des mouvements communiqués à mes muscles par une volonté étrangère pourraient-ils raconter mes sentiments et mes volontés ?" (De la physionomie et des mouvements d'expression, Paris : J. Hetzel et Cie, 1865, p. 9).
En réalité, le but de Duchenne est de mettre en évidence ce qu'il dénomme l'"orthographe de la physionomie en mouvement" (Mécanisme, p. VI). Les raisons qu'il expose pour le choix de son principal modèle vident la critique de Gratiolet de son sens :
"L'individu que j'ai choisi comme sujet principal des expériences représentées par la photographie dans cet album est un vieillard édenté, à la face maigre, dont les traits, sans être absolument laids, approchent de la trivialité, dont la physionomie est en parfaite concordance avec son caractère inoffensif et son intelligence assez bornée. »
"Il était affecté d'un spasme des muscles rotateurs droits de la tête, spasme qui se montrait seulement alors qu'il voulait travailler de son état de cordonnier [
] Je l'en ai guéri par l'électrisation des muscles antagonistes."
(p . 7, note de la "partie scientifique", "Préparations anatomiques et portraits")
"Voici les raisons qui ont déterminé ce choix :
1° Dans la vieillesse, on voit, sous l'influence des contractions musculaires, se dessiner toutes les lignes expressives de la face (les lignes fondamentales et les lignes secondaires).
2° La maigreur de mon sujet favorise le développement de ces lignes expressives, et facilite en même temps l'électrisation partielle des muscles de la face.
3° ...j'ai voulu seulement démontrer qu'en l'absence de beauté plastique, malgré les défauts de la forme, toute figure humaine peut devenir moralement belle, par la peinture fidèle des émotions de l'âme.
4° Enfin cet homme présentait une condition très favorable que je n'ai pas rencontrée chez d'autres sujets [
] Ce sujet, lui, était peu sensible. Il était atteint d'une affection compliquée d'anesthésie de la face. Je pouvais expérimenter sur cette région sans qu'il en éprouvât de la douleur, au point que je faisais contracter partiellement ses muscles avec autant de précision et de sûreté que sur le cadavre encore irritable. » (Mécanisme, p. 6-7, "Préparations anatomiques et portraits")
Duchenne ne rejette pas les critiques qui lui sont et lui seront portées au nom du bon goût (il consacrera d'ailleurs la dernière partie de son ouvrage, dite "partie esthétique", à tenter de "répondre aux desiderata de l'art" : "beauté de la forme, associée à la vérité de l'expression physionomique, de l'attitude et du geste" (p. 133), mais il privilégie l'exactitude :
"J'aurais pu choisir, à l'exemple des artistes [
] des modèles dont la physionomie se trouvât en harmonie avec telle ou telle expression. En renonçant à ces avantages, je me suis privé d'un puissant moyen d'augmenter l'intérêt de mes expériences ; bien plus, ne voulant pas faire concourir le geste à l'expression de mes figures, j'ai donné à tous mes sujets la même attitude.
Malgré ces conditions désavantageuses, et quoique la présence des rhéophores et des mains qui les tiennent, nuise à l'effet de mes figures, les expressions artificielles que j'ai photographiées n'en sont pas moins saisissantes de vérité." (id., p. 7)
Duchenne écarte l'objection de mouvements involontaires provoqués par l'irritation des électrodes qui viendraient biaiser l'expérience, la réaction du sujet n'exprimant pas la réaction propre du muscle électrisé :
"J'ai choisi, pour sujet principal de mes expériences, un homme chez lequel la sensibilité de la face était peu développée ; et enfin ces mêmes expériences, répétées sur le cadavre encore irritable, ont donné des résultats parfaitement identiques" (id., p. 33).
Le Mécanisme est donc l'ouvrage d'un expérimentateur, idéalement soumis au fait. Duchenne cite Bacon : "l'expérience est une sorte de question appliquée à la nature pour la faire parler" (préface, p. VI). Appliquée aux muscles du visage, c'est la nouvelle anatomie mise en uvre par Duchenne dès ses premières recherches qui va permettre de comprendre les règles du langage universel de l'expression des émotions. On pourrait reprendre ici le propos Descartes, exposant que son "dessein n'a pas été d'expliquer les Passions en Orateur, ni même en Philosophe moral, mais seulement en Physicien" (Les Passions de l'Âme - Réponse à la seconde lettre, 14 août 1649, Adam et Tannery, Vol. XI - p. 326). Duchenne est croyant. En réalité, le finalisme qu'il invoque en dernier ressort pour rendre compte des principes fondamentaux du langage des émotions n'affecte en rien la précision matérielle de ses observations. Cette "physique" constitue l'apport décisif de Duchenne à "la grammaire et [à] l'orthographe de la physionomie humaine" (id., p. 109).
On peut énumérer comme suit ses principaux apports à la connaissance de l'expression faciale :
- Que l'expression des principales émotions résulte de l'action d'un seul ou d'un petit nombre de muscles (et non d'une synergie musculaire) (1) ;
- Que certains muscles de l'expression des émotions échappent au contrôle de la volonté (2) ;
- Que ce langage immédiatement et involontairement parlé est immédiatement et involontairement compris (3) ;
- Que ce langage est universel, propre à toutes les cultures (4) ;
- Et, enfin (5), que Duchenne est le premier auteur à donner, avec ses "figures électro-physiologiques photographiées" une traduction photographique systématique des expressions faciales des émotions.
Le souci de l'objectivité scientifique le fait en effet participer, initié par Adrien Tournachon, le frère cadet de Nadar, à l'aventure de la photographie, ses premiers clichés datant de 1852 (Mécanisme
, Avertissement de la "partie scientifique", p. V). Photographies non retouchées et dirigeant lui-même prises de vue et développements, précise-t-il : "J'ai photographié moi-même la plupart des 72 figures qui composent la partie scientifique de cet album, ou présidé à leur exécution
j'ai voulu qu'on n'y fit aucune retouche" (id., p. VI ). La difficulté était "au moyen d'une sage distribution de la lumière, [de] savoir mettre en relief telle ou telle ligne expressive. C'est ce que ne pouvait faire seul l'artiste le plus habile ; il ne comprenait pas les faits physiologiques à démontrer" (id., ibid.). Duchenne expose son mode opératoire en note de la page 134. "La photographie seule, aussi fidèle que le miroir, pouvait atteindre la perfection désirable ; elle m'a permis de composer, d'après nature, un album de figures qui feront, pour ainsi dire, assister mes lecteurs aux expériences électro-physiologiques que j'ai faites sur la face de l'homme" (id., p. 65). "
j'ai sacrifié tout à la démonstration des lignes expressives et à la vérité de l'expression ; pourvu que les lignes expressives de ces dernières figures fussent parfaitement au point et mises en relief, le reste était secondaire" (id., p. 134)
Voici un exemple achevé, émotion de la découverte comprise, de cette avancée dans la compréhension de l'expression des émotions :
"Il est des muscles qui jouissent du privilège exclusif de peindre complètement, par leur action isolée, une expression qui leur est propre [
] Dès le début de mes recherches, en effet, J'avais remarqué que le mouvement partiel de l'un des muscles moteurs du sourcil produisait toujours une expression complète sur la face humaine. Il est, par exemple, un muscle qui représente la souffrance. Eh bien ! sitôt que j'en provoquais la contraction électrique, non-seulement le sourcil prenait la forme qui caractérise cette expression de souffrance, mais les autres parties ou traits du visage, principalement la bouche et la ligne naso-labiale, semblaient également subir une modification profonde, pour s'harmoniser avec le sourcil, et peindre, comme lui, cet état pénible de l'âme.
Dans cette expérience, la région sourcilière seule avait été le siège d'une contraction très évidente, et je n'avais pu constater le plus léger mouvement sur les autres points de la face. Cependant j'étais forcé de convenir que cette modification générale des traits que l'on observait alors, paraissait être produite par la contraction synergique d'un plus ou moins grand nombre de muscles, quoique je n'en eusse excité qu'un seul. C'était aussi l'avis des personnes devant lesquelles je répétais mes expériences.
Quel était donc le mécanisme de ce mouvement général apparent de la face ? était-il dû à une action réflexe ? Quelle que fût l'explication de ce phénomène, il semblait en ressortir, pour tout le monde, que la localisation de l'électrisation musculaire n'était pas réalisable à la face.
Je n'attendais plus rien de ces expériences électro-physiologiques, lorsqu'un hasard heureux vint me révéler que j'avais été le jouet d'une illusion.
Un jour que j'excitais le muscle de la souffrance, et au moment où tous les traits paraissaient s'être contractés douloureusement, le sourcil et le front furent tout à coup masqués accidentellement (le voile de la personne sur laquelle je faisais cette expérience s'était abaissé sur ses yeux). Quelle fut alors ma surprise en voyant que la partie inférieure du visage n'éprouvait pas la moindre apparence de contraction !
[
]
Ce fut un trait de lumière ; car il était de toute évidence que cette contraction apparente et générale de la face n'était qu'une illusion produite par l'influence des lignes du sourcil sur les autres traits du visage." (op. cit., p.18-20)
[passage coché de la main de Darwin ; voir page suivante.]
"Il est certainement impossible de ne pas se laisser tromper par cette illusion, qui est, comme je l'ai dit précédemment, une espèce de mirage exercé par les mouvements partiels du sourcil, si l'expérimentation directe ne vient pas la dissiper" (id., p.20).
[page 22 : Darwin écrit dans la marge, suivi de deux points d'exclamation : "only one muscle need" en face de :] "Reconnaissons ici que l'ingénieux artifice employé par la nature pour arriver à ses fins est digne de notre admiration. Si, en effet, à la vue d'un mouvement aussi limité et qui nous fait reconnaître l'image parfait d'une émotion, il nous semble que la face s'est modifiée d'une manière générale, si nous subissons de telles illusions, c'est uniquement en vertu de notre organisation, en vertu d'une faculté que nous possédons en naissant" (23).
(Cette analyse est développée dans la "partie scientifique" de l'ouvrage : p. 39-53, "Muscle de la douleur".)
Duchenne tire les premières instructions de ses expériences :
"Ces combinaisons musculaires [
] m'ont enseigné enfin que pour le mécanisme de l'expression de la physionomie, la nature procède, comme toujours, avec simplicité. Il est rare [souligné par D. et coché dans la marge], en effet, que, dans ces combinaisons musculaires expressives, il m'ait fallu mettre plus de deux muscles simultanément en action, lorsque j'ai voulu reproduire d'une manière complète une des expressions que l'homme a la faculté de peindre sur sa face" (id., p. 26).
"Le Créateur [a pu] par une divine fantaisie, mettre en action tel ou tel muscle, un seul ou plusieurs à la fois, lorsqu'il a voulu que les signes caractéristiques des passions, même les plus fugaces, fussent écrits passagèrement sur la face de l'homme. Ce langage de la physionomie une fois créé, il lui a suffi, pour le rendre universel et immuable, de donner à tout être humain la faculté instinctive d'exprimer toujours ses sentiments par la contraction des mêmes muscles. » [commentaires de D. en marge
"Praise this book..."] (id., p. 31).
"Si l'homme possède le don de révéler ses passions par cette sorte de transfiguration de l'âme, ne doit-il pas également jouir de la faculté de comprendre les expressions extrêmement variées qui viennent se peindre successivement sur la face de ses semblables. Quelle serait donc l'utilité d'un langage qui ne serait pas compris ? Exprimer et sentir les signes de la physionomie en mouvement me semblent des facultés inséparables que l'homme doit posséder en naissant. L'éducation et la civilisation ne font que les développer ou les modérer.
C'est la réunion de ces deux facultés qui fait du jeu de la physionomie un langage universel. Pour être universel, ce langage devait se composer toujours des mêmes signes, ou, en d'autres termes, devait être placé sous la dépendance de contractions musculaires toujours identiques.
Ce que le raisonnement seul avait fait pressentir, ressort clairement de mes recherches. J'ai en effet constaté, dans toutes mes expériences que c'est toujours un seul muscle qui exécute le mouvement fondamental, représentant un mouvement donné de l'âme. Cette loi est tellement rigoureuse, que l'homme a été privé du pouvoir de la changer et même de la modifier. On prévoit ce qui serait infailliblement arrivé s'il en eût été autrement ; le langage de la physionomie aurait eu le sort du langage parlé, créé par l'homme : chaque contrée, chaque province, aurait eu sa manière de peindre les passions sur la figure [
] C'est pour cela que le Créateur a placé la physionomie sous la dépendance des contractions musculaires instinctives ou réflexes" (id., p. 50-51).
"
les caractères de l'expression de la face, qu'on les simule ou qu'ils soient produits réellement par un mouvement de l'âme, ne peuvent être changés ; ils sont les mêmes chez tous les peuples, chez les sauvages comme chez les nations civilisées" (id., p. 52, [annoté par D.).
L'expérimentation
La "partie scientifique" de l'ouvrage : (à partir de la page 85, la pagination reprend à la page "93" [= page 1] après un "avertissement" paginé en romain) présente, page 42, une table synoptique (cochée par D.) des muscles "complétement expressifs", des muscles "incomplètement expressifs" et des muscles "expressifs complémentaires". Son Album est ainsi présenté par Duchenne, page X :
"L'Album complet se compose de soixante-douze figures photographiées. Elles sont consacrées à l'étude expérimentale des muscles de l'attention (le frontal), de la réflexion (l'orbiculaire palpébral supérieur), de l'agression (le pyramidal), de la douleur (le sourcilier), de la joie (le grand zygomatique), de la bienveillance (l'orbiculaire palpébral inférieur), du mépris (les palpébraux), de la lascivité (le transverse du nez), de la tristesse (le triangulaire des lèvres), du pleurer (le petit zygomatique et l'élévateur propre de la lèvre supérieure), enfin des muscles complémentaires de la surprise et de l'étonnement (les abaisseurs de la lèvre inférieure), et complémentaire de la frayeur, de l'effroi (le peaucier)."
Nous nous limiterons ici à la présentation de trois apports importants de Duchenne :
- l'identification et la mise en uvre du "muscle de l'agression" (le pyramidal du nez) (pages 27 à 35) ;
- l'identification et la mise en uvre du "muscle de la douleur" (le sourcilier) (pages 35 à 53)
- les conditions de production, par opposition au "rire faux" du "rire naturel" (le grand zygomatique et l'orbiculaire palpébral inférieur) (pages 55 à 64) et
- l'identification et la mise en uvre du "muscle de la frayeur, de l'effroi" (peaucier) (pages 101 à 108).
Le "muscle de l'agression" (le "pyramidal du nez") (pages 27 à 35)
"L'expérience représentée dans la figure 16 met en lumière un fait anatomique ignoré jusqu'alors : la terminaison supérieure du pyramidal du nez dans la peau de l'espace intersourcilier, au niveau de la tête des sourcils, et conséquemment la complète indépendance de ce muscle" (p. 28). "Si faiblement que le pyramidal du nez exerce son action sur la tête du sourcil et sur l'espace intersourcilier, on le voit toujours donner de la dureté au regard le plus doux et annoncer l'agression (p. 30)" [coché par D.].
"Mais à l'instant où je mets le pyramidal du nez puissamment en action, son regard devient méchant ou menaçant." (p. 32)
C'est le "muscle des passions agressives" (p. 180). "Le pyramidal du nez étant le seul muscle qui abaisse la tête du sourcil pour peindre les instincts cruels, de même que le muscle sourcilier en élève la tête pour exprimer la douleur
" (p. 180) "La figure 18, où les deux pyramidaux du même sujet sont mis simultanément et énergiquement en contraction, nous montre une expression de méchanceté, de haine, qui inspire de la répulsion. On a tout à craindre de ce regard ; il n'y a qu'une nature cruelle et féroce qui puisse lui donner une telle expression" (p. 33). "Est-il possible de voir un regard plus méchant ? Il annonce un instinct féroce : c'est l'il du tigre" (p. 34).
Le « muscle de la douleur » (le sourcilier) (pages 35 à 53)
La première approche de ce mécanisme se trouve dans le chapitre intitulé "Préparations anatomiques et portraits" de la "partie scientifique" de l'ouvrage. "Les moteurs du sourcil sont, constate Duchenne, de tous les muscles expressifs, ceux qui obéissent le moins à la volonté ; en général, l'émotion de l'âme seule a le pouvoir de les mettre partiellement en mouvement [coché par D.]. Or, on le sait, le vieillard dont il a été question plus haut est trop peu intelligent ou trop peu impressionnable pour rendre lui-même les expressions que je produis artificiellement sur sa face" (p. 8). "Un hasard heureux m'a fait rencontrer un sujet qui, après un long exercice, en est arrivé à posséder un grand empire sur les mouvements de ses sourcils. C'est un artiste de talent et en même temps un anatomiste qui a eu la curiosité de faire cette étude sur lui-même. En faisant appel à ses sentiments, il rend souvent avec une parfaite vérité la plupart des expressions propres à chacun des muscles du sourcil" (p. 8). Un "artiste" qui est aussi un anatomiste : "il rend souvent avec une parfaite vérité la plupart des expressions propres à chacun des muscles du sourcil" (p. 8-9). "Un seul des muscles du sourcil échappe à son pouvoir" (p. 9). (Il s'agit de Jules Talrich, anatomiste, sculpteur et céroplaste.)
"Sur la figure 19 [infra], le sourcilier droit est mis énergiquement en action chez le vieillard qui sert habituellement à mes expériences (voy. son portrait fig. 3). De ce côté on remarque : 1° que la tête du sourcil s'est gonflée et s'est élevée davantage en formant un relief qui se prolonge un peu sur le front : 2° que ce sourcil est devenu oblique de haut en bas, et de dedans en dehors, en décrivant une ligne sinueuse composée de deux courbes, l'une interne, à concavité supérieure, et l'autre externe, à concavité inférieure ; 3° qu'il s'est développé plusieurs plis cutanés transversaux sur la partie médiane du front [
] 4° enfin qu'au-dessous du sourcil, la peau est tendue au niveau de la tête du sourcil et dans l'espace intersourcilier, tandis qu'elle est refoulée en bas dans la partie qui correspond à ses deux tiers externes" (p. 40).
Figure 20 : Contraction électrique, à un degré moyen, des sourciliers : souffrance profonde, avec résignation. (page 35) :
Commentaire p. 49 :
(«
où la contraction des sourciliers est assez énergique »)
Figure 20 : « C'est bien là en effet l'expression d'une douleur profonde. On sent, à la vue de cette figure, que cet homme est très malheureux. Son cur est-il ulcéré ? est-il tourmenté par une douleur de l'âme ou par une douleur physique ? C'est ce que cette expression ne peut dire. Quoi qu'il en soit, et bien que tous ses traits semblent contractés par la douleur, on voit qu'il souffre avec résignation. » (p. 49)
Figure 21 :
"J'ai déjà dit que la physionomie du sujet soumis à cette expérience [figure 21] était au repos absolu au moment où elles ont été faites ; ce que l'on a constaté en recouvrant son front et ses sourcils. Puis on a vu qu'à l'instant où le front et les sourcils de cette figure ont été mis à découvert, où l'on a pu, en un mot, l'examiner dans son ensemble, tous les traits de la face ont semblé s'agiter douloureusement" (p. 50).
"J'ai fait cette expérience un très grand nombre de fois, en présence d'artistes distingués. Pour ne pas influencer leur impression, je me gardais d'en expliquer le but. En voyant ce visage dans son ensemble, ils attribuaient son expression de souffrance à une contraction générale des traits de la face. La bouche et la ligne naso-labiale attiraient avant tout leur attention. Que cette bouche est souffrante et à la fois résignée, me disaient-ils ! Et cette ligne naso-labiale, comme elle semble tirée par la douleur !
Leur surprise était bien grande, lorsqu'il me suffisait de leur cacher les sourcils de mon sujet pour faire retomber tous ces traits dans un calme plat" (p. 51).
"En résumé, sous l'influence des mouvements expressifs propres au muscle de la douleur, nous éprouvons une illusion qui tient à notre organisation, et dont j'ai essayé d'expliquer l'utilité dans les considérations générales qui précèdent l'étude partielle des muscles moteurs de la face" (p. 51-52).
Muscles de la joie et de la bienveillance (grand zygomatique et orbiculaire palpébral inférieur) (pages 55 à 64).
Rire faux et rire naturel : figure 30 et 31 : contraction du grand zygomatique : "rire faux".
Figure 31 : "Excitation électrique un peu plus forte des deux grands zygomatiques ; développement des mêmes lignes fondamentales et secondaires de la joie, avec légère contraction de quelques fibres du muscle dit sphincter des paupières : rire faux."
Figure 32 : « Destinée à montrer, chez le même sujet, comparativement aux figures 30 et 31, que le rire naturel vrai est constitué par l'association des grands zygomatiques et de l'orbiculaire palpébral inférieur.
Rire naturel, par la contraction volontaire des deux grands zygomatiques et de l'orbiculaire palpébral inférieur" (p. 56).
"Voyez le sujet représenté dans les figures 30 et 31 [supra]: ses grands zygomatiques sont au maximum de contraction. Au premier abord, il paraît s'abandonner au rire le plus franc, mais un moment d'attention vous fait découvrir que sa gaieté est factice ; plus vous regardez cette bouche riante, plus elle vous blesse par sa fausseté. N'en accusez pas l'exagération de ce rire [
] N'en accusez pas non plus la laideur de cette face ; la même expérience faite sur la figure la plus belle vous blesserait tout autant et exciterait votre défiance."
"Si vous comparez ces figures 30 et 31, dont le rire est faux et menteur, à la figure 32 du même individu photographié au moment où j'avais excité sa gaieté, vous sentez qu'ici son rire est franc et communicatif. (p. 61) "C'est uniquement d'un mouvement particulier de la paupière inférieure que dépend la différence expressive de ces figures( p. 62).
"Ce mouvement de la paupière inférieure, sans lequel toute joie ne saurait se peindre sur la face avec vérité, a besoin d'être étudié avec soin" (p. 62).
"Le muscle qui produit ce relief de la paupière inférieure n'obéit pas à la volonté ; il n'est mis en jeu que par une affection vraie, par une émotion agréable de l'âme. Son inertie, dans le sourire, démasque un faux ami." "La volonté peut à peine dissimuler sont action, quand celle-ci est éveillée par un mouvement du cur.
Non seulement il égaye l'il, et à ce titre il est le muscle complémentaire du grand zygomatique, pour l'expression du rire, mais encore, dans certaines circonstances, il se contracte partiellement, sous l'influence des sentiments affectueux. Il rend alors le regard bienveillant ; aussi peut-on l'appeler muscle de la bienveillance.
Anatomiquement, je l'ai appelé orbiculaire palpébral inférieur ; il est séparé latéralement de l'orbiculaire palpébral supérieur par une intersection aponévrotique" (p. 63). "L'orbiculaire palpébral inférieur est si difficile à électriser partiellement, que je n'ai pu le maintenir assez longtemps contracté isolément pour photographier cette expérience" (p. 63).
"J'ai dit, en effet, que l'émotion de la joie franche s'exprime sur la face par la contraction combinée du grand zygomatique et de l'orbiculaire inférieur ; que le premier obéit à la volonté, mais que le second (muscle de la bienveillance, de l'amitié et des impressions agréables) est seulement mis en jeu par les douces émotions de l'âme ; enfin, que la joie fausse, le rire menteur, ne sauraient provoquer la contraction de ce dernier muscle" (p. 183). Dans le "rire Duchenne" (c'est Duchenne, qui a révélé la complexité du sphincter des paupières - supra), les fibres de l'orbiculaire, concentriques au repos, s'étirent, plissent les paupières et occultent la partie inférieure de l'il.
"Muscle de la frayeur, de l'effroi" (peaucier) (pages 101 à 108)
Alors que la contraction partielle des peauciers est inexpressive (figures 58 et 59 - non reproduites), la figure 60 (non reproduite ici) montre l"effet de la contraction combinée, expressive, des peauciers et des frontaux" : la frayeur (p. 101).
Les figures 63, 64 et 65, les plus connues, probablement, de l'uvre de Duchenne :
"Il est prouvé par les figures 64 et 65 que la contraction combinée des peauciers, des abaisseurs de la mâchoire inférieure et des sourciliers, produit une expression d'effroi mêlée de douleur extrême. Les figures 61, 62, 63, nous le montrent, par exemple, terrifié par l'idée, soit d'un danger de mort prochaine, soit d'une torture à laquelle il a été condamné ou qui va lui être appliquée ; mais ici, figure 64 et 65, à l'expression de cette terrible émotion de l'âme s'ajoute celle de la douleur horrible de son supplice. Cette expression doit être celle du damné" (p. 108).
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