Toutes les langues ont en commun des principes fondamentaux, p. ex
- toutes sont fondées sur des phonèmes qui se combinent en syllabes,
- toutes ont des équivalents de noms et de verbes qui se combinent en syntagmes et en phrases non pas par simple alignement, mais selon
- une structure en arbre.
Ces éléments, parmi dautres, représentent les principes fondamentaux pour lesquels notre esprit est dessiné, ceux qui traduisent notre aptitude génétique au langage. (13)
Lart de communiquer nos idées dépend moins des organes qui servent à cette communication que de la faculté propre de lhomme davoir un langage fondé sur une combinatoire de signes arbitraires - le langage des signes utilisé par les sourds latteste. La parole reste cpdt le vecteur principal du langage.
Il est possible de penser sans langage, en images mentales. Celles-ci se laissent manipuler par lesprit sans recours aux mots. Ainsi pouvons-nous parfois penser des figures géométriques, des itinéraires dun lieu à un autre ou des créations artistiques. Quant aux bébés, ils forment des concepts avant de connaître des mots.
Lappareil physique permettant la parole articulée a évolué avec la station debout. Celle-ci a permis aux systèmes respiratoire et phonatoire de prendre une orientation verticale, mais non la partie antérieure ; il en résulte ce fameux tube coudé qui distingue lhomme des autres primates dont le tube vocal est diagonal. Cette évolution a eu pour conséquence daugmenter considérablement la possibilité de produire des sons nouveaux. Mais tout autre est la question de savoir comment organiser les possibilités phonatoires ainsi dégagées. Laccroissement du volume cérébral et son remodelage ont accompagné ce changement.
Le don de parole et lenfant
Avant de savoir coordonner les gestes de ses mains pour rattraper une balle, lenfant comprendra peu à peu toutes les phrases que lui adresse ladulte, et il aura pratiquement maîtrisé sa langue avant de savoir nouer les lacets de ses chaussures. (15)
Le don, ou le miracle de la parole ont de tous temps frappé les hommes. Cest ce don qui justifie par exemple Géraud de Cordemoy, dans son Discours physique de la parole (1704), à poser linnéité de la raison : Je désire seulement quon observe une vérité très importante que nous découvre cet exemple des enfants, qui est que dès la naissance ils ont la raison tout entière, car enfin cette manière dapprendre à parler est leffet dun si grand discernement et dune raison si parfaite quil nest pas possible den concevoir de plus merveilleux [...] Il est évident que la raison tout entière est dès le commencement puisquils apprennent parfaitement la langue du pays où ils naissent et même en moins de temps quil ne le faudrait à des hommes déjà faits.
Une tendance instinctive au langage
Chomsky affirme que les nouveaux-nés possèdent un équipement génétique puissant incluant une connaissance implicite des principes universels qui structurent les langues. Cette grammaire universelle est le schéma de base de toutes les grammaires.
Cette tendance instinctive sappuie sur un programme dacquisition qui se développe à partir daptitude inscrites dans le code génétique de lenfant.
Le système ou sous-système du langage serait un module (Fodor, The Modularity of Mind, 1983), avec une base neuronale propre. Un module est caractérisé par une certaine autonomie de fonctionnement et de développement.
Un système interactif
Pour acquérir sa langue, le nouveau-né doit entendre parler. Sans information linguistique, les aptitudes initiales resteraient non accomplies.
Ces conditions sont :
- La possibilité dorganiser les informations sensorielles. Lenfant doit distinguer puis extraire les sons linguistiquement pertinents (laboiement du chien nest pas un son linguistique, contrairement à la voix du père qui dit bonjour à un ami).
- La parole se présentant comme une onde continue, lenfant doit la segmenter, la catégoriser et en organiser les variations selon leur valeur de signification. Ce découpage et cette attribution en catégories sont des attributs constitutifs du langage.
- La reconnaissance du sens. Il faut reconnaître lintention de signifier dans la parole des autres.
Chacune de ces compétences se déclenche en suivant une série détapes réglées dès avant la naissance par une horloge biologique.
La parole est pour lenfant le support de linformation quil reçoit sur la structure de sa langue.
Lenfant voit que parler fait partie des procédés de communication. Cette communication éveille chez le bébé le désir de parler. Il en va de même dans la communication gestuelle des sourds-muets.
De linfans à lenfant :
Notre propos, en suivant des enfants depuis leur naissance jusquà la production de phrases, est de montrer comment les capacités initiales que possèdent tous les êtres humains sorganisent en étapes successives et déterminées pour permettre à linfans de devenir un sujet parlant. (21)
Chapitre I
Le nourrisson, ligoté dans ses langes, aurait tout à apprendre ; vide, il serait une ardoise vierge.
En réalité le cerveau du bébé est plein.
La création de tous les neurones corticaux a lieu entre la sixième et la dix-septième semaine de gestation. La perte de neurones et daxones commence dès la fin de la gestation. Après la naissance, le développement cognitif consiste en une épuration et un aménagement : la perte de neurones saccompagne en effet dune création exubérante de jonctions entre les neurones. Un neurone forme en effet plus de mille connexions et en reçoit plus encore. Il peut recevoir dix mille messages en même temps. Puisque le cerveau de lhomme contient 1010 neurones, on peut estimer à 1015 le nombre de jonctions. La densité synaptique explose à la naissance. Le cerveau se sculpte ainsi sous linfluence de lexpérience interne et externe.
Pour parler, il est nécessaire de maîtriser un appareil vocal aux aptitudes particulières. Riche de potentialités découte, lêtre humain ne contrôle à la naissance aucun des organes qui lui permettront de parler. Le conduit vocal du nouveau-né ne présente pas la fameuse courbure à angle droit, liée à la posture debout qui a fondé, au cours de la phylogenèse, le développement du langage articulé. Chez le nouveau-né, la forme du conduit vocal ressemble à celle des primates non-humains. Dès cinq mois, les bébés peuvent utiliser leur activité respiratoire et leur larynx à peu près comme les adultes, mais ce nest pas avant lâge de cinq-six ans que le contrôle de lensemble des articulateurs deviendra possible.
Au cours de la seconde moitié de la première année, le conduit vocal de lenfant commence à ressembler à celui de ladulte et lui permet de produire des schémas sonores plus variés, tendant à se rapprocher de ceux produits par l adulte. Mais ce n est pas avant l âge de cinq-six ans que le contrôle de lensemble des articulateurs deviendra possible. (28)
Un nouveau-né compétent
Grâce à un équipement biologique et cognitif sophistiqué, le nourrisson peut percevoir les sons qui constituent la parole. Comment il peut non seulement les entendre, mais aussi les extraire, les disséquer,les reconnaître, les organiser et les analyser ?
On appelle perception catégorielle la capacité du système psycho-acoustique à percevoir les sons de façon discontinue et sous forme dunités discrètes. Cest lun des mécanismes fondamentaux servant à discriminer les sons de parole, les phénomènes nétant dailleurs pas identiques acoustiquement (le b de bas est acoustiquement différent du b de snob...).
En 1969, E. Siqueland et C. Delucia ont eu lidée dutiliser le seul comportement non maîtrisé dont dispose le nouveau-né, celui de la succion. Pour survivre, le nouveau-né doit savoir téter. Et il le fait avec enthousiasme.
Cette méthode est connue sous le nom de HAS (High Amplitude Succion) succion non nutritive.
Lamplitude des mouvements de succion est mesurée pendant deux minutes pour chaque nourrisson de façon à définir sa ligne de base personnelle en labsence de toute présentation sonore.
Familiarisation : chaque succion dune amplitude dépassant la ligne de base active le circuit sonore et donne lieu à la présentation dun son : ainsi le nombre de sons présentés dépend de lapplication du bébé à sucer sa tétine. Après un certain laps de temps, le taux de succion décroît.
Test : on change le type de stimulus, le son sera différent de celui produit pendant la période de familiarisation. Lidée est dune part que les bébés aiment être stimulés et que dautre part, ils ont une grande capacité à relier les événements entre eux. Ils établissent donc une relation entre lapparition des sons et leur succion.
Dans un premier temps, intéressés par ce quils entendent, ils vont téter vigoureusement, puis se lasser.
Mais la nouveauté suscite un regain dintérêt et doit, si elle est perçue par lenfant, inviter le bébé à reprendre ses succions pour bénéficier de la nouvelle stimulation.
La reprise de la succion lors dun changement de stimulus indique que le bébé a bien perçu une différence entre les deux stimuli.
A linverse, labsence de reprise indique que la différence na pas été perçue.
Ce dispositif a permis dinterroger le nourrisson sur ses aptitudes à discriminer les sons qui forment lossature des langues parlées autour de lui.
Depuis 1971, des dizaines dexpérience, dont certaines faites avec des bébés de trois-quatre jours de vie, ont montré que le nourrisson savait discriminer la quasi-totalité des contrastes utilisés dans les langues naturelles. Il discrimine les contrastes de voisement, les contrastes de place et les contrastes de mode darticulation qui fondent les catégories phonétiques. Le bébé de quelques jours se révèle dans ce domaine un petit génie. (33)
Les nouveau-nés de quelques jours préfèrent écouter la voix de leur mère quand celle-ci est présentée en concurrence avec celle dune autre mère parlant à son bébé. Mais il faut que lintonation de la mère soit naturelle. Cette préférence est liée aux aspects dynamiques de la parole maternelle, telle lintonation, et non à des aspects statiques des sons puisque ceux-ci sont préservés lorsquon fait passer la bande à lenvers. Cest donc lintonation qui est significative. Lattention de lenfant ne se porte donc pas sur les caractéristiques statiques de la voix mais sur celles de la voix dans un processus normal de communication.
Préférence aussi pour la langue maternelle. Lorsque des séquences de français succèdent à des séquences de russe, les nourrissons français de quatre jours montrent une reprise importante de la succion. Cette préférence se maintient si lon filtre linformation tout en laissant intacte la prosodie. (33)
Il sest préparé avant la naissance
Le ftus nest évidemment pas à labri des bruits extérieurs. Les hautes fréquences sont atténuées, mais les propriétés spectrales de la parole de la mère restent les mêmes et les principales propriétés acoustiques du signal sont préservées. La prosodie également. Lintonation de la parole enregistrée in utero est parfaitement reconnue par les auditeurs adultes ; il en va de même pour 30 % des phonèmes.
La décélération cardiaque du ftus exprime son attention. Il se révèle ainsi en mesure de discriminer les séquences babi et biba. La seconde séquence est perçue comme nouvelle.
La question se pose alors de savoir si une exposition à la langue maternelle peut favoriser, dès avant la naissance, un réglage perceptif sur les paramètres phonétiques et/ou les paramètres prosodiques qui caractérisent cette langue et la différencient des autres.
Pour mieux cerner la nature des discriminations observées chez le ftus et leur impact sur les capacités des nouveau-nés, on a cherché si se retrouvaient chez ceux-ci des souvenirs des expériences prénatales.
Les nouveau-nés rythment leur succion pour recevoir le passage de prose récité par la mère à haute voix, durant les six dernières semaines de la grossesse, plutôt quun autre passage en prose lu par celle-ci, mais non entendu auparavant.
Ils continuent à préférer le passage lu par leur mère avant leur naissance, même si ce nest plus la mère qui le lit mais une autre femme.
Le ftus serait donc réceptif à des propriétés acoustiques générales du signal de la parole et pas seulement à la voix et aux intonations spécifiques de sa mère.
Il faut conclure que tout échantillon de langage avec une intonation et un rythme normaux alerte le ftus et le pousse à régler son écoute sur cet échantillon dont lempreinte persiste au moins quelque temps. (38)
Les talents des nourrissons
Le bébés font preuve de constance perceptive i. e. sont capables, dès cinq mois, de ranger divers échantillons de a (grave, aigu, marseillais, parisien) dans une même catégorie.
Le nourrisson de deux mois est en mesure daccorder un traitement particulier à la syllabe. Elle est perçue comme un tout plutôt que comme une combinaison déléments distincts.
Dans la vie de tous les jours, la prosodie naturelle force lécoute des bébés. Elle aiderait par ce fait leur attention à se porter sur les variations phonétiques. La prosodie serait une glu perceptive pour les séquences de parole. Les mères le sentent bien qui amplifient les variations dintonation et jouent de leur voix lorsquelles parlent à leur enfant.
On constate dailleurs que les bébés discriminent mieux les contrastes phonétiques lorsque les phrases sont lues par une femme censée sadresser à un enfant, que lorsqu elles sont lues par un adulte sadressant à un autre adulte.
Le prénom : un premier signal
Des bébés de quatre mois et demi. La méthode de succion non nutritive nest plus valable pour les enfants de cet âge. En revanche, il devient possible de leur demander plus directement leurs préférences. Deux haut-parleurs sont placés de part et dautre dun bébé. Au-dessus de chaque haut-parleur, une petite lumière. Aussi longtemps que lenfant oriente son regard vers lune des lumières, un stimulus sonore (son prénom dune part, trois autres prénoms dits sur le même ton dautre part) est joué par le haut-parleur correspondant. Les temps cumulés découte - ou plus exactement de regard vers les sources - indiquent la préférence denfant pour lun ou lautre stimulus. Il savère que le bébé est plus attentif à lécoute de son prénom quà celle des prénoms de ses petits copains. (42)
Organisation du cerveau pour le langage
Chez ladulte, les aspects cognitifs du langage sont représentés dans lhémisphère gauche du cortex cérébral, le long de la scissure de Sylvius. Les deux principales aires impliquées dans la compréhension et la production de la parole sont laire de Broca (réf. 29) et laire de Wernicke (réf. 30).
Les lésions impliquant laire de Broca, située dans la troisième circonvolution du lobe frontal au pied de la scissure de Sylvius, entraînent une quasi-impossibilité de parler avec perte de la grammaire, mais elles laissent intacte la compréhension des mots et des phrases. Adjacent à laire de Broca se trouve le système de représentations pour le contrôle précis de la musculature orale.
Les lésions impliquant laire de Wernicke, dans la partie postérieure du lobe temporal à sa jonction avec les lobes pariétal et occipital, entraînent une perte de compréhension tout en laissant la possibilité de parler, la plupart du temps de façon incompréhensible. Le faisceau arqué (de Burdach) relie laire de Wernicke à laire de Broca.
Fondamentalement, lhémisphère gauche interfère avec le traitement rapide de linformation acoustique et donc avec le traitement des sons de parole. (43)
En revanche, cest lhémisphère droit qui a en charge la perception des événements acoustiques répartis sur une longue durée. Cest lui qui contrôle la prosodie. Les lésions de lhémisphère droit nentraînent pas daphasies ou dapraxies mais des troubles du traitement et de la production de la prosodie et de la musique. Les composants du traitement de la prosodie et des variations dintonation dues à laffectivité sont aussi traités à droite, et leur organisation anatomique se situe en miroir de celle du langage cognitif et analytique traité à gauche.
[voir la proposition : le CD ne connaît pas le temps - sauf celui qui est nécessaire à la mélodie. Ce nest donc pas le temps que le CD ignore mais, plus vraisemblablement le temps médiatisé, analytique, vidé de sa sensibilité première ?]
Les composants prosodiques sont particulièrement importants dans lacquisition de la parole. Le bébé est, on la vu, dabord attentif à lintonation il vocalise avant darticuler. Il produit des syllabes isolées avant de produire des séquences de syllabes ; lorganisation phonologique et syntaxique de la parole est plus tardive. Actuellement on sait quin utero et à la naissance, la maturation de lhémisphère droit est plus rapide que celle de lhémisphère gauche. Décalages dans les rythmes de maturation hémisphérique dans la première année sont à la source de différences dans lémergence des fonctionnalités. Ils pourraient expliquer certaines caractéristiques du développement du langage telles que la forme du premier codage des mots. Nous y reviendrons. (44)
Puisque les nouveau-nés naissent sans langage, puisquils ne parlent pas, pourquoi devrait-on trouver chez eux cette latéralisation ? Existe-t-elle dès la naissance ou se développe-t-elle en même temps que le langage ? P. Broca (Sur le siège de la faculté du langage articulé, Bulletin de la Société dAnthropologie, 6, 1865, p.337-393. Reproduit dans H. Hécaen et Dubois (Eds.), La naissance de la neuropsychologie du langage, 1825-1865, Flammarion, 1969, p. 108-121) pensait quelle accompagnait le développement du langage. La plasticité cérébrale permet au cerveau lésé de fournir les substrats pour le langage à partir de lautre hémisphère. E. Lenneberg en concluait que léquipotentialité fonctionnelle des hémisphères existe dans les deux première années et que la latéralisation cérébrale est issue des processus dapprentissage. (Lenneberg E., Biological foundations of language, New York, Wiley, 1967.)
Mais la plasticité cérébrale, importante chez le tout jeune enfant, néquivaut pas obligatoirement à une équipotentialité hémisphérique originelle. Il existe des asymétries anatomiques chez le nouveau-né et le nourrisson entre autres celle du planum temporale, qui est plus étendu à gauche quà droite dès la trente et unième semaine de gestation (réf. 35). (Geschwind N. & Galaburda A.M.. Cerebral lateralization ..., Archives of Neurology, 42, 1987, p.428-459, 521-552 et 634-654.)
Lécoute dichotique.
La méthode de lécoute dichotique repose sur le fait que les principales voies de transmission des signaux auditifs sont croisées : les sons parvenant à loreille droite sont transmis dabord à lhémisphère gauche alors que les sons parvenant à loreille gauche atteignent dabord lhémisphère droit.
Lorsque, dans lécoute dichotique, on présente simultanément et de façon synchronisée, deux sons différents, lun à loreille droite, lautre à loreille gauche, le sujet rapporte un seul son : le son dominant. Chez les adultes, le son présenté a loreille droite (donc arrivant à lhémisphère gauche) est dominant lorsquil sagit dun son de parole. Le son arrivant à loreille gauche (hémisphère droit) est dominant lorsquil sagit dun son musical.
Lexpérimentation paraît montrer que, dès deux-trois mois, lhémisphère gauche répond mieux pour la discrimination des sons de parole, et lhémisphère droit pour la discrimination des sons musicaux. (48)
On peut penser quune asymétrie fonctionnelle correspondant à lasymétrie anatomique observée chez les nouveau-nés sous-tendrait une tendance de lhémisphère gauche à traiter les syllabes par opposition aux sons mélodiques ou aux sons non articulables dans les langues.
On ne peut que spéculer sur la nature du mécanisme qui produit cette asymétrie. Il est possible que des stimuli acoustiques aient des substrats neuronaux similaires à ceux qui sont utiles pour traiter la parole. Ainsi lhémisphère gauche pourrait avoir la vocation de percevoir les séquences de stimuli auditifs caractérisés par des spectres acoustiques changeant constamment.
Le processus dacquisition est sans doute essentiel pour la maturation corticale et la latéralisation hémisphérique. Si, pour des raisons extérieures, lacquisition du langage ne peut se faire dans les délais normaux, la latéralisation semble en être grandement affectée. Chez Genie, une enfant séquestrée et isolée qui na retrouvé un milieu linguistique ambiant normal quà douze ans, lhémisphère droit est dominant pour la forme inachevée de langage quelle a pu acquérir (Curtiss S., Genie : a psycholinguistic study of a modern-day wild child, London, Academic Press, 1977.)
Entre deux et cinq mois, les bébés ne vocalisent quen position couchée. Aussi leurs productions, les célèbres [arrheu] ou [ageu], incluent-elles presque uniquement des sons issus du larynx ou du velum. Le nourrisson ne maîtrise pas sa phonation : ce nest que vers quatre ou cinq mois quil devient capable de moduler les variations de sa voix. Ses vocalisations deviennent alors progressivement volontaires. Vocaliser est, de fait, un des premiers comportements volontaires de lenfant. Dès ce moment, le nourrisson va chercher à étendre son répertoire sonore. Il développe toute une série de jeux vocaux au cours desquels il manipule aussi bien les traits prosodiques de hauteur de la voix (cris aigus ou grognements), le niveau sonore (hurlements ou chuchotements), que les traits consonantiques.
Vers la seizième semaine, on entend les premiers rires et les cris de joie émis avec la bouche grande ouverte. (52)
Vers la fin du sixième mois, le bébé est capable de coordonner globalement des ajustements phonatoires et supraglottaux : il commence à pouvoir interrompre ses vocalisations à volonté, ce qui est un acquis essentiel pour le contrôle vocal. Il peut également imiter des schémas dintonation simples à la suite dexemples adultes.
Entre quatre et sept mois, le nourrisson a également étendu son répertoire de mouvements articulatoires à des mouvements qui mettent en jeu lavant de lappareil articulatoire. Aux [arrheu] ou [ageu] du début succèdent des sons un peu incertains mais contenant des quasi-consonnes [aw:a]! [abwal, [am:am] et des voyelles isolées prolongées et modulées.
Lenfant sapprête à babiller. Il est dans lantichambre de la parole.
De rapides spécialistes de leur langue maternelle
Bien quelles lui soient toutes accessibles à la naissance, le bébé ne parlera pas toutes les langues.
La discrimination des contrastes phonétiques est chez le nourrisson universelle, non spécifique. Elle ne va pas le rester.
Quand donc se produit cette perte de capacité ?
Lespace acoustique initial est divisé par des frontières psycho-acoustiques universelles. À six mois, sous l effet du contact avec la langue parlée dans leur entourage, les bébés ont réorganisé et simplifié cet espace : ils lont rendu pertinent pour leur langue particulière.
Vers cinq-six mois commence à séloigner le petit génie à l écoute encyclopédique, et à poindre un petit génie phonéticien qui va organiser en quelques mois un objet particulier : la langue de son pays. (57)
Si, dès ce moment, une sensibilité aux catégories vocaliques de leur langue apparaît chez les bébés, cest seulement vers dix mois que commence le déclin de leur capacité à discriminer tous les contrastes consonantiques. Les voyelles et les consonnes ont en effet des rôles très différents dans la parole. Les premières, qui portent linformation prosodique, sont plus aptes à aimanter lattention de lenfant.
Lincapacité à discriminer le /r/ du /l/, qui nous surprend chez les adultes japonais, et qui, à l aéroport de Tokyo, a failli me faire partir pour Bali plutôt quà Paris (Pali), trouve son origine dans cette précoce perte dattention des enfants japonais pour un contraste qui nexiste pas dans leur langue. (59
Le babillage
Le babillage nest pas le langage mais un langage qui fournit un cadre pour le développement de la parole.
Dans le babillage, lenfant commence à produire des syllabes qui respectent les contraintes des syllabes dans les langues naturelles.
Dans toutes les langues, la structure syllabique sanalyse en termes de consonnes et de voyelles, cest-à-dire selon une opposition de traits entre un tractus vocal contracté (consonnes) et un tractus vocal ouvert (voyelles), entre des sons apériodiques (consonnes) et des sons périodiques (voyelles). La syllabe est composée dun noyau (voyelle) , dune ou de marges (les consonnes) et dune transition entre les formants du noyau vocalique et les marges consonantiques.
Entre sept et dix mois : babillage canonique : une séquence consonne-voyelle : pa, ba, ma. Loscillation mandibulaire fournirait « le cadre » articulatoire dont le contenu serait ensuite donné par les mouvements de la langue. Mais quen est-il de lintonation dans le babillage ?
Certes, les babillages offrent des ressemblances, mai ils ne sont jamais les mêmes. Il nous semblait bien quil ya avait une qualité de voix, une manière darticuler, de moduler les syllabes propres. Cette qualité de voix, cette manière de parler nétaient pas seulement individuelles, elles dépendaient aussi de la langue et de la culture. On trouvait chez les bébés français une manière de vocaliser, dattaquer ou de relâcher les sons qui nétait déjà plus la même que celle des bébés arabes. Cette impression, si contraire aux positions académiques des années soixante-dix, demandait à être vérifiée. (64)
Chez les bébés de huit mois, des caractéristiques dintonation et de qualité vocale spécifiques à chaque langue, ont déjà influencé la manière de produire des sons et de les grouper en contours dintonation. On trouve chez les bébés arabes des attaques dures, des bruits de friction dans le relâchement des sons, et des syllabes accentuées. Chez les bébés français, on rencontre des allongements et des modulations plus douces, alors que les fins de productions brusques avec ton entrant ainsi que de multiples petites variations de hauteur préfigurent les variations de tons chez les bébés cantonais.
Le type de phonation, lorganisation rythmique et les contours dintonation des babillages reflètent des caractéristiques de la langue de lenvironnement dès le huitième mois. (64)
Que disent les enfants entre dix et douze mois ?
Mais déjà se marque une grande variabilité entre les enfants...
Selon Grégoire (1937), la normalisation phonétique, sa mise au point progressive, conformément aux usages du terroir, commence bien avant la fin de la première année, contrairement à lidée admise.
Le grand linguiste structuraliste Roman Jakobson, dans son fameux livre Langage enfantin et aphasie, publié en 1941, (trad. fr. 1969, ed. de Minuit) établit une discontinuité de nature radicale entre les productions du babillage et celles qui appartiennent au langage.
Selon lui ces productions nont aucune relation avec le répertoire des premiers mots. Demblée, il élimine lintérêt de toutes les études des sons du babillage pour lacquisition de la parole. Le babillage ne serait quun exercice donnant lieu à des suites de sons, aléatoires et extrêmement variés. Une période de silence séparerait dailleurs ces productions, qui seraient non linguistiques, de la production des premiers sons linguistiques apparaissant avec les premiers mots. (68)
Une opinion aussi radicale, venant dun esprit aussi respecté, a, durant des années, figé les opinions des chercheurs vis-à-vis des productions prélinguistiques.
Son analyse rejoignait [anticipait] celle de E. Lenneberg et de Chomsky (A Review of Skinners Verbal Behavior, Language, 35, 1959, p.26-58, (trad. fr. dans Langages, 4, 1969, n° 16, p. 16-49), ainsi que de la plupart de leurs disciples dans les années soixante. Pour eux, les productions de babillage correspondent à un stade donné de la croissance et évoluent selon des processus de maturation. Leurs formes sont universelles et doivent se retrouver chez tous les enfants même âge, même les enfants sourds. Cela avant que ne se manifestent des régularités phonologiques.
Les modèles biomécaniques de larticulation ont eu le mérite de replacer le babillage dans le cours du développement phonétique général.
Mais, avec ces approches, linfluence du milieu linguistique sur le babillage a continué à être sous-estimé.
Curieusement, cest au moment où étaient mises en évidence les capacités perceptives des nourrissons quun courant de pensée très puissant a minimisé leur effet sur la production. (71)
Et cependant le seul fait dentendre des paroles modifie déjà le comportement vocal de lenfant ! Des preuves en sont données par la différence que lon trouve entre les enfants sourds et les enfants entendants. Les premiers ne commencent à babiller que plusieurs mois après les enfants entendants.
Le bébé est une remarquable machine à établir des correspondances.
Dans les années quatre-vingt, lhypothèse dune interaction précoce a été relancée. Heureusement, les faits sont têtus et les appels des enfants se sont faits de plus en plus insistants pour nous obliger à revenir à la compréhension chaleureuse dun Antoine Grégoire à légard de leurs productions vocales. (73)
Les bébés français babillent-ils en français et les bébés yoruba en yoruba ?
Linfluence des langues maternelles sur le babillage des enfants a été mise en évidence à partir dexpériences et dobservations parallèles denfants appartenant à des communautés linguistiques différentes.
Les traits généraux, communs à tous les enfants, caractérisent les premières productions de babillage, mais la variabilité qui apparaît durant le dernier trimestre de la première année montre quun simple niveau biomécanique de production nest plus seul en jeu.
Chaque langue a en effet un espace vocalique qui lui est propre. Le nombre des voyelles dans les langues peut être extrêmement différent : il varie entre trois à plus de seize dans certaines langues.
La voyelle est en quelque sorte un son musical produit par la vibration des cordes vocales modulées par la configuration du conduit vocal qui amplifie certaines fréquences et en atténue dautres.
Les travaux de P. Kuhl sur les catégorisations perceptives, menés aux États-Unis et en Suède, ont montré ultérieurement quil existait bien, dès six mois, une plus grande sensibilité des bébés aux voyelles prototypiques de leur langue. (78)
Il restait à vérifier quune influence du répertoire de la langue se retrouvait pour les consonnes et les syllabes.
Dès lâge de dix mois, les enfants français produisent plus de labiales que les enfants japonais ou suédois. Ils ont déjà sélectionné un répertoire de consonnes qui reflète des tendances statistiques du répertoire de la langue de lenvironnement. (80-81)
Si on pense que linfluence de la langue de lenvironnement joue, les prédictions sont fonction des langues. Ainsi les Petits Nigérians parlant le yoruba, langue dans laquelle la plupart des mots commencent par une voyelle, devraient très tôt produire plus de formes voyelle-consonne-voyelle que les Français. Et en effet les petits Yorubas se moquent joyeusement des contraintes mécaniques et produisent bien plus de formes voyelle-consonne-voyelle que de formes consonne-voyelle. Ils ont avant tout à apprendre à parler Yoruba ! Les petits Français, Anglais et Suédois produisent entre 65 et 75 % de dissyllabes consonne-voyelle-consonne-voyelle alors que les enfants yorubas ont 38 % de consonne-voyelle-consonne-voyelle.
Ils commencent à parler leur langue sans accent.
Les données concordent avec les caractéristiques de la prosodie en français et japonais. En japonais, contrairement à la langue française, les syllabes terminales ne sont pas allongées. (84)
Les enfants ne commencent pas à parler avec le rythme et lintonation dun espéranto universel. Certes, les voix denfants ont des points communs tout autour du monde, mais lécoute des babillages et des premiers mots montre que la couleur et le ton caractéristiques de la langue ont déjà été bien saisis par nos jeunes apprentis. (84)
Un babillage en langue des signes
Jusquà cinq ou six mois, le bébé sourd congénital vocaIise comme le bébé entendant. La rupture ne se marque quau moment du babillage : le bébé sourd ne babille pas, cest-à-dire quil ne commence pas à produire des syllabes ou des suites syllabiques à lâge où commence à le faire le bébé entendant, vers sept mois. Au contraire, à partir de cet âge, les vocalisations du bébé sourd tendent à diminuer. Ce nest quaprès un an quon trouve un babillage composé principalement de syllabes labiales /ba/ que lenfant peut voir prononcer. Les bébés sourds qui grandissent dans un milieu où lon parle une langue des signes sont, comme les bébés entendants, plongés dès leur naissance dans un monde linguistique. Les bébés sourds babillent manuellement vers huit mois. Leurs gestes sont assimilables aux syllabes du babillage de lenfant entendant. Comme celui-ci, le bébé sourd produit des gestes gratuits qui évoquent des éléments sublexicaux de la structure des signes servant à représenter des mots. Ces gestes effectués dans un espace délimité et dans des circonstances particulières se rattachent clairement aux gestes utilisés dans la langue des signes. Des comparaisons systématiques avec la gestuelle des enfants entendants en confirment clairement la spécificité.(88)
CHAPITRE III
Lunivers communicatif du bébé
Dans la plupart des espèces, la réaction très précoce - sinon instantanée - des petits aux signaux de lespèce permet leur survie. Elle fonde leurs réactions sociales, cest-à-dire leurs réactions dattachement ou dévitement, et, plus tard, organise leur vie sexuelle et la défense de leur territoire. (89)
Chez le nouveau-né humain, il existe des réponses génétiquement programmées pour recevoir les signaux de communication de lespèce. La faculté de communication du nourrisson repose sur des modes de transmission et de réception des informations dont on peut montrer lextrême précocité, pour ne pas dire linnéité.
Dans le couple mère-enfant sétablissent des interactions toutes particulières, ne nécessitant quun minimum dexpérience. Le nouveau-né connaît la voix de sa mère, quil a entendue dans lutérus. Il préfère écouter celle-ci plutôt que la voix dune autre femme (ref. 2). Il réagit à lodeur maternelle, elle aussi repérée avant la naissance, en se tournant vers le vêtement imprégné de cette odeur (réf. 3-4); il est sensible, dès sa naissance, aux visages humains se tourne vers eux. Très tôt il reconnaîtra le visage et certaines expressions de sa mère.
Les signaux de communication reposent sur un répertoire inné, universel, dexpressions faciales et de gestes. Un dispositif de reconnaissance des expressions, tout aussi inné et universel que le dispositif de production, encode le sens. Létude expérimentale de lexpression faciale des émotions montre que les mimiques émotionnelles sont stéréotypées. On les retrouve chez les bébés aveugles comme chez les voyants, elles ne doivent donc rien à limitation.
Lévolution des traitements intermodaux de lenvironnement est particulièrement importante pour lorganisation cognitive. À cinq mois, le bébé repère la correspondance entre des paroles et des mouvements de la bouche. Cela peut être prouvé par une simple expérience : on place lenfant devant deux écrans de télévision, entre lesquels se trouve un haut-parleur. Sur lun des écrans, une femme articule silencieusement un son tel que /mi/. Sur l autre écran, la même femme articule, là encore silencieusement, le son /ta/. Le haut-parleur transmet lun des deux sons. Lenfant choisit systématiquement de regarder limage qui correspond au son transmis.
Cette aptitude à lier la vision et laudition est dune importance extrême pour le développement de la parole. En regardant le visage et la bouche de sa mère lorsque celle-ci lui parle, lenfant approfondit ses connaissances des relations entre la perception des sons et leur articulation. (94)
Le turn-taking
Cest un échange spectaculaire de vocalisations au cours duquel mère et enfant se répondent en vocalisant chacun à leur tour. Lenfant répond à la sollicitation vocale de ladulte sous forme d échos, il commence à vocaliser quand ladulte cesse de lui parler et cette relation se reproduit plusieurs fois, donnant limpression dune conversation.
Il fait deux des partenaires de parole. (96)
Expression des émotions
Le nouveau-né, même prématuré, sourit.
Lhistoire de Cypsélos...
Mais le bébé, lui, interprète-t-il les expressions fondamentales des adultes ? Dès les premiers jours de vie, le nouveau-né est sensible à lexpressivité des visages. Son malaise devant un visage figé et inexpressif peut aller jusquà des pleurs exprimant une détresse devant labsence dindices de mouvement, de vie. À l âge de dix semaines, les nourrissons réagissent de façon appropriée aux expressions de leur mère : les sourires et les encouragements vocaux provoquent des réactions positives, les visages tristes les troublent.
Bühler remarque que lenfant répond, à cinq mois, aux émotions lorsquelles sont exprimées à la fois par le visage et la voix, quà six mois la voix seule suffit, tandis quà sept mois une légère expression du visage linforme de lattitude heureuse ou fâchée de ladulte. Presque tous les adultes, quel que soit leur sexe ou leur âge, modifient leur façon de parler pour sadresser aux nourrisson et aux très jeunes enfants. Ladulte manifeste sa sollicitude la volonté de sadapter aux capacités de lenfant en réglant le registre sa voix, en adoptant un ton affectueux et en articulant clairement et plus lentement les mots.
Lenvironnement linguistique des jeunes enfants est composé, en grande partie tout du moins, de formes particulières du langage appelées motherese et baby-talk dans la littérature anglaise. On y remarque particulièrement des modifications de la voix et de la prosodie : un registre de voix plus haut quà lhabitude, une gamme de contours dintonation restreinte mais aux modulations et variations de hauteur très exagérées, des formes mélodiques longues, douces, avec des glissandi abrupts et des excursions amples. Leffet de rythmicité prosodique de ces productions est amplifié par la fréquence des répétitions. Cette élévation de la hauteur de la voix, ces modulations exagérées des contours dintonation, ces fréquences de répétitions syllabiques et des schémas prosodiques sont parfaitement adaptées aux capacités de perception et dattention des jeunes nourrissons. Dautant plus que les mères accompagnent souvent ces modifications vocales dexpressions faciales exagérées (contacts des yeux, haussement des sourcils, grands sourires), ainsi que de mouvements rythmiques du corps ou dajustements de postures (prise dans les bras, rapprochement du visage) qui focalisent lattention du bébé, accentuent son intérêt et fondent sa préférence pour cette forme de communication. (103)
Dès sept semaines, les bébés préfèrent écouter une femme parlant à un bébé, cest-à-dire de la parole ayant les caractéristiques mélodiques et rythmiques du motherese, plutôt que des propos extraits de conversations entre adultes dans lesquels ces caractéristiques sont absentes ou pour le moins très atténuées.
A quoi sert le motherese ? Destinés, dune part, à capter lattention de lenfant et dautre part, à le motiver pour favoriser les échanges, ces premiers messages vocaux convoient dabord à travers des contours mélodiques, des valeurs affectives. Aussi, dès quatre mois, le bébé répond avec des signes affectifs plus positifs aux vocalisations gratifiantes quaux vocalisations neutres ou à celles dont le ton est répréhensif.
En étudiant luniversalité de ce comportement langagier des parents, Ferguson (réf. 38) a relevé une vingtaine de caractéristiques retrouvées dans différents groupes linguistiques à travers le monde : répétition des mots ou de la phrase, exagération des contours dintonations, ralentissement de la prononciation, accentuation dune consonne ou dune voyelle importante par l allongement ou le redoublement, jeu sur le déplacement de laccent dans les homonymes, forte présence des consonnes labiales ou palatales qui rendent plus douce, la prononciation, effacement des clusters et des consonnes plus difficiles à réaliser, structures simplifiées, etc.
Dans dautres cultures, la pratique de répétitions pourrait remplacer ces modifications prosodiques.
En dépit des variations culturelles touchant aux modes de présentation du langage, tous les bébés du monde apprennent à parler à près aux mêmes âges. En outre, la plupart des études montrent quil y a peu de corrélations entre le langage de la mère et le développement linguistique de lenfant. Les parents nenseignent pas la langue à leurs enfants, ils leur fournissent des modèles : modèle de la langue et modèle culturel. Les enfants sattachent à relever dans le modèle de leur langue les indices qui leur permettront de saisir la structure et le sens des énoncés.
Lorsquil sagit des fondements du langage, le dispositif génétique est assez puissant pour atténuer les disparités. Il permettra parfois de remédier à certaines lacunes. Les enfants élevés dans un pidgin tendent à employer des formes plus grammaticales que celles de leurs parents. (114)
Périodes sensibles
On utilise les termes « période sensible » ou « période critique » pour parler de la fenêtre temporelle durant laquelle linfluence de lexpérience a un effet significatif sur un comportement. Lexpérience peut avoir plusieurs fonctions : grâce à elle, certaines capacités se maintiennent qui disparaîtraient sans elle; dans dautres cas seul le rythme du développement est affecté par un défaut dexpérience, dans un troisième cas de figure, lexpériences peut être indispensable à lapparition du comportement. Dans les espèces animales, de nombreux exemples prouvent le rôle indispensable de lenvironnement dans le déclenchement du développement normal de mécanismes spécifiques à lespèce. Cest le cas du chant dans nombre despèces doiseaux chanteurs : les jeunes oiseaux ne développent le chant de lespèce que sils lont entendu de leurs congénères durant les premières semaines de vie.
Notre expérience des langues étrangères... On pense quune langue étrangère apprise après ladolescence sera toujours parlée avec accent.
Personne actuellement nest prêt à renouveler les tentatives que lon prête au pharaon Psantik I et à Frédéric de Prusse. Ces souverains, desprit curieux, ont fait élever des bébés dans un lieu isolé avec interdiction de leur parler. Lidée était de savoir quelle était la langue originelle quils développeraient spontanément. On voit par là combien est anciennement ancrée lidée dun don ou dun instinct de parole ! La petite histoire dit que les sujets expérimentaux du pharaon ont parlé phrygien : le berger qui prenait soin deux était phrygien et, pris de pitié, avait désobéi aux consignes du pharaon ! Quant aux bébés isolés de tout contact linguistique sur ordre de Frédéric, ils ont dépéri faute de contacts relationnels. (115)
On pense que la période sensible se situe aux alentours de sept ans.
Le cas des enfants sauvages. Victor. Mais dans ce cas, comme dans dautres, on ignore si labandon navait pas été causé par la présence préalable de handicaps, une débilité profonde ou un autisme.
Le cas des enfants séquestrés, élevés dans des circonstances extrêmes de privation, est un peu différent. Ils ont entendu parler, bien que pour la plupart de façon très minimale. Tous, sauf Genie, ont été remis dans un milieu normal avant sept ans. Presque tous ont récupéré un langage normal ou quasi normal.
Genie na été découverte quà treize ans. EIle avait été privée découte normale du langage depuis lâge dun an et demi. Malgré un considérable travail de la part des éducateurs qui lont prise en charge lors de sa découverte, elle na jamais appris à parler normalement. Elle a acquis un certain vocabulaire mais est demeurée incapable de faire des phrases syntaxiquement correctes. Le cas de Genie pourrait confirmer quil existe une limite temporelle pour lacquisition du langage. Mais les conditions atrocement pénibles qui ont été celles de sa vie durant treize ans lui ont laissé des troubles psychologiques et cognitifs importants et lon ne peut dire si elle était vraiment normale avant sa séquestration.
Pour parler, les enfants ont besoin dêtre dans un environnement linguistique. Lapport linguistique peut nêtre pas très riche et il nest nul besoin quil repose sur un enseignement directif, mais il faut que le modèle reçu soit suffisant pour que lenfant puisse catégoriser les sons de parole et spécifier les principaux paramètres de sa langue.
Il faut aussi que cet environnement linguistique soit humain, cest-à-dire fourni par des êtres humains physiquement présents : on croit savoir, ou lon préfère penser quentendre parler à travers la radio ou la télévision ne permettrait pas daccéder au langage. Le modèle linguistique doit être présenté dans un cadre de communication interactive entre lenfant et ceux qui lentourent. (118)
CHAPITRE IV
À la découverte du sens des mots (neuf-dix-sept mois)
La parole se présente en effet comme une onde acoustique relativement continue et les frontières entre les mots donnent lieu à peu dindices acoustiques distincts. La façon dont lenfant arrive à distinguer et à extraire des mots de londe acoustique continue quil entend garde, aujourdhui encore, un certain mystère. La parole naturelle sécoulant comme un flot, il ny a pas de pauses systématiques entre chaque mot. Contrairement aux blancs dun texte écrit qui permettent de distinguer les mots, les silences dans une phrase orale ne constituent pas un fondement adéquat pour extraire des unités de sens.
Comment, dans ce flot continu, lenfant parviendra-t-il à extraire les phrases, les syntagmes et les mots, bref les unités qui font sens ?
La remarquable capacité des nourrissons à détecter les variations des caractéristiques physiques des sons de parole.
Dans toutes les langues, le rythme et lintonation font partie de la structure formelle de la parole. Dans certaines dentre elles, les traits mélodiques convoient des différences de sens et de structure. Ainsi, en chinois mandarin, la forme ma peut avoir quatre sens différents correspondant aux quatre tons utilisés dans cette langue.
Au début du structuralisme et particulièrement à la suite du livre des linguistes N. Chomsky et M. Halle, ces variables prosodiques ont été négligées par les linguistes. (The sound pattem of English, New York. Harper and Row, 1968.) Lhétérogénéité de lutilisation des indices prosodiques dans les différentes langues a montré leur rôle dans la structuration de ces langues. (121)
Le nourrisson à luvre
Les différents types dunités de parole (propositions, syntagmes, mots) en tant que fomes organisées sont repérés progressivement : les premières segmentations porteront sur des unités larges, bien finies prosodiquement, qui ensuite faciliteront lidentification de structures plus fines qui à leur tour permettront lidentification de mots. (126)
Si lenfant détecte quune pause est plus appropriée à un moment de la phrase quà un autre, il préférera entendre la phrase qui comporte une interruption correcte.
Dès cinq mois, les enfants montrent une préférence pour les histoires avec des pauses insérées aux frontières de propositions. A condition toutefois que lhistoire soit lue avec lintonation caractéristique du motherese. Cet effet se maintient lorsque le contenu phonologique est effacé par un filtrage qui laisse la prosodie intacte mais efface les consonnes et les voyelles. Le rôle des indices prosodiques apparaît alors bien clairement.
La prosodie doit donc fournir aux enfants des possibilités de segmenter la parole continue en unités de sens. Certes, les corrélations entre les unités syntaxiques et les formes prosodiques sont loin dêtre parfaites dans la parole des adultes. Mais la simplification des structures et lintonation particulière qui caractérisent les formes verbales que les mères ou les adultes utilisent en parlant aux enfants facilitent leur segmentation syntaxique. Cet emballage prosodique est en général cohérent avec lorganisation des principales unités syntaxiques. Les relations entre les indices prosodiques et les indices syntaxiques ressortent ainsi de façon plus nette et plus fiable que dans le langage entre adultes.
On est loin des propositions de certains grammatistes des années soixante : le primat de la syntaxe avait alors amené à poser linutilité de la prosodie pour traiter les phrases. Celle-ci ne pouvait guider un enfant vers la syntaxe, la structure syntaxique devant dabord être reconnue pour que lenfant puisse relever les traits prosodiques.
Lenfant engagé à relever les informations sur les propriétés pertinentes aux unités linguistiques de la langue parlée est un enfant qui a découvert - sans doute vers huit ou neuf mois - que lorganisation des sons de la parole avait une fonction : elle transporte du sens. Le nouveau-né opérait de façon très sophistiquée en fonction dun certain but, celui de discriminer des phonèmes, alors que lenfant plus âgé réagit de façon bien moins différenciée, en fonction dun but différent, celui de traiter des unités de sens, de reconnaître des mots. (130)
Alors que les indices qui marquent le groupement ou lemballage prosodique permettent à lenfant de préférer des propositions dès six mois et des syntagmes dès neuf mois, il faut attendre onze mois pour obtenir des données comparables pour les mots.
Reconnaître les mots familiers
Lenfant devient attentif au sens, il cherche à mémoriser et à représenter les formes auxquelles il peut attribuer une signification ; à reconnaître, le plus souvent possible, des mots familiers et à leur donner un sens.
Une nette préférence apparaît chez les enfants de dix mois et demi à onze mois et demi : sur seize enfants, douze ont préféré écouter la liste des mots familiers. Les enfants ont donc extrait et codé ces mots fréquents dans lenvironnement linguistique.
Quel sens les enfants ont-ils attaché aux mots. La méthode de préférence ne permet pas de le dire. Certaines de leurs réactions à lécoute de la liste des mots familiers laissent clairement penser que la reconnaissance est bien liée à un sens : ainsi beaucoup denfants ont-ils regardé vers leurs pieds à l écoute du mot chaussure. (141)
Pour reconnaître un mot, il faut quexiste une représentation mentale correspondant à ce mot.
Chez les adultes, lensemble des informations qui le caractérisent : laspect acoustique, le sens, la catégorie syntaxique, les connotations particulières qui y sont attachées par chaque locuteur, sont toutes représentées et peuvent toutes servir pour accéder au mot dans le lexique mental des individus.
Laccès au lexique mental a fait lobjet de nombreuses études chez les adultes sans quil soit encore vraiment compris.
À dix ou onze mois, les enfants ont codé un certain nombre de mots.
La simple observation denfants suggère que, vers huit ou neuf mois, ils commencent à reconnaître des mots comme séquences de sons accompagnant une situation particulière. (148)
Citation de St Augustin (p. 153) toutes ]es sources qui aident lenfant à comprendre le sens des mots sont mentionnées ! À la fin de la première année, chacune delles na pas le même poids. Le contexte joue alors sans doute un rôle bien plus important que la syntaxe. Cela va évoluer au cours de la deuxième année et dautres sources linguistiques prendront alors toute leur importance.
CHAPITRE V
Les premiers pas lexicaux (onze-dix-huit mois)
Les mots pour le dire
Quest-ce donc quun mot ? Du point de vue de la morphologie, cest une structure répondant à des règles. En fait, aussi bien les philosophes que les linguistes ont du mal à définir ce quest le mot, une fois dit quil nest pas la chose ! Nous nous en tiendrons donc à cette définition.
Nous vivons dans un espace euclidien, dans un monde régi par des principes physiques. Ces principes physiques nous permettent, dans la plupart des cas, de séparer les actions et les objets, dattribuer à chacune caractères stables qui préservent leur identité et permettent de les représenter et de les catégoriser.
Le bébé a un cerveau qui sculpte le monde en objets cohérents, bornés, discrets et en actions qui peuvent être faites dans ce monde. Cette aptitude dynamique à catégoriser les phénomènes du monde fait partie elle aussi des cadeaux que lenfant a reçus dans sa corbeille de naissance. Les humains sont donc capables, et sont même contraints de façon innée, de faire des prédictions sur le monde et de le découper en catégories dobjets et en catégories dactions. Ils sattendent aussi à ce que le langage comporte des mots pour les catégories dobjets et des mots pour les catégories daction. Encore une fois, linteraction avec lenvironnement est nécessaire pour que lenfant mette des noms sur les catégories naturelles ou apprises.
Dans une première étape, le langage est traité plus acoustiquement que linguistiquement ; dans une seconde étape, la reconnaissance et la production des premiers mots indiquent quexiste la conscience que les formes sonores ont un sens. L enfant a mis en relation les formes sonores et des événements ou des objets. Il a compris l intention des personnes de son entourage quand elles utilisent des mots : intention de se référer à des objets ou des situations, de transmettre du sens. Dans une troisième étape, découverte quil y a un mot pour chaque chose, que lenfant peut perceptivement extraire en tant quobjet ou action. Les formes sonores émergent alors comme un nouveau système qui canalise le traitement de la réalité. Ainsi, donner un nom à un ensemble de parties physiques garantit une unité de ces parties. (158)
Le bébé est-il physicien ?
Comme les adultes, les bébés assignent des propriétés aux objets dans un espace tridimensionnel : un objet solide ne peut traverser un autre objet solide, deux surfaces appartiennent à un même objet si elles se touchent et bougent ensemble, loccultation partielle dun objet ne signifie pas la perte de la partie cachée, un objet ne peut rester stable sans support, etc. La perception des objets est donc guidée par une certain conception de propriétés physiques qui impliquent des constantes pour les objets dans lespace.
La distinction entre chose vivante et chose non vivante est également une donnée très précoce. Les bébés ont une intuition leur permettant de séparer le mouvement dun objet inanimé qui obéit à des lois physiques et celui dun être animé qui nobéit quà lui-même. Ils sattendent à ce que les objets animés et les objets inanimés bougent selon des lois différentes.
Léquipement cognitif de lhomme lui permet davoir une conception initiale sur la structure du monde physique qui lentoure. Celle-ci lui permet dorganiser le réel et de le découper en entités délimitées et stables dans le temps.
Les premiers mots
Le plus souvent, les premiers mots des enfants sont entendus par les adultes entre le onzième et le quatorzième mois. Laccroissement du premier vocabulaire va être très lent. Les enfants mettent en moyenne cinq-six mois pour arriver à un répertoire de cinquante mots.
Darwin (La Descendance de lhomme et la sélection sexuelle, Reinwald et Cie, Paris, 1873, p.53), en constatant que le langage nest pas un véritable instinct, mais nest pas non plus lapprentissage dun art ordinaire, permet de poser celui-ci comme une tendance instinctive à acquérir un art très particulier. Le terme art corrige ainsi ce que le terme dinstinct , peut avoir détriqué lorsquil sagit du langage humain.
Les langues sont diverses, très diverses. Si les super-règles rendent sans doute compte des traits fondamentaux communs qui les sous-tendent, leurs réalisation nen restent pas moins très différentes. Tout se passe comme si le bébé, à lécoute du langage, se trouvait au cours de la première année devant des bifurcations avec des choix entre plusieurs hypothèses.
Une différence essentielle encore se voit dans les stratégies de productions. Celles-ci suggèrent que les nourrissons, au cours de la première année, nont pas relevé les mêmes aspects du langage.
Lattention de certains bébés sest consacrée tout particulièrement aux éléments phonétiques et à la structure des syllabes. Ces bébés tendent à découper la chaîne parlée en mots, et sélectionnent les structures syl!abiques quils savent produire. Leur vocabulaire est composé presque exclusivement de noms de personnes, danimaux ou dobjets, Le style de ces enfants est dit référentiel ou analytique.
À lopposé, on trouve les enfants dont le style est dit holistique ou expressif. Ils ont concentré leur attention sur les contours dintonation et sur le rythme syllabique des mots ou des phrases, plus que sur leur structure phonétique. Ils produisent de longues séquences qui ressemblent à des phrases avec des schémas dintonation cohérents et des syllabes de remplissage. Ils ont moins de noms dans leur premier vocabulaire, de plus nombreux prédicats (verbes, adjectifs) et des expressions toutes faites (ou formules).
Dautres enfants utilisent des stratégies mixtes. (184)
Lorsque Simon montre du doigt ou ajoute un ça en fin de phrases, celles-ci sont presque toujours (92 % des cas) caractérisées par une variation importante de la voix : soit une montée importante de lintonation qui marquerait une interrogation, soit une descente importante que lon peut interpréter comme un commentaire.~n fait, Simon doit connaitre et employer plus de mots que les adultes ne le lui en reconnaissent, mais sa stratégie de remplissage de contours dintonation fonctionnels par des syllabes masque les mots quil pourrait utiliser. Les syllabes quil utilise pour remplir les contours dintonation sont des syllabes bien formées selon les règles du français. La distribution de ses consonnes et de ses voyelles reflète dailleurs la distribution phonétique du français. Simon jargonne en français. (193)
Sa stratégie nest pas « rentable », si lon prend le nombre de mots compris par ladulte comme indice du développement linguistique. Mais elle est certes éminemment rentable du point de vue social. Elle na en tout cas pas empêché Simon davoir à trois ans un langage bien articulé, bien adapté et très riche. (195)
Simon a poussé à lextrême loption du style « expressif » ; il a privilégié les composants prosodiques et rythmiques en y subordonnant le composant phonétique. Dans ce style, il a montré une maestria sans égale.
Conversation dabord! La stratégie, qui nous semble liée aux charmes de la conversation accorde un poids particulier aux intonation et au rythme des énoncés. Elle privilégie lexpressivité et le choix de mots sémantiquement plus variés que ceux habituels dans le vocabulaire des enfants de cet âge.
Ann Peters avance, à la fin de son analyse des productions de Minh, que : son amour pour la musique et sa stratégie globale de production du langage sont peut-être reliés au développement de lhémisphère droit, tandis que les stratégies ana- lytiques seraient, elles, plus liées au développement de lhémisphère gauche. (202)
Charles, Noël et les autres : la voie médiane.
Limplication respective des hémisphères droit ou gauche avec leurs affinités respectives pour la prosodie et la musique dune part et pour lanalyse de lautre, sous-tend sans doute les préférences des enfants pour le traitement des composants prosodiques ou phonétiques de la parole. Les fonctions langagières reposent sur un jeu densemble de composantes de traitement qui peuvent être latéralisées dans lun ou lautre des hémisphères. Les études dans ce domaine ne font que commencer. Le niveau intellectuel nest pas en jeu. Peut-être la forme future de lintelligence et de limagination se devine-t-elle. (209)
CHAPITRE VIII
La parole devient langage. (dix-huit-vingt-quatre mois)
La compétence grammaticale qui nous permet de produire des phrases ne dépend pas des leçons de grammaire. Lessentiel de la grammaire est connu avant dêtre enseigné.
Lenfant que nous avons suivi jusquici ne dit quune cinquantaine de mots isolés.
Lorsque lenfant atteint un vocabulaire de production de soixante à soixante-dix mots environ - ce qui correspond à des vocabulaires en reconnaissance de plus de deux cents mots - il se produit une véritable explosion : brusquement il dit de quatre à dix mots nouveaux par jour ! Cet accroissement subit du vocabulaire implique une réorganisation des systèmes de codage et de reproduction des mots. On dit que le vocabulaire de lenfant sorganise en lexique phonologique. (226)
Ce rangement implique une analyse plus précise des segments phonétiques des mots et de leur combinatoire, et des renseignements grammaticaux. Il sagit dintégrer, dans le lexique, les règles phonologiques qui contrôlent la prononciation des mots, les règles morphologiques qui gouvernent leur construction.
On peut penser qua cours des deux premières années de la vie la parole est traitée selon un double système : un traitement phonétique analytique réservé aux phonèmes et un traitement plus global pour les mots. Laccroissement du vocabulaire et lémergence de régularités dans la production des mots, qui se manifestent entre dix-huit mois et deux ans, résultent de lintégration de ces deux systèmes. Le codage phonologique des mots exige en effet un traitement plus spécifique que celui des segments de parole et plus analytique que celui des formes holistiques. (231)
Chez [les] enfants possédant un vocabulaire faible, les réponses cérébrales sont donc semblables sur les deux hémisphères. Il ny a pas de latéralisation hémisphérique préférentielle pour traiter les mots connus.
Les données obtenues avec les enfants qui possèdent un vocabulaire plus étendu sont radicalement différentes. Les variations de N 200 et de N 350 sont plus importantes dans les sites temporaux et pariétauxde lhémisphère gauche pour les mots connus. Ceux-ci sont donc traités préférentiellement par lhémisphère gauche.
Ces résultats indiquent que chez les enfants de vingt mois, les mots compris sont traités par des systèmes spécialisés du cerveau, au niveau du lobe temporal et du lobe pariétal de lhémisphère gauche. Un degré de spécialisation hémisphérique spécifique au traitement des mots émerge donc dès vingt mois, ou après lacquisition dune centaine de mots. Avant ce stade, le traitement des mots se distribue sur les deux hémisphères. (233)
Les études de psychopathologie de ladulte montrent que lhémisphère droit peut acquérir des mots avec leur sens, mais ne peut utiliser activement cette connaissance. Le lexique statique de lhémisphère droit ne peut fournir la signification complète du stimulus exigée par un lexique phonologique (Hannequin D., Goulet P. & Joanette Y., Hémisphère droit et langage,Paris, Masson, l 987).
Cest le cortex temporo-pariétal gauche qui est impliqué à la fois dans lencodage phonologique des mots et dans laccès à une organisation lexicale incluant la classe grammaticale des mots (Caramazza A. & Hillis A.E., Lexical Organization of nouns and verbs in the brain, Nature, 349, 1991, p. 788-790).
Les premiers indices de focalisation, sur les sites temporaux et pariétaux gauches, du traitement des mots connus par les enfants rendraient bien compte dune émergence de lorganisation dun lexique avec composants phonologiques et grammaticaux. Ainsi les données comportementales qui montrent un accroissement des mots et les premières combinaisons de mots traduisent-elles la prise en charge du traitement de la parole par lhémisphère gauche.
En amont, la non-spécialisation hémisphérique des tout jeunes enfants reflète un système de représentations peu analysées, un traitement partiel des mots et un manque de flexibilité dans leur emploi. Caractéristiques que nous avions relevées dans le premier vocabulaire du jeune enfant. (234)
Les premières phrases
La transition vers des combinaisons de mots se fait aux alentours de vingt mois.
Lordre des mots nest pas tant guidé par une grammaire spécifique que par la structure syntaxique de la langue parlée dans lenvironnement.
Au cours de la troisième année, la longueur, la complexité et la variété des phrases de lenfant augmentent très rapidement, justifiant lexpression de Steven Pinker qui qualifie lenfant de trois ans de génie grammatical.