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Les Compagnies des Indes et l'île de La Réunion
La question du statut juridique de la terre
Selon Schérer, cité par Mas, il y a, en 1731, 800 concessions (y compris les emplacements) pour 1 716 habitants et 4 494 esclaves (Mas 1971, op. cit. p. 26). Le recensement de 1735, en complément de celui de 1731 qui avait pour objet de connaître "la situation des habitations et des progrès qu'elles pourront faire pour la suite" et de mettre en place l'assiette d'imposition, "pour constater la redevance en onces de café par arpent de terre" dresse un état assez fidèle de la société bourbonnaise d'alors. Il permet notamment de constater que la configuration des concessions dévolues aux premiers habitants a évolué du fait de successions, mariages, échanges ou cessions. Plus de 53 000 hectares ont été attribués "en propriété roturière" à 430 habitants (pouvant être attributaires de plusieurs concessions), mais le taux de terres "en rapport" n'excède pas 10 % du total (Claude Mazet, "L'Île Bourbon en 1735 : Les hommes, la terre, le café et les vivres", dans Claude Wanquet, éd. Fragments pour une histoire des économies et sociétés de plantation à la Réunion, Saint-Denis : université de la Réunion, 1989, p. 27). Parmi les empêchements à une exploitation rationnelle des terres, régulièrement incriminée, la division liée aux partages successoraux en application de la Coutume de Paris, qui impose une division égalitaire en nature entre les héritiers.
La Coutume de Paris
"Ceux qui ont la direction de cette île [Madagascar], écrit Vincent de Paul au missionnaire Nacquart, en partance pour Fort-Dauphin, sont des marchands de Paris, qui sont comme les rois du pays" (cité par Galibert 2007, p. 172). La formule juridique de cette "quasi royauté" s'exprime dans une charte qui garantit des droits féodaux sur les pays occupés. Ce régime est celui de la Coutume de Paris, dite nouvelle Coutume, élaborée à partir de l'ancienne Coutume en 1580. C'est un ensemble de lois garantissant un ordre social fondé une hiérarchie des personnes (seigneurs et vassaux) et des biens (fiefs et censives). A l'origine recueil de préceptes et de maximes juridiques appliqués circa parisius, la Coutume de Paris exprime un ensemble des valeurs fondées sur le fief et la famille et où la possession de la terre est la raison de la hiérarchie politique et sociale. La règle de transmission successorale (en cause à La Réunion) concernait les biens roturiers, les successions nobles favorisant l'aîné mâle. A l'article "Aînesse" de son Dictionnaire des fiefs et droits seigneuriaux utiles et honorifiques..., (1765) Renaudon expose : "Pour ce qui est des droits utiles attachés au droit d'aînesse, ils consistent, dans la coutume de Paris, en ce que l'aîné a droit de prendre un préciput dans la succession de son père, et un autre dans celle de sa mère [...] Outre le préciput [...] l'aîné prend encore la part avantageuse, c'est-à-dire une portion plus forte que les puînés dans le partage des fiefs [...]". D'autres dispositions existaient dans le droit féodal (la substitution, le droit de retrait, le droit de franc fief) qui permettaient de renforcer le caractère héréditaire de la puissance foncière de la noblesse en faisant obstacle à la division et à la cession des domaines. Considérées comme des entraves à la liberté des échanges et un déni de l'égalité civile, ces prérogatives seront supprimées par le Code Napoléon. En provoquant le morcellement des patrimoines familiaux roturiers en neutralisant juridiquement leur capacité d'extension et en consacrant l'unicité juridique du fief, la Coutume de Paris exerçait une fonction politique. Tout système de lois a un "législateur sociologique" et celui de la Coutume de Paris est bien celui du droit féodal. C'est, en effet, la logique du "vilainage" qui, par divers moyens, s'impose dans les anciennes coutumes. La mise en uvre observée à Bourbon, l'égalitarisme intégral, s'il est d'esprit était, dans la pratique coutumière, limité par nombre de dispositions qui avaient pour objet de garantir, pour l'essentiel, l'indivision des tenures. Comme le notait Klimrath à propos des règles d'héritage dans l'ancien droit français :
"Ces règles sur la vocation du plus proche à l'exclusion des plus lointains, et le partage égal entre les appelés du pareil degré reçoivent de nombreuses dérogations par suite de la représentation, du double lien, des droits d'aînesse et de masculinité, de la distinction des meubles et des immeubles, des propres et des acquêts, des traces enfin qui se sont conservées dans l'ancienne computation coutumière" (1843, p. 313-314).
Les usages de la Coutume de Paris répondaient, dans la durée et dans un environnement politique et démographique constant, à la reproduction des tenures domaniales ou vilaines. Si l'on rapproche les pratiques relevées par Jean Yver dans son Essai de géographie coutumière (1966) de la pratique bourbonnaise, on chercherait en vain, entre autres règles restrictives de la division égalitaire ("simple égalité"), l'équivalent métropolitain de l'exclusion des enfants dotés, complémentaire de l'égalité des enfants résidants ou, plus récente, la pratique, ouverte à l'enfant doté, du rapport au moment de la succession (car "aumônier et parchonnier nul ne peut être"). Ces usages, qui limitaient le morcellement de l'exploitation, avaient notamment pour objet de préserver sa viabilité, pour ses occupants, détenteurs d'une "tenure à peine héréditaire" (Yver, 1953-54, p. 34) jusqu'au XIIIe siècle, la plupart des paysans sont des serfs mais aussi pour le seigneur et de la préserver ainsi du droit de retrait.
Dans un autre contexte quand c'est l'égalité civile qui commande le droit Balzac marquera les conséquences de la prééminence de la propriété sur le patrimoine, vilipendant "la cause du mal" : "le Titre du Code civil, qui ordonne le partage égal des biens. Là est le pilon dont le jeu perpétuel émiette le territoire, individualise les fortunes en leur ôtant une stabilité nécessaire, et qui décomposant sans recomposer jamais, finira pas tuer la France" - La Comédie humaine, tome IX, Paris, éditions de la Pléïade, 12 vol., 1976-1981, Le Curé de village, 1841, p. 817). Le Code civil, avec un arrêté supplémentaire concernant les îles de France et de Bourbon, sera promulgué par le capitaine général Decaen le 1er brumaire an XIV (23 octobre 1805).
L'application de la Coutume de Paris aux colonies remonte à la colonisation de la Nouvelle France et fut généralisée aux compagnies à charte. En 1664, en vertu de l'édit royal créant la Compagnie des Indes Occidentales, la coutume de Paris devient la loi de la colonie. Dans un mémoire de 1753, où figure, d'ailleurs, une critique de l'application de la Coutume de Paris aux colonies, intitulé "Mémoire sur les isles de France et de Bourbon" (A. O. M. registre C4 7), il est fait référence à une "maxime absolument fausse dans son principe et dans son exposition" (maxime supposée exprimer la philosophie des Directeurs) selon laquelle "il est nécessaire qu'il y ait dans les colonies des petits habitants et pauvres, et particulièrement à Bourbon où il faut tenir les créoles, gens remuants et méchants, dans l'abaissement et l'humiliation si l'on veut en être le maître" (souligné dans le manuscrit). On peut vraisemblablement mettre la mise en uvre "dogmatique" de la Coutume de Paris pour autant qu'elle soit réfléchie au nombre de ces dispostions visant, sinon à "abaisser" le créole, du moins à le tenir en dépendance.
L'application stricte de l'égalité de partage à La Réunion comporte, en effet, dans un environnement de forte natalité, des conséquences économiques et sociales inéluctables. L'égalité des héritiers, avec les réserves dites, est compatible avec la reproduction de la tenure de génération en génération quand leur nombre n'excède qu'exceptionnellement la simple reproduction du couple soit, statistiquement, un garçon et une fille. Cette dernière est généralement dotée et, quoi qu'il en soit, le doté, fille ou garçon, exclu de la succession (sauf à "rapporter"), l'étant en biens (une charrue, une vache, une somme d'argent...) et non en terres, le fonds peut passer sans amoindrissement de génération en génération. Barassin fait état, pour la population bourbonnaise d'origine européenne, d'un taux de natalité de 57 pour mille sur la période allant de 1705 à 1712. Les familles ont en moyenne 8 ou 9 enfants et le taux de mortalité est inférieur à celui de la France (Barassin, La vie quotidienne... p. 159 et s.). Les conséquences sont dans ces prémisses. A propos du partage en nature imposé par la Coutume de Paris, le curé Davelu note, en 1750, que les concessions d'origine ont été émiettées en "si petit terrains qu'ils deviennent nuisibles à la culture" (cité par Mas, op. cit. p. 9). "Depuis longtemps la plupart des terrains concédés n'appartiennent plus en entier à leurs concessionnaires ni à leurs descendants ou ayants cause. Il ont été morcellés par des ventes entre les enfants, petits enfants et même arrières petits enfants des concessionnaires. [...] Il s'en est suivi de ces subdivisions qu'il existe aujourd'hui peu d'habitants qui ont de grandes propriétés et qu'il y en a au contraire un très grand nombre qui n'ont que de très petits morceaux de terre et quelques uns point du tout" (id. p. 185). À cette mécanique du partage se superpose un mode de division en lanières dont la justification est le souci de répartition égalitaire des différentes qualités de sol (id. p. 186). "Les habitants de cette ile tiennent beaucoup à déviser leurs terrains par la base à aller au sommet n'eussent-ils à cette base que quelques pieds. L'inégalité de la valeur du sol l'avantage et la proximité, et plusieurs considérations rendent le partage des terres très difficile à faire avec exactitude en ne suivant point la méthode de prendre du bord de la mer au sommet [...]" (Davelu, Lettre à Chanvalon, citée par Mas, 1971, op. cit. p. 185). Mais ces "subdivisions ont produit des rubans fort étroits sur une longueur immense cela a multiplié le travail du cultivateur sans aucun profit" (Davelu, cité par Mas, p. 9). Le "Mémoire sur les isles de France et de Bourbon" de 1753 (A. O. M. registre C3 7, loc. cit.) relève : "On assure qu'il y a déjà des habitants à Saint-Paul qui n'ont que cinq gaulettes de terre en largeur, ce qui fait soixante et quinze pieds. En divisant encore un pareil terrain, il viendra enfin à la largeur d'un ruban, et cet inconvénient augmentant tous les jours par la propagation, il est certain qu'il réduira les isles dans un état de langueur et peut-être de non valleur, qui sera très funeste à la Compagnie". Quoi qu'il en soit, un arrêt du Conseil supérieur de la Cie du 20 mai 1761 consacre cet usage du partage en lanières et rejette le "partage par carreaux" : Le Conseil ordonne la "division par experts en lignes droites du haut en bas de tous les terrains."
Dès 1732, le Conseil Supérieur alertait la Compagnie sur le problème du démembrement des habitations : "Il n'est plus possible pour l'habitant de pallier par quelque concession à la modicité de son patrimoine", "ce mal qui vient de l'abus de morceler ne commence encore qu'à se montrer... Mai sy on continuait il est aisé de concevoir que la terre deviendrait inutile à l'habitant et l'habitant à charge à l'ile... le remède à cet abus qui peut être la source de tant de maux serait que la Compagnie décide jusqu'à quelle quantité elle veut que l'on démembre les terres et au-dessous de quelle portion ces divisions ne seraient plus permises. Dans ce cas l'aîné de la famille obtiendrait pour lui seul cette portion qu'il serait deffendu de morceller en dédommageant par lui ses cohéritiers..." (AN Colonies...) (cité par Mas, 1971, p. 190). La réponse de la Compagnie, le 17 novembre 1732, est sans appel : "Cet expédient n'est praticable en aucune manière et serait absolument contraire à la coutume de Paris". Quand le Conseil supérieur duplique : "Les coutumes ont été établies pour l'avantage et l'utilité des pays où elles passent en force de loi et non pour en causer la ruine" (lettre du 12 décembre 1733), la Compagnie tranche, sans égard aux conséquences économiques et sociales : "Quelque inconvénient que le Conseil trouve aux divisions des biens patrimoniaux elles sont de droit et doivent être autorisées. L'intention du Roi a toujours été que l'administration et la justice dans toutes les colonies dont le partage fait une partie essentielle fut réglée par la Coutume de Paris." (Correspondance t. II, 214-15). La Compagnie recommande alors l'émigration des "sans-terre" à l'Ile de France (12 janvier 1737, Correspondance t. III, p. 74). Crise du café, endettement, partages successoraux, concentration des terres liée à l'appauvrissement des habitations, la paupérisation des créoles qui ont "porté le poids du pays" et "conservé l'île" est continue et irréversible.
L'héritage des Compagnies des Indes
Pour conclure cette approche cursive, ayant rappelé en introduction de ce colloque qu'un intérêt de l'anthropologie pour l'histoire des compagnies des Indes tenait dans le fait que cette aventure commerciale, par le contact des cultures qu'elle engageait (confrontation de l'Europe, des Indes occidentales et orientales, de l'extrême-orient, confrontation géographique et aussi confrontation économique entre trois types d'ingénierie sociale ou trois "écosystèmes" : sociétés stratifiées, sociétés lignagères fondées sur l'agriculture extensive, sociétés de chasseurs-cueilleurs, avec la découverte du Nouveau monde) était un révélateur des formes de civilisation, on peut présenter l'assujettissement des habitants institué par l'Ordonnance de Jacob de la Haye comme la transition contrainte d'un mode de production à un autre. Aux premiers temps de la colonie, quand Bourbon était un paradis, les habitants vivaient de cueillette dans le jardin d'Eden, et les articles de cette Ordonnance fondatrice, on l'a rappelé, avaient pour objet de les mettre au "travail" et de les presser d'habiter en colons et non en Robinsons...
Le système de mise en valeur de l'île commandait aussi le destin des habitants. Une observation récurrente des contemporains relève la figure de traîne-misère du "petit créole", les Notices statistiques sur les colonies françaises parlant pour la première fois de "petits blancs" (il était question plus haut de "petits habitants" : "les blancs peu aisés, connus dans la colonie sous le nom de petits créoles ou de petits blancs, à qui l'exercice de quelque industrie assurerait de quoi vivre, ont de l'éloignement pour le travail manuel" (1838, seconde partie, p. 100). Indigents, dans les termes de la morale économique dominante, mais aussi témoins vestigiels d'un mode vie disparu. Le recensement de 1735 comptabilisait 29 de ces "miséreux" (i. e. "créoles vivant dans un foyer sans esclave ou servi par un ou deux esclaves seulement, signe presque certain de dénuement") sur un total de 1716 blancs (Pérotin, Recueil de documents et travaux inédits pour servir à l'histoire de La Réunion, nouvelle série, n° 3, 1959, p. 197). Selon le recensement de 1779, cette proportion a décuplé : "on compte 1 131 de ces pauvres créoles sur 6 464 blancs, et sur ces 1 131, 509, soit presque la moitié vivent dans des familles sans esclaves, signe de misère certaine" (id., p. 197). Une lettre du 2 janvier 1776 du Conseil supérieur de Bourbon note : "L'île Bourbon a trois classes d'habitants : la première [composée] de dix pères de familles pouvant passer pour riches, dont la moitié compte huit, dix et même quinze enfants ; la seconde, des gens dans la médiocrité ; la troisième, composée d'une multitude de créoles qui n'ont qu'un ou deux esclaves et le quadruple d'enfants" (p. 198). Quand Yves Pérotin précise dans l'article cité, intitulé "Le prolétariat blanc à Bourbon avant l'émancipation des esclaves" (Recueil de documents et travaux inédits pour servir à l'histoire de La Réunion, nouvelle série n° 3 1959, p. 195-224), que "le mot prolétaire qu'[il] emploie également à la suite des auteurs du temps de Louis-Philippe [c'est le terme employé par le voyageur Billiard en 1822, op. cit. p. 207] ne doit pas évoquer ici les prolétariats industriels, mais signifier prolétariat rural, on pourrait même dire "forestier" ; il faudrait d'ailleurs dire sous-prolétariat, Lumpenproletariat, asocial et sans conscience de classe" (p. 196), il rappelle le sens premier du mot, avant sa banalisation, et caractérise du même coup un mode d'existence aux marges de la société mais originel à la colonie.
Ces blancs "indigents" (les descendants des premiers habitants "à la différence des blancs riches dont l'ascendance est remplie d'apports métropolitains", souligne Pérotin - loc. cit., p. 204), qui représentent, selon les Notices statistiques de 1838 citées, les deux tiers de la population blanche sont un embarras pour l'administration. Et leur marginalité constitue un paradoxe : le problème de la colonie tient en effet dans "la diminution progressive du nombre des cultivateurs [esclaves] en présence d'une population libre, valide, nécessiteuse, qui s'accroît sans cesse et croupit dans la plus dégoûtante et la plus funeste oisiveté". Comment résoudre cette question de manque de main-d'uvre agricole, demande une commission ad hoc ? "Le rapporteur se retourne vers les petits blancs qu'il faut absolument utiliser [...] Tous les essais tentés dans ce sens ont échoué, nous dit-il. La commission propose la coercition par le biais d'une législation sur le vagabondage et l'exigibilité d'un livret de travail" (Pérotin, loc. cit., p. 207). Au fond, c'est remettre en service l'Ordonnance de Jacob de la Haye... De fait, à lire les auteurs de l'époque, les descriptions du mode de vie de ces quasi "chasseurs-cueilleurs" que seraient redevenus les "petits créoles", on a l'impression de voir une hypotypose du "choc des civilisations".
Telle, entre autres, ce portrait, daté du 10 octobre 1821, dû à un certain Ricard, propriétaire à Sainte-Suzanne (que Pérotin identifie comme étant procureur du Roi), dans un mémoire intitulé "Moyens proposés afin d'utiliser la population inactive de Bourbon" et publié en annexe de l'article cité. Dans cette description où se mêlent considérations morales et économiques et quelques traits d'admiration réprobatrice , apparaissent les principales caractéristiques de l'écologie de la cueillette : un antimonde au yeux du "fermier"... "Les descendants des antiques propriétaires de la colonie forment, aujourd'hui, explique Ricard, une population tout à fait sauvage au sein d'une société civilisée." "L'île Bourbon possède [en effet] une classe nombreuse d'individus libres, forts, agiles, aptes aux arts, mais qui vivent dans une inactivité absolue." Leur organisation sociale, s'il en est, ignore les fondamentaux de la parenté et de la distinction : "N'ayant aucune idée religieuse, ils ne connaissent plus de règles pour les conjonctions. On voit les incestes les plus monstrueux ; et les femmes dans cette classe servir de concubines à des esclaves" (p. 212-213). "Depuis longtemps ils ne possèdent plus rien, et ne se livrant à aucun travail, la chasse et la pêche forment leurs seules ressources légitimes. Pendant longtemps elles leur ont fourni des moyens d'existence, mais ils en ont usé avec un tel excès, qu'ils ont détruit jusqu'aux espèces de poissons et de gibier..." (p. 212) "N'ont-ils pas pris de nourriture, ils s'en passent. Ils se serrent le ventre et attendent une occasion facile de s'en procurer. Et cependant ils sont susceptibles de supporter des travaux très pénibles lorsqu'ils sympathisent avec leurs goûts." "Toutes les parties de l'intérieur de l'île sont d'un accès pénible et même périlleux. Gravir des rochers escarpés, s'élever de la profondeur d'un précipice effrayant, soutenus seulement par des liannes ou n'ayant pour point d'appui que quelques roches saillantes de distance en distance ou encore le trou qu'ils ont creusé avec les mains pour y placer une partie de leur pied, est un exercice épouvantable qu'ils prennent très volontiers. Ils font aussi des voyages de plusieurs jours à travers de continuels dangers et le tout dans l'expectative de tuer quelques cabris sauvages ou d'aller chercher dans les fentes des rochers, au sommet des monts, les nids d'oiseaux marins dont ils ont considérablement épuisé la race ; on les voit revenir très chargés de ces pénibles et dangereux voyages. Ce n'est donc pas ni le courage ni l'énergie qui leur manque. C'est une passion" (p. 213). Au bilan : de leur mode campement à leurs techniques de pêche (barrages dans les cours d'eau, utilisation de poisons végétaux) et de chasse (rabattage du gibier par le feu), ils détruisent tout ce qu'ils touchent et n'occupent l'île qu'en nomades prédateurs : "Non seulement ils ne voient aucun intérêt à la propriété, mais ils la voient avec envie entre les mains des possesseurs actuels. Se ressouvenant que leurs ayeux étaient propriétaires originaires de toutes les concessions, "cette terre est à nous", disent-ils. L'auraient-ils encore, ils n'en feraient rien que la vendre de nouveau" (p. 214).
Le "choc des civilisations" s'exprime dans la confrontation de ces "créoles" avec les "européens". Anticipant Tocqueville en Amérique décrivant, dans une lettre du 10 juin 1831, l'extinction des Indiens confrontés au pionnier qui "marche à l'acquisition des richesses, unique but de ses travaux, avec une persévérance et un mépris de la vie, qu'on pourrait appeler de l'héroïsme si ce nom convenait à autre chose qu'à la vertu (Voyage en Amérique, 1991, édition de la Pléïade, I, p. 373), Ricard voit les "indigènes" de la Réunion ("une peuplade, écrit Lougnon qui [sous la Régence] ne rappelait que d'assez loin l'Europe" (op.cit. p.17), irrémédiablement condamnés par l'esprit de système des gros planteurs. (C'était aussi le constat de la lettre du Conseil de Bourbon, citée plus haut, opposant le "génie créole" à l'esprit d'entreprise des "européens".) "La fortune de ces hommes simples, paresseux, indolens, imprévoyants, devant naturellement être envahie par l'insatiable cupidité des Européens. Ceux-ci, d'une infatigable activité, l'il toujours ouvert sur leurs intérêts, ont peu à peu recomposé de nouvelles propriétés importantes, de toutes ces parties divisées, et la vérité contraint à avouer que, la plupart sont l'effet de la spoliation plutôt que de contracts où l'équité a présidé" (p. 215). Ceux-là, alors que "nos créoles ont déjà toutes les murs des madégasses" et qu'il ne faut pas songer à les envoyer coloniser la Grande île, sont ces "hommes dévorés d'ambition, actifs, laborieux, stimulés par un ardent désir de fortune, industrieux, habiles dans les arts, qu'il faut pour fonder un premier établissement" (p. 218).
Dans le tome second de son Voyage dans les quatre principales îles des mers d'Afrique, fait par ordre du gouvernement, pendant les années neuf et dix de la République (1801 et 1802), (1804, Paris : Buisson), le naturaliste Bory de Saint-Vincent faisant l'histoire du peuplement de Saint-Joseph, "paroisse absolument inhabitée il y a dix-huit ans", quand, " la boucle bouclée", la dernière région de l'île est colonisée donne une description moins idéologique et moins romantique du mode de vie en cause (qui ne concerne pas que les "petits-blancs").
"Saint-Joseph, depuis le Pays-Brûlé jusqu'au rempart de la Basse-Vallée vers lequel nous nous dirigions, écrit Bory, est séparé, en quelque sorte, du reste de Bourbon, par des barrières que la nature lui a données. Cette paroisse était absolument inhabitée il y a dix-huit ans [note l : M. Hubert fut nommé en 1785 commandant de quartier pour établir la paroisse.] Des chèvres sauvages, quelques autres animaux et les noirs marrons y vivaient seuls en liberté. Tout semblait devoir perpétuer cet état d'abandon : une mer furieuse et des côtes inabordables, des escarpemens dont on n'avait pas encore trouvé les pas, le manque absolu de sources, d'immenses nappes de laves infertiles, un terrain ingrat et pierreux qui ne produisait que par caprice des fougères et des forêts, tels étaient les obstacles, en apparence, insurmontables, que les premiers habitans de Saint-Joseph eurent à vaincre.
Le quartier commença à se peupler de chasseurs de marrons, et de ces hommes de couleur, sans propriétés, nés libres de père en fils, qui achètent une esclave dont ils font leur femme, et dont ils ont des enfans noirs, mais libres comme eux. Trop fiers pour s'abaisser à des travaux qu'ils croient déshonorans, et habitués aux privations de toute espèce, ces hommes actifs, infatigables et paresseux tout-à-la-fois, ont un caractère particulier. Ils se croient blancs ; extrêmement susceptibles sur ce point, ils regarderaient comme un outrage le nom d'hommes de couleur ou de noirs libres, sous lequel on désigne les affranchis à l'Ile-de-France. Ils sont gens à ne pas pardonner une méprise que leur teinte, leur langage et leur costume rendraient cependant très-excusable. Justes, mais sévères envers leurs esclaves, quand ils en ont, ils sont inflexibles et cruels pour les marrons, quand ils en prennent ; du reste, francs, pleins de candeur, incapables de soupçonner la fraude, hospitaliers et généreux. Presque livrés à l'état de nature, ils savent à peine qu'il existe une métropole. Les commotions révolutionnaires qui ont ébranlé l'univers, et qui, dans Bourbon même, ont causé des mouvemens funestes, ont respecté les forêts profondes dont les racines du volcan sont ombragées."
"D'abord ces blancs très-foncés ne vécurent que du produit de leur pêche et de leur chasse ; ils s'y livrèrent avec tant d'activité, qu'ils eurent bientôt exterminé les animaux des bois et une partie des poissons du rivage. C'est alors que plusieurs espèces propres à l'île de Bourbon y furent tout-à-fait détruites" (p. 299-301).
Quant au mode d'échange pratiqué par ces créoles, Bory précise : "Les habitans de Sainte-Rose [ou Saint-Joseph ?] ignorent presque l'usage de l'argent ; c'est en denrées qu'ils font leurs échanges ; et certes, lorsque je visitai le quartier, ceux qui l'approvisionnaient d'arack, de toile bleue, de pierres à fusil, de pipes, de poudre et de plomb à tirer, qui sont à-peu-près les principales choses qu'achètent les créoles, les leur faisaient payer bien cher en café ou en miel" (p. 313).
"Une survivance de l'esclavage et de l'engagisme"...
Comme aux échecs, où l'ouverture conditionne le déroulement de la partie, ce qui se joue aujourd'hui dans le champ clos de l'île de La Réunion est commandé par les prémisses. Une disposition réglementaire qui date du début de cette année 2011 suffira ici à marquer les effets à long terme de la structure socio-économique en cause. Elle concerne la fin de l'existence légale du colonage (ou colonat) partiaire, typique de cette relation inégalitaire entre "maîtres" et "sujets" et considérée comme un héritage de l'époque coloniale. En 2007, le bail à colonat concernait encore 1 233 hectares et 386 agriculteurs. La loi de modernisation de lagriculture et de la pêche votée le 27 juillet 2010 entrant en application, les baux à colonat partiaire en cours sont donc automatiquement convertis en baux à ferme pour une durée identique à celle du contrat de colonat. Depuis le vote de la loi dorientation agricole du 5 janvier 2006, la conclusion de nouveaux baux à colonat partiaire n'était plus possible. La préfecture de La Réunion a commenté cette application en ces termes : "La mise en place automatique des nouveaux fermages tourne une page de lhistoire agricole de la Réunion et inscrit les relations locataires propriétaires dans le cadre général" ; elle précise que "dans lattente de nouveaux contrats de bail à ferme écrits, "ces fermages sont réputés être de nature verbale" et qu'"il est vivement recommandé d'engager au plus tôt la signature d'un bail à ferme écrit pour établir une relation contractuelle claire et sereine entre les deux parties". Le compte rendu des débats du Sénat dans sa séance du 9 novembre 2005 permet de prendre connaissance du jugement d'une sénatrice de La Réunion sur cette évolution juridique : "Je voudrais tout d'abord dire combien je me réjouis, avec l'ensemble de la profession agricole de la Réunion, de la disparition progressive du colonat partiaire dans les départements d'outre-mer. Ce dispositif archaïque, qui n'avantageait pas le preneur et ne l'incitait pas à augmenter ses rendements, était une survivance de l'esclavage et de l'engagisme, que Victor Schoelcher avait combattu et qualifié d''esclavage déguisé'. C'est donc le dernier bastion de l'esclavage qui vient de tomber" (senat.fr/seances/s200511/s20051109/s20051109003.html).
En instaurant une "société de servitude", pour reprendre l'expression de Jean Mas (Mas 1989, loc. cit., p. 109) sans classe intermédiaire et sans mobilité, où les "Seigneurs de la Compagnie" sont d'une autre nature que les "sujets" et les esclaves, à leur tour, d'une autre nature que les maîtres la Compagnie des Indes a fondamentalement marqué, non seulement les premiers temps, mais l'histoire de la colonie. "Nos enquêtes personnelles, écrit Jean Defos du Rau dans sa thèse soutenue en 1958, nous ont montré que les grands domaines à la mode ancienne sont de véritables seigneuries rurales. A Saint-Gilles les Hauts, de Villèle règne sur 400 colons et leurs familles, soit 2 500 sujets au bas mot, pour 1 600 hectares dont beaucoup sont incultes. Au Tampon, un domaine "à monter" (Avril) utilise 200 colons pour 190 000 gaulettes, 100 bufs, 4 000 tonnes de cannes, 500 à 1 000 kilos de géranium. Un autre grand domaine voisin (Isautier) possède 211 colons, dont les 211 parcelles totalisent 1 649 ha." "En 1950, l'Inspection du Travail estimait, après sondage, qu'un tiers du sol était cultivé en colonage, les deux tiers en faire-valoir direct. Il y aurait eu à cette époque 15 000 colons." "Quelques colons apparaissent après l'émancipation des esclaves en 1848, surtout pour la culture du maïs. Puis le mouvement s'étend et se généralise après 1881, lorsque l'immigration se meurt lentement." ( (Jean Defos du Rau, L'île de la Réunion. Étude de Géographie humaine, Bordeaux Institut de Géographie, 1960, p. 215).
Dans l'économie féodale, la terre et les hommes qui l'exploitent forment un tout indivisible, un fief. Le caractère féodal de cette économie se marque par son recours à la prestation en nature et par la dépendance. A des degrés divers, ces formes de travail que sont l'engagisme, pour partie, ou le colonat partiaire se coulent dans cette matrice juridique, elles ont en commun rémunération en nature et dépendance physique, une ligence qui fait apparaître, par contraste, la liberté et la réciprocité (au moins théoriques) associées au salariat ou au fermage . "Un tenancier, note Adam Smith, même un tenancier à volonté, qui paye de la terre tout ce quelle vaut, nest pas absolument sous la dépendance du propriétaire. Les gains que ces deux personnes font lune avec lautre sont égaux et réciproques" (Recherches..., dans la traduction du comte Germain Garnier de 1776, revue par Adolphe Blanqui, réédition de 1843, liv. III, chap. IV, p. 511). L'argent délie la relation duelle de patronage et permet d'entrer virtuellement dans un monde abstrait d'échanges impersonnels.
L'émergence du colonage partiaire à La Réunion est liée au phénomène de paupérisation des "petits créoles" (conséquence, on l'a rappelé, de la mécanique des partages successoraux, de l'endettement, de la crise du café et du développement de l'économie sucrière) et à la libération des esclaves. Ces déshérités vont cultiver, dans les Hauts, des terres inexploitées que le propriétaire préserve ainsi de l'usucapion. Le colonage se développe ensuite en réponse à la crise alimentaire provoquée par le passage de l'économie servile à l'engagisme. En 1862, 63 % des terres cultivées sont occupées par la canne. Alors que la main-d'uvre servile assurait la production des vivres sur des terres spécialement affectées (les Notices statistiques sur les colonies françaises, publiées en 1838, précisent que sur les 65 702 hectares de terres cultivées, 14 530 le sont en canne et 23 587 en maïs et qu'aux 32 242 porcs répertoriés il faut ajouter "environ 70 000 [animaux de cette espèce] appartenant aux esclaves" - seconde partie, p. 79 et p. 80 note 1), la monoculture et le recours massif à l'immigration indienne provoquent une crise alimentaire que les propriétaires tentent de résoudre par le faire-valoir en colonat de cultures vivrières. Enfin, la cessation de l'immigration indienne contraint les gros planteurs à mettre en place un nouveau type d'exploitation de la main-d'uvre, cette fois pour produire la canne destinée à alimenter les usines.
Ce mode de faire-valoir associé à l'image du petit exploitant des Hauts exprime une relation d'inégalité constitutive de la société coloniale. S'agissant de la misère sociale, anachronique, de ce statut, "dernier bastion de l'esclavage", on pense immédiatement à l'ouvrage de James Agee sur les métayers du coton en Alabama (enquête menée en 1936 : James Agee, Walker Evans, Let Us Now Praise Famous Men, [1941 Houghton Mifflin] Penguin Books, 2006), ou encore à la "basse extraction sociale" et aux "raisons d'agir" (Esquisses pour une auto-analyse, 2004, Paris : Raisons d'agir, p. 121) de l'auteur de La misère du monde, petit-fils et fils de métayer, dont la sociologie a réduit la diversité des objets scientifiques à l'opposition dominant/dominé.
Dans la condition de métayer, la précarité juridique et économique (cette dernière exprimée notamment par le "carnet chinois"), la dépendance et la corvée sont incriminées pour leur caractère d'allégeance personnelle et de soumission obligée au propriétaire.
James Agee, Walker Evans, Let Us Now Praise Famous Men,
with an Introduction by Blake Morrison,
Penguin Books, 2006.
(Traduction française, Louons maintenant les grands hommes, Plon, coll. Terre humaine, 2002.)
'Description' est un mot dont je me méfie.
(p. 237)
"Gudger ? Un assez bon métayer [a fair farmer]. Il s'y connaît en coton [a fair cotton farmer], mais pas un grain d'atome de bon sens.
Tous ces gens-là n'ont rien dans la tête, aucune initiative. Sinon, ils n'en seraient pas à gagner leur vie avec leur part de la récolte [on shares]." (p. 92)
"Gudger n'a pas de maison qui lui appartienne, par de terre, pas de mule ; ni aucun des moyens de culture d'une certaine importance. Toutes ces choses, il doit les obtenir de son propriétaire. Pour sa part du blé et du coton, Boles lui consent des avances d'argent, quatre mois dans l'année, de mars à juin. C'est 'l'argent des vivres'. Il emprunte aussi à Boles pour les engrais.
Gudger le rembourse avec son travail et celui de sa famille" (p. 126).
"Woods et Ricketts ne possèdent ni maison ni terre, mais Woods possède un mulet et Ricketts deux mulets, et tous deux sont propriétaires du matériel indispensable à leur culture [...] Ils ne remettent au propriétaire qu'un tiers de leur coton et qu'un quart de leur blé. Sur leur propre part de récolte néanmoins, ils ont à lui verser les deux tiers des dépenses en engrais pour le coton, et les trois quarts des engrais pour le blé; plus l'intérêt ; et en plus de l'intérêt, les avances sur 'l'argent des vivres'.
Woods et Rickett font figure de cultivateurs à bail [tenants] ; l'accord passé avec le propriétaire est dit du tiers et du quart" (p. 126).
"Durant six à sept mois chaque année donc pendant le temps exact où leur travail cotonnier est d'une nécessité absolue au propriétaire , ils peuvent être sûrs de subsister grâce aux avances sur l'argent des vivres et à l'argent des pousses de coton. Durant cinq à six mois de l'année [...] ils ne peuvent compter sur rien, et la dernière aide sur laquelle ils pourraient compter est bien celle de leurs propriétaires" (p. 126-127).
[Le terme dialectal est "sharecropper". Le terme usuel est "tenant". (p. 434)]
Dans leur conférence "La Réunion et Paris" (publiée en 1911, Saint-Denis de la Réunion : Albert Dubourg), les Leblond plaident la cause de ceux pour qui ils éprouvent "un profond respect très affectueux", "ces représentants de la première Colonisation" (Marius Leblond, Les Iles surs ou le Paradis retrouvé. La Réunion-Maurice "Eden de la Mer des Indes", Paris, Editions Alsatia, 1946, p. 169). "L'autre jour, rapportent-ils dans cette conférence, nous faisions le tour de l'île, nous suivions la route de St-Benoit à St-Joseph, les yeux éblouis de la beauté des panoramas, et cependant les curs tristes. C'est que cette route est jalonnée de misères ; près des vacois dépenaillés s'effilochent dans des maisons éclopées de pauvres familles dont des carnations européennes se sont flétries, jaunies jusqu'aux tons de la vavangue (fruit de la Réunion). Nous nous sommes alors juré de faire tout ce que nous pourrions pour tirer de la croupissante désolation cette race attendrissante qui vit dans des paillottes aussi misérables que celles des indigènes du Sud de Madagascar, dans des cases dont le parquet est de boue, ne buvant que de l'eau de pluie, ne vivant que de ce que rapporte la confection des sacs [de vacoa], éteints par la résignation et par la fièvre dans les petites cases silencieuses embaumées de bégonias et des héliotropes comme des tombeaux. Aidez-nous, Mesdames et Messieurs, pour que nous arrivions à accomplir l'uvre de régénération avant que trop d'enfants ne meurent ! Soyons forts, unissons-nous, associons nos bonnes volontés, développons une activité à la fois commerciale et intellectuelle qui permette aux voyageurs de trouver dans notre Ile, le reflet du grand foyer parisien" (cité par Cazemage, 1969, La vie et l'uvre de Marius-Ary Leblond, Benjamin Cazemage, Nîmes : éditions Notre-Dame, p. 43). Rêve moderne d'un Âge d'or, d'un Paradis retrouvé dans ce paradis dévasté, où les "chasseurs-cueilleurs" stigmatisés par l'amiral Jacob de la Haye ou le procureur Ricard seraient enfin touchés par la révolution néolithique et convertis à la modernité. Georges Athénas (Marius Leblond 1877-1953) et Aimé Merlo (Ary Leblond 1880-1958) ont-ils imaginé la Départementalisation ?
La loi du 19 mars 1946 érige la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion en départements. Elle est adoptée à lunanimité par lAssemblée nationale constituante
Aimé Césaire, rapporteur de la loi, explique :
"Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est, par une loi d'assimilation, mieux d'égalisation, de libérer près d'un million d'hommes de couleur d'une des formes modernes de l'assujettissement (applaudissements) ...Quant à ceux qui s'inquiètent de l'avenir culturel des populations assimilées, peut-être pourrions-nous risquer à leur faire remarquer qu'après tout ce qu'on appelle l'assimilation est une forme normale de la médiation dans l'histoire ; et n'ont pas trop mal réussi, dans le domaine de la civilisation, ces Gaulois à qui l'Empereur romain Caracalla ouvrit jadis toutes grandes les portes de la cité (applaudissements sur divers bancs). Nous ajoutons d'ailleurs que l'assimilation qui vous est aujourd'hui proposée est loin d'être une assimilation rigide, une assimilation "géométrique", une assimilation contre nature, est une assimilation souple, intelligente et réaliste. Quand nous disons assimilation géométrique, nous pensons à l'attitude prise à cet égard par la Révolution française. Lors de la discussion de la Constitution de l'an III, Boissy d'Anglas, rapporteur des questions coloniales, en vint à prononcer cette phrase caractéristique : "Que ces colonies soient toujours françaises, au lieu d'être seulement américaines ; qu'elles soient libres sans être indépendantes ; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier". Et il ajoute : "Les colonies seront soumises aux mêmes formes d'administration que la France. Il ne peut y avoir qu'une bonne manière d'administrer, et si nous l'avons trouvée pour des contrées européennes, pourquoi celles d'Amérique en seraient-elles déshéritées ?"... En la circonstance, ce n'est pas seulement l'histoire que nous avons avec nous, c'est la géographie."
Agee, James-Walker Evans [1941] 2006, Let Us Now Praise Famous Men, [Houghton Mifflin] Penguin Books.
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Deux pages HTML en préparation :
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