le 10 décembre 2002
B. C.
Département dEthnologie
Objet : Assemblée générale du 13 décembre : contribution à la réflexion sur l" harmonisation européenne " et les " Masters "
Sous le label " harmonisation européenne " ou " LMD ", le Gouvernement met en uvre à luniversité un plan de décentralisation dont la philosophie est la régionalisation de la Fonction publique. La première étape de cette réforme est en cours : cest le rattachement de certains fonctionnaires au cadre territorial. Pour ce qui nous concerne, une refonte de la Loi de 1984 (elle vient dêtre annoncée par [le Ministre]) est en gestation qui vise, en continuité dailleurs avec ladministration [du précédent], à transformer les universités en " entreprises publiques ". La branche DESS du " Y " dont il a été question lors de notre réunion du 5 décembre (lautre branche du " Y " étant celle du DEA) a pour objet de préparer les universitaires à la professionnalisation de lenseignement. Deux conséquences vont suivre.
Décentraliser, cest rapprocher loffre de la demande et luniversité doit évidemment répondre aux besoins locaux. (La politique urbaine est ainsi, par exemple, depuis la loi de Décentralisation de 1981, sous lautorité des Maires). On ne peut quapprouver cette première conséquence.
La seconde est labandon progressif du label national dont sont affectés les diplômes que nous délivrons. Le principe dautonomie des universités, sous son apparente libéralité, est en réalité une marque du libéralisme économique et a pour objet de livrer les universités au marché de la concurrence des diplômes.
Un indice de ce désengagement programmé a été la dégradation régulière des instances nationales dévaluation. Quand on sait ce que signifie lévaluation des chercheurs dans les universités américaines (ou au Canada), on ne peut que sourire, par exemple, de la composition de la Commission Nationale dÉvaluation (CNE). Nous avons eu ainsi la visite, lan passé, des trois sympathiques retraités qui sont venus évaluer luniversité de la Réunion. Lun deux sest endormi pendant une séance dévaluation
La séparation des deux branches du " Y " vise donc aussi à dégager lÉtat du financement de la recherche : plus exactement à réserver leffort national de la recherche fondamentale aux organismes de pointe, aux Grandes écoles et à quelques universités susceptibles de produire des résultats significatifs dans leur domaine de spécialisation. (Cétait déjà lesprit de la réforme Espéret, sous Allègre, qui devait réserver lhoraire des 192 heures ETD aux enseignants justifiant dune activité de recherche et astreindre les autres à une présence de 1600 heures
)
Cette situation, loin de nous libérer de lévaluation scientifique puisque nous ne serons plus évalués par des experts extérieurs nous fait, au contraire, un devoir dévaluation dautant plus impératif. Chez nous, nul ne lignore, tous les chats sont gris et, dans le meilleur des cas, lévaluation scientifique (il sagit, en fait, de gérer une sorte de rente versée par le Ministère et les Collectivités locales) repose sur le principe : "Chacun son tour". Il est clair que, sur le marché des diplômes, ceux qui seront délivrés par luniversité de la Réunion, comme les autres, vaudront ce que valent les formations et les formateurs. Quand lancien maire de Saint-Pierre nous dit : "Faites-nous des diplômes pour les emplois jeunes qui arrivent à échéance", il nous rappelle bien une fonction de luniversité, mais sa demande nous signifie aussi à quelle pression la délivrance des diplômes peut être soumise.
Ce qui se prépare donc invite à prendre les devants. Si nous ne voulons pas sombrer avec les "diplômes pays", il faut dès maintenant séparer nettement ce qui relève du local et ce qui relève du national, ce qui relève de la professionnalisation et ce qui relève de la recherche. Il faut dire (pour une fois) comme nos sénateurs et députés à propos de lamendement de la Constitution (qui clament : "Nous ne voulons pas de lois pays ") : " Nous ne voulons pas de diplômes pays ".
Dans ce contexte, il me paraît évident que la Faculté des Lettres vient de manquer une occasion de réfléchir de manière globale et cohérente sur son offre de formation et sur sa politique de la recherche en laissant partir au Ministère une demande isolée de Master (LCF).
Au-delà de cette question de principe, les conditions restrictives que je viens dévoquer laissent à penser que lenveloppe "Master" attribuée à notre université sera calculée
à la baisse. La Faculté des Lettres disposant actuellement de deux DEA (1,5 si lon considère que lun des deux est co-habilité), lhabilitation du Master LCF (une demi-douzaine denseignants-chercheurs) signifie que les autres disciplines et les autres laboratoires (une centaine denseignants-chercheurs) auront, au mieux
un Master à se partager. Il ny a donc pas seulement là une faute de principe, mais un risque sérieux pour nos formations de Troisième cycle.
Il y a tout lieu de craindre, en effet, que ce quil serait légitime dappeler, compte tenu de la manière dont ce projet de Master est passé (ou nest pas passé) devant les différentes instances de luniversité, la "prime au culot" soit, en lespèce, un facteur de succès. On sait ici mais les experts du Ministère ? ce que recouvre le label CNRS dont ce projet se pare comme des plumes du paon. LURA (aujourdhui UMR), cest essentiellement un héritage de Robert Chaudenson. Actuellement, une coquille habitée par un bernard-lhermite qui sert de carte de visite à quelques-uns. La réanimation de cette structure, à la faveur de la création du CAPES de créole, pourrait être loccasion, précisément, de réfléchir sur sa finalité scientifique et pédagogique et de voir, par exemple, sil nexiste pas des affinités didactiques et épistémologiques entre lenseignement du créole, les Sciences de léducation et le Français langue étrangère (FLE)
La question restant : formons-nous une communauté universitaire - ou une sorte dinstitution de type néo-colonial ?
B. C.