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le 30 octobre 1998
B. C.
aux
Membres du
Conseil scientifique
de la Faculté des Lettres
Chers Collègues,
Vous êtes donc sollicités pour vous prononcer sur un problème de censure.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il existe un précédent à laffaire qui vous est soumise et dont le numéro 2 de Travaux et Documents (doc) a gardé trace.
Dans un article dont lobjet était de comprendre la signification et la portée anthropologique de certains gestes obscènes, javais utilisé la une dun numéro du J.I.R. montrant précisément un homme politique local faisant le geste en question à lintention de journalistes présents à son interpellation. Ayant pris une consultation écrite du professeur de droit [X] et toutes les dispositions manifestant quil sagissait là de lutilisation scientifique dune image déjà publiée dun homme public (le visage étant masqué ainsi que la date de la publication), les membres du conseil de rédaction de la revue ont été convaincus du bien-fondé de ma démarche. Sauf un, membre doffice de ce conseil, le Doyen de lépoque, [...]. Qui a paru se ranger à lavis de la majorité, mais est venu me relancer en privé, quelque temps plus tard, pour me convaincre, en me mettant la main sur lépaule, de retirer cette photographie. Ayant prévu cette éventualité, je lui proposai alors la note suivante placée à lappel du titre :
Toutes les illustrations de cet article sont extraites dune thèse de doctorat dÉtat soutenue à la Sorbonne. Sauf une, dont lopportunité a fait lobjet de réserves de la part du Doyen de la Faculté des Lettres. Lauteur de larticle, convaincu que la réflexion scientifique ne peut se soumettre sans se renier à des considérations politiques ou diplomatiques assume seul et entièrement les conséquences de cette publication.
Au-delà de la question fondamentale de la censure sil y a bien un espace de liberté, difficilement conquis dailleurs sur les pouvoirs, cest celui qui permet à la recherche scientifique de se déployer il sagirait en réalité de savoir si la publication du passage visé par le Doyen, à la publicité toute relative, peut être en mesure de ternir limage de luniversité. Au Doyen qui, en me communiquant la lettre quil vous a adressée me faisait part des effets négatifs que de tels écrits peu flatteurs pour linstitution pouvaient avoir auprès des collectivités, jai répondu que la solution à ce problème était fort simple : limage de luniversité se redressera aussitôt quand ce seront des universitaires qui la représenteront. Ce ne sont pas ceux qui uvrent pour mettre fin aux dysfonctionnements qui peuvent être tenus pour responsables du scandale, mais ceux qui le perpétuent. Les Réunionnais ne sont dailleurs pas dupes des apparences. Voici une remarque qui ma été faite en ville après la démission de la précédente équipe décanale : Dites-moi ! le niveau monte à la Fac des Lettres : vous venez dinstaller circonstance que jignorais trois instituteurs aux commandes ! Laffaire de la manipulation de la Commission des spécialistes en Sciences de léducation illustre parfaitement la situation dont jessaie danalyser les causes dans le texte censuré. Cette manipulation a permis de récuser une demande de mutation sur le poste de professeur mis au concours dun professeur de luniversité de Nice, de stature internationale en Psychologie cognitive et en Psychologie de léducation, ainsi quune candidate qui a été classée plusieurs fois en première position lors de la dernière campagne de recrutement et que la situation culturelle de la Réunion intéressait particulièrement, puisquelle avait fait des problèmes éducatifs en contexte multiculturel le sujet de sa thèse...
Jajouterai que le texte proposé à votre examen est déjà connu puisque cest lui qui a été cité dans la presse - jai bien sûr approuvé cette publication, mais je nen suis pas à lorigine - et quil a été cité dans un mémoire de D.E.A. soutenu à lE.H.E.S.S. à Paris. [...]. Dans une lettre datée du 20 février 1997, notre collègue [X] qui, par ailleurs, ne partage pas du tout mes options stratégiques à qui javais remis la version finale de ma communication me faisait part en ces termes de son sentiment : Merci pour ton très bel article-bilan (sera-t-il publié ?) [...] Tout ceci est tristement vrai, hélas ! La comparaison de la version originale et de la version [N14] ne laisserait pas de poser question.
Il existe dailleurs un moyen très simple de résoudre le problème : ce serait de ne pas faire apparaître le nom de [N14], dont je comprends lembarras, sur la couverture des actes du colloque Vingt ans danthropologie à la Réunion. Cest dailleurs ainsi que jai procédé quand jai réalisé le livre dhommage, intitulé LÉtranger intime, dédié à Paul Ottino, considérant quil était déplacé de mettre mon nom sur ce type douvrage. [N14] na pas de ces scrupules. Davantage : puisquil na pas hésité à utiliser une des communications du colloque, celle de Paul Ottino, pour une autre de ses publications, procédé qui lui permet de faire fleurir son nom à peu de frais sur des couvertures réunissant des travaux détudiants dont la plupart ne lui doivent rien, quand il le connaissent pour faire des ouvrages collectifs dont il se présente comme le maître duvre. Sans préface et sans imprimatur, la publication nengagerait que les auteurs des communications.
Ce nest pas, en effet, parce [N14] a été lorganisateur du colloque en cause quil a acquis un droit de propriété sur cet ensemble de textes qui est supposé exprimer ce qui sest fait en anthropologie à luniversité de la Réunion et sur les programmes en cours. Cest le département dEthnologie qui est concerné par ce document et je remarquerai seulement ici que la version imprimée ne ma même pas été communiquée. Je crois savoir que notre cher collègue a préfacé lensemble dune de ces gloses dont il a le secret. Il serait donc légitime de rendre au département dEthnologie la responsabilité de cette publication qui engage sa représentativité, au lieu de la faire préfacer et patronner par un enseignant qui ne représente que lui-même, qui est sur le départ depuis un certain nombre dannées et qui, faute de trouver chaussure à son pied sans doute (puisque même ses demandes de mutation sur des postes de Maître de conférences mis au concours se sont soldées par des échecs), a efficacement uvré à la liquidation du C.A.G. créé par Paul Ottino en 1985. Ce nest pas trahir un secret que de dire que notre collègue sest très largement rapproché du département de Sciences de lEducation. Pour clarifier cette situation, jai fait proposer, lors dune réunion de ce département, déchanger [N14] contre [deux collègues qui font pour moitié leur service en Sciences de l'éducation et en Ethnologie]. Il paraît que cette offre, rapprochant pourtant les affinités et les intérêts scientifiques, a déclenché lhilarité générale et une opposition unanime. Quoi quil en soit, je crois quon peut imaginer meilleur avocat et meilleur drapeau pour le département dEthnologie.
Jattendais dailleurs avec un certain amusement la sortie de cette affaire puisque notre collègue, très intéressé à accrocher ce nouveau trophée à sa production scientifique se met du même coup en posture de tirer contre son camp, cette publication contenant une communication où il est fait état des dysfonctionnements de luniversité de la Réunion dont il se trouve être, sinon un des acteurs, du moins un des plus récents bénéficiaires. Le malheureux apparaît ainsi comme le responsable de cette atteinte à lhonorabilité des ses compères...
Puisque le Doyen a eu lheureuse idée de saisir le Conseil scientifique - ce que je mapprêtais à faire - je demande donc que la maîtrise de la publication de Vingt ans danthropologie soit rendue au département dEthnologie (sa juste part sera évidemment faite à [N14]). Il est tout à fait anormal dailleurs que les actes dun colloque, tout colloque étant ordinairement géré par un Conseil scientifique réuni à cet effet, soient dans les mains dun seul. Je rappelle à ce propos que cest, entre autres raisons, à cause de cette captation individuelle des programmes et des crédits que les membres du C.A.G. ont, par un vote unanime, rendu sa liberté à leur collègue, en septembre de lannée dernière.
Je soumets enfin à votre réflexion la considération suivante : il est de règle, lorsque vient à lexamen un dossier scientifique ou une évaluation scientifique dun professeur de 1ère classe, que le jury soit constitué de membres de rang au moins égal. Je crois savoir que, même à luniversité de la Réunion, quand il sagit de faire passer à la 1ère classe, en vertu de la fameuse clause services éminents rendus à luniversité (ce qui na rien à voir avec une promotion scientifique et permet déchapper dailleurs à la dure loi de la production scientifique) le Conseil est alors constitué restrictivement de ceux des enseignants-chercheurs qui ont déjà été les heureux bénéficiaires de cette procédure.
Je vous prie de croire, Chers Collègues, à lexpression de mes sentiments dévoués.
B. C.
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