|
Note sur l'acte sacrificiel dans l'Inde ancienne (1) :
Génération divine, régénération sacrificielle
Ces deux pages (HTML) tentent de souscrire à une double exigence : - classique, une fidélité à la lettre qui emprunte ses moyens à la doctrine des spécialistes ; - plus inusuelle, dans la mesure où ces moyens servent aussi ici un intérêt herméneutique plus général touchant l'affinité de l'évaluation de la définition du bien et du mal et de la forme vivante, avec le propos de contribuer à la recherche d'invariants qui informe ce site. C'est dans cette idée que, se référant à l'exégèse philologique et à l'exégèse traditionnelle et s'autorisant, notamment, pour ce qui concerne l'interprétation des équivalences symboliques, de la lecture du théologien cinghalais A. Coomaraswamy (pour qui les textes ici étudiés ont un sens que n'épuise pas l'archéologie), les remarques qui suivent visent à mettre en évidence les articulations essentielles du sacrifice védique, telles que révélées par les manuels liturgiques des brahmanes.
"Le mortel a même matrice que l'immortel." (Rg-Veda, I,164,30)
"L'observation de la règle vaut pour le rituel comme pour la création."
(Satapatha-Brâhmana, XIV,l,2,26)
[N.B. Le "r" voyelle se prononce r(i). Les signes diacritiques propres à la romanisation de la langue sanscrite ne sont pas reportés sur cette page Web.]
L'Un et le multiple
Prajapati, personnage central des spéculations brahmaniques est le "Seigneur de la génération" (prajana : descendance ; pati : maître) (Satapatha-Brâhmana, VI,1,1,5 - désormais abrégé en : S. Br.) "A l'origine, rien n'existait que lui" (S. Br. 11,2,4,1). Tout ce qui est participe de l'émanation (racine srj ) de Prajâpati. "Prajâpati eut un désir : être multiple, se reproduire" (S.Br. VI,1,1, 8). "Au commencement, ce monde n'était pour ainsi dire ni sat ni asat. Rien n'existait que l'esprit (manas) qui n'est ni sat, ni asat. Cet esprit avait en lui le désir de se manifester comme quelque chose de définissable (niruktam), de réel. Il aspirait à la personnalité (atman). Il pratiqua alors des ascèses (tapas) et commença à se manifester, à prendre forme" (S.Br. X,5,3,l s.) Création par ascèse, émission séminale, parthénogenèse, démembrement, dédoublement, inceste (Prajapati s'unissant à sa propre émanation), accouplement (par émanations interposées) sont des modalités de la création divine. "Alors sa vigueur se développa en-dehors de lui et devint un uf ; il le partagea, il le nourrit ; des créatures en naquirent" (Taittirîya-Brâhmana, 1,6,2,4 - désormais abrégé en T.Br.). "Il pratiqua des ascèses brûlantes, alors les trois mondes sortirent de lui" (S.Br. II,5,8,7). "Comme il s'échauffait, cinq en naquirent: Agni, Vâyu, Aditya, Candramas et Usas" (S.Br. VI,1,2,1-3). "Sa tête devint le ciel, sa poitrine l'atmosphère, sa taille l'océan, ses pieds la terre. C'est lui qui émit tout ce qui est dans l'univers" (Sâmavidhana-Brâhmana, 1,1,5). "De ses souffles supérieurs, il émit les dieux ; des inférieurs, les créatures mortelles" (S.Br. X,1,3,1). "De ses souffles, les espèces animales ; de son esprit, l'homme ; de son oeil, le cheval; de sa parole, la chèvre" (S.Br. VII,5,2,6). "Il posséda sa propre fille" (S.Br. 1,7,4,1). "Par Agni, il s'accoupla avec la terre, ... par Vayu, avec l'atmosphère,... par Âditya, avec le ciel,... par l'esprit, avec la parole" (S.Br. VI,1,2,1-3)...
Prajâpati, le Sacrifice
Pour qu'il y ait création, il faut un transfert d'être, ce qui suppose une perte du créateur : symboliquement une mort du Premier, un auto-sacrifice de l'Un. Prajâpati est le premier sacrifiant et la première victime sacrificielle - et, absolument parlant, le premier bénéficiaire du sacrifice : "Quand il eût émis les êtres, il s'éleva en haut... Car il n'y avait pas encore là d'autre que lui qui fût digne du sacrifice" (S.Br. X,2,2,1). Les dieux procèdent du sacrifice de Prajâpati qui "se donna lui-même aux dieux" (S.Br. XI,2,2,1). "Le sacrifice était bien à eux, car il est la nourriture des dieux". "Il fit naître Agni de sa bouche", ayant créé ce "mangeur de nourriture", il considéra : "Je suis la seule nourriture ici" et quand "Agni se tourna vers lui la bouche grande ouverte, sa propre grandeur sortit de lui (S.Br. 11,2,4,1-4). "Quand il eut émis les créatures, ses membres se détachèrent de lui" (S.Br. 1,6,3,35), car les créatures sont ses membres qui un à un se détachèrent de lui (S.Br. VII,5,2,26). "Il gisait, épuisé" (T.Br. 1,2,6,1,). "Quand il eut émis tous les êtres, Prajâpati pensa qu'il était vidé. Il eut peur de la mort" ; "la mort qui est le mal le saisit" (S.Br. X,4,2,2 et X,4,4,1).
C'est pourquoi l'Un doit être recomposé. "En tant qu'il a émis Agni, il est le père d'Agni, en tant qu'Agni l'a recomposé, Agni est son père. En tant qu'il a émis les dieux, il est le père des dieux; en tant que les dieux l'ont recomposé, les dieux sont son père" (S.Br
VI,1,2,27). Parce que le sacrifice de l'Un (auto-division et mort) est une propriété formelle de la création, le sacrifice des créatures "résorbe" l'Un divisé en elles et le rend à lui-même.
Esprit, mâle, forme, parole
Le modèle du sacrifice terrestre est donné par Prajâpati quand il veut recouvrer sa plénitude : "Quand il se fut donné aux dieux, Prajâpati émit une image (pratima : image, symbole) de lui-même qui est le sacrifice. Par le sacrifice, il se racheta lui-même aux dieux", alors "les dieux le rendirent à sa vigueur première" (S.Br. XI,1,8,4). "Il obtint des dieux le rachat de ce moi (âtman) qu'il leur avait sacrifié" (T.Br. II,3,6, 1). Image du moi, le pouvoir du sacrifice est dans le pouvoir de la représentation.
"Prajâpati est l'esprit" (Taittiriya-Shamitâ, II,5, 11,5 - désormais abrégé en T.S.) "Du non-être, l'esprit fut émis ; l'esprit émit Prajapati ; Prajapati émit les êtres" (T.Br. II,2,1-10). Les souffles émirent sept mâles, "puis la noblesse et le souffle de ces sept mâles, ils les concentrèrent en haut: ce fut la tête... Ce mâle devint Prajâpati" (S.Br. VI,1,1-5). "Au commencement était le Brahman. Il émit les dieux. Il considéra : "Comment pourrais-je pénétrer ces mondes-là ?" Alors il les pénétra par ces deux : la forme et le nom. Tout ce qui a un nom, c'est lui qui est ce nom; et même ce qui n'a pas de nom, ce qu'on connaît par la forme, il est cette forme. Il est tout juste autant que la forme et le nom" (S .Br. XI,2,3,3-6). La parole, fruit de l'ascèse de Prajâpati, est l'instrument de la distinction. "Les créatures étaient en confusion. Prajapati les pénétra par la forme et le nom" (T.B . II,7,1). "Prajâpati désira se multiplier et procréer; il considéra : "Voici que je porte en moi un embryon, je veux le procréer par Vâc (la parole)" ; il émit Vâc" (Tandya-Mahâ-Brâhmana, 7,6,1-3 - désormais abrégé en Td-Br.). "Prajâpati était à lui seul tout l'univers. Vâc était à lui ; Vâc était sa seconde. Il considéra : "Cette Vâc, je veux l'émettre ; elle ira se transformant à l'infini en toutes choses ! Il émit Vâc... Il en coupa un tiers, ce fut la terre... Il en coupa un autre tiers, et ce fut l'atmosphère... Il lança en haut le dernier tiers, et ce fut le ciel" (Td.Br. 20,14,2 et 5). "Vâc fut émise, elle remplit l'univers" (S.Br. VI,1,1,10). "Il entra dans les eaux avec sa triple science ; un uf se développa" (id.). La formule est l'outil créateur car "Prajâpati, c'est Vâc" (S.Br. V,l,5,6). "Prajâpati, c'est toutes les formules sacrées" (S.Br. VII,3,1,4). "Rites et formules sont la matrice d'où Prajâpati a émis les créatures" (Maitrâyanï-Samhita, 4,7,4 - désormais abrégé en : M.S.).
Vâc - Sarasvati
Le sacrifice et les dieux
L'enjeu du sacrifice, c'est l'immortalité. La lutte des frères ennemis, les Devas et les Asuras, dieux et démons, fils de Prajâpati, a pour objet la possession du monde céleste par le sacrifice. "Les Devas et les Asuras étaient mortels" (S.Br. II,2,2,8) : le sacrifice est le moyen de vaincre et de conquérir l'immortalité. "C'est la perfection du sacrifice qui donna aux dieux le monde céleste; c'est par les défauts du sacrifice que les démons furent vaincus" (S.Br. III,3,9,10). C'est leur présomption qui fit méconnaître aux démons le vrai sens du sacrifice. "La suffisance est la bouche de la ruine" (S.Br. V, 1,1,1). "Les Asuras, par orgueil, pensèrent : "A qui pourrions-nous donc faire oblation ?" Et ils firent oblation en leur propre bouche. Mais les Devas chacun dans la bouche d'un autre. Prajâpati se donna à eux et le sacrifice leur appartint" (S.Br. V,1,1,1-2). "Prajâpati dit : "Le sacrifice sera votre nourriture, l'immortalité votre subsistance et le soleil votre lumière" (S.Br. II,4,2,1). Les dieux sont la forme de la vérité : "II n'y a qu'une observance que les dieux pratiquent : la vérité" (S.Br. III,4,2,8).
L'homme et le sacrifice
Une fois en possession du sacrifice, les dieux conclurent un pacte avec la mort . La mort s'adressa aux dieux en ces termes : "II n'est pas douteux que les hommes vont, par ce moyen (le sacrifice) devenir immortels et quel, alors, sera mon lot ? - Que personne, après nous, ne devienne immortel avec son corps, répondirent les dieux. Tu prendras le corps comme ta part, et c'est dépouillés du corps [...] que les hommes pourront devenir immortels" (S.Br. X,4,3,9). "La faim, c'est la mort" (S.Br. X,6,5,1) le sacrifice, c'est la "nourriture d'immortalité" (S.Br. IX,5,1,8).
Le monde est le transcendant démembré. Aucun être ne saurait subsister sans le Sacrifice qui est leur commune origine. Le plus ancien mythe cosmogonique, l'hymne au Purusa (Rg-Veda, X,90 - désormais abrégé en R.V.) pose l'identité (formelle) de l'homme et de l'absolu. Le terme purusa désigne à la fois l'homme et l'Homme cosmique. "L'homme n'est autre que cet univers... / II est le maître du domaine immortel / Parce qu'il croît au-delà de la nourriture" (R.V. X,90,2). Le rite sacrificiel permet à l'homme mortel de se joindre à l'absolu. La création fut une victoire de Prajâpati sur la mort : "Prajâpati portait tous les êtres en son sein. La mort qui est le mal les emportait. Il dit aux dieux : "Avec vous, je veux arracher tous ces êtres à la mort qui est le mal" (S.Br. VIII,4,2,1-2). Le sacrifice est le rachat par le sacrifiant de son corps mortel : "L'homme, dès sa naissance, est une dette à la mort; quand il sacrifie, il rachète sa personne à la mort" (S.Br. 111,6,2,16). La victime sacrificielle est le sacrifiant lui-même qui se rachète par le don rituel de sa personne : "l'initié est l'oblation" (T.S. VI,1,4,5). Dette aux dieux : "Parce qu'il est par sa naissance une dette due aux dieux, il satisfait les dieux en ceci qu'il sacrifie" (S.Br. I,7,2,6). Le sacrifice est une opération qui permet de rendre le corps à la mort et de s'élever au divin.
Telle serait la signification dernière de "rendre tribut" : se comprendre et se faire attribut du Soi. On demande : "Qui vaut le mieux, celui qui sacrifie au Soi ou celui qui sacrifie aux dieux ? Celui qui sacrifie au Soi et qui sait ainsi se débarrasser de ce corps mortel qui est le mal et prendre possession du corps céleste, tel un serpent qui se défait de sa vieille peau (...) Celui qui sacrifie aux dieux est celui qui sait : "J'offre un sacrifice aux dieux, j'honore les dieux" tel un inférieur qui porte tribut à un supérieur ou un homme du peuple qui porte tribut au roi. A la vérité, il ne conquiert pas une part céleste aussi grande que l'autre" (S.Br. XI,2,6,13-14). Le paiement de la double dette de l'homme libère le divin divisé en lui. "Quand le Père a émis ses enfants (...) il ne peut plus se réunir à lui-même, aussi s'écrie-t-il : "Ceux-là s'épanouiront qui d'en-bas me réédifieront !" (T.S. V,5,2,1). Le sacrifice de l'homme est ici l'acte inverse de l'acte créateur. Pour la divinité, se sacrifier, c'est se faire mortel ; pour l'homme, c'est se faire immortel. En réintégrant le divin, l'homme résorbe la création. Mais s'unifiant et s'identifiant au créateur, il perpétue l'uvre et l'ordre de la création. Il y a deux sacrifices de Prajâpati qui se divise dans les êtres, puis émet une image de lui-même pour racheter sa personne aux dieux. Il y a, de même, deux sacrifices de l'homme : il meurt symboliquement, puis renaît à l'existence. Le bénéfice du sacrifice est double : il donne possession du monde céleste et du monde terrestre.
Structure du système sacrificiel
Les corrélations du système pourraient être exposées comme suit :
1 - La mort-sacrifice du dieu est la création :
- par dédoublement : création des dieux;
- par émanation ou démembrement: création des êtres mortels.
"De Prajapati, une moitié était mortelle, une moitié immortelle. Comme il était en partie mortel, il eut peur
de la mort... Cinq éléments de son corps étaient mortels: poils-, peau, chair, os, moelle; cinq éléments immortels: esprit, parole, souffle, vue, ouïe" (S,Br. X, 1,3,27). C'est en tant qu'il est monde que Prajâpati est mortel. Il ne peut redevenir l'Un qu'en reprenant la part de lui-même contenue dans les êtres. Si la création est réelle (si la mort de Prajâpati est réelle) et si elle doit être conservée, la restauration de Prajâpati ne peut s'opérer que par voie symbolique :
Prajâpati est reconstitué en vertu de son pouvoir de duplication: - il émet une image de lui-même qui est le sacrifice et rachète sa personne aux dieux (S.Br. XI,1,8,4) ;
- le fils recompose le père (S.Br. VI,1,2,27) ;
- les dieux le recomposent par le sacrifice qui consiste à lui rendre sa vigueur transférée aux créatures: "Quand il eut émis les créatures, Prajâpati gisait épuisé. Les dieux rassemblèrent le suc et la vigueur des êtres et s'en servirent pour le guérir" (T.Br. 1,2,6,1).
2 - L'homme est une créature mortelle, mais la seule créature qui sacrifie (S.Br. VII,5,2,23). Il y a en lui plus d'âtman (Aitareya-Aranyanka, 2,3,2). Il se pense dans la signification du monde et réfléchit les articulations significatives de la création. Il vit chez les mortels et chez les immortels. Par ce qui est divin en lui, il peut s'identifier au divin. En se séparant de sa nature mortelle, en faisant abandon de son propre corps, il vainc la mort : il réunifie le divin divisé en lui. Il s'assimile, par là, à l'Un et peut reprendre son corps. L'homme ne peut trouver assise ici-bas qu'en redoublant l'émanation créatrice. Les deux temps du sacrifice terrestre répondent, en ordre inverse, aux deux temps du sacrifice divin : le sacrifiant meurt symboliquement, s'assimile au divin, puis renaît à l'existence et s'établit dans la signification.
On peut examiner les deux temps de ce sacrifice en évoquant les points suivants :
A - La consécration du sacrifiant; la mise à mort d'une victime animale.
(Deux techniques qui permettent au sacrifiant de mettre en scène sa propre mort).
B - La division de la victime mise à mort et la consommation de la part sacrificielle ; la construction de l'autel du feu. (Qui correspondent à la renaissance du sacrifiant et à la recréation de la création).
A - Le sacrifiant se rapproche de la mort
purification, mortification, réinsémination
Premier temps du sacrifice, la mort symbolique du sacrifiant:
- il se jette dans le feu sous la forme d'une poignée d'herbe (prastara) ou de sable (S.Br. VII,2,1,6) ;
- on immole une victime animale qui le représente ;
- il meurt à l'existence terrestre par la consécration (purification, jeûne, régression ftale).
En représentant sa mort (le consacré exténué, la victime "apaisée"), le sacrifiant devient un dieu (M.S. 3,6,1).
1 - La consécration (dîksâ)
Le sacrifice de soma (vide infra : L'aigle et le serpent) requiert la consécration, la mortification du sacrifiant: "II s'en va de ce monde celui qui fait la diksâ (Aitareya-Brâhmana, 6,3,9). En vérité, il est sacrifié comme une victime par toutes les divinités celui qui a reçu la dîksa" . Le sacrifice est dit "tranchant comme un rasoir", car il est uvre de mort : l'efficience de sa substitution procède de l'équivalence des termes substitués.
Il existe d'ailleurs un rituel sacrificiel pour l'homme qui désire la mort. Il s'agit ici de faire opérer au consacré un regressus ad uterum après l'avoir purifié de sa substance mortelle. Le sacrifiant se fait construire une hutte sacrificielle (distincte de celle où il célèbre le culte domestique), rectangulaire, orientée d'Ouest en Est et dotée d'une ouverture vers les quatre régions célestes. Le feu est symboliquement transporté de la hutte ordinaire à la hutte de consécration: le sacrifiant fait "monter" le feu dans ses bois de friction dans la première et le fera "redescendre" par ces mêmes bois de friction dans la seconde. Après s'être fait raser, tailler les ongles (sourcils, barbe et ongles sont la partie "morte" du corps - T.S. VI,1,1,2), baigner, oindre les yeux et le corps, il revêt un habit de lin neuf et ceint un cordon sacrificiel. Une fois récitée la formule dite "saisie du sacrifice", installé sur une peau d'antilope et recouvert d'un voile, le sacrifiant ferme les poings et "retient sa parole". Dans sa hutte chauffée par les feux sacrificiels, il jeûne et veille "jusqu'à "épuisement" (S.Br. IX,5,1,1 s.): "jusqu'à ce qu'il soit devenu maigre" (Apastamba-Srauta-Sûtra, X,14,9 - désormais abrégé en Ap.S.). "Quand il est devenu maigre, il est sacrificiel" (medhya : propre au sacrifice); "... Ce qui, de ses membres, est absent, il l'a sacrifié... Quand la peau touche les os, il est sacrificiel. Gras, il entre en diksâ ; maigre il sacrifie" (Ap.S. X,14,10). "Uni aux dieux, recru de fatigue, riche en tapas, c'est alors qu'il allumera les feux" (S.Br. II,1,4,7). "Il ne lui est pas permis de sortir de la hutte, car elle est le sein maternel où il est enfermé" (M. S. 3,6,7). "Les prêtres transforment en embryon celui à qui ils donnent la diksâ. Ils l'aspergent avec de l'eau : l'eau, c'est la semence virile" (A.Br. 6,3,9). "La hutte du sacrifiant, c'est sa matrice ; la peau d'antilope noire, c'est le chorion; le vêtement, c'est l'amnion; la ceinture, c'est le cordon ombilical. Celui qui fait la diksa est un embryon" (M.S. 3,6,7). "Or l'embryon circule à l'intérieur de la matrice. Comme le sacrifiant tantôt se déplace et tantôt se retourne, pour cette raison, les embryons tantôt se déplacent et tantôt se retournent" (S.Br. III,1,3, 28). "Le sacrifiant tient les poings fermés car les embryons tiennent les poings fermés" (S.Br. III,2,1,6). "C'est un fait que les dieux sont la vérité et que l'homme est l'erreur. C'est pourquoi en disant : "Je vais de l'erreur à la vérité", il passe du monde des hommes au monde des dieux" (S.Br. I,1,1,4).
2 - La mise à mort d'une victime animale qui représente le sacrifiant
a - Le poteau sacrificiel
Pas de sacrifice animal sans poteau sacrificiel (yûpa) (S.Br. III,7,3,1). Rituellement abattu, taillé et oint, dressé vers le ciel dans la fosse qui le reçoit (siège des aïeux représentés par une jonchée d'herbe), le yûpa est "en réalité le sacrifiant lui-même : de même taille, orienté devant le feu de manière à personnifier le sacrifiant" (S.Br. III,7,1,11). (Un lien est fixé à la hauteur de son ombilic). "Ce qui est enfoui appartient aux pères; le lien appartient aux plantes, ce qui est au-dessus jusqu'au sommet à tous les dieux; le sommet à Indra et le reste aux Sadhya" (T.S. VI,3,4). Par sa taille, sa position, sa division, le poteau sacrificiel symbolise l'intentionnalité du sacrifice. (La station droite de l'homme exprime la double postulation d'un être à la fois mortel et immortel). Le poteau sacrificiel n'est pas seulement un vecteur du sacrifice ("Ô arbre, laisse la nourriture sacrificielle aller aux dieux" (R.V. I,188,10), apparenté au pilier cosmique, il relie le ciel et la terre mais aussi fixe l'ordo rerum : "Je veux adresser un chant à Indra qui, comme un étai a, par sa force, fixé le ciel et la terre" (R.V. X,89,4). Témoin du sacrifiant, il expose la structure et l'efficience du sacrifice.
b - La victime sacrificielle
Symbolisation, adéquation, purification
Elle représente le sacrifiant : "Mâle pour mâle, car la victime est un animal mâle et le sacrifiant est un mâle" (S.Br. XI,7,1,1). Elle doit être conforme à l'objet du sacrifice (espèce, couleur, sexe), sans infirmité ni maladie. On la baigne pendant qu'on effectue des libations accompagnées de prières (celles qu'on récite aussi pour l'initiation d'un jeune brahmane). On l'accueille sur l'aire sacrificielle en invoquant le dieu maître du bétail ; on lui adresse des paroles louangeuses et on la flatte de la main. On la prie de se laisser sacrifier. On l'attache alors au poteau sacrificiel: "Avec le nud de l'ordre sacré, je t'attache ô oblation aux dieux", car cette corde, en vérité, est celle de Varuna" (S.Br. III,7,4,1). On lui fait boire l'eau purificatrice; on effectue des lustrations sur toute la surface de son corps; on l'oint de beurre fondu. Un prêtre enfin, un brandon à la main, tourne trois fois autour d'elle (S.Br. III,8,1, ). La victime est déjà surnaturelle. Le sacrifiant ne peut la toucher que par l'intermédiaire des instruments rituels. "Il faut toucher l'animal, disent les uns; mais il est conduit à la mort cet animal, s'il le touchait par derrière, le sacrifiant mourrait subitement... (mais) il est conduit au ciel cet animal, si le sacrifiant ne le touchait pas par derrière, il resterait séparé du ciel. C'est pourquoi il faut le toucher avec les deux broches du sacrifice. En sorte qu'il est touché et non touché" (T.S. VI,3,5,1).
Toucher sans toucher, mettre sa propre mort en scène tout en conservant la vie, c'est le bénéfice de la symbolisation, de l'approximation symboliquement parfaite qui se réalise dans la mise à mort de la victime sacrificielle. Purifiée par l'eau, par la parole, par l'onction et par le feu, expurgée des principaux "vices de (sa) laïcité", il reste encore à la purifier du vice majeur de son existence, celui d'exister. L'ordre trois fois répété par le prêtre : "Apaise son souffle!" (Asvalâyana -Srauta-Sutra, III,3,1,4 - désormais abrégé en : As.S), résume l'euphémisme sacrificiel. L'exécuteur est dit samitr- : "donneur de paix". La mise à mort rituelle n'est pas un meurtre, mais le dernier acte d'un processus de division-purification. "C'est pourquoi il ne dit pas : "Donne la mort! Tue!" car c'est là manière d'homme, mais: "Apaise-la! Elle a passé!" Alors, quand il dit : "Elle a passé !", celui-ci, le sacrifiant, va aux dieux, et c'est pourquoi il dit : "II a franchi le pas" (S.Br. III,8,1, 15). Car c'est délié de sa nature mortelle que le sacrifiant devient un dieu. Chaque existence, sous l'empire de Varuna, maître des liens, est un drame qui se joue entre la ligature du nud ombilical et le dénouement de la mort. L'apaisement sacrificiel est la résolution de toutes les tensions de l'existence, un dénouement et une sanctification. Le rituel est attentif à ce que la victime "comprenne" son rôle ; il serait contraire à la nature et à l'intention du sacrifice qu'elle expire en poussant un cri ou en se débattant violemment. Cela signifierait, notamment, que le sacrifiant se refuse à (se) sacrifier, que la mort donnée n'est pas une mort sacrificielle, un apaisement, mais un meurtre.
B- Renaissance du sacrifiant ; recréation de la création
Avant de procéder au sacrifice animal, le prêtre s'est adressé au diksita : "Desserre ta ceinture, ouvre les poings !... Désormais on t'interpellera par ton nom et ta qualité de sacrifiant". Après avoir "fait sa place" chez les immortels, le consacré renaît : "Les embryons sont recouverts par les deux membranes de l'amnion et du chorion, or, voilà qu'il est mis au monde, et c'est pourquoi il se découvre" (S.Br. III,3,3,12). Le deuxième temps du sacrifice répète et achève cette renaissance. "Car l'homme est, en vérité, "non-né". C'est par le sacrifice qu'il naît (M.S. 111,6,7,). "En renaissant, il naît pour l'immortalité" (S.Br. X,4,3,10). Le principe de cette renaissance consiste à faire descendre 1'immortel dans le mortel. En s'assimilant à l'Un, l'homme reprend et réfléchit la part divine qui est en lui. Il ramasse et résume l'expansion de l'Un dans la contingence de ses limites. Il réconcilie l'Un et le multiple. Le sacrifiant se fabrique un corps rituel impérissable et peut vivre ici-bas "une vie entière", c'est-à-dire "une existence que les jours et les nuits n'épuisent pas avant la vieillesse" (S.Br. X,4,3,l) et, chez les Pères, une vie assurée de ce corps sacrificiel (R.V. X,14,8). Il conquiert la part terrestre et la part céleste, car "tout participe du sacrifice et les créatures qui n'y participent pas perdent tout" (S.Br. III,6,2,26). "Tout ce qui est, tous les dieux ont un seul principe de vie: le sacrifice" (S.Br. XIV,3,2,1) qui fait circuler le "courant d'abondance" (T.S. V,4,8,2) entre les deux pôles du Dédoublement. "Les dieux subsistent de ce qu'on leur offre ici-bas, comme les hommes des dons qui leur viennent du monde céleste" (T.S. III,2,9,7).
1 - La consommation sacrificielle
"La nourriture est le lien de la vie" (Mantra-Brâhmana, 1,3,8). Parce qu'elle est nourriture et parce qu'elle est consacrée, la victime supporte et légitime l'assimilation qui est la fin du sacrifice : "S'il ne consommait pas sa part, le sacrifiant s'exclurait du sacrifice. Or, la part du sacrifiant, c'est le sacrifice" (A.Br. VII,26,2). Le corps de la symbolisation est passible à son tour du principe de la division significative: la victime qu'une suite ordonnée de purifications a progressivement "apaisée" reste matière impure en tant qu'exuvie. Le rituel achève sur la dépouille la division qui a consacré la victime. Ce qui est vie appartient aux dieux ; ce qui est mort appartient aux démons.
Pendant que l'officiant asperge d'eau les membres de la victime, la femme du sacrifiant ("Parce que la progéniture terrestre est féminine" - S.Br. III,8,2,6) purifie d'une eau prélablement purifiée les ouvertures des "souffles vitaux" en faisant "boire" les orifices du corps de la victime (S.Br. III,8,2,4). Elle rend vie aux souffles que la mort a éteints qui sont la nourriture des immortels. Le sang qui s'écoule lors du dépeçage est voué aux démons : "Tu es la part des raksas ! " (Ap.S. VII,18,4 ; S.Br. III,8,2,4). La présence des démons sur l'aire sacrificielle, évoquée par ellipse, ou même déniée, est en réalité fonctionnelle: s'il ne leur était pas fait la part qu'il leur revient, ils "s'appesantiraient" (T.S. VI,3,2,9) sur le sacrifiant et sa famille. En effet, il n'y aurait pas sacrifice, mais maléfice: mélange du démoniaque et du divin, échec de la séparation sacrificielle. Au lieu de doter le sacrifiant d'un corps rituel, le sacrifice le livrerait aux puissances du mal." La "fosse aux excréments" (Ap.S. VII,16,1) (située hors de l'aire sacrificielle) reçoit les gouttes de sang qui s'échapperont lors de la cuisson du cur, et de plus l'estomac et les excréments, et les brins d'herbe sur lesquels on répand le sang recueilli, (...) en général tous les débris inutilisables des sacrifices".
La part divine, "la plus juteuse" (R.V. III,21,5), la partie centrale de l'animal (l'epiploon), nommée yupa (le terme désigne aussi l'enveloppe ftale), particulièrement riche en graisse - Asvalayana-Srauta-Sutra, II,4,13-14, parle des "flots de graisse" de la vâpa - considérée comme le siège de l'âtman, est rendue aux dieux. Elle est le medhas, le principe sacrificiel (S.Br. III,8,2,17). Cette vie rendue à l'origine libère le sacrifiant de sa dette d'origine et le rend à l'existence. "C'est pourquoi il est dit qu'on ne doit pas manger la nourriture d'un homme en état de dîksâ (...) mais par l'offrande de la vâpa, on délivre le sacrifiant de toutes les divinités" (A.Br. 6,9,6). On l'apporte solennellement au feu sacrificiel et on la fait rôtir de manière à faire tomber la graisse goutte à goutte dans le feu, véhicule de l'oblation (Agni est dit : "bouche des dieux"). Une fois cuite, on la jette dans les flammes. Par cette offrande, le sacrifiant se libère de la maladie, de la mort et de la malédiction. "Quand on est depuis longtemps malade, c'est que le suc vital va à Soma et le corps à Agni : on rachète à Soma le suc vital et le corps à Agni et, serait-on expirant, aussitôt on est tout en vie" (T.S. II,2,10,4). On écorche la victime et on découpe, en différentes parts de sa chair dix-huit morceaux que l'on fait cuire dans le même récipient. La graisse et l'écume de cette cuisson sont sacrifiées dans le feu à l'intention des dieux.
Le sacrifiant meurt avec la victime et renaît par l'offrande de son principe vital. Le traitement dont le corps de la victime fait l'objet permet de représenter dans l'espace horizontal de l'aire sacrificielle la dimension verticale (cosmogoniquement parlant) de la signification. La première division sacrificielle sépare le pur de l'impur. Dans la part ainsi purifiée, on effectue une division qui attribue l'âtman aux divinités. La procédure isole, après cette rétribution essentielle qui constitue un sacrifice complet la liturgie marque un arrêt significatif quand cet acte est accompli ; les prêtres reçoivent leurs honoraires rituels et qui définit l'inégalité de l'humain et du divin, une communauté de partage entre le dieu et le sacrifiant. En continuant à rendre la part divine la graisse et l'écume des dix-huit morceaux de la victime puis en attribuant un certain nombre de ces morceaux aux puissances célestes, on affirme la présence divine au repas sacrificiel qui va s'instaurer.
Sept parts constituent l'idâ. Ida est à la fois la communauté sacrificielle et la déesse de la fécondité, celle qui dispense la fortune et les troupeaux. Dans la légende du déluge, Manu, l'homme sauvé des eaux, recrée l'espèce et le cheptel avec sa fille Ida, née de son sacrifice. "Qui es-tu ? demande Manu Ta fille (...) Je suis la bénédiction de ton sacrifice" (S.Br. I,8,1,9). On place l'idâ dans les mains préalablement ointes d'un prêtre, les autres prêtres et le sacrifiant l'entourent et la touchent. On invoque la déesse : "Viens Ida ! Viens Aditi !" par une injonction qui achève le processus de la division rituelle. Le prêtre mange sa part, puis le sacrifiant, à son tour, mange en silence. On distribue enfin leur part aux autres prêtres qui, chacun, représentent un dieu. Ainsi s'épuise sur l'idâ tout ce qu'il y a de bon dans le sacrifice et dans le monde (T.Br. III,7,5,6). Sanctifié, le sacrifiant peut s'identifier aux articulations significatives de la création.
2 - La construction de l'autel du feu (agnicayana)
"Le Père, Prajâpati, mis en pièces", le sacrifiant "le reconstitue en totalité et le relève comme les dieux l'ont relevé" (S.Br. VII,1,2,11). La construction de l'autel du feu, rite dont il est dit qu'il inclut et comprend tous les rites" (S.Br. X,l,5,l), met en scène le drame du sens qu'est l'existence humaine. De même que la création se soutient de la division de l'Un, l'existence individuelle prend-elle sens dans la reprise de la dispersion spatiale et temporelle qui constitue le destin de la créature. "Au commencement Prajâpati était à la fois mortel et immortel; son souffle seul était immortel, son corps mortel. Par la vertu de son sacrifice, son corps devint incorruptible et immortel. De même le sacri¬fiant est à la fois mortel et immortel. Par la vertu de son sacrifice, son corps devient incorruptible et immortel" (S.Br. X,1,4,1)- C'est par le sacrifice que Prajâpati s'est recomposé après avoir créé le monde; c'est par la construction de l'autel du feu que le sacrifiant recompose Prajâpati en rassemblant les articulations du monde et se construit un corps divin : "Car l'autel est le corps sacral du sacrificateur" (S.Br. IX,4,4,9). Comme le sacrifice de soma (infra : 72 ) auquel il est joint, l'agnicayana est une régénération.
Quand il eut créé, Prajâpati était "vidé", il dit à Agni : "Recompose-moi!" C'étaient cinq parts corporelles de Prajâpati qui étaient disjointes: cheveux, peau, chair, os, moelle ; c'est pourquoi l'autel est consti¬tué de cinq couches de briques". Prajâpati, c'est l'année : "Après que Prajâpati eut émis les êtres, ses jointures étaient disjointes. Or, Prajâpati, en vérité, c'est l'Année, et ses articulations sont : les deux jonctions du jour et de la nuit, la pleine lune et la nouvelle lune et le commencement des saisons. Ses jointures disjointes, il était incapable de se relever" (S.Br. 1,6,3,35-36). "Ce Prajâpati qui était vidé, c'est l'Année et les cinq parties de son corps qui étaient désarticulées ce sont les cinq saisons. Parce qu'il y a cinq saisons, il y a cinq couches de briques: quand (le sacrifiant) édifie les cinq couches de briques, il s'édifie lui-même avec les saisons". Prajâpati, c'est aussi les cinq régions de l'espace déterminées par les cinq points cardinaux (dont le zénith) : "Quand (le sacrifiant) édifie les cinq couches de briques, il s'édifie lui-même avec les cinq points cardinaux". Les cinq couches de briques sont aussi: la terre, l'atmosphère, le ciel et les deux espaces intermédiaires. Mais encore : "L'Année, sans aucun doute, c'est la Mort, car le Temps, par le moyen des jours et des nuits, ronge la vie des mortels, et ils meurent: c'est pourquoi l'Année, c'est la Mort. Et celui qui sait que l'Année, c'est la Mort, l'Année ne détruit pas sa vie par jours et par nuits avant l'âge. Il peut vivre une pleine durée de vie" (S.Br. IX,4,3,1). "Les dieux avaient peur de ce Prajâpati, l'Année, la Mort, Celui qui dispose du temps..." Prajâpati leur enseigna comment construire l'autel dont les 10.800 briques représentent l'année (10.800 heures - un jour = une nuit = 15 heures). "Ayant rassemblé toutes mes formes, vous deviendrez immortels". "C'est pourquoi les hommes peuvent devenir immortels par le savoir ou par l'uvre pie. Quand ils disent : "Soit par le savoir, soit par l'uvre pie", c'est l'autel qui est le savoir, c'est l'autel qui est l'oeuvre pie" (S.Br. IX,4,3,9). "En construisant l'autel du feu, le sacrifiant gagne Agni, Prajâpati, l'Année, la Mort, Celui qui dispose du temps que les dieux gagnèrent" (id. 11). "Ce Prajâpati qui était désarticulé est maintenant rassemblé dans l'autel du feu ici construit" (S.Br. X,4,4,2).
La manifestation est espace et temps. La rejonction sacrificielle des divisions de l'espace et du temps qui constituent l'ordre et l'unité du divers (le "Père déchiré") sous le concept du "Père réunifié" définit la maîtrise de l'homme. Le sacrifice assure, en même temps que l'ordre cosmique car, à la succession ordonnée pourrait succéder le chaos: "Le soleil, certes, ne se lèverait pas si l'on n'offrait pas l'agnihotra du matin" (S.Br. 11,3,1,5) la transcendance de cet ordre. Chaque division naturelle le rythme des nycthémères, des syzygies, des saisons, des équinoxes, des révolutions solaires constitue une articulation significative; la reprise de cette signification, en elle-même "mortelle", confère l'immortalité. Le jointement symbolique des extrémités assure la circularité qui sauve de la dégradation temporelle et de la dispersion spatiale. En même temps qu'il a une fin, c'est-à-dire une structure, le sacrifice, en ce sens, n'a ni début ni fin : "Son début est sa fin; sa fin est son début. C'est comme le rampement du serpent de Sakala, on n'arrive pas à savoir par quel bout ça commence" (Jaiminïya-Brâhmana, 1,258). ("Il faut empêcher le sacrifice de se défaire. Dans la vie courante, on fait des nuds aux deux bouts de la corde pour l'empêcher de se défaire; de même on fait des nuds aux deux bouts du sacrifice pour l'empêcher de se défaire" (A.Br. 2,5,13-14).
Le dédoublement du divin sous la forme du feu constitue un point fondamental de l'agnicayana. Car "Prajâpati, c'est Agni" (S. Br. VI, 1,2,21). "Le Père est aussi le Fils" (id. VI,1,2,26) : "Parce qu'il a créé Agni, il est le Père d'Agni; parce qu'Agni l'a restauré, Agni est son père". "Double en vérité Père et Fils, Prajâpati et Agni, Agni et Prajâpati ; Prajâpati et les dieux, les dieux et Prajâpati pour celui qui sait cela" (id. VI,1,2, 13 et 27). Le feu du foyer de l'autel représente une réunification du Dédoublement originaire. Supportant le symbolisme de la conception et de la transcendance, il est dit "matrice du sacrifice" (M.S. 3,6,7). Il prend naissance dans la matrice par frottement rituel (R.V. III,29,1-2). Agni reçoit la semence de Prajâpati et le reproduit de cette manière (S.Br. II,4,4,19). De même que le sacrifiant reproduit le feu, de même celui-ci le reproduira dans sa descendance, son cheptel, ses biens et lui ouvrira le domaine céleste. Il souffle sur la flamme, puis l'aspire "mettant son souffle dans l'immortel" puis "l'Immortel dans son souffle" (S.Br. II ,2,1,16):
"En allumant le feu, dit-il, je conquerrai les deux espaces ... je vaincrai la mort" (T.Br. I,1,9,15). Un premier feu symbolise le monde des hommes, un second le monde des dieux. Le premier feu est une matrice fécondée par le sable qui représente la semence. La construction du foyer proprement dit (construction d'Agni) réalise l'élévation du sacrifiant dans le monde des dieux. L'autel dessine sur le sol la forme d'un faucon. Quand il construit Agni, le sacrifiant se "fabrique", pièce à pièce, tout en récitant le hymnes "une âme immatérielle et immortelle" qui a la forme du faucon (S.Br. VIII,1,4,8). (Assomption du principe mâle : "Le lieu où Agni s'enflamme est au centre des testicules" - Brhad Âranyanka Upanisad, VI,4,3) "Quand il s'apprête à construire Agni, il le prend en lui-même, car c'est de son propre moi qu'on le fait naître, et l'on devient semblable à celui dont on naît... Il le prend en lui en récitant la formule s: "En moi je prends Agni" et, ce faisant, il prend en lui toute bénédiction et toute divinité" (S.Br. VII, 4, 1,1 s.). Producteur de sens et de vie, "celui qui sait" est à la fois "assis dans la réalité" et "assis parmi les dieux"" (S.Br. XIII,1, 3,22). Le feu sacrificiel est identique à l'ascèse créatrice d'où naquit "ordre et vérité" (R.V. X,190,1).
Plan de l'autel du feu
(G. Thibault, Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1875)
Références : references.html
N. B. Pour une bibliographie critique (non exhaustive) voir :
Mircea Eliade : Histoire des croyances et des idées religieuses. Paris, 1976, I : 442-450.
|
|
|