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le 22 juillet 1997
B. C.
à
[N14]
[Cher Collègue],
Ayant relu plusieurs fois le dernier courrier que tu viens de nous adresser (daté du 19 juillet) et dont je tai dit de vive voix, alors que je venais den prendre connaissance, ne pas saisir grand chose, il me paraît utile, avant le retour de nos collègues qui, je lespère, seront plus fins que moi, de te demander quelques éclaircissements.
- Faut-il comprendre que tu quittes le C.A.G. à partir du 1er janvier 1998 (ne pas minclure dans la configuration du C.A.G.) ?
- Faut-il comprendre que tu vas créer un nouveau Centre de recherche qui fédérerait les chercheurs en Sciences de léducation ?
- Faut-il comprendre, enfin, que tu passes désormais en 70° section à qui sadresse aussi ton courrier ?
Étant bien entendu que tu es libre de faire ce qui te plaît et qui te paraît répondre à tes intérêts (que personne, à ma connaissance, ne te retiendra et que rien ne toblige à émarger au C.A.G.), je crois devoir te faire part de quelques remarques.
Formelles, dabord, mais révélatrices, me semble-t-il, du fond.
- Jai donc accepté lidée, écris-tu, [...] détudier la possibilité de créer une nouvelle équipe qui reprendrait... etc.
- Nous nen sommes pas bien entendu au stade, dis-tu encore modestement, de proposer à lensemble des chercheurs de ce programme de me rejoindre sur les thématiques nouvelles... etc.
Ce jai donc accepté et ce me rejoindre, excuse-moi, font, entre autres tours presque aussi discrets, un peu boursouflé, et laissent bien malencontreusement apparaître [...] ce quil est convenu dappeler loreille de lâne sous la peau du lion. Je crains pour ton image quune telle inflammation ou infatuation ne dénoncent au lecteur le moins attentif ou bien une grande souffrance ou bien un besoin de reconnaissance grandement insatisfait. Car tu nes pas encore, me semble-t-il même si cela ne saurait tarder , dans la position dun Montagner (par exemple) dont la recherche américaine sur le SIDA vient de sattacher les services ou dun phare dont les lumières attireraient à distance les malheureux chercheurs en manque de clarté et qui consentirait magnanimement à prendre leur déréliction en charge...
Derrière tout cela, qui est anecdotique, et sans faire référence aux contradictions que ces alliances daujourdhui pour autant que je comprenne manifestent par rapport aux positions que tu as affichées dans le passé, il y a une question qui se posera inévitablement. Si tu estimes utile à ton crédit scientifique de prendre la tête de cette armée de Bazaine dont tu jugeais hier les lieutenants infréquentables et qui se trouveraient tout à coup devenir des chercheurs par le seul contact de ton génie, soit. Mais ton projet de déménager en emportant les meubles du département d'ethnologie ne peut laisser tes collègues indifférents.
Car il est bien difficile dessayer de faire de la recherche à la Réunion sans rencontrer ce thème de la construction identitaire, du patrimoine et de lethnicité dont tu as lair de faire un monopole. Moi-même, pour une bien modeste part, je my suis mis et je compte persévérer. Ce qui signifie quil nest pas possible de laisser ce fonds au gouvernement dun seul. Tu fais opportunément référence, pour une autre raison, à ma lettre de décembre dernier qui soulevait déjà cette question. Un intérêt de la démarche annoncée par ton courrier est quelle va nous permettre de traiter de front ce problème qui est pendant depuis lorigine et que javais laissé tel parce que jestimais que ton activité dans ce domaine avait pour premier mérite doccuper le terrain et de ne pas laisser le champ libre aux margoulins toujours prêts à proposer leurs services dès que les institutions locales déboursent. Maintenant que nous sommes un certain nombre à travailler sur ces sujets, ces considérations tactiques tombent et une évaluation scientifique simpose.
Sauf à diviser les crédits, comme cest lusage en cette île de flibuste, en autant de parts quil y a de têtes de pipes, si donc tu restes dans la mouvance de la 20° section, il faudra des arbitrages et je pense que tu accepteras quun expert indépendant connaissant la Réunion - ce pourrait être [X] par exemple opère, en un tel cas de figure, un classement des projets qui se trouveraient en concurrence pour lobtention des crédits des institutions locales. Car tu admettras, jimagine, quil ne suffit pas, même si on le croit, de noircir du papier et daligner les mots les uns après les autres en espérant quau bout du compte ça finira bien par vouloir dire quelque chose pour produire quoi que ce soit qui vaille. Jai limpression que la fréquentation des officiels (ou ce qui en tient lieu à la Réunion) test montée à la tête et que leur enflure contagieuse a fini par te faire croire à la puissance magique de langue de bois, quil suffit de dire pour faire et de palabrer pour expliquer...
Sous ce titre des identités et de linsertion sociale, tu nes pas sans savoir que [les autres membres du département d'Ethnologie] développent des recherches dont on ne voit vraiment pas pourquoi elles ne devraient pas bénéficier des crédits appropriés. Comme je doute que ton magistère, si cuménique soit-il, puisse les abriter, il faudra bien leur donner une visibilité (si tu me permets cette concurrence). Nous accueillerons à la rentrée un jeune réunionnais agrégé de Sociologie qui vient faire sa thèse dans le département dEthnologie et qui bénéficiera dune allocation de recherche. Son sujet de thèse étant la formation professionnelle et linsertion (il a fait son D.E.A. sur le Centre de formation des apprentis DAMASE-LEGROS), on ne voit pas pourquoi il ne lui serait pas possible dapparaître au C.A.G. sous cette thématique. (Cette recrue étant pour le moins aussi digne de considération que celles que vient de faire une Commission de spécialistes composée dans un couloir et dont le président auto-proclamé se signale par labondance de ses productions scientifiques sur la science de léducation... et sur lidentité.) Pour ma part, militant, à la base certes, dans deux associations réunionnaises ayant lidentité et la mémoire pour thème, ayant le projet dun groupe de travail sur le journal de Lescouble (dont je viens dassurer le traitement informatique), travaillant actuellement à plusieurs articles sur la description ethnologique dans le roman colonial réunionnais (je viens de terminer un texte sur le Miracle de la race) et sur la départementalisation et ayant réalisé plusieurs centaines de diapositives sur larchitecture créole (que jespère exploiter), je compte bien apparaître, en seconde ligne mais si besoin en première, parmi ceux qui contribuent, pour une part, à ces recherches.
Deux questions incidentes pour finir.
Je navais pas remarqué, contrairement à ce que tu as lair de présenter comme une évidence, que la psychologie caractérisait à elle seule (seule et unique voie) ce qui se faisait au C.A.G. et javoue navoir gardé aucun souvenir de ta lettre du 8 octobre au Doyen et aux membres du Conseil scientifique à ce sujet dénon[çant] cette dérive. Sinon, je naurais pas manqué de relever cette affirmation (probablement due à un égarement passionnel).
De ton dossier du 3 juillet au Doyen à propos du flottement dans les appellations, il ressort confusément mais vraisemblablement que tu souhaiterais voir ton nom apparaître chaque fois quil est question de notre Équipe dAccueil. Je crois tavoir déjà dit que si cela tajoutait quelque chose, moi ça ne me retirait rien. Cest Mme [X] qui, à plusieurs reprises et excipant de je ne sais quel texte, paraît y avoir fait obstacle... Tu fais toutefois une erreur dappréciation quand tu demandes au Doyen (qui na ici quune fonction denregistrement) deffectuer des rectifications qui relèvent du vote des membres du Département. Comme les dossiers de renouvellement de lhabilitation des Équipes dAccueil sont en cours dinstruction, il suffira de mettre la question aux voix.
Bien cordialement,
B. C.
copie aux membres du département d'Ethnologie
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