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I - 5.02
Comme le maïs et à la différence du sorgho, du riz ou du blé, par exemple, qui se reproduisent normalement ou majoritairement par autofécondation, le mil a, en effet, un mode de reproduction croisé : le pollen dune plante va féconder les ovules dune autre plante. Dans les zones géographiques où le mil est domestiqué, les plantes cultivées coexistent souvent avec les populations naturelles. Cette situation de contact explique que le pollen du mil sauvage puisse venir féconder le mil cultivé .
Dans ses Ressources végétales du Sahara et de ses confins nord et sud, Auguste Chevalier (1932 : 88-89) note que dans les champs du Sénégal où on cultive le Pénicillaire, on rencontre, mélangé à la céréale, un Pennisetum sauvage qui ressemble beaucoup au P. americanum par sa taille et son grand épi, mais qui ne donne quun grain sans valeur. Les indigènes nomment cette plante Diember ou Diembou (wolof), Guimbou (toucouleur), Guimb (sonraï). Un autre Pennisetum qui croît sur la lisière des champs des Pénicellaires est encore plus proche du Mil chandelle. Cest le Déguerem des Wolofs. Il a les épis plumeux blanc-jaunâtres ou violacés. Cest le P. Perrottetii K. Schum. Nous le considérons comme une forme récessive de P. americanum ou un hybride de cette espèce avec quelque Pennisetum spontané. Les indigènes disent que cette plante sauvage est la Fille du Mil chandelle.
Lautofécondation du blé, par exemple, se réalise du fait que les étamines, organes mâles de la fleur (qui produisent le pollen) et lovaire (qui produit les ovules) sont disposés de telle sorte que la fécondation seffectue en milieu fermé. (Toutefois, quand lautofécondation ne se produit pas, lenveloppe de la fleur sécarte, ovaires et stigmates deviennent ainsi accessibles au pollen étranger ; cette fécondation croisée du blé est exceptionnelle en climat tempéré). Lautogamie aboutit à la stabilité des caractères en quelques générations, le matériel génétique de la plante étant alors formé de deux copies identiques, lune héritée du pollen, lautre héritée de la plante mère.
Il en va tout autrement pour le mil, espèce allogame où le brassage est la règle. Le paysan africain sait parfaitement identifier les plants hybrides (le principe de lallopollinisation nétant pas perçu par lagriculteur traditionnel) issus des croisements avec les populations naturelles dont nous venons de faire état. Ces formes primitives ou sauvages que la sélection a domestiquées sont parfois neutralisées au moment de la floraison, avant quelles ne produisent leur fruit. Il est logique que cette sélection se répète au moment du choix des semences .
Pour le maïs, C.L. Johannesen ( Domestication Process of Maize continues in Guatemala , Economic Botany, 1982, 36 (1) : 84-99, New York) a décrit les rites qui entourent la sélection de la semence et sa culture. Le savoir traditionnel mexicain exploite la nature hétérotique du maïs (hétérosis : vigueur hybride dautant plus accusée que les parents sont génétiquement éloignés) en faisant jouer la diversité et lopposition des formes. Ce procès sélectif est supposé répéter ce qui advint, au Xème siècle avant notre ère, quand commença l explosion évolutive du maïs (Wilkes, 1977). Les maïs hybrides, aujourdhui cultivés dans le monde entier, sont dailleurs issus de la rencontre historique entre le maïs dit corné du nord , adopté par les colons qui se sont fixés sur la côte Est de lAmérique au XVIe siècle, et le maïs dit denté du Sud , originaire du centre du Mexique et ayant remonté les rives du Mississipi. Cette rencontre a été provoquée par la migration des colons vers lOuest, à la fin du XIXème siècle. Le maïs corné sest alors hybridé avec le maïs denté dans la région des Grands Lacs. La question est ici celle de la capacité du rituel à conceptualiser et à maîtriser le procès de la domestication : les opérations de sélection massale, dopposition par les formes et les couleurs, disolement reproductif ou dhybridation variétale
Maïs : allogamie (panicule mâle, épi axillaire femelle)
(dessin de Mathias Lobel, 1591)
Mais la relation de la plante sauvage à la plante domestique nest pas à sens unique. En retenant certains caractères utiles, la sélection appauvrit la capacité adaptative ou la capacité de résistance de la plante cultivée, ainsi quil est apparu dramatiquement, aux Etats-Unis par exemple, quand, dans les années 70, le maïs à cytoplasme T, qui constituait 80 % de lensemencement, a été détruit par un champignon parasite. (Cest lintérêt des conservatoires de semences que de permettre, par un stockage approprié, des croisements qui bénéficient des ressources des populations naturelles. La génétique moléculaire découvre d'ailleurs des croisements tout à fait inattendus à l'origine des formes les plus nobles : ainsi les cépages des plus célèbres vignobles français se révèlent-ils issus du croisement par pollinisation du pinot noir, dont sont issus les rouges de Bourgogne, et du gouais, un cépage de basse extraction qui a pratiquement disparu.)
À lopposé du temps court et de luniformisation qui caractérisent lagronomie moderne, la pratique de lagriculteur traditionnel se fonde sur une durée dexpérimentation longue et un savoir empirique qui intègre de nombreuses variables. Dans son manuel de Gestion des ressources génétiques des plantes (1985), Jean Pernès constate, à propos de la culture du mil en Afrique de lOuest lexistence en équilibre avec les formes cultivées de formes spontanées (shibras, ndouls...) contre lesquels certains cultivateurs nopèrent quune sélection douce. Ceci permet sans doute le maintien dans les cultivars de nombreux facteurs de résistance à des contraintes diverses et multiples, dans le contexte de lagriculture traditionnelle. Néanmoins les cultivateurs ont présent à lesprit un type assez précis de leur variété cultivée, reconnaissable pour lessentiel à la chandelle. Aussi conservent-ils, pour la semence uniquement, les chandelles correspondant à ce type, même si elles ont été partiellement pollinisées par les subspontanés qui, eux, ne sont jamais récoltés pour faire la semence [...]. On observe fréquemment, dans les champs traditionnels, les formes sténostachyum (intermédiaires entre cultivées et sauvages). Le comportement des cultivateurs vis-à-vis delles est très varié, certains les arrachent le plus tôt possible, dès quils les distinguent (bien avant la floraison parfois), dautres ne les arrachent quaprès les avoir reconnus à la floraison... Plus les conditions climatiques sont limitées (sécheresse particulièrement), plus les cultivateurs avisés semblent répugner à leur élimination précoce (certains les appellent le père du mil ; dautres : tout petit mil semé par Dieu ). Dans ces zones, les cultivateurs traditionnels experts distinguent même certaines gradations dans leurs degrés de ressemblance avec les formes cultivées. Dans ces mêmes zones, la tolérance vis-à-vis du polymorphisme est remarquable dans les champs de mil. Autour des champs ou dans leur voisinage (un kilomètre est une distance dinterpollinisation effective pour le mil), les formes sauvages ont une floraison généralement très étalée et seulement partiellement synchronisée avec celle des cultivars. À Bambey (Sénégal), ils fleurissent en moyenne plus tard que les Sounas (précoces) et plus tôt que les Sanio (tardifs), ils sont susceptibles de constituer un pont reproductif entre les deux formes cultivées dont les floraisons sont entre elles plus franchement disjointes.
Ces informations, ici retenues pour leur précision, devraient nous convaincre, sil était besoin, même si on ne saurait les transposer dans leur détail et si la relation dAdler ne fait pas mention de considérations agricoles autrement quà travers le propos - récapitulatif et figuré - dune purification de la semence (op. cit. : 360), dune réalité agronomique : savoir que le mode de reproduction du mil impose à lagriculteur, sous le concept de la domestication de la plante, une vigilance particulière et une opération de sélection telles que la circoncision peut en constituer le modèle et le répondant.
Présentant le calendrier rituel des Moundang - un calendrier agricole - Adler écrit que létude de lagriculture des Moundang est hors de [son] propos (333-334). Lexécution de ce programme offre peu de prise à la vérification de lhypothèse ici présentée. Lappellation mil , on le sait, est tout à fait imprécise, puisquelle désigne à la fois les Sorghos ( gros mil ) et les Pénicillaires ( petit mil ) ou mil chandelle. Découvreur du pays moundang, le commandant Lenfant écrit, en 1905, quon y cultive cinq sortes de mil, qui pousse à profusion , dont deux espèces de petit mil, le douri et le mouri, semés aux dernières pluies et récolté deux mois après (Lenfant, 1905 : 114-115). Mais il ne suffit pas que la culture du Pénicillaire soit attestée chez les Moundang (le dessin dû à un enfant de Léré, auquel il a été fait allusion plus haut, représentant le transport de la gerbe, sil est possible dy reconnaître les panicules en cause, et le moment de la récolte constitueraient, dans la relation dAdler, deux indices à cet égard) pour que lhypothèse ait sens. Pour que les opérations imputées soient possibles, il faut, bien entendu, quil existe des populations de mil sauvage à proximité des cultures : une situation dallopollinisation justifiant la répétition dune sélection originelle . On notera dans ce sens que, dans sa Végétation du Tchad (1970), Pias signale la présence de P. purpureum dans le tapis graminéen de la zone concernée, que Malzy (1955) en relève lutilisation fourragère parmi trois autres espèces sauvages, que Chevalier (1932) voit dans P. mollissimum une espèce fréquente dans la zone sahélienne , avec P. setosum et P. purpureum et quAdler fait ailleurs mention dune herbe coupée pendant le mois des grosses pluies (juillet-août) dénommée
le mil de léléphant , sworbalé, quon peut vraisemblablement reconnaître comme P. purpureum (vivace et rhizomateux) couramment dénommé sissongo (daprès le douala esosongo) ou
herbe à éléphant.
Pennisetum purpureum (avec les barbes caractéristiques de son épi)
Pennisetum purpureum, Herbe à éléphant (Napier grass)
La plante domestiquée résulte de la sélection et de la préservation dun certain nombre de caractères utiles. Sans entrer dans le détail de ce que les généticiens nomment le syndrome de la domestication, il est un caractère qui apparaît immédiatement quand on met côte à côte une graminée sauvage et une graminée cultivée. Chez cette dernière en effet, les dispositifs qui permettent la dispersion des graines parvenues à maturité ont disparu en raison de inverse de la concentration et du nombre des graines sur lépi.
Pennisetum alopecuroides
Cest probablement laspect souvent floconneux de la céréale sauvage, ainsi que sa pauvreté en graines, qui lui valent ce même qualificatif de folie que lui attribuent de nombreux agriculteurs. Dans les campagnes dEurope, on nomme avoine folle (Avena fatua) une plante dont les grains diffèrent peu de ceux de lavoine cultivée (Avena eliator), mais dont la pousse anarchique et peu productive est à lopposé du syndrome de la domestication. (Les Bambara appellent bana-bana vagabond, le mil qui repousse spontanément : bana signifiant maladie, perte du principe ba - information due à M. Youssouf Cissé ; une autre conception, souvent attestée, est celle de la capture de lâme du mil, quand la germination tarde ou quand le grain est vide.) Beaucoup plus haut, plus fort sur tige que celui de lavoine domestique, lépi ne porte que quelques graines éparses. Contrairement à ce que lon pourrait croire, il ny a pas nécessairement de différence significative quant à la teneur en protéine de réserve entre la graine naturelle et la graine cultivée . Le sens de la domestication est dabord autre. La petitesse de la graine constituant, toutefois, un avantage sélectif dans les conditions naturelles. La qualité gustative nest pas, non plus, nécessairement en cause. A linverse, Candolle rapporte, daprès Roxburgh, quil existe en Inde un riz sauvage (dont Roxburgh ne doute pas que ce soit la plante originelle) appelé Newaree par les Telingas, croissant en abondance au bord des lacs dans le pays des Circars. Le grain est recherché par les riches Indous, mais on ne le sème pas car il est peu productif (de Candolle, 1883 : 311). Chevalier fera une remarque identique au Baguirmi (voir infra) constatant que le riz sauvage ne donne que de faibles rendements et que sa récolte est laborieuse. Ce riz se vend du reste très cher et toujours en petites quantités. Il est considéré comme une denrée de luxe et de fait il a une saveur très fine (Chevalier, 1910 : 407).
Si lon compare une céréale cultivée et sa forme naturelle, la parenté nest pas toujours évidente, à la différence du cas qui vient dêtre évoqué, tant la domestication a parfois modifié la morphologie originelle. Lexemple le plus frappant est constitué par le maïs (Zea mays), dont la forme sauvage est à ce point dissemblable de la forme cultivée quon a longtemps considéré quil sagissait de deux espèces distinctes, et que lancêtre du maïs était inconnu. Cette forme naturelle, la téosinte (Euchlana mexicana), possède plusieurs tiges portant de nombreux petits épis constitués dune rangée de grains triangulaires, tandis que le maïs domestique na quune seule tige dotée dun ou deux épis constitués dune vingtaine de rangées de grains quadrangulaires.
Les caractères qui intéressent lagriculteur sont ici à lopposé des caractères qui intéressent la plante naturelle. Faisant lhypothèse dun pied de mil domestique qui retournerait à la nature, on remarquerait sans doute que labondance de ses graines à supposer que celles-ci puissent fructifier durablement sans la main de lhomme lui donnerait a priori un avantage reproductif. Mais, dépourvues denveloppe protectrice et de dispositif de dispersion, arrivant à maturité à peu près toutes en même temps, son aire dextension et la durée de son ensemencement se trouveront limitées dautant. Les graines supposées se reproduire seront probablement celles qui auront conservé des caractères rustiques. Le rachis des céréales sauvages, qui maintient ensemble les épillets, se brise naturellement aux articulations des épillets quand ceux-ci sont mûrs. Les céréales domestiques, en revanche, présentent des épillets solidarisés au rachis constituant des épis denses en grains. Le mil cultivé se spécifie par des tiges fortes et peu nombreuses et un épi volumineux fait dun grand nombre de graines. Le mil sauvage possède de nombreux épis touffus et pauvres en graines ; chacune de celles-ci, pourvue dune enveloppe complète et enrobée de longues soies, est rattachée à lépi par un pédicelle qui se rompt facilement ; la graine se détache au fur et à mesure de la maturité et peut être disséminée par le vent. Ce dispositif, qui permet la dispersion maximale de graines dont la maturité est étalée dans le temps, assure une multiplication des chances de reproduction de la plante sauvage. (Dans les climats tempérés, les samares de l'érable constituent l'exemple le plus connu de ce phénomène, la vrille provoquée par la forme de l'aileron ralentit la chute de la graine en augmentant sa portance au vent.) Lintérêt de lagriculteur est évidemment à linverse, il souhaite concentrer la récolte dans lespace et dans le temps. Il va ainsi naturellement sélectionner, lorsqu'il opère sa cueillette en milieu sauvage, les individus qui concentrent le maximum de graines et les reproduire. La stratégie de la domestication peut-être résumée sous ce titre par trois impératifs : de récolte, requérant une co-maturation des graines ; de stockage, requérant un sommeil germinatif en relation avec le cycle des cultures ; densemencement, requérant une réduction des dispositifs de protection de la graine.
Pennisetum glaucum / Pennisetum americanum
Pennisetum americanum
Pennisetum alopecuroides (ornemental), Herbe aux écouvillons
La technique utilisée par une population relativement voisine des Moundang , qui récolte aujourdhui le riz sauvage aux abords du lac Tchad, permet de constater ce point pour ainsi dire in illo tempore.
Les données agronomiques auxquelles nous faisons ici référence ne font pas mention du nom de la population en cause. Sachant quun riz sauvage local est dénommé Oryza Barthii, il nétait pas illégitime, préalablement à une recherche ayant cette identification pour objet, de se reporter à la relation que lexplorateur allemand donne de son entrée [en 1851] dans le pays des Mousgou . Il écrit, en effet : Le 16 décembre, nous nous remîmes en marche, traversant des contrées où jamais Européen navait pénétré. Dès le début, le pays nous offrit un caractère dun intérêt entièrement nouveau [
] Un peu au-delà de Diggera (au sud du lac Tchad), nous rencontrâmes le premier champ de riz sauvage, dont laspect nous donna immédiatement lexplication de la mauvaise qualité de ce produit ; cétait lintelligent éléphant qui faisait la première récolte, et les Schoua qui sen occupaient principalement, devaient se contenter du reste (Heinrich Barth, op. cit. : 21-22.)
Cest, en effet, Chevalier qui proposa lappellation du riz sauvage africain en hommage au voyageur allemand. Il cite Barth en ces termes : Le riz ne se cultive pas [au Baguirmi] mais après les pluies on le glane en grande quantité dans les forêts où il croît dans les marais ou les lacs intermittents. Un plat de ce riz préparé avec de la viande et un bon morceau de beurre forme réellement un des seuls mets passables dont je goûtai au Baguirmi. Nous trouvons Barth sévère pour la cuisine africaine, poursuit Chevalier. Nous avons dégusté son riz chez le sultan même du Baguirmi (en 1903) et chez le fama de Sansanding sur le Niger (en 1910) et nous le considérons comme un aliment non seulement passable, mais des plus agréables.
Comme pour toutes les céréales rencontrées à létat sauvage, observe Chevalier, les grains mûrs de lOryza Barthii se détachent de lépi avec la plus grande facilité ; aussi pour faire la récolte, on ne peut songer à couper les pailles, car on perdrait tout le grain. Lorsque la maturité est arrivée, les indigènes procèdent de la manière suivante : ils circulent à pirogue à travers les prairies aquatiques, et tenant dune main une sorte de panier ou une calebasse, ils frappent les épis et les graines (avec leurs longs barbillons) viennent tomber dans le récipient. Si la saison est trop avancée, les graines détachées flottent à la surface des eaux dormantes : on les recueille avec une calebasse (Chevalier 1910 : 406-7). Paul Créach (1941 : 43-44) donne une description (avec figures) dun tel panier de cueillette (dit sos-sal), utilisé pour récolter le riz sauvage ou le Kreb (terme générique désignant les Graminées sauvages faisant lobjet de cueillette) au Moyen-Tchad. Il sagit dune vannerie tressée munie dun couvercle fait de courroies entrelacées ou de cordelettes assemblées à la manière dune toile daraignée. Battus par le couvercle, les épis mûrs laissent tomber les graines à lintérieur du panier, tandis que le chaume est retenu par la toile daraignée.
On notera, parmi les Graminées ainsi récoltées, en majorité des Panicées, la présence de Pennisetum Prieurii, relevée par Créach.
En septembre 1903, Chevalier a pu observer une moisson de Kreb chez les Goranes. On recueille les graines le matin à la rosée avec un panier tressé en Doum nommé Sompo. Le glaneur de Krebs parcourt la steppe herbeuse à grandes enjambées en heurtant avec son panier le sommet des herbes dont les graines sont mûres et se détachent facilement. La secousse les fait tomber dans le panier dont le couvercle en se rabattant aussitôt en clapet les empêche ensuite de sortir. Un travailleur adulte peut récolter une dizaine de kg de Krebs dans sa matinée (Chevalier 1932 : 139).
Limportance de ce type de cueillette est donnée par lindication quau début de loccupation française [
] les riverains [du Niger] vivaient en partie du produit de ce ramassage dOryza Barthii [et que], pendant les années qui suivirent loccupation des Territoires du lac Tchad, de 1900 à 1906, dans toute la région située au sud du lac Baguirmi, Pays Kotoko, Dagama (lac Fittri), limpôt fut levé, pour nourrir les troupes du corps doccupation, en partie en graines de Graminées sauvages (op. cit. : 88, 139). Barth remarque, dans le même sens : "Là où le blé manquait, on se nourrissait de l'espèce d'herbe appelée Kreb, ou Kascha, plus ou moins identique au Poa abyssinica... [Eragrostis abyssinica]" (op. cit. III : 67).
Dans une courte note sur les rituels agricoles chez les Banana-Kolon et les Marba de la région du Logone, Catherinet (1954 : 42) fait mention dun panier de cueillette de Graminées sauvages (Digitaria adcendens, nom vernaculaire : avaleirava ; Paspalum scrobiculatum, nom vern. : mighirmidenha ; Brachiara stigmatisata, nom vern. : adeltchaka ; Dactyloctinim aegyptium, nom vern. : madana ; Setaria pallidifusca, nom vern. : berengha ; peuplements homogènes et permettant une récolte importante ) utilisé selon la méthode dite de fauchage. Les femmes progressent en ligne, dans la prairie, et frappent les panicules ou les épis sauvages à laide dune grande calebasse, de 40 à 50 centimètres de diamètre, dans laquelle sen trouve une plus petite, en forme de cuiller retournée dans le fond de la grande. Les faucheuses progressent lentement, avec un grand geste de droite à gauche, puis de gauche à droite, à chaque pas. Les graines tombent dans la calebasse et sont retenues par la cuiller qui les empêche de senvoler.
La cueillette du riz sauvage seffectue à laide de paniers lancés à la volée sur les épis doù ne se détachent que les grains arrivés à maturité. Pour limiter le nombre de passages tout en augmentant la quantité de graines récoltées, un procédé consiste à lier sur pied, au moment de la floraison, des gerbes dépis de telle sorte que les grains, au lieu de se répandre sur le sol, resteront emprisonnés dans les barbes. Dans la continuité de ce processus pour contrarier la nature, il suffit au proto-agriculteur de semer les graines quil recueille préférentiellement - celles qui tombent dans son panier de cueillette - pour opérer automatiquement la sélection dun caractère utile. Pour ce qui concerne le mil, Pennisetum mollisimum, récolté par les Touaregs, sous le nom dEbeno, et Pennisetum Prieurii, lune des graminées de cueillette dite Kreb (Uphof, 1968 et Créach, 1941), ces espèces spontanées sont regardées comme des ancêtres probables des formes domestiquées. (Brunken et al. 1977 ayant montré les titres de Pennisetum americanum subsp. monodii à cette attribution.)
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Circoncire la graine, ce serait donc répéter la sélection des caractères utiles, par opposition aux caractères naturels. Induire la nature par la société.
Bien que la césure de la circoncision puisse signifier formellement, parmi dautres valeurs, une opération de purification et viser ici une propitiation, et que le sorgho, pourtant autogame, soit aussi sujet à lallopollinisation (Dogget, 1988), lhypothèse suggérée se développe idéalement pour le mil, que les conditions de sa reproduction soumettent à un véritable déluge pollinique provenant des populations naturelles dont il est issu. Lanalogie de la culture est une homologie quand répéter symboliquement lopération darrachement de lâme folle qui siège dans le prépuce du sauvageon humain, cest arracher lâme folle du mil. La figure de style révèle un savoir agronomique ; la figuration rituelle est la mise en scène dun pouvoir sur la nature.
Exposer comment le savoir empirique qui contrôle la domestication de la céréale peut-être mis en uvre dans un modèle anthropomorphique ; comment le pouvoir de lhomme sur le monde peut sautoriser dune participation de lhomme au monde ; comment le rite, ce modèle spécifique (ou sympathique), contient une information positive et nest nullement dénué de cette objectivité que nous caractérisons par une rupture de lhomme avec la nature et quil peut faire lobjet, à ce titre, dune recherche systématique, cest lidée dune enquête danthropologie cognitive sur les savoirs traditionnels qui prendrait (elle aussi) les rites au sérieux.
Plan du chapitre :
I - 5.1 Introduction
I - 5.2 Le syndrome de la domestication
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