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La parenté dans les contes
(domaine malgache) :
programme de recherche
Contes, Mythes et Traditions Populaires de Madagascar et des Mascareignes
5, 6, 7 septembre 2005
Faculté des Lettres et Sciences Humaines dAntananarivo
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Département dEthnologie (université de la Réunion)
Résumé :
Les contes se goûtent et ils donnent à penser. Ils se glosent aussi, et les interprétations quils suscitent savantes ou populaires vérifient souvent cette fonction matricielle : les interprétations font en réalité partie du conte. Le conte engendre le conte.
Cest une autre approche que cette communication vise à mettre en chantier : non pas faire concurrence à la sagesse du conte ou au talent du conteur, mais tenter dextraire du corpus une information anthropologique sur les conceptions de la parenté et de lalliance. Cest ici un programme qui sera exposé, plutôt que des résultats, puisquune telle approche requiert une exhaustivité à laquelle on ne saurait prétendre.
Pour saisir le divers et la multiplicité il faut, bien sûr, une clé, une préconception. Lidée est de lire le corpus malgache avec la clé suivante : quand on compare les sociétés eurasiennes et les sociétés africaines, il apparaît une opposition remarquable quant à la position de la fiancée. En Afrique subsaharienne, la transaction matrimoniale seffectue par le paiement du prix de la fiancée (bride price) ou du prix de la descendance ; en Eurasie, une dot (dowry) accompagne lépouse chez son mari. Il existe des sociétés où lon achète une épouse et dautres ou lon achète un mari. On se posera la question de savoir si cette opposition est pertinente à Madagascar et, dans laffirmative, à quel modèle se rattache la conception malgache.
Communication
(présentation du programme de recherche)
Lintérêt pour les contes quand la réalité presse peut passer pour léger ou superficiel : à quoi bon sattarder à des histoires quand lhistoire nous oblige et, dirait-on familièrement, nous attend au tournant ? Cest sur ce que nous avons fait et non sur ce que nous aurons dit que nous serons jugés
Les conteurs malgaches eux-mêmes, dailleurs, ne pensent pas autrement qui terminent leur prestation par la formule rituelle : Ce nest pas moi qui ment, ce sont les Anciens, eux qui ont raconté ce que je viens de raconter. Ainsi :
Le rat, en se rinçant la bouche, sest cassé une de ses deux dents ; le ver de terre, le chauve, sest lavé la figure. Conte ! Conte ! Sornette ! Sornette ! Ce nest pas moi le menteur, ce sont les Anciens. (Renel, I : 50)
Voilà mon petit récit, voilà mon grand conte ! Si vous pouvez y répondre, il fera beau ; sinon, il pleuvra. (Renel, I : 101)
En fait le conteur passe le témoin :
Voilà le conte que jai raconté ! Récitez ce que jai récité ! (Renel, I :119)
ou encore :
Si cest une histoire vraie, elle vient des gens dautrefois.
Si cest une menterie, ce nest pas moi le menteur.
Cest une histoire quon a conservée,
Une histoire des gens dautrefois.
Ils lont racontée à leurs enfants
Jusquà moi qui lai entendu raconter,
Et je vous la raconte à mon tour. (Schrive : 67)
Le conte sait, en effet, faire la part des choses et rappelle quil y a un temps pour conter à la veillée, bien sûr et un temps pour travailler. Il est même mal venu de conter en plein jour. Dire des contes le jour, énonce un proverbe merina, rend la journée froide
Cest quil y a une dualité, propre à lhomme, entre laction et la réflexion : le jour assure la nourriture charnelle, la nuit la nourriture spirituelle. Cest cette pulsation du travail et de la réflexion en relation avec le rythme circadien, qui fait de lhomme un être à part. Car à lorigine, il nest pas mauvais de sen souvenir, lanimal qui a des cheveux sur le sommet : antendrovolo, vous et moi, nous puisque cest ainsi que les autres bêtes nous appellent vivait sur le même pied que toutes les créatures. Le conte fait partie de cette réflexion de lhomme qui se pense dans le cosmos. Le conte est métaphysicien.
Mais il est aussi sociologue et il y a des raisons objectives, et pas seulement littéraires, pour sintéresser aux contes. Car les contes exposent, dans leur nature dexemples ou de contre-exemples, le droit des sociétés traditionnelles et notamment une conception des rapports entre les hommes et les femmes, de la parenté et de lalliance. Je voudrais commencer par rappeler quil ny a pas là quune question de pure théorie juridique ou de simple curiosité sociologique pour qui sintéresse aux questions qui touchent au développement.
On sest aperçu, au début des années 70 que léchec des programmes de développement sexpliquait largement par le fait quon avait sous-estimé le rôle des femmes dans la production économique. Pour le dire dun exemple connu : sachant quen Afrique subsaharienne (je cite des chiffres du PNUD portant sur les années 1996 à 1999) ce sont les femmes qui effectuent entre 80 et 90 % des travaux agricoles, comment lattribution des financements pour le développement aux seuls hommes aurait-elle été en mesure daméliorer la production agricole ? Cette attribution na bien souvent fait, en réalité, que renforcer la situation de dépendance des femmes
On voit par cet exemple que la connaissance de la répartition des tâches selon les sexes, du mode de propriété, du mode de transmission des biens (lhéritage), la connaissance, aussi, des systèmes de parenté et dalliance (le mariage) sont déterminants pour comprendre et pour agir. Le droit à la terre et aux ressources naturelles, les activités respectives des hommes et des femmes sont évidemment codifés par la tradition. Un proverbe peul dit ainsi que la terre est un père qui ne reconnaît pas ses filles. De fait, les filles nhéritent généralement pas. Alors quen Afrique lagriculture est exercée par les femmes, je lai rappelé, cest la lignée de lépoux qui possède la terre. Une sociologue burkinabé peut ainsi écrire : Généralement considérée comme étrangère en sursis par sa propre famille et étrangère véritable dans le lignage qui la reçoit, la femme ne peut prétendre posséder et contrôler un bien aussi inestimable que la terre. (Konaté, 1992 : 23)
Avant denvisager ce que les contes malgaches peuvent nous dire sur la question, je voudrais attirer lattention sur ce que peuvent signifier les différences quant aux diverses façons de contracter mariage. Je vais pour cela proposer à votre critique une idée simple en notant au passage que faire compliqué, on y arrive toujours et que cest faire simple qui est compliqué.
Cette idée rustique consiste en une opposition :
- Il est des pays, en Afrique subsaharienne par exemple, où, pour se marier, il faut acquitter ce quon appelle le prix de la fiancée ou le prix de la descendance.
- En Asie, ou en Europe, à linverse, quand la jeune épouse quitte sa famille pour aller sétablir chez son mari, elle emporte chez celui-ci ce quon appelle une dot, cest-à-dire des valeurs ou des biens qui lui sont donnés par ses parents.
Pourquoi donc existe-t-il des sociétés où lon achète une épouse et dautres où lon achète un mari ? (Vous avez tous entendu parler, jimagine, de ce quon appelle, ou appelait, dans la littérature européenne, les coureurs de dot
)
Tout cela est lié à la nature même de la production des richesses.
Les civilisations à dot sont nées sur le limon des fleuves, du Tigre et de lEuphrate, du Fleuve Jaune, du Gange, du Nil... Ce sont des sociétés dagriculture intensive où la terre est limitée. Cest, en effet, dans les sociétés où lon pratique une agriculture extensive quon observe le paiement du prix de la fiancée. Lanthropologue britannique Jack Goody résume cette opposition dune formule dapparence paradoxale :
Dans les sociétés où lon cultive à la houe, on pratique le prix de la fiancée ; dans les sociétés où lon cultive à la charrue, cest la dot qui est la règle.
Il ny a évidemment aucun rapport direct entre la houe et le prix de la descendance ni entre la charrue et la dot. Mais il existe une relation directe, en revanche, entre lutilisation de la charrue et la constitution de surplus alimentaires. L'utilisation de la charrue, mais aussi la culture attelée, la roue, lirrigation..., la qualité des sols qui, ailleurs, impose la culture itinérante sont à lorigine de la stratification sociale.
Dans les sociétés dagriculture itinérante ou extensive, il ny a pas, ou peu, daccumulation de biens. La stratification sociale est quasi inexistante. Ces sociétés sont largement égalitaires dans la mesure où, dans leur sein, les clans et les lignées se pensent en corps : les groupes de filiation sont conçus comme des personnes morales.
Dans ces sociétés, la terminologie de parenté est classificatoire, mes oncles sont des pères et mes cousins, des frères. Le mariage est contracté par le paiement du prix de la fiancée ou prix de la descendance pour la perpétuation de la lignée. Cest le groupe agnatique qui réalise généralement cette acquisition, et le décès de lépoux laisse souvent lépouse au groupe des frères qui peuvent réaliser un mariage léviratique avec la veuve. En situation dagriculture extensive, les travaux agricoles étant largement exécutés par les femmes, cette transaction permet au groupe des frères dassurer sa reproduction.
Le mode de production (agriculture extensive ou agriculture intensive) porte évidemment des conséquences sur lhéritage. Dans les sociétés où il y a peu de différenciation sociale, la propriété est collective et lhéritage est horizontal. Au décès dun époux, ce ne sont pas les enfants qui héritent mais les collatéraux (les frères ou les surs). Il en va différemment dans les sociétés stratifiées, où la propriété est domestique et non collective, lhéritage est vertical et non horizontal. Ce qui sexprime demblée dans la terminologie de la parenté : dans les sociétés à dot, la parenté est descriptive et non plus classificatoire : les termes de parenté ne décrivent quune seule position généalogique (cette opposition, dans sa généralité et dans sa portée pour la compréhension de la culture, suffit à mon propos). Mes enfants héritent de mes biens et non mes neveux. Si je nai pas de biens à transmettre (ou si je les transmets à mes collatéraux), tous mes neveux sont mes fils et les cousins sont des frères.
A quoi sert donc la dot ? Cest un moyen de perpétuation de la différenciation sociale. Pour perpétuer son statut et transmettre son nom, il faut marier ses enfants dans son propre milieu, dans une famille de même statut. Pratiquer une endogamie sociale (professionnelle ou économique). En faisant bénéficier de son patrimoine aussi bien sa fille, que son fils (la dot peut être considérée comme un héritage avant la lettre) en dotant sa fille, un père contracte alliance avec un égal et saffirme dans sa distinction, il ferme et conforte le cercle des égaux, ou, pour filer limage de la stratification, en mariant sa fille dans sa classe sociale, il réaffirme son rang dans la hiérarchie économique. Ce qui est sans objet dans une société où il ny a pas, ou peu, de différenciation sociale.
Cette contrainte cet idéal de la transmission des biens à lidentique en ligne descendante entraîne un certain nombre de règles juridiques et de règles de conduite, un droit et une morale (qui nous sont familiers) :
- Le nombre des héritiers est nécessairement mesuré : ce qui implique un contrôle des naissances et lobservation de principes de dévolution limitant le partage du patrimoine parental ;
- Alors que la polygynie multiplie les bras et la descendance, la monogamie caractérise cette unité de production qui se transmet au fil des générations.
- La production dhéritiers légitimes engage également : virginité des filles et fidélité des femmes, soit diverses formes d'abstinence sexuelle.
Contrôle des naissances, monogamie, abstinence sexuelle caractérisent ainsi lunité domestique des sociétés où les gens ont du bien.
Ce que nous identifions comme la morale chrétienne se révèle être aussi, et peut-être dabord, un mode de reproduction patrimonial. Pour accéder au Paradis, les époux doivent arriver vierges au mariage, navoir quun seul partenaire et mesurer leurs étreintes. Le couple idéal doit sabandonner avec le souci de ne pas disperser son bien. Cette ascèse matrimoniale serait donc en réalité la conséquence de pratiques notariales. La chasteté est sans doute réputée être une vertu chrétienne, mais on ne ma pas appris au catéchisme que cétait un moyen de ne pas avoir à partager. Ces pratiques réservées sont évidemment dénuées de sens dans les sociétés où les biens se transmettent horizontalement. Une anthropologue américaine (il faut lêtre) qui interroge un pasteur africain (un propriétaire de cheptel et non un berger dâmes) à propos de pratiques sexuelles récréatives sentend répondre sur un ton incrédule : Mais pourquoi se priver de la possibilité davoir un enfant ? Elle aurait pu prendre pour exemple celle qui consiste, selon lexpression biblique, à battre son blé au-dedans et à semer au-dehors. On remarque immédiatement aussi que la morale chrétienne est bien nécessaire et comment ! dans les sociétés inégalitaires, constitutionnellement fondées sur linjustice, mais superflue dans les sociétés égalitaires où il ny a pas, ou peu, de biens à transmettre et où les parents nont pas attendu le précepte évangélique pour vivre comme des frères puisquils sont, en vertu du système de parenté classificatoire qui les identifie, déjà des frères. De fait, le substrat juridique (celui du temps de Jésus, comme celui des sociétés missionnaires porteuses de la bonne parole) sur lequel se développe le message chrétien est bien celui dune société inégalitaire. (Là où lislam ou le christianisme pénètrent, on constate en effet une individualisation des modes de production aux dépens de la propriété collective.) Que penser, donc, de limportation de cette morale dans des sociétés qui ignorent la propriété telle que les sociétés à dot la connaissent, dans les sociétés égalitaires où la stratification sociale est faible et non pas constituante ?
Ces données élémentaires étant rappelées, je vais poser la question de savoir à quel modèle se rattache la conception malgache. Je ne suis pas sûr que cette hypothèse soit vraiment productive en lespèce et je me demande si je ne suis pas en train, comme on dit parfois aussi dans les contes, de perdre une belle occasion de me taire. Mais il est trop tard pour reculer
*
Je vais donc commencer par effectuer un rapide relevé des thèmes de parenté dans les contes. Il sagit là, en réalité, dun programme et dun appel à laide. Comme on le verra, je ne suis spécialiste ni de littérature orale ni du domaine malgache. Je lance donc à la cantonade (beaucoup de cantons étant représentés ici) un appel à toute bonne volonté qui voudrait bien travailler à cette hypothèse. Jai exploré quelques documents accessibles au Fonds de lOcéan indien de luniversité de la Réunion (jen donne la liste en fin de communication). Il serait bien évidemment inconsidéré de prétendre tirer des conclusions dun inventaire aussi partiel (mesuré, par exemple, aux quelque cent-cinquante références citées par Lee Haring dans son Malagasy Tale Index (1982), linformation tirée du conte devant toujours, de surcroît, être confrontée à la réalité ethnographique.
Pour tester lhypothèse que je viens de présenter, il faut donc rechercher dans les contes les informations touchant au mariage, au statut juridique de la différence des sexes, au mode de production, à lhéritage et à la stratification sociale. Je vais présenter ici, en réalité, une grille de lecture visant à la constitution dun tableau dont les cellules (pour employer le terme des logiciels dits tableurs) restent à instruire
Je me bornerai à lister des éléments tirés des sociétés Bara, Sakalave, Betsimisaraka et Tsimihety, pour lessentiel, en guise de première approche. (Le style télégraphique est ici utilisé au détriment de lart pour mettre en évidence le script du conte et son message.)
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- Le mariage est un contrat
Les contes nous rappellent que le mariage est un contrat entre deux familles, lignée paternelle et lignée maternelle. Qui dit contrat dit intérêt commun mais aussi intérêts concurrents. De fait, plusieurs voies sont praticables pour mener à terme les arrangements matrimoniaux et ces choix caractérisent, précisément, les différents systèmes de parenté et dalliance que lon peut observer dans la généralité des cultures. Trouver la bonne distance matrimoniale est un problème qui se pose à toutes les sociétés. Se marier avec des proches fait question, se marier avec des étrangers fait aussi question. Cest ce quon pourrait appeler la croix ou le dilemme du mariage.
Sagissant de la résidence matrimoniale, par exemple, le nouveau couple peut sétablir chez les parents de lhomme (virilocalité) ou chez les parents de la femme (uxorilocalité). Quand on se marie, donc, où doit-on aller habiter si lon sen rapporte à la tradition malgache ?
- La résidence est normalement virilocale
Cest lexemple démontré ab absurdum par un conte recueilli chez les Betsimisaraka intitulé :
Terre-de-Droiture mis au cachot par ses beaux-parents.
Il était une fois un homme quon appelait Terre-de-Droiture. Il partit rendre ses devoirs à ses beaux-parents. Et là, rendant ses devoirs à ses beaux-parents, il finit par rester habiter
Ses beaux-parents le retiennent prisonnier dans un cachot (hazo : dans une prison de bois = un cercueil) dissimulé en pleine forêt. Cest pourquoi il est interdit aux hommes de la descendance de Terre de droiture de résider chez leur belle-famille. Et cest pourquoi aussi le bec de loiseau-supplieur dégage une si mauvaise odeur. (Fanony, 2001, I : 35)
Quiconque veut encore suivre sa femme, à partir daujourdhui, puisse-t-il être piteux ! Que rien ne lui réussisse ! Puisse-t-il avoir une vie chétive, un sort mesquin !
Fulgence Fanony commente : Terre-de-Droiture se met [
] dans la situation déshonorante du jalôko ou mifehy antsy, lhomme [
] qui accepte de demeurer dans le pays de sa femme. (id. : 37)
Que tous ceux qui ne disent pas : conte, conte
Soient pauvres loqueteux sous le toit de leurs beaux-parents ! (le jalôko visé plus haut)
Conte, conte, et zut ! (id. : 289)
La résidence est donc virilocale (on vient de voir les malheurs qui vont avec luxorilocalité), mais la nouvelle mariée doit être accompagnée par les siens chez son mari. Cest ce quenseigne un conte intitulé La fille difficile qui se termine par la morale suivante :
De toute ma descendance, de toute ma lignée, celui qui naccompagne pas une nouvelle mariée chez son mari, quil soit maudit à jamais.
Cest à cause de cela que, lorsquil y a un mariage, il faut accompagner la nouvelle mariée, il faut que les gens de son village laccompagnent à sa nouvelle demeure. (ibid. : 73)
Si la nouvelle épouse quitte son village et sa famille, elle ne doit cependant pas oublier les siens. Voici ce qui arrive, dans ce conte Bara à :
La fille qui méprise sa famille (Faublée : 98-102).
Rasisani, femme aimée des hommes, a été épousée par un roi qui lui a donné beaucoup de bufs. Son frère tombe malade.
Reine, ton frère est malade, va là-bas.
Je nirai pas car mon mari ne me laisse pas y aller.
La maladie de son frère saggrave ; celui qui soigne le malade demande : Rasisani ne vient donc pas ?
Non elle ne vient pas car son mari ne la laisse pas venir ici. Mort du frère.
Rasisani dit à son mari :
Mon frère est mort, que ferons-nous ? quand il était encore malade, tu ne mas pas laissée aller là-bas, beaucoup de gens en ont parlé.
On ne laccepte pas aux funérailles :
Car si elle vient ici nous laccuserons de sortilège ; quand notre frère vivait, il la prévenue, elle nest pas venue, préférant son mari à son frère. Pars, retourne chez ton mari, notre père navait pas de sur, cest le seul enfant de son père et de sa mère.
Elle meurt
Ses parents ne veulent pas récupérer son cadavre. Elle a été mal enterrée
elle est déterrée par les bêtes.
Il vaut mieux être pauvre que sans famille.
La femme habite dans le village de son mari, commente Faublée, mais il est normal quelle rende visite à ses parents assez souvent. Il existe un véritable rituel de ces visites.
La femme nest enterrée dans le tombeau de son mari que si elle a eu de lui des enfants, et même en ce cas, il arrive quelle soit inhumée au tombeau de sa propre famille.
Dans ce récit, la famille maternelle maintient ses droits contre ceux de la famille de lhomme. (id. : 102)
Ces contes révèlent quelques aspect de la nature dialectique, de tribulation, nécessaire et inévitable, du mariage.
- Les limites matrimoniales : endogamie et exogamie. À quelle distance est-il bon de se marier ?
Le mariage de parents chez les Bara. Chez les Bara, le mariage proche est possible, voire, dans la famille royale, le mariage du frère et de la sur. Mais alors un rituel spécifique simpose : le tandra. Le rituel neutralise la proximité et permet la conservation du patrimoine.
Deux parents se sont mariés
Autrefois des enfants dun frère et dune sur se sont mariés sans faire le tandra. Souvent, ils ne sont pas daccord et se disputent.
La femme est enceinte, mais la grossesse se passe mal
Jignore ce qui fait mal à ton ventre, peut-être y a-t-il une règle fixée par dieu pour les enfants de frère et de sur qui se marient. Les notables le sauront peut-être
Ils ont fait la prière et le sacrifice.
Ceux qui allaient être époux ont fait le tandra. Ils se sont mariés. La femme a enfanté. Lhomme na pas été malade. (ibid. : 29-31)
Normalement, écrit, Faublée (ibid. 28), le frère ne peut épouser sa sur. Il doit même éviter denjamber ses vêtements, sa natte à coucher. Ce nest que dans la famille royale, celle des Zafimaneli, que linceste entre frère et sur est normal. Mais là il faut expliquer lorigine des hommes [
] Le tandra est la cérémonie ordonnée par dieu pour éviter les risques de linceste [...] Chez le parents de la femme, on sacrifie un buf appelé taha fali, compensation de linterdit.
Un conte Bara qui se termine tragiquement est loccasion pour Faublée (Lhomme meurtrier de son beau-père, ibid.103-110) de rappeler les avantages du mariage entre cousins. Laîné a engendré une fillle Hanuhanuvula, le cadet un garçon, Revalu. Ils sont devenus époux. Ce type de mariage peut être désiré par les deux familles : Ainsi les enfants, au lieu à davoir à faire les marques doreilles de leurs deux familles, paternelle et maternelle, nauront quune marque de bufs. (ibid. : 111)
Revalu, le mari, demande : Qui règne, mon père ou ton père ? Nous allons faire le tour du royaume de ton père dit lhomme.
Nous ferons aussi le tour du royaume de mon père dit la femme.
Un mois et demi contre quatre pour le tour du royaume du père de la femme.
Ton père règne vraiment dit lhomme.
Il va chasser le sanglier
Il a tué le père de la femme ; il a sagayé la mère de la femme.
Mais, généralement, on ne se marie guère dans le même village. Voici ce qui arrive, en Androna, à un père qui marie sa femme à un homme dun même village (Rabearison : 12).
Ce père était borgne et il décide de marier sa fille à un éleveur doie du village.
Le père rend visite à sa fille. Le gendre était en train de donner à manger aux oisons qui, bien entendu, navaient cesse de crier : Gila, gila ! Aveugle ! aveugle ! [Malzac : qui cligne dun il]. Le gendre, croyant que les oisons se moquaient du beau-père massacre ses oisons.
Sa femme, qui était à côté en train de piler le riz, se précipite : scène de ménage, échange de coups.
Moralité : Il ne faut pas se marier dans le même village ( et ce nest pas dans lattribution des hommes de nourrir les oies
)
Léloignement de sa famille est difficile à supporter, mais nécessaire. On regrette douloureusement les siens quand on se marie à trop grande distance.
Ainsi, le pigeon dun conte sakalave, ayant épousé la sur de la tourterelle et fixé par labondance de nourriture chez sa belle-famille, regrette-t-il amèrement les siens quil ne pourra plus rejoindre (Dandouau : 40). Et cest bien ce que signifie le chant répétitif et nostalgique du pigeon vert.
Le pigeon quitte les siens et suit la tourterelle : il se marie avec la sur aînée de la tourterelle :
Ry ! ny aminayè ! ry, ry ! : Eh là, les miens, è, là, là !
Il regrette sa famille
La tourterelle, se plaignant, ne peut le reconduire :
Mbola mohaka ! mbola mahaka ! Jai mal à la poitrine
Le grief de léloignement se superposant ici à celui de luxorilocalité.
Comme je le disais tout à lheure, il sagit de trouver la bonne distance. Cest ce quexprime le thème de la fille qui refuse tous les partis quon lui présente et qui préfère les étrangers qui se révèlent être des ogres. La monstruosité étant bien sûr une expression de cette distance excessive.
Ainsi les trois surs qui épousent les trois frères qui ont des queues (Renel, I) dont il a été ici question avant-hier. (Exemple de la polysémie des contes : la monstruosité connote ici la trop grande distance et non le donjuanisme des possesseurs de queues...)
Ainsi encore, dune fille qui sétait mariée dans un village très éloigné. Après le départ de sa sur, un des fils se transforma en Fananimpitolpoha (serpent à sept têtes). (Renel, I : 86) Il veut manger son beau-frère. Cest cette fois le mari qui est victime de ce choix excentrique.
Quoi quil en soit, la famille maternelle représente, à des degrés divers, laltérité et la femme étrangère est toujours quelque peu une Raumba (Bara), une femme sauvage
Un conte Bara rapporte ainsi lhistoire dun homme qui a épousé une Raumba.
Berunatu, le mari de La Sauvage (Faublée : 112)
Le mari a rapporté de la viande souillée qui la fait mourir. (id. : 116)
Raumba, commente Faublée, signifie la Sauvage, femme de la brousse. Dans ce récit, cest une créature humaine représentant la famille maternelle.
- Les relations avec la belle-famille
Les familles qui contractent mariage sont donc, en quelque façon, à la fois alliées et ennemies et leurs relations sont codifiées par la tradition.
Ainsi, chez des étrangers, on est réservé et cest lorigine de lexpression Aza mano vahiny (Dandouau : 87) Ne faites pas comme des étrangers !
Cest lhistoire dun garçon qui va demander une jeune fille en mariage, qui ne mange pas le riz quon lui offre
et qui finit par mourir dinanition.
- Belle-mère et belle-fille sont nécessairement en conflit
Voilà un thème universel décliné comme suit dans un conte Betsimisaraka (Schrive : 67). Cest une scène où la belle-mère et la belle-fille se disputent :
La belle-fille, trouvée dans un arbre, na pas apporté de trousseau au mariage : elle se vêt de feuilles de larbre appelé nanto. Voilà pourquoi belle-fille se dit ravinanto (Madame feuille de nanto).
Lorsque la belle-mère lui remémore cela, la belle-fille ne se fait pas faute de lui rappeler que, pour la cérémonie de mariage, les beaux-parents nont tué ni buf, ni dinde, pas même un poulet. Ils nont fait cuire que des crabes. Et voilà pourquoi belle-mère se dit Rafozana, Madame crabe
Un conte Betsimisaraka narre lhistoire dun homme dont le beau-père rend souvent visite à sa fille (Rabearison : 12) montrant quil y a là quelque chose dexcessif.
Le mariage est un nouvel état qui doit être accepté comme tel, un père doit, dune certaine manière, faire le deuil de sa fille.
- Lallliance est une nécessité, indispensable et redoutable à la fois
Ce quexpriment aussi les relations rituelles entre les beaux-frères. Celles-ci sont ainsi marquées dambivalence, une ambivalence qui sexprime notamment dans les relations à plaisanterie
Aussi est-il approprié de sadresser à son beau-frère en ces termes :
Toi, mon beau-frère, tu dois mourir. Je souhaite que la foudre tombe sur ta tête ; que mille sagaies percent ton ventre et ta poitrine ; que des caïmans te dévorent
Si je meurs, beau-frère, qui veillera sur ta sur, qui élèvera tes neveux ?
Ça beau-frère, ne ten inquiètes pas. Meurs vite, meurs dans les feux dévorants. Que les mouches viennent chanter sur ton cadavre. Quel bonheur, beau-frère, dapprendre un jour quun taureau furieux se sera rué sur toi, que des cornes pointues tauront percé le ventre, tauront projeté en lair, tauront dispersé les entrailles ; que des sabots tauront piétiné et réduit en morceaux. (id. : 55)
Les relations ritualisées entre loncle maternel et le neveu participent aussi de cette double allégeance. Un conte recueilli par Fanony (Fanony, II : 11) montre un neveu qui prend au pied de la lettre une expression traditionnelle des comportements ritualisés qui régissent les rapports du neveu et de son oncle maternel. Selon un informateur, lamour dun oncle pour son neveu était tel que même sil le surprenait avec sa femme, il ne pouvait le blâmer publiquement ni laccuser dadultère. Il devait au contraire lui déclarer : Si tu aimes ma femme, prends-là pour toi, mais ne la prend pas en cachette.
Cest que loncle maternel, zama, est la mère au masculin. Dans le sud-ouest on lappelle renilahy mère-mâle. Il peut se substituer au père et a des droits sur ses neveux. Le fait davaler le prépuce de son neveu lors de la circoncision lui confère ce droit.
On voit donc dans ce bref et premier aperçu quà Madagascar, Fokon-dray no mafana "Le clan paternel est chaud : le clan paternel est le clan fort.
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Jen viens maintenant à une question qui spécifie aussi les systèmes de parenté :
- Qui possède lautorité juridique sur les enfants : le père ou la mère ?
La réponse malgache est sans équivoque, cest le père et chez les Bara les conteurs soulignent dans la circoncision la prise de possession de lenfant par le père. Au cours de la fête, paternels et maternels se livrent un combat simulé, assez vif pour quil y ait souvent des blessés. (Faublée : 489)
La prise de possession juridique du père sur lenfant sexprime de différentes manières : à la faveur dun rituel sacrificiel ou de la circoncision, comme il vient dêtre dit, en rachetant lenfant à la lignée maternelle ou aux forces de la nature.
Les femmes nont pas les enfants.
Discussion entre un mari et sa femme :
Ce nest pas ton enfant, cest moi qui lai enfanté
Lenfant tombe malade.
Dieu : Il sagit dun remède très difficile, répond Dieu (à la femme). Si tu noses pas le supporter, cest que ce nest pas ton enfant. Si tu oses lendurer, cest bien ton enfant.
Lève la tête pour que je tégorge, tu marqueras ton enfant du sang de ta gorge et il sera guéri.
La femme refuse.
Lhomme, à son tour
Et il légorge et atteint la trachée artère. Voilà pourquoi lhomme a une pomme dAdam.
Il est à toi conclut Ndriananahary, même si cest sa mère qui la porté dans son ventre.
Il ramena du sang et en marqua son enfant. Voilà pourquoi lenfant appartient à lhomme. (Zefaniasy Bemanjara : 102)
Pourquoi les femmes nont pas eu le droit aux enfants.
Après être restée longtemps sans enfants, une femme obtient de Dieu dêtre enceinte. Elle porte alors deux bébés ; mais si lun est normalement dans son ventre, lautre est dans son mollet. Elle met au monde deux petites filles. Celle qui est sortie du mollet nest pas née dans la douleur
Cette dernière est ravie par un être qui vit dans létang. Son père fait à létang le sacrifice dun buf et la fille revient.
Cest pourquoi les enfants appartiennent aux hommes et non aux femmes, et doivent être élevés dans le village de leur père. (Fanony , I : 221)
Définition de la puissance parentale et de la règle de résidence des enfants (id. : 227)
Chez les Bara :
- Vous êtes tous les deux les maîtres de lenfant, mais lhomme est le vrai maître car il a tué un buf au sacrifice du mariage, et il a salué respectueusement ton père quand il ta demandée pour femme. (Faublée : 122)
- La circoncision : lhomme y assiste et non la femme. Lenfant lui appartient.
Il est interdit aux femmes de lever leur sein (en rétorsion). (id. :122)
- Nous avons épousé les femmes.
La femme est enceinte, lenfant est malade.
Va chercher un remède chez le chef.
Si tu veux que ton enfant vive, ôte ton vêtement.
Elle arrive à la maison où est son enfant ; la femme nose ôter son vêtement.
Lhomme est allé chez le chef.
Enlève ton vêtement quand tu arrives là-bas près de ton enfant malade.
Lhomme arrive là, il a rejeté son vêtement. Son enfant malade sest levé ; il a ri de son père quand il a vu quil avait enlevé son vêtement et lenfant malade a vécu. Les enfants ne sont pas à vous, femmes, les hommes les auront à eux, car ils les ont payé le prix en rejetant leur vêtement. (ibid. : 128)
Enfin, toujours selon un conte Bara (ibid. : 144)
- Un couple dont lenfant est malade se présente devant dieu.
Dieu : je couperai ta verge et ton clitoris si vous êtes daccord.
La femme na pas consenti, lhomme a consenti
- Polygamie ou monogamie ?
Idéalement, polygamie, même si cela pose quelques problèmes spécifiques qui constituent un des topos des contes : celui de la rivalité des épouses et de leurs enfants. Un conte Masikoro (Andrianirinarivo : 129) parle du prix de la jalousie, vily rafy : rachat de la polygamie.
Polygamie engendre rivalité des épouses : des femmes rivales et des enfants des rivales.
Les enfants des rivales. (conte Bara)
Raumba et Raolumalala étaient femmes de Zatuvu.
Je nai pas de sur, femmes, vous êtes comme mes surs, faites ce quil faut pour que vos enfants soient daccord, car sils se disputent ils ne pourront pas menterrer si je meurs.
Elle ma traitée de femme sauvage épousée par toi, je lai traitée desclave épousée par toi
La querelle entre les deux épouses révèle les oppositions exposées précédemment : lune se voit accusée dêtre une femme sauvage (Umba désigne les hommes ou femmes sauvages, créatures de la brousse), lautre de navoir pas de famille : tu es une personne sans famille, tes enfants nont pas doncle maternel
donc une esclave (un Bara considère quun esclave na pas de famille.) Ainsi les femmes dun polygame se détestent. (Faublée : 175) La première femme reste la vraie maîtresse. Les maisons des autres femmes sont au sud.
Les rivales Je déteste ce que tu mas fait, tu me considères comme une esclave, car tu as dabord piétiné les rizières de la seconde femme. Epoux, je te demande, mas-tu épousée ou ne mas-tu pas épousée ?
Le mortier : Non, dit la première femme, cest moi la dépositaire des biens de notre mari, car cest moi la plus ancienne.
La seconde a dû épelucher le riz avec les ongles.
Ainsi les parents des femmes rivales ne saiment pas, car ils se sont ensorcelés jadis. Même les enfants des rivales se détestent et sentretuent parfois. (Faublée : 190)
- La hiérarchie au sein de la famille : la prééminence de laîné, les contes mettent parfois en scène le lévirat.
Le statut de laîné.
Lenjambement. (Faublée : 65)
Trois hommes : un cultivateur, un homme riche en bufs, un piégeur de pintades.
Là où le piégeur de pintades tend ses pièges, le cultivateur a défriché. Là où sont les champs du cultivateur, le riche fait paître ses bufs.
Dieu : les gens ne peuvent pas passer au-dessus de leur aîné ! Vous serez ses esclaves car vous êtes ses cadets, et les hommes ne peuvent pas passer au-dessus de leur aîné, cest une coutume venue de Dieu.
Trois modes de vie ; supériorité de laîné ; interdiction denjamber.
Contre-exemple : On tue un buf. Tu as une grosse bosse, dit-il, sa queue à laîné, à moi la bosse, à toi les pattes mon aîné, à moi la cuisse avec beaucoup de chair. (Faublée : 68)
Le lévirat, en voie de disparition, est dusage normal dans les récits, selon Faublée.
Zatuvu, sa femme, son frère. En labsence du frère, il presque normal quun des frères fréquente la femme de labsent. Le seul frein à cette habitude est le respect que lon doit à laîné, en tant quaîné, non en tant que mari de la femme. (Faublée : 242)
Le frère hérite la femme. (Bara)
Toi, femme, tu ne mettras pas en deuil de moi, tu seras héritée par mon cadet.
Je lhériterai, mais selon la coutume des ancêtres ; on ne peut hériter les biens qui viennent du mort tant que la prière et le sacrifice dhéritage ne sont pas achevés.
Cest pour cela que les frères héritent les femmes les uns des autres. (Faublée : 71)
*
Y a-t-il, traditionnellement, stratification sociale, des riches et des pauvres, des spécialistes ?
Pour le savoir, il faut poser la question : dans quel mode de production nous trouvons-nous ? Houe ou charrue ? Travaux agricoles réalisés par les hommes ou par les femmes ? Qui possède la bêche ? Qui piétine la rizière ? Qui possède les bufs ? Y a-t-il constitution de stocks alimentaires, une accumulation primitive permettant la constitution de corps de spécialistes ? etc.
Première remarque : lorganisation sociale est religieuse (elle se donne un fondement cosmologique).
Dieu désigne le roi.
En ce temps-là il ny avait pas de nourriture que nous puissions manger. Dieu a alors envoyé de là-bas toutes les choses : les mottes de terre, les aliments
Appelés par lui, tous les gens sen saisissent. Les hommes ont eu les bêches, les femmes les marmites. Les gens qui ont obtenu la terre sont inquiets, car la terre est tenue par les hommes qui ont obtenu les mottes de terre
Dieu fait chefs ceux qui ont obtenu la terre.
Cest ainsi que les rois règnent. (Faublée : 204)
Lorigine de la royauté. La fonction religieuse du roi.
Ainsi dit le roi, lhomme libre a les bufs, le roi a la terre, le cultivateur a les récoltes, le magicien a les arbres, cest le roi qui est le vrai maître du sol. (Faublée : 207) Le roi bara est le maître du sol. Il est, plus que tout autre, capable de supporter les rapports avec les esprits du sol, les helu. Chacun possède la jouissance des terres quil a défrichées ou héritées. Parfois on donne au roi les prémices. Lassiette du roi est sacrée : y mettre des aliments souillés = souiller le roi. (Faublée : 261)
Il y a certes des riches et des pauvres, mais les contes renvoient davantage, moins à une stratification sociale interne quà des modes de production différents, mettant ainsi en scène :
Le cultivateur, le pasteur et le cueilleur de miel, marquant généralement la prééminence de léleveur sur le cultivateur (parce que son capital se reproduit de lui-même).
Le chercheur de miel. (Bara)
Le miel est notre dieu, avec lui nous célébrons la grossesse de nos femmes ; ceux qui nont pas de bufs sen servent pour la circoncision ; les remèdes avec lesquels nous soignons nos enfants en sont enduits. (Faublée : 226)
Lhomme pauvre. (Bara)
Salut seigneur, japporte du miel, je nai pas de richesses, les hommes ne sont pas égaux, mais jamène ce que jai. (Faublée : 259)
Les bufs. (Bara)
Je me tuerai, dit-il, je déteste être raillé par les gens du même village que moi, moi qui avais beaucoup de bufs, je deviendrai pauvre. (Faublée : 262)
Nous navons pas dargent, nous navons pas de troupeaux, nous navons pas de terrain pour cultiver le riz, des patates et du manioc. Aussi le roi, nous voyant si pauvres, nous a renvoyés loin du village. Cest pour cela que nous habitons sur la lisière de la forêt. (Dandouau : 282)
La propriété, cest essentiellement le troupeau. La marque familiale (Bara), la famille, cest la raza, avec nom, arbre généalogique, marque de bufs, patriarche et culte des ancêtres. (Faublée :167)
Une demande en mariage.
Moi, dit B. je te demande comme femme si tu veux.
Oui, mais je naccepte pas si mon père nest pas présent, car je suis fille unique, il convient que je respecte mon père.
Je viens ici demander ton enfant comme épouse.
Mais je ne connais pas ta famille, dis-moi ton nom.
F. a enfanté une fille ; lenfant est grande.
Nous allons, dit sa mère, rendre visite à ton grand-père, car il est vieux et il ne te connaîtra pas si je meurs.
Chez les Bara, il est dusage, quand le petit enfant va visiter ses grands-parents, que ceux-ci lui fassent un cadeau de buf ou de bufs vivants, souvenir de la famille maternelle au village du père.
Les bufs sont marqués aux oreilles. Ne pas avoir de marque de bufs cest appartenir à une famille desclaves. En principe la marque de la famille paternelle domine.
Quand le père de la femme veut la libérer de son mari, il rembourse à ce dernier le buf que celui-ci a souvent offert pour que le père de la femme fasse le sacrifice propitiatoire tandra. Obligatoire entre membres de la même famille, le tandra est souvent célébré pour nimporte quel mariage.
Voici un buf que je te donne, quand vous marquez ses oreilles, faites-y ma marque.
Elles reviennent. B. a fait sa propre marque doreille.
Mon mari nous considère comme des esclaves
Ainsi on ne peut changer la marque doreille des bufs ; au buf cadeau du père on fait sa marque ; au buf cadeau de la lignée maternelle on fait sa propre marque. (91)
Ceci étant posé on devrait pouvoir déduire le mode de transmission des biens : horizontal ou vertical, héritage du fils ou héritage du fils et de la fille.
*
Lhéritage
- Qui hérite ? Le fils ou la fille ? Les fils ou les neveux ? Laîné ou le cadet ?
Le rafia et le cocotier sont cousins germains (Dandouau : 104). Le rafia est lenfant de la sur et le cocotier est lenfant du frère. Ils sentendaient autrefois à merveille et mûrissaient leurs fruits lun près de lautre.
Vos paroles sont rondes comme le fruit du goyavier et longues comme la racine du manioc.
Si vous ne voulez pas me donner la part qui me revient de lhéritage de nos ancêtres nous seront en procès. Chacun a sa part des biens. Le grand a la sienne et le petit a la sienne. Donnez-moi celle qui est à moi.
Le cocotier eut peur, il senfuit [il paraît redouter le verdict du fokonolona]. Le cocotier au bateau : je suis en procès avec le rafia qui veut me prendre tous mes biens.
Si les biens que ce cocotier a emportés sont ceux de nos grands-parents, que les cocotiers soient maudits
La transcription du conte ne permet malheureusement pas de dire qui est de droit lhéritier, lenfant de la sur ou lenfant du frère
Les bufs de loncle maternel. (Bara)
Je ne te donne pas mon enfant pour garder tes bufs, demande lenfant de ta sur pour garder tes bufs.
Oui, mais si je meurs, ton enfant naura pas de part.
Malgré la parenté classificatoire, lenfant nhérite que de son vrai père.
Loncle maternel est le soutien de son neveu, tandis que loncle paternel défend son fils contre son neveu. (93)
Ils ont partagé les bufs (sur linstruction du roi). Le frère du mort a dressé un parc à bufs, il a voulu faire entrer les bufs dans le parc, ils se sont enfuis en brousse et sont devenus des bufs sauvages
Souvent les enfants du frère nhéritent pas de loncle paternel. (Faublée : 93)
Lhomme doit assurer la vie du ménage. Les biens de la femme, surtout les bufs restent à la garde de son frère. (Faublée :143)
Voici un conte édifiant qui explique pourquoi le fils hérite et non la fille
Un père sacrifie un zébu et demande à sa fille et à son fils de choisir leur part de lanimal sacrifié. La fille, est invitée à choisir en premier. Elle choisit le filet. Le fils, lui, prend la cuisse avec un morceau de la peau du ventre de lanimal qui reste attachée à la cuisse. On fait cuire les parts. Le garçon dit alors à sa sur :
Pose ton filet sur la peau, il va cuire avec ma part
Sous leffet de la cuisson, la peau se referme sur la part de la fille et
la déshérite.
Et voilà pourquoi les filles nhéritent pas. [Origine à déterminer, source orale]
- Y a-t-il dot ou prix de la fiancée ?
La circulation des biens associée au mariage apparaît relativement peu importante.
Dans les sociétés pastorales africaines cest presque un troupeau (une douzaine de têtes de bétail) qui prend la place de la fiancée quittant son village (ce qui permet au frère de se marier à son tour).
Qui arrange le mariage ?
Les beaux-parents ne veulent pas dun gendre paresseux et lexploitent honteusement. Pour avoir leur fille, il doit :
Creuser une pirogue avec ses ongles, semer un grenier plein de riz, ramasser les grains de riz dun plein grenier, faire une corde avec ses cheveux
(Fanony, I : 217)
Lhomme aux trois bufs et lhomme aux trois femmes.
Celui qui possède les trois femmes fait mine de donner ses femmes tour à tour : complices, celles-ci rentrent chez leur premier mari quand le buf sacrifié (en échange) est consommé
(Renel, I : 120)
Lorigine des montagnes
La terre renonce à se marier avec le ciel :
Quelle est cette coutume quil prétend me faire suivre ? Est-ce à la fiancée, maintenant, de courir au-devant de son futur mari ? (Dandouau : 113)
Chez les Bara, quand le père de la femme veut la libérer de son mari, il rembourse à ce dernier le buf que celui-ci a souvent offert pour que le père de la femme fasse le sacrifice propitiatoire (voir supra).
Les bufs de loncle maternel.
Je ne te donne pas mon enfant pour garder tes bufs, demande lenfant de ta sur pour garder tes bufs.
Oui, mais si je meurs, ton enfant naura pas de part.
Malgré la parenté classificatoire, lenfant nhérite que de son vrai père.
Loncle maternel est le soutien de son neveu, tandis que loncle paternel défend son fils contre son neveu. (Faublée : 93)
Ils ont partagé les bufs (sur linstruction du roi). Le frère du mort a dressé un parc à bufs, il a voulu faire entrer les bufs dans le parc, ils se sont enfuis en brousse et sont devenus des bufs sauvages
Les enfants du frère nhéritent pas de loncle paternel. (Faublée : 93)
- Lapport de lépouse.
La vannerie et lécorce battue. (Bara)
Quand la femme se marie et vient chez son époux, elle apporte toujours des vanneries fines, quelle emportera si elle divorce. Toute femme bara sait travailler la vannerie et aurait honte darriver sans ouvrage de vannerie chez son mari. (Faublée :134)
- Stratification sociale
La société malgache traditionnelle apparaît peu stratifiée. Un peu comme en Afrique où il y a une grande homogénéité des sujets
- Qui fait lacquisition de lépouse ?
Bien quil y ait des traces de lévirat, le mariage apparaît comme une affaire qui engage les parents immédiats et non la lignée.
La fille nhérite pas, ou sa part est moindre que celle du fils.
- Qui cultive ?
La bêche est un instrument masculin.
Le piétinage est affaire de buf et dhomme. Etc.
Conclusion
En guise de conclusion à cette courte présentation, je vais proposer, comme je lai annoncé, un tableau ouvert, lobjet de cette recherche étant den documenter les cellules
Mais je voudrais aussi, pour finir, rendre hommage à la sagesse malicieuse du conte.
Cest une histoire de gendre et de beau-père.
Donne-moi ton chat, dit le gendre.
Cest un être difficile à élever, rétorque le beau-père, tu ne peux lélever. Parce que cest un être qui demande toujours
Le gendre emporte le chat :
Cet être-là arrive, on tue un buf.
Umeo ! meo ! fait le chat [Umeo, meo : forme impérative de donner.]
Il demande encore avant davoir fini, il demande sans cesse.
On tue un mouton. Le chat na pas fini quil demande :
Meo ! meo !
On tue une oie.
Meo ! meo !
On tue une poule.
Meo ! meo !
On a pris de la viande pilée cuite à la graisse. Il ne la mange pas et il réclame encore
(daprès Faublée : 217)
Lethnologue est un peu comme le chat du conte : vous lui donnez le foie, il demande encore un autre morceau : il a toujours une question en réserve ; tout lui fait ventre et la panse de son indiscrétion nest jamais remplie. Je mautorise donc du Conte et je me permets ici démettre un miaulement plaintif qui est un appel à collaboration. Jespère seulement que lethnologue ne mérite pas le qualificatif dingratitude et dhypocrisie quon attribue généralement au chat, qui se sauve avec le morceau quon lui a donné ou quil a réussi à chiper (dans le conte cité, le gendre tue dailleurs linsatiable chat...).
Je vous remercie de votre générosité et de votre aimable attention, en demandant votre indulgence si je nai pas réussi à être aussi simple que je laurais souhaité.
Tableau comparatif
(Eléments de comparaison les valeurs +, , ± sont indicatives au lien hypertexte infra :
Transmettre le patrimoine génétique, transmettre le patrimoine économique :
paradoxes de la reproduction, chapitre 13.2)
|
Afrique subsaharienne
|
Egypte ancienne / Grèce
|
Madagascar
|
Stratification |
|
+
|
|
Houe |
+
|
±
|
|
Charrue |
|
+
|
|
Héritage horizontal |
+
|
|
|
Héritage vertical |
|
+
|
|
Polygynie |
+
|
|
|
Monogamie |
|
+
|
|
Exogamie |
+
|
±
|
|
Endogamie |
|
+
|
|
Lévirat / Epiclérat |
+
|
+
|
|
Prix de la fiancée |
+
|
|
|
Dot |
|
+
|
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Sources
Andrianirinarivo, F. Q., C. Mandihitsy, C. Odon, M. C. Paes et Velonandro, s. d., Tsimananga et autres contes malgaches en dialecte masikoro, Foi et Justice, B. P. 3832, Antananarivo.
Dandouau, A., 1922, Contes populaires des Sakalava et des Tsimihety, Alger.
Fanony, F. 2001, LOiseau Grand-Tison et autres contes des Betsimisaraka du Nord (Madagascar), tome 1, LHarmattan, Paris. Le Tambour de logre et autres contes des Betsimisaraka du Nord (Madagascar), tome 2, LHarmattan, Paris.
Faublée, J.,1947, Récits Bara, Institut dEthnologie, Paris.
Haring, L., 1982, Malagasy Tale Index, Academia Scientiarum Fennica, Helsinki.
Konaté, G., 1992, Femmes rurales dans les systèmes fonciers au Burkina Faso, Ouagadougou.
Rabearison, 1994, Contes et légendes de Madagascar, T.P.F.L.M., Antananarivo.
Renel, Ch., 1910, Contes de Madagascar, Ernest Leroux, Paris.
Sambo, 1999, Contes et légendes Tandroy, LHarmattan, Paris.
Schrive, M., 1990, Contes Antakarana, Foi et Justice, Antananarivo.
1992, Contes Betsimisaraka, Foi et Justice, Antananarivo.
Zefaniasy Bemanjara,1980, Contes de Madagascar (recueillis et illustrés par) Edicef, Paris.
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