Les premiers chrétiens ne croyaient pas aux fantômes. Endormis dans lespérance de la résurrection et de la vie éternelle, leurs morts ne se mêlaient pas à la cohorte des puissances invisibles, démons et demi-dieux, idoles des païens. Mais en élaborant le paysage complexe de lau-delà, ciel, enfer, purgatoire, les théologiens furent impuissants à garder longtemps à distance le monde remuant des morts.
Le relèvement des morts
dieux, démons, morts
« Mortui et dii unum sunt : dieux et morts ne font quun. » En affirmant cela, Tertullien, apologiste chrétien du IIIème siècle, fustige lidolâtrie des païens, qui confondent dans leurs rites le culte des dieux et le culte des morts, honorant leurs ancêtres comme des dieux. Mais la proposition est réversible : les divinités païennes sont toutes danciens morts, élevés par de vaines croyances au rang de dieux. Les pratiques funéraires chrétiennes doivent donc se garder de toute ressemblance avec celles des païens : « Nous traitons avec un égal mépris temples et tombeaux. Nous ignorons les deux sortes dautels ; nous nadorons aucune sorte deffigie ; nous ne sacrifions pas aux dieux, nous noffrons rien aux Mânes (non parentamus). »
La confusion des dieux et des morts est un leitmotiv des premiers penseurs chrétiens. Au-delà de la condamnation sans appel de tout polythéisme, réduit à la divinisation de quelques anciens héros et à ladoration de la matière morte des statues, on y trouve aussi lidée que « les dieux des nations sont des démons très impurs » (Saint Augustin), et que les démons, qui aiment à loger dans les effigies dressées en lhonneur des morts, prennent volontiers lapparence des défunts pour plonger dans lerreur des chrétiens endeuillés. Dieux, démons, morts funestes, voilà qui augure pour la nouvelle religion dune relation problématique avec ses trépassés, quil va falloir dégager de la horde de « ces esprits vraiment infâmes et impurs, que tous regardent comme terrestres et fangeux, qui penchent toujours vers ce qui est bas, qui tournent autour des tombes et des monuments funéraires, auprès desquels ils se font entrevoir indistinctement, fantômes dombres. » Clément dAlexandrie reprend presque mot pour mot la description de lâme « impure » et « toute alourdie » que donne Platon dans Le Phédon : « elle traîne à lextérieur des tombeaux, des sépultures, tous endroits où, en vérité, on voit je ne sais quelles apparitions, ombres portées dâmes, simulacres produits par des âmes délivrées alors quelles nétaient pas pures mais participaient du visible - voilà dailleurs pourquoi on les voit. » Ces âmes errantes, poursuit Platon, sont celles « dhommes sans valeur, qui sont forcés derrer autour de pareils objets, subissant ainsi le châtiment de leur manière de vivre passée, qui était mauvaise. » Dans une certaine mesure leschatologie chrétienne nest pas tout à fait originale : « à en croire non seulement les chrétiens et les juifs, mais aussi beaucoup dautres Grecs et barbares, écrit Origène, lâme humaine vit et subsiste après sa séparation avec le corps ; et il est établi par la raison que lâme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice sélève jusquaux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire lâme méchante, tirée à terre par ses pêchés, et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour des tombeaux où lon voit les fantômes des âmes comme des ombres, celle-là autour de la terre. »
Il faut pourtant établir que seul le christianisme promet le salut et la vie éternelle et que les morts chrétiens, fussent-ils damnés, ne peuvent se confondre avec des démons. LÉglise va lutter sur deux fronts : en élaborant théoriquement et dans ses moindres détails un plan surnaturel prenant en compte le devenir de toutes les âmes, afin dy canaliser ses morts ; et en tentant déradiquer sur le terrain des pratiques funéraires trop proches du paganisme. En dépit des condamnations répétées des autorités religieuses, il faudra longtemps pour que les chrétiens cessent dapporter des offrandes à leurs morts ou renoncent au refrigerum, le banquet anniversaire célébré sur la tombe, qui « rafraîchit » les défunts en peine, autant de pratiques qui présupposent la présence des âmes aux alentours de leurs lieux de sépulture. « Nous ne pouvons manger à la table de Dieu et à celle des démons », écrit Tertullien. Au début du Vème siècle un décret impérial interdit définitivement le culte des ancêtres. Il ne brise pourtant pas le lien que les vivants persistent à entretenir avec leurs morts, et qui prend alors un essor extraordinaire dans le culte des saints martyrs, dont les tombeaux, démultipliés, deviennent de hauts-lieux de pèlerinage, de miracles et de guérisons. Devant lampleur du phénomène, quelques-uns crient au scandale : « Déraisonnables sont ceux qui, ivres dune pseudo-science, disent : des martyrs nous sont apparus et nous ont appris où se trouvent leurs ossements ! Nombreux sont ceux que les démons abusent... » Mais il est trop tard, lÉglise a compris que les martyrs remplaçaient avantageusement les dieux thaumaturges - les tombeaux de ceux-là ayant la curieuse propension à pousser sur des lieux primitivement consacrés à ceux-ci. Le saint martyr va devenir lapparition canonique, seul habilité à se manifester, prodige autorisé par Dieu, accompli sans doute par lintermédiaire des anges - car les chrétiens ont scindé en deux pôles lunivers complexe des puissances invisibles : les démons, anges déchus, uvrent au service du Mal, tandis que les anges sont les ministres de Dieu. Toute la difficulté consiste dès lors à savoir si une vision est une funeste illusion envoyée par un démon, ou un signe véridique transmis par un ange - il faut à cette fin posséder un charisme rare et spécial, le « discernement des esprits ».
la chair à venir
« Laisse les morts honorer leurs morts » a répondu durement le Christ à un homme qui voulait avant de le suivre rendre les derniers hommages à son père. Avec le christianisme, non seulement disparaît toute la pompe des funérailles, assimilée à la divinisation des morts, mais on en vient à faire peu de cas de la dépouille mortelle. Lanthropologie chrétienne assigne au corps de chair, corruptible et mortel, une place improbable au regard du corps spirituel, seul véritablement vivant, qui fut celui dAdam avant la chute, qui sera le nôtre après le Jugement dernier - « Nayez pas peur des assassins du corps : ils ne peuvent assassiner la vie ». Là encore règne le paradigme du saint martyr, qui triomphe doublement de la chair, dans le supplice et dans lindifférence pour le sort de son cadavre. « Dans les Gaules, écrit Augustin, les corps des martyrs furent jetés aux chiens. Les débris de leurs membres laissés par les chiens et leurs ossements furent brûlés jusquà la dernière parcelle. Puis on répandit les cendres dans le Rhône afin quil ne restât rien qui pût rappeler leur souvenir. Cet anéantissement, nous sommes tenus de le croire, na été permis par Dieu que pour apprendre aux chrétiens que leur mépris de la vie, quand ils confessent le Christ, doit se doubler dun mépris encore plus grand pour leur sépulture. » La dévotion aux martyrs, qui est alors lun des ferments de la foi chrétienne, fait horreur aux païens. Labsence de sépulture, qui condamne lâme du mort à errer infiniment aux portes de lHadès, est un cauchemar pour un Grec. À Thèbes Antigone préfère mourir plutôt que de laisser le corps de son frère aux chiens et aux oiseaux. Dans lIliade, douze jours durant Achille sacharne sur le cadavre dHector, mais cest intact quil le restitue à Priam son père afin quil lensevelisse selon les rites - chaque nuit les dieux ont réparé les horribles outrages. Le christianisme déplace le souci du corps, mort ou vif, dans lau-delà : « Nos ennemis doivent dautant moins nous insulter au sujet des corps des chrétiens laissés sans sépulture, écrit Augustin, que les chairs et les membres de ces corps seront reconstitués intégralement, non seulement avec les restes qui seront dans la terre, mais encore avec les éléments qui se seront dispersés dans les replis les plus retirés dautres organismes et que cette reconstitution se fera en un clin dil, comme Dieu la promis. » Cest à la fin des temps, au jour de la résurrection des morts précédant le Jugement dernier, que chacun retrouvera lexacte intégrité de son corps - « chaque cheveu de votre tête est compté » - restauré sil fut blessé ou amputé, harmonisé sil fut difforme, mais retrouvant toute sa masse, comme une figurine de pâte à modeler que lon remettrait en boule avant de la former à nouveau.
Cependant la sublimation absolue que propose la doxa se heurte à de profondes résistances. Il y a de fait un paradoxe entre le combat entamé contre la chair et la perspective de revenir habiter ce corps-là, fût-il, promet Augustin, « merveilleusement soumis à lesprit ». Soucieux du devenir physique de leurs morts, les chrétiens interdisent la crémation pour sassurer de la résurrection des corps, ils font des rêves où les martyrs leur désignent leurs ossements, et se font enterrer en masse autour des tombeaux des saints, protecteurs et intercesseurs dans cette vie et dans lautre. Sans attendre la restauration lumineuse de la fin des temps on sempare du corps démembré et dispersé des martyrs, en une opération étrange qui tient à la fois de la reconstitution dun corps et de sa dissection : les reliques, miraculeuses, adorables, sont disséminées aux quatre coins de lEmpire - le bout précieux dun saint consacre chaque église nouvelle. Les dépouilles saintes participent déjà de la vie éternelle, suintant une huile merveilleuse, conservant leur souplesse, exhalant un parfum délicieux.
En proclamant la caducité des rites (juifs ou païens) au bénéfice de lintériorité, du secret de lintention qui seule rend les actes purs, le christianisme tend à une désacralisation du monde - ils ne respectent rien, disent les païens - qui devient critique dans le domaine très ritualisé de la relation aux morts. Autour dun corps tout à la fois méprisé et sublimé, des pratiques se réinventent, que les Grecs jugent macabres : avides de cadavres, pratiquant le culte dun mort dont ils consomment rituellement la chair, les chrétiens ne sont-ils pas des gypogigantes, des « vautours géants » ? La dure parole du Christ a fait long feu.
les morts ne sont pas là
« Nous ne voulons pas nous dépouiller du corps, mais être vêtus de son immortalité », explique Augustin, qui critique lidée platonicienne selon laquelle lâme parvient à la béatitude sitôt quelle quitte son fardeau corporel, et sélance comme nue dans linvisible. Les âmes des justes « attendent avec ardeur et patience la résurrection des corps ». Au début les chrétiens ont cru que le jour du Jugement était proche, et ne se sont pas préoccupés de cette latence entre la mort et les retrouvailles de chacun avec son corps immortel. Mais il a bientôt fallu définir plus précisément cet intervalle, sur lequel les Écritures étaient laconiques. Les thèses dAugustin allaient faire école, nourrir les spéculations médiévales quant au devenir des âmes, annoncer la progressive cartographie de lau-delà, Ciel, Enfer et Purgatoire, au sein de laquelle lÉglise se chargerait de régler les déplacements convenus des morts.
Mais cela ne fait pas un fantôme, qui suppose un vivant pour le voir, lentendre, ou tout au moins faire parler de lui. Or Augustin est catégorique : les morts nont pas de contact avec nous, ils sont dans lignorance de ce que nous devenons, comme nous de leur sort. Sinon, remarque-t-il en passant, sa mère défunte qui avait tant de sollicitude pour lui ne le quitterait de jour ni de nuit. Il ne pense pas comme Platon ou Origène que lâme serait plus ou moins subtile au sortir du corps, celle du pêcheur plus « alourdie », plus « terreuse », ayant plus de mal à séloigner des lieux terrestres. « Selon ses mérites elle est emportée en un séjour spirituel ou en des lieux de souffrance qui sont à limage des corps ». Elle ne possède pas cette « sorte de corps », ce « véhicule » dont parlent les néoplatoniciens, et par lequel un contact pourrait sétablir avec les vivants - et qui ressurgira sous les dénominations de « corps astral », « périsprit », et autre « entité » chez les spirites du XIXème siècle. Les agissements des saints martyrs sont lexception qui confirme la règle : « ils interviennent dans nos intérêts par un pur effet de la puissance divine, car les morts, par leur nature propre, nont pas ce pouvoir. » Si les défunts ordinaires se rappellent à nous, cest par des visions que lon a en rêve ou éveillé dans certains états « phrénétiques », images en tous points semblables à celles que lon peut avoir de vivants dans les mêmes circonstances : « mais de même que les vivants ignorent que ces visionnaires les voient et leur parlent, puisquen réalité ils ne sont pas présents et ne sont pas entrés en conversation avec eux et donc que ces visions imaginaires sont leffet dune perturbation des sens, de même les morts, quand ils apparaissent à des personnes bouleversées par le chagrin, leur donnent lillusion dêtre présents alors quils sont loin de là et ignorent totalement si quelquun voit leur image. » Il semblerait quAugustin esquisse les processus psychiques à luvre dans les visions subjectives, mais au fond sa démonologie lemporte : ces visions sont le plus souvent opérées par lintermédiaire des anges, « avec la permission ou sur lordre de Dieu », pour « instruire » ou « consoler », voire par des démons, afin dans ce cas de « tromper » ou d« effrayer ». Rompant avec les traditions oniromantiques de lantiquité, le christianisme se méfie de lambiguïté des rêves. Dune manière générale, toute activité qui fait intervenir limagination (la « vision spirituelle »), quel que soit létat psychique du sujet, veille, rêve, léthargie ou délire, est soumise à la caution divine. Cest pourquoi les moines seront longtemps les exclusifs bénéficiaires dapparitions surnaturelles. « Beaucoup des nôtres, purifiant lil de lesprit par une foi pure et une prière prolongée, ont vu fréquemment des âmes sortant des corps [des mourants] », écrit Grégoire le Grand un siècle après Augustin.
Déléguant à leur insu des simulacres deux-mêmes, des images, les morts ne sont pas là. « Loin de là », dit Augustin, indifférents aux activités des vivants comme au devenir de leur corps de chair, pourtant dans lattente de la résurrection, où sont-ils donc ? « Dans lintervalle qui sécoule entre la mort de lhomme et la résurrection suprême, les âmes sont retenues dans de secrets dépôts, où elles connaissent ou bien le repos ou bien la peine dont elles sont dignes, daprès le sort quelles se firent pendant quelles vivaient dans la chair. » Le sort des âmes des justes et des damnés ne pose pas de problème majeur, leur séjour provisoire anticipe en quelque manière le ciel et lenfer daprès la résurrection. Mais que deviennent ceux qui ne furent pas assez pêcheurs pour mériter lenfer, ni suffisamment bons pour aller tout droit au paradis ? À partir de la « révélation par le feu » évoquée par saint Paul- « cest le feu qui vérifiera ce que vaut louvrage de chacun »-Augustin va esquisser le dispositif qui hantera des générations de chrétiens jusquà nos jours : ceux qui nont pas mérité laccès au paradis subiront des « peines temporelles », des « peines purgatoires », au terme desquelles ils seront sauvés. Ce feu purificateur nen est pas moins redoutable : « Bien que certains seront sauvés par le feu, ce feu sera plus terrible que tout ce quun homme peut souffrir dans cette vie. » Pour ceux-là cependant Augustin admet que les suffrages des vivants-prières, messes, aumônes-sont utiles. Il est possible de soulager les peines de certains défunts,« ceux-là seulement qui ont mérité dans leur vie den profiter », mais il nest pas possible de savoir qui ils sont, et donc davoir la certitude que nos suffrages sont utiles. Dans lignorance, « nous devons supplier pour tous les régénérés. »
manières de revenir
Ignorance réciproque des vivants et des morts, et pourtant létanchéité des deux mondes nest pas absolue chez Augustin. Il y a des saints efficients, des images oniriques, et surtout des actes des vivants qui peuvent profiter aux morts. Les revenants du Moyen Âge vont se glisser dans toutes les brèches quil entrouvre. Comme elle a cédé au culte des martyrs et à la sacralisation des icônes, retournés en instruments de son pouvoir symbolique, lÉglise ne résistera pas longtemps à lenvahissement des fantômes. Des saints aux défunts ordinaires, des visions aux apparitions de plus en plus concrètes, autour de lan mille cest le monde des morts au statut provisoire, des morts en souffrance, qui va se déverser dans celui-ci pour réclamer infiniment une paix que seules les générations survivantes peuvent lui garantir, pourvu quelle se négocie par les dispositifs institutionnalisés. Longtemps dominera le schéma canonique du mort apparaissant à un membre de la communauté monastique pour se plaindre de ne pas recevoir les suffrages que lui garantissent ses donations au monastère - et qui réapparaît, une fois les prières, les messes et les aumônes assurées, pour confirmer lamélioration de son état. Mais les morts ne vont pas sen tenir là. Ils reviennent de toutes les façons. Se dressant tout droit dans leur tombe pour errer alentours des cimetières, chevauchant par les chemins en une armée sinistre et rougeoyante, tapant aux portes des maisons pour réveiller leur veuve ou leurs orphelins, sinstallant dans les lieux qui les tourmentent, se plaignant dun poids qui accable leur corps débile, exigeant que les dettes qui les torturent soient acquittées ou destinant aux souverains des révélations secrètes... Les fantasma et les simulacra héritées de lantiquité se sont bien épaissies, désormais le passage dun mort, fut-il en rêve, laisse des traces sur le corps de celui quil a visité, brûlures, flagellations, il arraché, autant de signes qui attestent de la véracité dune vision. Pour pouvoir se les figurer, il faut dans les souffrances du feu purgatoire jeter une sorte de corps, aussi ceux qui en reviennent ne peuvent-ils être des ombres décevantes. Augustin a bien précisé quaprès la résurrection des morts, les damnés disposeront dune chair capable de souffrir éternellement : « lâme sera alors liée à un corps dune telle nature, et cela dune telle façon, que le temps ne pourra pas plus dénouer ce lien que la douleur le rompre. Même sil nest aujourdhui aucune chair capable dendurer la douleur en échappant à la mort, il y aura alors une chair telle quil nen est pas aujourdhui. » Les morts du purgatoire endurent déjà des souffrances quasi physiques, avec leur sorte de corps, qui par exemple peut être si léger que le poids dun manteau est comme une montagne sur leurs épaules. Les chevaliers fantômes doivent supporter des armes de feu qui mettent leurs membres au supplice. Le rapport que les premiers chrétiens avaient voulu nul entre lâme et le cadavre se précise : pour mettre fin au retour intempestif de ceux que rien napaise, lÉglise fait ouvrir la tombe et déposer sur la poitrine du défunt une formule écrite dabsolution. Certains mauvais chrétiens préfèrent des méthodes plus radicales et déterrent les morts, quils brûlent, décapitent ou transpercent dun pieu.
La nuit suivant sa mort, lombre de Patrocle a visité Achille endormi, pour supplier son ami de brûler et densevelir son corps au plus tôt, afin quil franchisse le Styx et pénètre à jamais dans lHadès. Au partage du feu pratiqué par les Grecs, qui ne laissant ici que les os blancs mettait fin au corruptible pour isoler à jamais dans lau-delà la chère apparence du vivant, ombre désormais, vapeur et songe, le christianisme a substitué un feu inextinguible qui brûle nulle part et tourmente un corps au statut indéfini, angoissante pâture pour les imaginations. Après le XIIIème siècle on voit des squelettes qui dansent et des écorchés macabres. À mi-chemin de la terre et du ciel, hésitant entre leur chair pourrissante et leur corps de lumière, les revenants chrétiens furent en quelque sorte des figures ratées de la résurrection. Annonçant que les hommes étaient désormais affranchis de la « loi de mort », et rejetant comme démoniaques et charnelles des pratiques symboliques qui assuraient le passage dans lau-delà et la bonne séparation des vivants et des morts, le christianisme, dans sa radicalité initiale, sétait assigné une tâche impossible.
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Les citations de Saint Augustin sont extraites de La Cité de Dieu et de De Cura Pro Mortuis Gerenda.
Si l'on a beaucoup insisté, jadis sur les sépultures de privilégiés, sur les « tombes de chefs » de l'époque mérovingienne, les spécialistes ont tendance aujourd'hui à souligner l'aspect communautaire des cimetières du haut Moyen Age.
En fait, seule la mémoire des saints patrons, des souverains et de quelques privilégiés échappait à longue échéance à l'indifférenciation communautaire.