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Chapitre 9
N. B. Les principales références sont reportées en fin de chapitre 9, soit page 9.5.
2ième partie :
Lhomosexualité en Grèce ancienne :
une préparation au mariage
III - 9.2
(Communication présentée au colloque Dérives et déviances , Université de la Réunion, mai 2004.)
Mon propos nest pas de parler de lhomosexualité par rapport à une norme, mais de présenter quelques éléments dun dossier classique de lhistoire et de la philologie grecque, de ce que Georges Devereux a proposé de dénommer « pseudo-homosexualité », marquant par cette expression le caractère spécifique de lhomosexualité grecque, qui a pour objet et cet objet est paradoxal dans les évidences daujourdhui lacquisition de la différence des sexes et le mariage.
Cest donc dune déviance, si lon veut, par rapport à un stéréotype (la représentation banale que nous nous faisons de lhomosexualité), dont je vais parler. Dé-vier par rapport à un stéréotype, s'écarter de la voie, nest-ce pas contribuer à en faire le tour, à le circonscrire dans sa nécessité, à tracer le périmètre qui le définit dans sa singularité et à rendre compte de la diversité des expressions quil croit épuiser dans sa naïve et péremptoire certitude ? Dévier, en lespèce, nest-ce pas prendre du champ pour reconnaître ou tracer le sillon de la vérité, soit le contraire de dé-lirer qui signifie, étymologiquement, sortir du sillon (en latin : lira désignant le sillon) ? Cette dernière étymologie (qui me dispense davoir à faire celle du verbe déconner) me fait regretter, au passage, que les concepteurs de ce colloque naient pas aussi convoqué les verbes : déraisonner, divaguer, déménager, dérailler, dérégler et autres dérangements sémantiques qui sont « pain béni » pour lanthropologie. Il faut, en effet, aussi sortir du sillon pour prendre du recul, observer le champ labouré, les billons et les mottes, les lignes de force et les concepts, le travail du soc et l'espace parcouru. (Jen arrêterai là avec les métaphores agricoles qui risquent, pour le coup, de me faire quitter le sillon...) Le programme défini par Jean-Jacques Rousseau : « Observer les différences pour comprendre les propriétés » convient idéalement au projet de lanthropologie en général et, en lespèce, au sujet que je vais présenter : « Comment lhomosexualité cette « pseudo-homosexualité » peut-elle servir à lacquisition de la différence sexuelle et préparer au mariage ? »
Je vais, dans cette brève présentation, privilégier limage : je men expliquerai dans le cours de cet exposé. [Il ne sera fait référence dans la présente page web quà trois illustrations publiées dans louvrage de K. J. Dover : Greek Homosexuality (1978) et à quelques illustrations empruntées à Eibl-Eibesfeldt (1976) la communication ayant utilisé des transparents qui n'ont pas été numérisés ; dans les pages connexes (9.4, 9.41, 9.42), il est plus largement fait appel à l'image.] Je vais aborder deux points principaux : le premier, celui de la représentation que les Anciens donnent de « lamour grec » ; le second, à partir de la lecture dAristophane, celui de la signification de locutions ou de gestes (quon peut observer à grande échelle dans lespace et dans le temps) qui mettent en scène lhomosexualité. Et je vais proposer successivement (et très succinctement) une perspective anthropologique, philologique puis éthologique de la question. Pour demander enfin, en guise de conclusion et pour répondre à une question posée en préambule, ce que les gay studies ont apporté au sujet.
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Une homosexualité « pédagogique »
Lhomosexualité grecque était dite par les Anciens « pédagogique ». Et cétait vraisemblablement, au moins en Grèce archaïque, une institution et non une affaire privée. Quand Xénophon, dans sa Constitution de Sparte aborde la question de la pédérastie, il écrit : « Je vais parler maintenant du système déducation en vigueur chez les Spartiates », « Lamour masculin, ce point touche à léducation » (II, 1 ; II, 12). Ce que les modernes ont compris par le terme « amour des garçons », ou pédérastie, était vraisemblablement une initiation, selon le sens que ce mot reçoit en ethnologie : un théâtre dont lobjet est de permettre au fils de femme dacquérir la position masculine. Lidée générale, et pratiquement universelle, qui informe ces initiations est que la mère ne peut donner au garçon ce dont elle-même est dépourvue. Cest une seconde naissance, de cuisse dhomme, qui, seule, peut être en mesure daffecter le fils de femme de ce supplément de masculin dont la nature ne la pas doté et que lécolage maternel ne saurait lui transmettre. L'objet des initiations masculines est de transformer la « fille » qu'est le néophyte en homme. Le travestissement et le changement de sexe font partie des topiques initiatiques. Cette mise en scène de la séparation du monde de femmes (lenfant est « arraché à lobscurité » dit un texte grec), dune mort et dune renaissance rituelles, dune opposition fonctionnelle à léthos féminin, tout cela recoupe largement des stéréotypes et, dirais-je, des éthotypes universels. Les initiations masculines qui sont, constitutionnellement, affaire dhommes, sont donc, idéologiquement « hommosexuelles » et, certaines, homosexuelles.
Perspective anthropologique
Dans la culture grecque, ce caractère pédagogique se marque par la différence dâge des protagonistes. Léraste est laîné et léromène, ladolescent, est dépourvu de barbe. Il paraît tout à fait incongru de voir des pairs, des membres de la même classe dâge, engagés dans une relation de ce type. Ainsi dans le Banquet de Xénophon, on sétonne de voir Critobule épris de Clinias, alors que celui-ci a de la barbe
Un proverbe grec, cité par Plutarque, disait, en effet, que le premier poil de barbe coupe la relation pédérastique en deux comme un fil coupe un uf. Les marchands desclaves qui faisaient commerce dadolescents utilisaient une plante qui tire son nom dun héros mort pendant des rites dadolescence, lhyacinthe, pour en retarder la puberté (vraisemblablement pour neutraliser lexpression du système pileux). Retarder la puberté, cest lexact contraire des rites dinitiation dont lobjet est de conduire la puberté à terme.
Le but de cette relation pédagogique étant la formation de la virilité, son terme est évidemment le mariage. Et, de fait, il existe un certain nombre de traits, dans les mythes au moins, qui paraissent montrer que linitiateur pouvait avoir charge de trouver une épouse à son protégé et confirmer cette fonction contenue dans la structure éducative. (Au plan mythologique, on trouverait, en effet, un certain nombre dinformations qui soutiennent cette hypothèse, par exemple, le rôle joué par Poséidon dans le mariage de Pélops).
Lidée, que jénonçais tout à lheure, du « supplément de masculin » nécessaire à lachèvement du fils de femme, sexprimerait ici dans la croyance que la transmission du semen virile est la condition de cet achèvement. Bien qu'aucune source ancienne ne vienne conforter une telle hypothèse, un philologue allemand a développé cette idée qui a au moins le mérite de donner une cohérence aux faits en cause que lhomosexualité grecque était portée par une telle conception. Selon certains auteurs, comme Plutarque, et quelques expressions populaires, les Grecs paraissent avoir attribué lorigine de la pédérastie aux Doriens fixés en Crète (lexpression proverbiale à Athènes, la « mode crétoise » désignait la pédérastie dite impure) et le philologue à qui je viens de faire allusion développe une théorie qui impute cette pratique aux Doriens, expliquant quelle se soutenait dune conception spermatique de lâme, en vertu de laquelle lhumeur virile aurait été le support physique de larétè, cette perfection à la fois physique et morale qui qualifie lhomme accompli (e. g. Iliade, 15, 642).
Perspective philologique
Mais cette pédagogie comporte une évidente contradiction que je vais présenter tout à lheure après avoir fait appel à limage. Pour le domaine en cause, où les gestes, les attitudes et les positions disent à peu près tout, limage constitue, en effet, un document essentiel. Les vases grecs représentent assez souvent des scènes de courtisation homosexuelle (Dover en a dénombré plus de cinq cents) et ils permettent, mieux que les écrits des Anciens, souvent allusifs, peuvent le faire, de définir les codes et la déontologie de l« amour grec ». Linterprétation des scènes représentées est, dune manière générale, justiciable de la même lecture (que, pour faire court, je vais appeler structurale) que les textes. Les éléments, comme les termes dun discours, sont interprétés pour leur sens diacritique : pour leur valeur de position et non, seulement, dexpression. Je me fais un devoir de citer ici Ferdinand de Saussure qui énonce, dans le Cours de linguistique générale (1972 [1911] : 157), ce principe dont on crédite souvent des auteurs plus récents :
Cest une grande illusion de considérer un terme simplement comme lunion dun certain son avec un certain concept. Le définir ainsi serait lisoler du système dont il fait partie ; ce serait croire quon peut commencer par les termes et construire le système en faisant la somme alors quau contraire cest du tout solidaire quil faut partir pour obtenir par analyse les éléments quil renferme.
En gardant à l'esprit cette règle méthodologique, il faut bien entendu considérer aussi de ce qui spécifie, par rapport au langage, la langue des « autres institutions humaines les coutumes, les lois, etc. [qui] sont toutes fondées, à des degrés divers, sur les rapports naturels des choses ; il y a en elles une convenance nécessaire [et non une relation arbitraire] entre les moyens employés et les fins poursuivies. » (id. : 110) Rapporté à limage et compte tenu de cette dernière spécification, cest bien le système d'oppositions qui permet didentifier les valeurs et les significations. (Une interprétation des images qui ferait l'économie de cette matrice porterait le risque de méprises frappées au coin du bon sens.)
Un exemple simple : lopposition « derrière » et « devant » (il en est évidemment beaucoup d'autres : debout v. accroupi, de profil v. de face, etc ; de même, la signification se déploie-t-elle par la contiguïté : quand un vase représente deux hommes se masturbant peinture d'une coupe attribuée à Amasis, partiellement reproduite en 9.42 à côté d'un chien en train de déféquer, on peut difficilement voir là un éloge de la masturbation tel que celui cité en 21.11, par exemple). Lart grec opère une stylisation des organes génitaux masculins dont la signification sexprime notamment dans cette opposition derrière/devant. Dans les scènes représentées sur les vases, le pénis idéal est minuscule, court, fin, et terminé en pointe par un long prépuce. Par contraste, le pénis du satyre, du vieillard, de lhomme qui travaille de ses mains ou qui est occupé à quelque chose de sale ou de peu glorieux est long, épais et pendant. Lopposition derrière/devant fait ainsi apparaître une péjoration de la représentation « derrière » comme on le voit sur les vases où les deux représentations coexistent.
Cette volonté de représenter les organes sexuels derrière souligne la signification morale de la représentation devant. Cest mettre le sexe sous le contrôle de la face, caractériser lhomme comme lêtre conscient de la nature en lui et la sexualité comme la pierre de touche de la sociabilité. Dans le Banquet de Platon, Aristophane explique que Zeus, après avoir coupé en deux les êtres doubles qui voulaient prendre sa place, leur retourna la tête (qui primitivement regardait ce que nous appelons le dos) pour leur mettre sous les yeux cette section qui fait de nous des êtres sexués, incomplets, imparfaits et
responsables. (Une manière dépée de Damoclès restant suspendue au-dessus des hommes : puisque nous restons sous la menace je vous le rappelle dêtre une nouvelle fois partagés en deux, selon le fil de la symétrie corporelle, sil nous prenait envie de recommencer
) Ce qui dégrade ou disqualifie lhomme dégrade donc aussi son sexe.
[Illustration n° 1 : R 462 dans Dover ; la légende proposée est la suivante : Continence et soûlographie (Munich)]
La civilisation se reconnaît donc à la face et au sexe. Et le profil grec soppose au profil barbare, comme la conception grecque de la sexualité soppose à la conception barbare, ainsi quon peut le voir sur ce vase qui met aux prises Héraclès et Busiris, le roi des Égyptiens, le peintre ayant relevé la tunique de Busiris afin de le « portraiturer » dans toute sa laideur de circoncis (la circoncision exprimant, pour les Grecs, le comble de laideur physique et morale).
[Illustration n° 2 : R 699 dans Dover ; la légende proposée est la suivante : Héraclès et Busiris, Profil grec et profil barbare : le peintre a relevé la tunique du roi dÉgypte pour le représenter dans toute sa laideur de circoncis à laquelle renvoie son impayable bobine ronde, son absence de cou et son nez aplati (Athènes)]
La sexualité a pour ordinaire lopposition des genres : les caractères sexuels font les caractères et les rôles et les vases mettent en scène les usages et les normes de la vie quotidienne ainsi que ses exceptions. Limberbe, le combattant qui jette son bouclier pour mieux fuir devant lennemi
, la viragine et la sorcière
inversent des statuts qui sopposent entre eux comme lactivité soppose à la passivité.
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« Activité » et « passivité »
Ces quelques données rappelées, je vais aborder le deuxième point annoncé : la signification de locutions ou de gestes qui qualifient lhomosexualité de manière fortement dépréciative. A ce titre, une surprise à la lecture du théâtre dAristophane, dont le public était composé des citoyens dAthènes, un public populaire (Le peuple dAristophane, titre un ouvrage spécialisé) serait que lhomosexuel sy trouve être la cible privilégiée de la dérision et de la verve publique. Lexpression connue le stéréotype « Va te faire voir chez les Grecs ! » (qui suppose que tous les Grecs « en seraient » ou « en étaient ») apparaît donc dénuée de vérité
En effet, le paradoxe des initiations homosexuelles, cest quelles sont supposées éduquer lactivité dans la passivité. Comment transformer la fille en garçon tout en le confirmant dans la passivité ? Cest bien la passivité, lhomosexuel passif, qui sont caricaturés dans le théâtre dAristophane et non l« eros éducateur »
Lhomosexualité initiatique, pour être éducatrice, se doit donc de respecter des formes et avoir en vue sa propre fin : le passage à lâge adulte. C'est le paradoxe et l'idéal défendu par Pausanias dans le Banquet de Platon d'un esclavage éducateur : « car le seul esclavage qui ne soit pas blâmable est celui qui a le mérite pour objet ». (184 c)
De fait, limagerie homosexuelle reproduit les canons de cette déontologie qui oppose leros éducateur, réglé (dikaios eros ; Eschine, I, 136) à leros dit « infâme », qualifié dhybris (Eschine, I, 29 ; 185). Les illustrations des vases permettent de constater que la sodomie homosexuelle est le propre des satyres et presque leur monopole si lon excepte des comastes (des fêtards) chez qui elle prend une signification de provocation ou de raillerie.
Perspective éthologique
[développée en 9.41)
Pourquoi donc la passivité sexuelle du mâle est-elle significative dinfâmie ? En quoi, par opposition, lintégrité corporelle est-elle emblématique de la condition même de lhomme libre et du citoyen ? La réponse à cette question est probablement de nature biologique
Et comme je nai pas le loisir de justifier cette affirmation, je vais présenter deux types dimages qui montrent :
1) que chez certains mammifères et certains primates, ce quon appelle en éthologie l« exposition génitale » est significative de défense du territoire et de menace ;
Position de guet d'un Hamadryas
2) quon peut observer une continuité entre cet éthotype et certaines démonstrations, qu'il faut bien appeler « culturelles », quil est possible de relever en maints endroits.
Hermès de Syphnos
Epouvantail et statue gardienne (Bornéo)
(Illustrations extraites de Eibl-Eibesfeldt, 1976, pp. 230 et s.)
Il est, me semble-t-il, difficile de ne pas constater la continuité entre la signification déployée par lexposition génitale dans le monde animal et dans le monde humain : défense du territoire, marque des limites (les statues ityphalliques dHermes, Priape gardien des jardins
), menace de « faire un sort » au contrevenant ; comme lexprime ce poème mis dans la bouche de Priape : « Éloigne-toi voleur, ou tu pourrais pleurer / En recevant ma verge dans le derrière. » Ce sort, qui aurait été aussi réservé, en Grèce, au moyen dun raifort, à lhomme adultère pris en flagrant délit, est évidemment une dégradation. Si la sodomie est une infamie, comment concilier, dans linitiation grecque, éducation et homosexualité ?
Trois voies sont possibles :
1) La chasteté : cest leros pur que célèbrent les philosophes (vide infra : 9.3)
Affirmation qui déclenche lincrédulité chez nombre dauteurs anciens. « Si lamour des garçons renie la volupté, peut-on lire dans Plutarque, cest quil a honte et craint le châtiment ; comme il a besoin dun prétexte honnête pour sapprocher des jeunes gens, il met en avant lamitié et la vertu. Il se couvre de poussière dans larène, prend des bains froids, fronce les sourcils ; à lextérieur, pour complaire à la loi, il se donne lair dun philosophe et dun sage, puis, la nuit quand tout repose : douce est la cueillette en labsence de gardien
» (Erotikos, 752 A).
2) Un eros dénué d'érotique dont on peut voir une expression dans les brimades et les sévices qui sont constitutifs des rites dinitiation (il suffit de penser à ce que lon dénomme « bizuthage »), qui exploite le caractère sadique de la sexualité (vide infra : 9.4 et s.). Le ressort pédagogique consiste ici à cultiver la force morale pour se libérer de linfamie de la soumission. Jen donnerai comme illustration cette information, due à lhistorien latin Ammien Marcellin (XXXI, 9, 5) (340-400), qui abandonna le métier des armes pour lécriture et qui rapporte que chez les Taifili, les jeunes gens servent au plaisir des guerriers « sauf celui qui, tout seul capture un sanglier ou un ours énorme et se trouve affranchi de cette souillure » (cité par Georges Dumézil dans Heur et malheur du guerrier, 1969 : 132). Lexploit physique, lactivité, autrement dit, est ce qui sauve de la dégradante passivité.
3) La solution grecque (la déontologie de lamour grec à l'époque classique) paraît avoir été intermédiaire, si je puis dire : et cest ce quexprime un verbe spécifique, qui a souvent été traduit de manière inexacte : diamerizein. Cest ici que limage vient au secours des mots. Il est clairement indiqué dans les représentations (quoi quil en soit en réalité) que lorthodoxie pédérastique fuit comme son contraire la pénétration anale. Toutes les représentations de léraste et de léromène les campent face à face, en position debout et, quand le coït est représenté, cest, de même, de face et il sagit toujours dun coït intercrural : entre les cuisses. Ce que signifie le verbe diamerizein (meros : cuisse ; femora diducere).
[Illustration n° 3 : B 250 dans Dover ; la légende proposée est la suivante : diamerizein : la position canonique. Représentation de la copulation intercrurale. (Londres)]
En guise de conclusion
On peut sinterroger, en guise de conclusion de cette brève présentation, sur la question (qui a été soulevée ici) de savoir ce que le traitement par les gay studies du sujet que je viens d'exposer rapidement a apporté à la connaissance historique un acquis des gender studies étant (notamment) davoir montré que le point de vue de Sirius était difficilement accessible. Les textes de référence étant les mêmes, lapproche en cause se marque, par opposition à lapproche positive, par un intérêt centré sur un éventuel partage des significations et des valeurs entre l« amour grec » et lhomosexualité contemporaine et par la gageure quil peut y avoir à parler de lhomosexualité grecque sans faire référence à lethnologie ou à léthologie, quand les discussions, depuis plus dun siècle, y invitent. Lidée qui informe ces recherches est donc de retrouver, par les seules ressources de la philologie et de lempathie, le point de vue des Anciens, « les Grecs nous [étant] à peine étrangers ». Le compte-rendu que lhelléniste et militant que je viens de citer donne, dans Cent ans dhomosexualité, ouvrage que la jaquette présente comme « un livre quasi légendaire dans les études gay » et auteur dun « Saint Foucault » (traduction française, 2000) « Si Foucault navait pas existé, il aurait été nécessaire de linventer » de létude dHarald Patzer, Die grieche Knabenliebe, qui systématise les grands traits de linterprétation inspirée par les rites initiatiques, est représentatif de cette approche. Ce qui fait visiblement question pour lauteur, cest linsistance de Patzer à subsumer sous le devoir de formation jusquà le nier lintérêt érotique de laîné pour ladolescent. « Que [la pédérastie] nétait pas, en même temps [quune institution sociale], lexpression dun désir sexuel profondément senti, personne, je lespère (sic), ne le croira », écrit Halperin. La volonté de reconnaître une identité de valeurs et de goûter une connivence érotique entre lobjet de lobservation et lobservateur (cf. le commentaire de lillustration en page de garde de louvrage) est évidemment peu propice à penser la sexualité humaine dans ses composantes naturelles. C'est voir le monde par le chas de la psycho-biographie. Comment comprendre ce que le philosophe cité nomme le « principe disomorphisme entre relation sexuelle et rapport social » (autrement dit le fait que le corps du citoyen ne peut être ni soumis ni pénétré et, par conséquent, que la sodomie est nécessairement bannie de la relation homosexuelle éducatrice) sans faire appel à la signification des positions dont jai parlé ? C'est le sens du plaidoyer d'Eschine (Contre Timarque ; vide infra : chapitre 9.4 : Quelques données ethnographiques sur l'homosexualité initiatique), sens que Sénèque, dans ses Controverses, résume d'une phrase. C'est l'identité de la position et du statut : « La passivité sexuelle [...] chez un homme libre est un crime, chez un esclave une obligation, chez l'affranchi un service ». Comprendre la sexualité, cest justement dévoiler lamphimixie des pulsions qui la composent et qui usent de ses codes. Cest cette complexité (et quoi quil en soit de lhomoérotisme) qui permet de rendre compte du paradoxe éducatif que jai présenté de ce que Foucault dénomme l« antinomie du garçon » (sic).
En réalité, lapproche en cause, comme la psychanalyse dailleurs, assimilant sexualité et génitalité, sexualité et psychologie du sujet, scotomisant léthologie (la sexualité nest pas seulement génitale, elle est aussi territoriale, statutaire rituelle), ce langage universel et problématique qui nous fait héritiers et prisonniers de la phylogenèse, me paraît davantage approprié à instruire, avec ses « poétiques culturelles du désir » (Halperin) la psychologie du sujet occidental, dont la sexualité, en effet, est inséparable de la psychobiographie, conformément à la matrice culturelle et émotionnelle de l« individualisme bourgeois » (Halperin), que le questionnement de lhistoire ou de lanthropologie. Quand lhistoire du sujet tient lieu de rite initiatique et de matrice comportementale, la représentation de la sexualité, nécessairement, séchappe des catégories naturelles et sociales. Elle est ce que le moi expérimente, en fonction des aléas de sa biographie, à travers le prisme individuel de son désir ce mot fétiche de la psychologie, dans lequel sexprime le credo du sujet occidental.
Cet apparent renversement copernicien proposé par le « constructionnisme » laisse ouvert, me semble-t-il, sans véritablement y contribuer, sauf à manifester une légitime protestation didentité avec ses formes et ses valeurs propres, le programme anthropologique qui consiste à comprendre le cours naturel de la sexualité humaine dans lenvironnement dune société où le chiffre individuel est devenu la norme sociale. Ce renversement méthodologique : partager et non pas seulement, en vertu de la règle positive, observer, répond, en réalité, à laxiomatique de lindividualisme. À linstar de la « blessure narcissique » que Freud (qui entendait se situer dans la lignée de Galilée et de Darwin) croyait avoir infligée à la toute-puissance du « moi », il en parachève la consécration.
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