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Chapitre 3
Dessin du dessein :
esquisse dune représentation spatiale
de la royauté sacrée
I - 3.4 : Le rituel et le politique (1)
Harpe Mangbetu (Zaïre) (Coll. Gallini)
(Repris et développé de : "Notes sur la signification..." : Thèse pour le doctorat d'État, Paris I-Sorbonne, 1989)
Les références sont reportées en fin de page 3.42.
Plan du chapitre :
I - 3.1 Introduction
I - 3.2 Léquilibre des pouvoirs
I - 3.3 La machinerie constitutionnelle
I - 3.4 Le rituel et le politique (1)
I - 3.41 Le rituel et le politique (2)
I - 3.42 Le rituel et le politique (3)
2ième partie
I - 3.4 Le rituel et le politique
Introduction
A l'aide d'un dépouillement des données nous recherchons ci-après, complémentairement à la dialectique présentée dans les pages précédentes, les traits constitutifs de la royauté sacrée. En l'absence d'ouvrage systématique auquel il eût été commode de faire référence (si l'on excepte l'étude de Tor Irstam publiée en 1944) ces traits sont présentés sous la forme d'une énumération de procédures réputées constitutives de l'autorité. (Ce recensement ne se justifie que s'ils se rapportent à des systèmes en quelque façon comparables et nous n'ignorons pas le caractère incertain du propos qui consiste à rapprocher, sous la couverture d'une ressemblance formelle, des éléments arrachés à l'agencement qui leur donne sens.)
Parmi les questions qui divisent les spécialistes, il en est une qui oppose les tenants d'une approche rituelle et les tenants d'une approche politique. On pourrait présenter sommairement ces deux interprétations comme suit. Une troupe de guerriers arrive dans un pays qui lui est étranger, assujettit les autochtones et règne à leurs dépens en y mettant plus ou moins de formes... c'est la conception républicaine de la royauté sacrée. Un roi prisonnier de sa fonction, incestueux, mis à mort au terme de son mandat, c'est la conception du "roi divin" vulgarisée par Freud. (Ces deux écoles ne s'enrichissent pas seulement des obédients naturels de deux familles de pensée, ceux qui pensent "économique" et ceux que fascine le rituel, leurs partisans se distribuent aussi en fonction de la nature de leurs "terrains" respectifs, selon qu'ils sont interprètes de royautés où le pouvoir dynastique est fort ou de royautés où le pouvoir du roi est compté.) On peut évidemment se demander si ces deux théories concurrentes ne décrivent pas deux sociétés, deux états de société ou deux charges non réductibles l'une à l'autre. Quand la personne du roi est au centre de l'activité rituelle, la charge du commandement est assumée par des spécialistes de "deuxième fonction" ; quand le roi est le chef des armées, les emplois rituels sont tenus par des spécialistes de "première fonction". Qu'un même titre, celui de roi, dont l'adoption est inspirée par une expérience historique dans laquelle le politique absorbe le religieux interprété comme un masque ou une conscience obscure du pouvoir puisse qualifier des attributions contradictoires, cela suffirait à jeter le doute sur une interprétation qui entendrait réduire la diversité des systèmes répertoriés sous le nom de "royautés sacrées" sur le modèle d'un seul. Dans la société traditionnelle, la fonction de chef est loin de correspondre toujours, il s'en faut, à la définition que nous nous en faisons.
Dans un article consacré à l'organisation politique des populations du continent américain, Robert Lowie ("Some aspects of political organization among the american aborigines", 1948 : 11-24) décrivait sous la spécification de titular chief (chef formel) et par opposition au strong chief (vrai chef) un "chef" "sans souveraineté", grand parleur, faiseur de paix, préposé à la redistribution des richesses et bien en peine d'en conserver pour lui... Tout le contraire, on le voit du seul pouvoir qui vaille (pour nous), celui d'imposer et d'accaparer. Le fait qu'on reconnaisse au titular chief le bénéfice de la polygamie (Clastres, 1974), moyen d'honorer, grâce au travail de ses épouses, la créance de ses sujets, n'est peut-être pas sans rapport avec le rôle de maître de l'abondance imparti au "roi sacré" en raison des modalités particulières des unions qu'il contracte et c'est un même paradoxe, dans l'optique positiviste, qu'un chef sans pouvoir et un roi sacrifié. Au déni d'une psychologie pourtant élémentaire qui distingue, par exemple, le leader et le dominant, nous voudrions réduire toutes les formes de la conduction sociale à des modalités de l'"exploitation". Comme s'il était dit que la monade législative qui définit le moderne supposé exercer un pouvoir sans médiation sur la nature et sur ses semblables, avec son dogme d'un sceptre sans marotte, d'un chef sans devoirs, et d'une administration sans reste parce qu'elle a vocation à réduire toutes les formes, de souveraineté avait la capacité de les expliquer toutes.
La diversité des formations sociales apparentées aux royautés sacrées inclinerait plutôt à les situer sur un spectre allant du roi bouc-émissaire au roi "politique", selon le concept que nous formons de cette réalité. Entre la fonction religieuse et la fonction politique (et pour autant qu'il soit possible de séparer absolument ces deux valeurs) une position intermédiaire, peut-être, qui nous retiendra plus particulièrement, où pour citer des faits non africains "la royauté est la dignité et non la propriété du roi", où le roi, "au milieu de ses sujets, muet, tenant son sceptre" exerce ses prérogatives sous le contrôle de lignées non royales, ses obligations rituelles lui interdisant parfois, d'ailleurs, de prendre part aux conflits politiques.
Traits et valeurs supposés communs
"Sans père et sans mère et n'ayant pas de fin."
Ambroise
(P.L. 16, 404. Patrologica Cursus completus, Séries Latina, J.P. Migne)
La réalisation de l'unicité du roi s'appuie sur l'extraction de la condition humaine d'un individu choisi, notamment du réseau de parenté qui le définit : il a des géniteurs, des germains, des affins et peut avoir, avant son intronisation, une progéniture. Le motif de cette unicité semble trouver sa portée opératoire dans la confrontation de cet "un" et de sa propre origine. A cet égard, le thème de l'inceste, élément récurrent des rites d'investiture des "rois sacrés", révèle une théorie du pouvoir sur l'ordre cosmique qui s'autorise d'une appropriation de la génération.
On peut tenter de donner une description analytique de cette conception de l'autorité en ordonnant comme suit une présentation de certains rites y afférents et de leur étiologie : de leurs mythes et de leurs concepts.
1. 1. Sacrifice de la mère du roi
- Une tradition recueillie chez les Kotoko rapporte qu'"avant l'islamisation du pays, les princes ne pouvaient régner qu'à la condition de procéder au sacrifice de leur propre mère, le jour de l'intronisation. Devenus musulmans, ils refusèrent de perpétuer ce matricide, mais acceptèrent néanmoins en montant sur le trône de ne plus jamais revoir (leur mère)". On dit aussi que "le Coran (que les premiers occupants sont censés avoir trouvé sur les lieux) était autrefois, à chaque intronisation, recouvert de la peau de la mère du Me et de celle d'un buf qui était sacrifié en même temps qu'elle ; placé dans un étui multicolore, il était caché aux regards". (Lebeuf, 1969 :130, 273, 274)
Un prince kotoko.
.... et sa mère. (Lebeuf, 1969 : 17-18)
- Chez les Yoruba, "le roi n'a pas de mère naturelle. Si sa mère est vivante quand il est appelé sur le trône, on lui demande d'"aller dormir" et elle est inhumée avec les honneurs à la capitale dans la maison d'un parent. Tous les membres de cette maison jouissent de privilèges spéciaux et d'une déférence marquée en tant que "membres de la maison de la mère du roi". Une fois par an, le roi fait honorer sa mémoire devant sa tombe. Une femme du palais est faite Iya-Oba, le roi la regarde comme sa mère" (Johnson, 1921 : 63).
- Chez les Imenti, une vieille femme "était choisie pour être la victime d'une étrange et brutale ordalie. On demandait au Mugwe nouvellement élu de la prendre par la main et de courir le plus vite possible. Si la vieille femme mourait pendant la course, le Mugwe était jugé apte à assumer sa charge et proclamé ; sinon la proclamation était différée. En réalité, l'issue de la course était certaine, car on prenait soin de choisir une très vieille femme". Un autre rituel d'intronisation montre le Mugwe "couronné par une vieille femme qui se retirait ensuite pour mourir", probablement empoisonnée. On pensait qu'ayant touché le Mugwe de ses mains, on ne pouvait plus lui permettre de vivre" (Bernardi, 1959 : 93, 94).
- Chez les Bushong, un dignitaire s'adressait en ces termes à l'homme nouvellement investi : "Tu étais
du clan de ta mère, maintenant tu es ton clan à toi [...] Tue ta mère" (Vansina, 1964 : 113).
- Chez les Baganda, "Si le roi venait à rencontrer sa mère, cela signifierait sa mort ou un grave accident".
(Roscoe, 1902 : 67).
1. 2. Sacrifice de la génération
"Nous sommes au moment où tout est gravide, la terre avec la semence, comme les bêtes: c'est pourquoi à Tellus pleine on offre une victime pleine" (Ovide, Fastes, IV, 630 s.)
- En Angola, d'après Ladislaus Magyar (Reisen in Sud Africa,1859), le corps d'un nouveau roi était
oint d'un onguent préparé avec les foetus arrachés au ventre de femmes enceintes" (Zwernemann,1964 : 26,27).
-Chez les Zaghawa :
A. Chez les Zaghawa Kobe, "l'année de leur intronisation, les chefs se rendaient sur la montagne Kobe pour se faire reconnaître en tant que chefs et demander la pluie à la divinité. Une chamelle pleine était immolée" (Tubiana, 1964 : 35)
Au cours d'une période préparatoire, le sultan fait don d'une génisse à robe grise qui est tuée par un des neveux utérins au milieu du village.
En aucun cas la génisse ne peut être égorgée par un homme de la tribu Angou (clan régnant dont le sultan est issu "d'après la tradition, les Angou acquirent le tambour du chef des Mira, et du même coup l'autorité suprême, en échange de la cuisse d'un éléphant qu'ils avaient pourchassé jusque-là").
Seuls les neveux utérins du sultan peuvent frapper les timbales royales ; les Angou ne peuvent même pas s'approcher d'elles.
Les femmes qui se joignent au cortège qui se forme pour gagner le lieu du sacrifice "ne doivent être ni enceintes ni en période d'allaitement".
Les hommes de la tribu Angou n'ont pas le droit de gravir la montagne et encore moins de se rendre à l'endroit où la chamelle va être sacrifiée. Car il suffirait que l'un d'eux trempât son pied dans le sang de l'animal pour qu'il ait le droit de se faire reconnaître comme sultan (Tubiana, 1960 : 297).
Le sultan prend une lance à large fer apportée par un de ses serviteurs ; il la saisit le plus près possible de la lame ; derrière lui, quatre de ses neveux utérins : un Kirégou, un Toubougui, un Mira et un Sanala tiennent également la hampe de la lance. Ils l'enfoncent dans le cou de la chamelle dont la tête est tournée vers l'est. On récite la formule rituelle : "Ô Seigneur, donne-nous la pluie, donne-nous le mil en abondance et rend notre pays prospère."
Aussitôt après, le Mira prend son couteau et, se cachant sous une étoffe, ouvre le ventre de la chamelle pour en extraire le fotus. Il l'enveloppe aussitôt dans le tissu, car personne ne doit le voir.
Le sultan s'approche alors du sang répandu, il y trempe d'abord les pieds, puis les mains, en mettant chaque fois du sang sur ses ongles. Les quatre neveux utérins qui ont participé à l'immolation s'avancent à leur tour et font de même. Le sang est ensuite brûlé, puis la bête est partagée entre les différents clans sans avoir été dépouillée.
Pendant que le sang brûle et qu'on partage la viande de la chamelle, les neveux utérins gravissent la pente qui les sépare du sommet de Ha-Kobe en emportant le ftus. Ils emmènent également avec eux pour les sacrifier une brebis et une chèvre. Le sultan ne les accompagne pas.
En arrivant au sommet de Ha-kobe, les neveux immolent la brebis et la chèvre sur une pierre. Puis la sur aînée et la première femme du sultan font des onctions de beurre et de farine sur les rochers et déposent en offrande quelques grains de mil. Un des neveux invoque la divinité et lui demande la pluie et la prospérité.
Un peu au-dessus de l'emplacement du sacrifice, une ouverture triangulaire s'ouvre dans le rocher. Le ftus est hissé là et précipité dans ce trou.
B. Le sultan du Kapka était consacré par un rituel centré sur le sacrifice d'une chamelle pleine (Tubiana, 1964 : 82 s. ) ;
Au cours d'une période préparatoire,
- le sultan épouse une jeune fille du pays kapka, n'importe laquelle à condition qu'elle soit belle (d'un
sultan légendaire on rapporte : "Chaque fois qu'il entendait dire d'une fille du Kapka qu'elle était belle, il l'épousait".)
- on tue un taureau gris dans le village. Il semble que ce soit le sultan lui-même qui égorge l'animal.
La peau sert à recouvrir les timbales royales.
La bête destinée au sacrifice est une chamelle pleine. Sur sa tête on a mis des plumes d'autruche blanches et noires ; autour de son cou, une bande de gabak (étroite bande de coton blanche tissée par les indigènes) pour la guider. (Après le sacrifice, le sultan conservera les plumes d'autruche et le neveu utérin qui a conduit la chamelle à l'endroit du sacrifice la bande de gabak pour s'en faire un turban.)
Les membres du clan royal ne doivent pas gravir les pentes de la montagne où se tient le sacrifice.
Un homme d'un certain clan tient la queue de l'animal.
Pendant ce temps, la jeune épouse du sultan, une plume d'autruche blanche sur la tête et une bande de gabak enroulée autour de la taille, se retire dans une habitation.
La chamelle est sacrifiée par le sultan et quatre ou cinq de ses neveux utérins qui tiennent la hampe de la lance derrière lui. La prière que l'on récite s'adresse au génie qui habite la montagne.
Immédiatement après le sacrifice, le sultan trempe le bout de ses pieds et de ses mains dans le sang répandu ; les neveux qui ont participé au sacrifice font de même.
Le sultan mange le premier de la bête sacrifiée. Le ftus est jeté dans un trou. Il est destiné au génie de la montagne ("un serpent", "notre ancêtre"). Ce serpent est blanc ; il porte sur la tête deux plumes d'autruche blanches.
(On peut considérer que le rituel ici rapporté met en uvre :
une équivalence symbolique :
- entre la jeune épouse, la chamelle gravide et le génie de la fécondité (l'épouse et la chamelle sont toutes deux parées de plumes d'autruche et d'une bande da gabak ; le génie porte deux plumes d'autruche sur la tête - rituel B) ;
- entre l'intronisation et le sacrifice de la chamelle (tremper le pied dans le sang de la chamelle sacrifiée permettrait à tout homme du clan royal de se faire reconnaître comme chef - A et B) ;
- entre l'acte d'épouser, de sacrifier une femelle gravide et de prendre possession de la terre.
un sacrifice qui redouble et subsume la division politico-religieuse de la société (rôle des neveux utérins qui représentent les clans de la terre A et B; partage de l'animal - A et B).
une définition du chef comme l'unique (tous les membres de son clan sont exclus du sacrifice - A et B) en charge de la génération (les femmes qui l'accompagnent ne doivent être ni enceintes ni en période d'allaitement - A; l'épouse n'est pas visible pendant le sacrifice - B).
une définition de la souveraineté comme la résultante d'une alliance, scellée par mariage et sacrifice, entre un clan royal et des clans de la terre - A et B; clan royal étranger - A.)
C. Chez les Kigé, "l'intronisation du chef s'accompagne du sacrifice d'une chèvre blanche et d'une brebis grise, pleines d'un ou deux mois, ainsi que d'une vache rouge", à l'intérieur d'un enclos_ spécialement construit. On couche la vache sur le sol et on lui attache les pattes, "le chef s'approche de la vache en imitant un lion". Lorsqu'il est à proximité d'elle, il la frappe sur le dos; elle meugle et les assistants crient pour effrayer le "lion". Le chef prend son couteau et égorge l'animal. Il marche dans le sang. "Les femmes, qui n'ont pas le droit de pénétrer à l'intérieur de l'enclos, poussent des you-yous" (Tubiana, 1964 : 91-92).
- Le rituel de consécration du roi indien comportait le sacrifice d'une vache pleine (astâpadi : vache à huit pattes) décrit et explicité comme suit par les liturgistes des Satapatha-Brâhmana (V , 5, 2, 8-10) :
"8. Alors ils saisissent une vache rousse manifestement pleine en offrande à Aditi (mère des dieux Aditya). La procédure est la même que celle suivie pour la vache à huit pattes présumée stérile. (Cette procédure consiste notamment à mettre en scène une naissance : "Le prêtre dit : Tire cet embryon ! Autrement, il ne l'aurait pas arraché à la matrice, l'extraction serait de celle qu'on opère sur une femelle malade ou morte ; mais quand l'embryon est arrivé à terme, c'est par naissance qu'il sort... Quand il est extrait, il dit : Que l'embryon de dix mois remue avec la coiffe... en disant : qu'il se meuve ! il lui communique le souffle... Comme un veau de dix mois, il peut sortir avec la coiffe" (S. Br. IV, 5, 2 , 3). Aditi étant cette terre, par là, l'officiant fait du roi l'embryon de cette terre".
9. Alors ils prennent une vache tachetée, manifestement pleine, en offrande aux Maruts... Les Maruts étant les clans (visah) , par là, l'officiant fait du roi l'embryon des clans...
10. Ces deux victimes animales sont offertes d'une manière différente par certains. Celle qui est saisie pour Aditi, ils la saisissent pour les Aditya ; les Aditya étant le Tout, l'officiant fait du roi l'embryon du Tout. Et celle qui est saisie pour les Maruts, ils la saisissent pour Tous-les-dieux, ceux-ci étant le Tout, par là, l'officiant fait du roi l'embryon du Tout."
1. 3- Inceste
L'inceste est une propriété formelle des commencements.
Dzugudini, première reine des Lovedu, "par la vertu de son inceste" fit surgir un peuple nouveau (Krige and Krige, 1943 : 6). Tè Agbanlin, premier roi du Dahomey (1688-1729) commettait l'inceste avec sa sur (Akindelé et Aguessy, 1953 : 26). Des relations incestueuses de Naba Oubry, fondateur de la dynastie de Ouaga, et de sa fille naquit Gning'nemdo qui succéda à son père. "Gning'nemdo" signifie : "chair de la chair" (Pageard, 1965 : 22-23).
Union de soi avec soi, retour à la source, reprise de l'origine la descendance incestueuse réalise une "ascendance" : à Hawaï, les chefs incestueux, eux-mêmes nés d'inceste, étaient considérés comme des dieux vivants parmi les hommes (Beckwith, 1951 : 12-13) ; le Zend Avesta préconise les mariages consanguins dans le but d'accentuer la ressemblance des souverains avec la divinité (Darmesteter, 1891 : 336-375), "en Perse, écrit Philon d'Alexandrie, les grands épousent leur mère et on regarde les enfants nés de ces unions comme les plus nobles et on dit qu'ils seraient dignes du trône" l'inceste institutionnel serait la répétition d'une fondation originaire. Acte de prise en charge du sol et fondation politique. Plusieurs cosmologies assignent à l'inceste la reconstitution d'une gémellité primordiale. L'appropriation incestueuse de la valence maternelle est alors forme et condition de l'investiture. Une version primitive du mythe d'dipe montre celui-ci régnant "sans histoires" sur Thèbes après parricide et inceste. (Robert, 1915 : 115) Dans l'Odyssée, Epicaste se pend et dipe règne seul.
Maternel, adelphique, semi-adelphique, symbolique, déplacé ou réel, l'inceste semble, en effet, lié à la nature même du sacerdoce royal.
- Le chef religieux des Dogons "passe pour devoir s'unir à sa mère... Il reste en relation avec elle, la nourrit, mais par l'intermédiaire de ses surs à lui, lesquelles sont à la fois ses filles, puisqu'il est le pseudo-mari de leur mère, et ses épouses, car elles sont comme des jumelles auquel il devrait être uni selon le mythe" (Griaule,1954 : 45).
- Chez les Swazi, le roi et sa mère sont appelés "les jumeaux" (Kuper, 1952 : 35). La cérémonie de régénération annuelle de la royauté, l'Incwala, comporte, selon Schoeman (1935, 109-175), un rapprochement rituel du roi et de sa mère.
Le roi appelle sa première épouse rituelle "Mère". "Les Swazi modernes disent : Nous sommes comme les Temba ; leurs rois, de même que les nôtres, épousent leur surs" (Kuper, 1947 : 12).
Un mythe d'inceste royal (Id. ibid. : 237) conte l'histoire du fils d'une jeune reine ayant fui la cour pour échapper à la vindicte paternelle. A la mort de son père, il revient chez sa mère, et, après avoir eu des relations sexuelles avec une jeune fille qui se trouve être sa sur, devient roi. L'Incwala dramatise ce mythe en représentant l'opposition entre le roi et les hommes de son clan, opposition qui induit un rituel incestueux destiné à produire une "puissante médecine de fertilité."
Masque Swazi
- D'après Verhulpen (1936 : 183-184), le chef baluba avait des relations sexuelles avec sa mère et
avec ses soeurs.
- Chez les Chamba, la première femme du royaume pouvait être la sur ou la tante du roi. (Meek, 1931 b, I :335)
- Chez les Shona, la première épouse du roi était toujours choisie parmi ses propres surs (Schebesta, 1926 : 491).
- Chez les Yoruba, la première épouse du roi est sa sur; c'est elle qui couronne le roi (Johnson, 1921 :
63 ; Frobenius, 1949 : 174).
- Chez les Lunda, "le rituel d'investiture du chef comporte essentiellement comme condition sine qua non un rapport incestueux avec sa propre sur (de même père et de même mère) avant que l'anneau cheffal lui soit passé au bras. Si cet acte n'est pas commis, le bracelet cheffal fait de nerfs ou de tendons humains, que le devin chargé du rite d'investiture lance sur le bras du chef, tombera à terre ou s'arrêtera sur les doigts, sans arriver au poignet marquant ainsi l'incapacité du candidat." (De Sousberghe,1955-6 : 937-938)
- Chez les Bushong, "Peu après son couronnement, [le chef] doit avoir des relations sexuelles avec sa sur ou sa demi-sur, et par la suite, il se mariera à une des petites filles de ses surs". (Vansina, 1964 :111)
- Chez les Lele, l'investiture repose sur la répétition de l'inceste commis par le héros mythique. (Douglas, 1954:189)
- Chez les Shilluk, le roi, incarnation du héros mythique, doit épouser une demi-sur paternelle (Irstam, 1944 :167, citant Hofmayr).
- Chez les Banyankole, la reine était une demi-sur du roi. (Roscoe,1923 b : 58)
-Chez les Baganda, après son élection, le roi devait épouser une demi-sur. (Roscoe,1911 : 84)
- Chez les Thonga, le chef épouse une nièce de sa mère (Junod,1936,1 : 361).
- D'après Theeuws (1960 : 168 s.), au cours de l'intronisation, le chef luba est enfermé dans une case spécialement construite avec sa nièce et son neveu, "étendu entre eux" ; "pendant quatre jours, ils resteront isolés de la communauté", "l'endroit est strictement tabou pour les femmes". Pendant ces quatre jours, l'oncle maternel du candidat fait fonction de "mère du chef" . Il porte le collier lukula autour de la poitrine, comme une femme enceinte ou une femme préparant le repas du chef. A l'intérieur de la case, le chef doit avoir des rapports sexuels avec sa nièce.
Par la prise de possession de la nièce, qui porte un titre "réservé aux femmes qui sont en rapport avec les grands esprits du pays", (alors qu'elle n'est qu'une femme de son propre clan ?) le chef (étranger) prend possession de la terre. Le motif incestueux recouvre ici une réalité politique : la domination des envahisseurs luba sur les premiers occupants. L'inceste "autorise" l'appropriation du sol. Le chef de terre local paie tribut à l'occasion de l'installation du chef luba et, selon Burton (1961 : 21 s.), un village vassal était alors anéanti.
2. Le roi et sa parenté mâle
L'inceste avec la mère (ou une homologue), son sacrifice (ou sa mise à l'écart), le sacrifice d'une femelle gravide, tels que mis en scène dans les rites d'intronisation, apparaissent comme des formes d'appropriation de la génération : le roi devient sa propre origine et peut devenir l'origine des origines. Par le meurtre ou la disqualification des collatéraux et de certains affins (ceux que le système familial regarde comme des ayants droit sur la mère ou la sur), il est posé que le roi, origine sans origine, n'a ni supérieur, ni semblable, ni concurrent.
2.1. - Le thème mythique et littéraire de la succession, tel qu'il apparaît dans l'histoire d'dipe, marque l'opposition du fils, du père et de l'oncle maternel (Robert, 1915, passim).
- Au Ruanda, d'après Sandrart (1959, I : 54), le roi égorgeait un de ses oncles maternels lors de son accession au tambour.
- Chez les Shilluk, le mythe d'origine fait état de la lutte qui oppose le premier roi à ses oncles maternels. (Hofmayr, 1925 : 147 s.)
- Au Bénin, on raconte qu'Oriniyan, le fils de l'Oni d'Ifé, venu à la demande des notables pour faire régner la paix n'avait pas réussi dans cette entreprise et ne supportait pas l'"odeur de l'endroit". "Aussi décida-t-il de repartir à Ifé, laissant son fils tout petit à sa mère et au clan de celle-ci. Eweka fut très jeune intronisé roi... Une des grandes fêtes annuelles devait avoir lieu. Eweka désirait que son grand-père maternel y apparût habillé de l'égbêlé (sorte de tablier cérémoniel) et le lui fit dire; mais le jeune roi, ignorant les nuances de la langue, prononça le mot jêbèlé, qui signifie se suicider. L'intéressé se conforma aux instructions du roi" (Palau Marti, 1964 : 73).
Tête dite de l'Oni Obalufon 1er (Bristih Museum)
Tête dite de l'usurpateur Lajuwa (Coll. d'Ifé)
"Bénin, cinq siècles d'art royal", exposition du Musée du quai Branly (oct. 2007 - janv. 2008)
- Le fondateur de la dynastie des Nupe, Tsoede, fut aussi l'initiateur des sacrifices humains. La première victime fut son oncle maternel (Nadel, 1971 : 130).
Nupe
Masque. H. 65,5 cm (Frobenius, 1911 à Mokwa) British Museum
2.2. - Chez les Bushong, la devise du roi proclame : "Tous les animaux chassent en bande, le léopard chasse seul". Le jour du couronnement, un dignitaire s'adresse à l'élu : "Toi seul, tu es roi, que tes parents s'en aillent. Tu étais du clan de ta mère, maintenant tu es ton clan à toi. Tue ton frère ; tue ta mère". (Celle-ci doit alors épouser plusieurs hommes " afin que le père du roi ne soit qu'un mari parmi d'autres"). "Le successeur est normalement l'homme le plus âgé du lignage royal ; il doit être en même temps l'aîné généalogique du lignage. S'il y a conflit entre ces deux principes, on choisit l'homme le plus avancé en âge. L'aîné généalogique moins âgé doit se pendre dans une case spéciale. Mais le conseil peut refuser de reconnaître le successeur immédiat et nommer une personne plus capable pourvu qu'elle appartienne au lignage royal. Dans ce cas, tous les hommes plus âgés et les aînés du lignage doivent être supprimés". (Vansina,19-64 : 111, 11).
- Chez les Sukuma, on demande au chef lors de la cérémonie d'investiture : "Pourrais-tu tuer ton père ?" le chef répond : "Je le pourrais" ; "Ta mère ? Ton frère aîné ? Ta soeur ?". A chaque question, le chef répond : "Je le pourrais" (Cory, 1951 : 25).
- Une devise du roi d'Oyo proclame : "Personne ne peut être roi tant que son père est vivant" (Palau Marti, 1964 : 225).
- Chez les Jukun , on disait au roi : "Tu n'as ni père ni mère, mais tu es le père de tous". "Jadis, les parents du roi étaient mis à mort le jour même de l'élection de leur fils". (Meek, 1931 a :137)
- Au Nkole, "Le roi est comme le chef des taureaux. Lorsque l'engundu est battu par un taureau plus jeune, nous tuons l'engundu et nous laissons le plus fort des jeunes taureaux prendre sa place". Ce sont les femmes du souverain qui sont chargées d'observer, avec les notables, les premiers signes de la décrépitude du roi. Les fils du roi qui briguaient la succession se battaient jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul survivant. (Oberg, 1964 : 137).
- Au Bénin, "un des premiers soins du roi est de pourvoir à la sûreté de sa personne et de ses états en se défaisant de ses frères. Et comme il n'est pas permis de mettre la main sur les princes de sang, on dit que le roi les contraint à se pendre eux-mêmes, et qu'après cela il les fait enterrer avec beaucoup de pompe"
(Dapper, 1686 : 312-313).
Chez les Luba, "jusqu'à une époque récente, aucun chef n'était reconnu avant d'avoir tué tous ses frères". (Burton,1961: 20)
- Chez le Lele, "un jeune chef est censé tuer tous ses frères de clan à chacun des rites de transition de son adolescence". (Douglas,1954 : 200).
- Au Baguirmi, les frères du souverain étaient éborgnés (Nachtigal,1880 : 328).
2.3. - Nihonshoki (XI) rapporte : "Jadis, à la Cour impériale, l'empereur Honda, sans tenir compte du prince aîné, fit du prince puîné son héritier. L'empereur disparu, aucun des deux frères, chacun le cédant à l'autre, ne monta sur le trône. Trois années s'étaient même écoulées sans qu'il fut possible d'en finir, quand le prince Uji, profondément affecté déclara : "Comment? vivant longtemps encore, puis-je semer le trouble dans l'Empire ?" Et, de lui-même, il trancha le fil de ses jours; c'est ainsi que, ne pouvant- plus se récuser, le prince aîné accéda au trône."
- En Chine, un proverbe disait : "II n'y a qu'un soleil au ciel et qu'un souverain sur terre". L'époque particulièrement trouble où trois Fils du Ciel régnèrent en même temps (220-280) fut précédée d'une série de cataclysmes et de phénomènes anormaux. "La terre se mit à trembler à Lo-Yang. Un raz-de-marée formidable ravagea les côtes... La première année du règne de Kouang-Louo fut marquée par des changements de sexe de coqs en poules... Une éclipse de soleil s'étant produite, les confucianistes y virent une entreprise du Yin, principe féminin, contre le principe solaire et mâle impérial yang, et ils adressèrent une demande à la régente pour que les eunuques fussent supprimés et le harem évacué". (Chronique des Trois Royaumes)
3.1. Le couple royal et la fécondité du royaume
Tous les systèmes considérés mettent en rapport l'union rituelle du couple royal et la fécondité cosmique.
- On dit chez les Yoruba que ce sont les unions incestueuses, à l'instar de celle dont devait naître Shango, le dieu de la pluie, qui ont le pouvoir de faire pleuvoir. (Frobenius, 1949 : 204-205)
- En Urundi, le roi naissait avec les graines de toutes les plantes du pays dans les mains. (Meyer, 1916 : 91)
- Chez les Jukun, les sujets d'un nouveau roi se jettent à terre devant leur souverain [...] et s'écrient : "nos récoltes", "notre pluie", "notre santé", "notre richesse". Une part des graines royales moissonnées pendant le festival annuel est semée cérémoniellement par la reine. Les notables sont autorisés à mélanger quelques graines des semences royales aux leurs. (Meek, 1931 a : 137, 146)
- Au Nyoro, le deuxième jour de la cérémonie d'habilitation, le roi visite toutes les maisons de l'enclos royal et voit toutes ses épouses ; chacune lui fait don d'une vache et d'un veau... Quand il arrive à une maison liée au fondateur de la dynastie, on lui donne du mil, des haricots, des grains de sésame qu'il jette en direction des quatre points cardinaux. (Roscoe, 1923 : 133)
L'installation de la reine (la demi-sur du roi) comporte la cérémonie suivante. La reine est officiellement escortée jusqu'à la salle du trône où siège le roi. "Une vache et un veau provenant de l'ancienne maison de la reine sont présentés à la porte et (un notable) les désignant au roi dit : "La reine est venue demander pour les mains", en utilisant le nouveau titre de la reine. (La permission d'embrasser les mains du roi était un symbole de la confirmation dans la charge...) Le roi, jetant un regard sur la vache et le veau étendait les deux mains, paumes retournées, et la reine, s'agenouillant, les prenait et les baisait". "Six mois après son installation, elle devait boire céremoniellement le lait sacré ; à cette occasion, elle amenait une vache et un veau en présent au roi. Un notable, les montrant au roi, disait alors que la reine était là et demandait à boire le lait... Quand elle avait bu, le roi lui présentait les mains, elle s'agenouillait et les baisait ; elle était maintenant pleinement en charge de son office" (Id. ibid. : 138-139).
- Chez les Pende, "le chef ne peut avoir aucun rapport sexuel hors de la chefferie... S'il s'absentait pendant la germination du mil, on dirait : "II a été porter notre semence dans un autre village" (De Sousberghe, 1963 : 54-55)
- Chez les Bushong, "les relations incestueuses du roi sont destinées à rehausser son pouvoir fécondateur". Le roi représente Woot, l'ancêtre dispensateur de la fertilité. Celui-ci commit l'inceste avec sa sur ; ses neuf fils ont créé les plaines, les collines, les rivières, les forêts et les rochers. Woot a donné aux hommes les techniques et les métiers. (Vansina,1964 : 99)
- On dit chez les Kotoko : "Si tu "pêches parce que tu as faim prononce son nom. Si tu le vois, ta faim
est morte". (Lebeuf,1969 :124)
- Chez les Moundang, quand une femme stérile met au monde un enfant : "Elle rit. Elle a beaucoup pleuré devant le roi et le roi a fait qu'elle a eu des enfants" (Adler,1982 : 279).
3.2. Stérilité de la première union royale
Condition remarquable de la première union royale, draconienne sinon dirimante : elle doit rester stérile.
- Chez les Kotoko, "le mariage de la première femme est frappé de stérilité... et , si besoin est, des plantes abortives sont mêlées à sa nourriture". (Lebeuf, 1969 : 127)
- Chez les Moundang, "une règle voulait que la reine demeurât stérile. Les Anciens racontent qu'en cas d'accident un esclave avait le devoir de tuer le nouveau-né, mais qu'en général, on recourait plutôt à des pratiques abortives" (Adler, 1982 : 318-319).
- Chez les Banyoro, "il était de coutume que la reine n'enfante pas [...] se trouvait-elle enceinte, elle devait prendre des drogues abortives" (Roscoe,1923 a : 140-141).
- Chez les Baganda, la demi-sur du roi, son épouse, doit rester stérile sous peine de mort (Roscoe, 1911 : 84).
- Chez les Jukun : - le personnage féminin, "contrepartie femelle du roi", dont on parle comme la "femme du roi", "n'a pas de relations sexuelles avec le roi [...] et doit s'abstenir de tout rapport sexuel au risque d'anéantir les récoltes"; - la "soeur officielle" du roi doit être ménauposée ; - l'"épouse principale" du roi n'a de relations sexuelles avec le roi que la nuit du couronnement (Meek,1931 a : 340-341)
(La stérilité de la première union royale, généralement de nature incestueuse, porte une conséquence institutionnelle immédiate : l'héritier du trône sera, en quelque façon, l'homme d'un clan non-royal qui se rapproche ainsi du gouvernement. Le "face à face" du roi et de sa soeur, du roi et de sa mère l'un et son double, l'un et son origine à la faveur duquel le roi deviendrait lui-même "embryon du monde" selon l'expression des Satapatha-Brâhmana, et pivot du monde est la figure d'une reprise ordonnée du bourgeonnement de la création. En tant que forme du pouvoir cosmique et politique le trône est moyen du pouvoir. C'est la relation de deux types de mariage que la royauté sacrée donne à comprendre: un mariage rituel, généralement incestueux et stérile d'une part (quand tel n'est pas le cas, les fils du couple rituel sont exclus de la succession) ; des mariages politiques et féconds d'autre part. Le premier mariage définit le couple royal proprement dit, le second en rapproche contractuellement les clans dans lesquels le roi prend femme. )
3.3. La mère, la soeur, l'épouse. Le roi
-Chez les Kotoko, "trois femmes jouent dans l'organisation traditionnelle un rôle prépondérant auprès du Prince, la Gumsu, sa première épouse, la Magira, sa propre mère et la Rolanduma, sa soeur aînée ou la soeur de son père... Les Kotoko confèrent le titre honorifique de Immu qui signifie littéralement "les mères" à toutes les épouses du Prince régnant et à celles de ses prédécesseurs dont la plupart... continuent à vivre dans sa demeure. (Lebeuf, 1969 : 126)
La première épouse est associée à "une étoile appelée Manduma (litt. "mère grande") (Id. ibid. : 129), elle symbolise la terre des premiers occupants du sol.
"La Gumsu est la première femme du pays [...] Miarre (chef) des femmes dit-on à Logone-Birni [...] sur épouse ou fille épouse [...] sa principale fonction est d'être entièrement à. la disposition du Prince. Installée dans des appartements particuliers au centre de sa résidence, à l'écart du quartier réservé aux autres épouses et face à sa propre chambre à coucher, elle y demeure presque en permanence pour ne pas manquer la visite que ce dernier peut lui rendre dès qu'il le désire... (Mais son mariage est frappé de stérilité" (Id. ibid. : 127-128 ).
Comme sa fonction, le titre de la Magira, mère du roi, "est entièrement lié à celui de son fils, c'est l'intronisation de ce dernier qui le lui donne et s'il meurt avant elle, elle perd ses privilèges". Autrefois, (supra),elle était mise à mort le jour de l'intronisation. "Aujourd'hui, la Magira est tenue de quitter la résidence princière dès la nomination de son fils" (Id. ibid. : 131).
- En Urundi, un prince n'est éligible qu'à une double condition : il ne peut pas être marié et sa mère doit être en vie. Un proverbe dit qu'un orphelin ne règne pas. (Meyer, 1916 : 91, 189).
- Au Bénin, écrit Dapper (1686 : 312), le roi "honore extrêmement sa mère; il ne se fait rien de considérable qu'on ne prenne son avis. Cependant, en vertu de je ne sais quelle loi, il ne leur est pas permis de se voir." Si la mère meurt, son fils étant encore prince héritier, on embaume le cadavre afin de le conserver ; devenu roi, l'héritier intronise sa mère en la personne de son cadavre ; puis le cadavre est enterré à nouveau avec les honneurs funéraires dus à la mère du roi.
- A Porto-Novo, "La mère du roi était très honorée [...] Elle était la dépositaire du siège royal. Elle était considérée elle-même comme le siège du roi, ainsi qu'en témoigne la phrase qui annonçait sa mort: "le siège du roi s'est renversé". (Palau Marti, 1964 : 132) (En Egypte, le trône était considéré comme la mère du souverain. - Frankfort, 1948 : 43).
- Au Nyoro, quand s'ouvre la succession, une lutte à mort s'engage entre les fils du défunt roi qui prétendent au trône. "Avant le combat, chaque prétendant va chercher sa mère parmi les veuves du roi et la conduit en un endroit secret à la garde de quelque chef [...] Avant la proclamation du nouveau roi, les mères des princes vaincus étaient mises à mort sur l'ordre de la mère du vainqueur" (Roscoe, 1923 a : 146). La porte principale de l'enclos de la mère du roi, construit à un ou deux milles de l'enclos royal, s'ouvrait en direction de celui-ci. Elle portait une amulette garantissant longue vie à son fils. Elle possédait un tambour spécial dont le battement disait : "Elle n'a nul besoin d'appeler les dieux, son fils est roi". On la saluait d'un "Que sont les hommes ? Tu es la mère de Dieu!" Elle ne pouvait plus jamais revoir son fils et elle était censée mener une vie chaste." (Id. ibid. : 146 ) .
"Un prince qui devenait roi était toujours marié avant d'accéder au trône, mais son épouse favorite ne pouvait devenir reine, ce rôle ne pouvait être tenu que par une princesse, une demi-sur" (Id. ibid. : 136). "Le jour du couronnement, le roi désignait deux femmes de son clan maternel qu'il appelait ses "petites mères" pour prendre soin de la couronne. Elles étaient les gardiennes ; elles avaient le dépôt des rognures d'ongle et des mèches de cheveux du roi [...] conservés dans un panier spécial avec son cordon ombilical, sa première dent et les six dents extraites lors de l'initiation [...] C'étaient les épouses officielles du roi, mais elles ne pouvaient avoir d'enfant et le roi les appelait rarement dans sa couche ; si l'un d'elles tombait enceinte, elle était contrainte d'avorter" (Id. ibid. : 1231-132).
- Au Ganda, immédiatement après l'élection du roi, on allait chercher sa mère parmi les veuves du défunt souverain. C'était un personnage sacré. Elle avait ses propres domaines et sa propre juridiction. Il lui était loisible d'avoir autant d'amants qu'elle le voulait, mais elle ne pouvait," sous peine de mort, avoir d'enfants. (Roscoe,1911:105). "Survivait-elle au roi, sa position devenait très modeste, on lui laissait juste assez de terre pour vivre avec un minimum de confort." (Roscoe,1902 : 67)
Biface Ekoi (Nigeria)
- Au Nkole, "chaque prince était aidé, dans sa lutte pour le trône, par sa mère et ses soeurs qui pratiquaient la magie contre ses ennemis et le protégeaient des esprits des ennemis tués". (Oberg, 1964 : 137)
- Chez les Moundang, le nom de la première épouse du roi signifie "mère de l'enclos royal"; c'est par elle que règne le roi: "Quel qu'ait été du temps qu'il n'était que prince le nombre de ses épouses, qu'elles lui aient ou non donné des enfants, le roi n'est mari et n ' a d'héritiers légitimes que lorsque sa mah-mor-yã a été installée dans son palais". (Ce mariage est légalement frappé de stérilité.) (Adler,1982 : 318)
- Chez les Swazi, on dit qu'"un chef règne par sa mère", "bien que le pouvoir se transmette en ligne paternelle" (Kuper,1947 : 88). "Le roi et sa mère sont responsables de la loi et de l'ordre dans le royaume". "Il existe entre eux un subtil équilibre de pouvoir, tant au plan légal, économique que rituel [...] En toute activité, ils se doivent assistance et conseil". "Chaque roi réside dans une capitale qui lui est propre et sa mère dans la capitale de son défunt roi. Cette séparation de rigueur a pour effet de limiter [leurs] contacts." "Un conflit entre eux mettrait le royaume en péril". (Kuper, 1952 : 35) "Bien que la structure politique mette en avant les agnats mâles du roi, les proches parents de la reine mère jouent un rôle influent dans la conduite des affaires nationales. Ses frères, les 'mères mâles' du roi, se voient attribuer des fonctions dans le gouvernement du pays" (Kuper, 1963 : 32) . "Le roi est associé à la dureté du tonnerre, la reine-mère à la douceur de l'eau [...]" "Le souverain est revitalisé par la cérémonie annuelle de la royauté qui se tient dans la demeure de la reine-mère" (Id. ibid. : 32). Au cours de cette cérémonie, dont plusieurs phases sont couvertes par le secret (Id. ibid.: 69), un rapprochement rituel aurait lieu entre -le roi et sa mère.Les souverains sont identifiés à la lune et au soleil. C'est probablement là l'exemple le plus explicite, dans les royaumes africains, du "mariage astronomique".
La première épouse du roi, "épouse de la main droite", demi-sur ou cousine du roi, au "difficile devoir", est réunie au roi par une cérémonie de consanguinité rituelle. "Elle entre avec le roi dans le harem [...] Les docteurs nationaux lui font des incisions sur le côté droit, de même qu'au roi et mélangent leur sang. Le roi crache une puissante médecine de fertilité par les trous pratiqués dans les murs de la hutte rituelle et accomplit un acte symbolique de l'élévation de son statut et de sa virilité. Dès lors, la Matsebula (c'est le nom du clan auquel elle appartient) est considérée comme une part de lui-même ; il est tenu de la traiter avec respect et de lui parler avec équanimité ; il l'appelle "Mère" (Kuper, 1947 : 81). Ni la première épouse ni la seconde ne donnent naissance à l'héritier. (De même, dans les familles de haut rang, la première épouse a une fonction essentiellement rituelle, elle ne donne pas naissance à l'héritier principal) (Id. ibid. : 91).
suite de la page 3.4 : 3.41
Plan du chapitre :
I - 3.1 Introduction
I - 3.2 Léquilibre des pouvoirs
I - 3.3 La machinerie constitutionnelle
I - 3.4 Le rituel et le politique (1)
I - 3.41 Le rituel et le politique (2)
I - 3.42 Le rituel et le politique (3)
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