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le 29 mai 1997
B. C.
Je dois à nos collègues récemment recrutés, ma-t-on fait remarquer - du moins à ceux que cela intéresserait -, des explications sur les manquements répétés à la confraternité élémentaire par lesquels je me signale, bien maladroitement sans doute et, à coup sûr, sans plaisir, à lattention des enseignants de la Faculté des Lettres.
Si je me suis permis de réagir, dans la lettre que jai adressée à [N11], ce 14 mai, pour lui faire part du regret que nous causait sa démission et dintervenir dans un débat où je nai aucune ambition personnelle, cest que jai été, dautres ont eu plus de chance, et le témoin et la victime (soit dans mes projets scientifiques, soit dans lorganisation du département auquel jappartiens) de ces pratiques qui ont convaincu notre collègue de retourner à ses études. Jespère ne pas être démenti par mes amis historiens en rappelant que pour comprendre une crise, il faut dabord avoir recours à la généalogie pour en évaluer les attendus véritables. Ce sont donc quelques informations qui relèvent de la chronique de notre Faculté et qui intéressent directement la crise daujourdhui, ayant bien conscience de napporter quun point de vue et me limitant à celles dont jai été lacteur involontaire, que je me permets de rapporter ci-après.
Jai été nommé à luniversité de la Réunion en octobre 1991 par le C.N.U. (qui, à cette occasion, a inversé le classement opéré par la Commission de spécialistes locale). [...] Je suis donc arrivé à pied duvre à la Faculté des Lettres où jai par hasard pris connaissance dun Plan de développement des Sciences de lHomme et de la société dont lobjet, alors quun expert du Ministère, de passage dans le département venait de rendre un avis recommandant instamment le développement de la filière dEthnologie (avis sur lequel [N0], le précédent président de luniversité, na pas craint décrire de sa main son étonnement mais à luniversité de la Réunion, tout se tient, on le verra) ni plus ni moins que la suppression du Troisième Cycle dEthnologie au bénéfice d'[un] département, alors embryonnaire.
Il nétait pas bien difficile de comprendre que, sous lintitulé, dune naïve fraîcheur, de montée en charge le projet en cause nétait rien dautre que le plan de carrière de ses trois auteurs [...]. Le premier, jai déjà eu loccasion de le dire, a été [recalé] par le C.N.U. après avoir été largement subventionné par lURA 1041, le second prospère avec le bonheur que chacun peut constater et le troisième, sorti par le C.N.U. en 1991, est rentré par la fenêtre lannée suivante à la faveur de la modification de la procédure de recrutement donnant le dernier mot à la commission locale (cest-à-dire à [N2]).
Il est peu chrétien de ne pas se réjouir de la bonne fortune de ses semblables. Mais les règles de la recherche et de la formation intellectuelle nont malheureusement que peu à voir avec les usages de la charité. Je vais en donner un exemple qui me paraît démonstratif du fait que notre responsabilité à tous est engagée dans la situation actuelle de la Faculté.
[ § repris du document daté du 16 mai 1997 : "Une étudiante est récemment venue me voir ...que tout ça ne prête guère à conséquence à la Réunion...]
Il est évident que de telles carrières ne peuvent prospérer que dans un environnement favorable et dans la mesure où ceux qui sont censés être les garants de la légalité des actes administratifs ne sont pas à la hauteur de cette tâche quand ils ne participent pas eux-mêmes à la curée. Ces données anecdotiques (je nai évidemment, je le répète, aucune inimitié personnelle envers les protagonistes que je cite ici) sont révélatrices de cette réalité structurelle qui explique les crises à répétition de la Faculté des Lettres. Pour montrer, sil est besoin, que lhistoire que je viens de rapporter nest malheureusement quune conséquence inévitable des recrutements et des promotions qui ont trop souvent eu cours à luniversité de la Réunion, il suffit douvrir les archives de la Faculté.
Lobjet légitime dune habilitation, cest bien entendu dendosser lhabit de professeur, le plus sûr étant de sen tailler un sur mesure. Ici laffaire se complique un peu, car [N0] qui a jusqualors soutenu le plan de carrière de [N2] fait savoir quil trouve que ça suffit et la création du poste de professeur [convoité] disparaît de la liste établie par le Conseil dadministration. Quà cela ne tienne ! Prenant sa plus belle plume, lintéressé écrit le 30 octobre 1992 aux Directeurs de département de la Faculté pour les alerter sur la gravité de la situation et demander une réunion durgence : Vous nêtes pas sans ignorer (sic), explique-t-il, que la décision du Conseil dadministration interdit louverture de la maîtrise information-communication à la rentrée prochaine ! [N3], conscient sans doute, lui aussi, de la gravité de la situation, défère immédiatement à cette urgence puisque la dite lettre de [N2] précise quil a demandé à Monsieur le Doyen [...] de réunir dans un premier temps les directeurs de département. Ce quil a fait, ce jour, en nous convoquant ce jeudi 5 novembre. Au cours de la réunion en cause, dautorité (si je puis dire) et sans aucun vote ni concertation, [N3] déclassait un poste de Techniques dexpression au bénéfice du poste quoccupe aujourdhui [N2]. Ouf ! les futurs candidats à la maîtrise pouvaient respirer... Jai pour ma part aussitôt déposé une lettre chez le Doyen pour demander que soit consignée au procès-verbal de cette réunion la question de la régularité de cette procédure. (Le procès-verbal en cause, sil a jamais existé, na bien entendu pas été diffusé).
Nos jeunes collègues ne peuvent pas savoir non plus à quelle période dintense bouillonnement intellectuel a donné lieu le mot dordre qui avait cours alors de réorganiser la recherche et dont le principal objet était dimposer la création dun nouveau centre de recherche à la Faculté très modestement [et oraculairement] autoproclamé. Il faut dire quà cette époque [N3] avait dans sa manche un joker particulièrement efficace en la personne [du] Conseiller détablissement (sorte de proconsul représentant le Ministère dans plusieurs universités) [enseignant dans un] IUT, en réalité, et tenant sa situation de son engagement politique (il en faut) qui a donc été, et qui reste, puisquun amphithéâtre porte son nom, le génie tutélaire de notre Faculté. Le ticket gagnant à cette époque il faut le savoir pour comprendre aujourdhui était [N3 - N4 - N21] soit au moins deux de nos bons docteurs de lappel à tous les personnels de lUFR Lettres préoccupés de la situation à la Faculté...
Est-il besoin dajouter quune telle structure, propice aux plans de carrière, lest assez peu aux projets scientifiques ? Puisque cest mon expérience de la Faculté que je rapporte ici (et jai parfaitement conscience, encore une fois, de ne livrer quun point de vue) je dois dire quil a fallu que je vienne à luniversité de la Réunion pour savoir ce quétait la censure. Cest ainsi quen mars 1994, jai appris [que le Doyen N3] avait saisi les originaux dune correspondance scientifique que jadressais à un collègue mauricien et dont javais demandé à Madame [X] dassurer la transmission par télécopie. Il sagissait dun programme de recherche qui devait être parvenu à Montréal avant le 15 mars. Cest par un coup de téléphone, reçu chez moi le lundi de Pâques et émanant dun membre du jury qui devait classer les projets, que jai appris que notre dossier et pour cause nétait pas arrivé à destination. (Le dossier ma été restitué, lan passé, par [N11]). [... ]Cest ainsi encore que, comme en témoigne la note annonciatrice de larticle que jai publié dans le numéro 2 de Travaux & Documents, jai dû résister aux pressions multiples et répétées du Doyen pour conserver une illustration dont la légitimité scientifique sétait pourtant imposée à tous les membres de la rédaction de la revue...
On imagine que dans de telles conditions il soit difficile aussi de faire avancer une cause qui na pour elle que son intérêt pédagogique. Pour commencer par un exemple qui concerne la filière des Sciences humaines, comment justifier, alors que les enseignants ont été recrutés a cet effet depuis plusieurs années le report constant de louverture du DEUG de sciences humaines pour conduire aux trois Licences qui existent déjà (Ethnologie, Communication, Sciences de léducation) ? Vraisemblablement parce quil existe des intérêts plus pressants... (et aussi parce que lun de ces postes programmés au plan quadriennal a été détourné de son objet et est aujourdhui occupé par un enseignant du département... de [...]). Alors quil serait utile, étant donné le taux déchec et le niveau des étudiants de créer une année zéro et de professionnaliser lenseignement, la Faculté voit chaque année fleurir D.E.S.S., D.E.A. et autres formations - dont on apprend dailleurs la création à la radio ou dans les journaux -, et dont la principale finalité semble dêtre dasseoir la carrière de leurs responsables. La valeur de ces diplômes gérés comme des feuilles de tôle est évidemment assez problématique... On inscrit chaque année cinq cents étudiants en géographie. Qui se soucie de cette absurdité ? La seule préoccupation des Conseils est dobtenir du Ministère les créations de postes nécessaires pour faire face à cet afflux insensé...
Pour briser avec cette narration qui, je le crains, doit faire un peu prêchi-prêcha, jen résumerai la teneur par un mot attribué au général de Gaulle. Passant en revue, à la Libération, un groupe de partisans et remarquant limpressionnante proportion de gradés, il arrive au bout du rang et serre la main à un homme qui ne porte, lui, aucun galon. Il le regarde droit dans les yeux et lui dit : Alors quoi ? vous ne savez pas coudre, vous ? A luniversité de la Réunion, non seulement on sait coudre, mais on sait aussi tailler - ayant eu la bonne fortune de pouvoir tailler, de surcroît, dans la pleine étoffe des filières et des postes à créer...
Maintenant, quelle issue ? Autant le diagnostic est aisé, autant les remèdes sont incertains. Car ce nest pas seulement, on sen doute, à Faculté des Lettres que la nature des recrutements et des promotions est en cause. Nous serons ainsi vraisemblablement prochainement représentés, puisque le mandat présidentiel sachève, par un enseignant qui a pour tout titre scientifique une thèse de 3ème Cycle et qui est passé professeur à la faveur dun artifice législatif. Une condition préalable me semble toutefois être une motion de défiance envers le présent Conseil de Faculté (sans doute régulièrement élu - je présume -, mais en réalité, on le sait, sorti du chapeau de [N3). Je serais le premier à me réjouir sil suffisait de dire : Bon, on efface lardoise et on recommence ! pour donner des titres scientifiques et pédagogiques à ceux qui nen ont pas ou guère. Quand jétudiais aux Etats-Unis (cétait avant lère du SIDA) une blague avait cours qui demandait : Quelle différence y a-t-il entre lamour et lherpès ? Réponse : - Lherpès, cest pour toujours ! Quand on est fonctionnaire, cest aussi pour toujours... Quest-il possible davoir et de faire en commun avec ceux qui déclarent en Conseil de D.E.A. Lettres et Sciences sociales quon peut écrire une excellente thèse en ignorant que Stendhal est lauteur de la Chartreuse de Parme ? ou avec ceux qui usent du label universitaire pour vendre leur cuisine en ville ?
Rappelant, pour conclure, quil est beaucoup plus agréable et beaucoup plus naturel de dire du bien de ses semblables que de jouer les "imprécateurs" on dit en ethnologie que la pollution du crime rejaillit toujours quelque peu son dénonciateur , et ayant pris, pour rédiger cette note, sur le temps que jemploie habituellement à écrire des contes pour mes enfants je men excuse auprès deux tout en me demandant si cela valait bien la peine jespère malgré tout que ces informations seront utiles au débat.
B. C.
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