le 14 mai 1997
B. C.
à
[N11]
Doyen de la Faculté des Lettres
Cher Collègue,
Quil me soit permis, au nom des collègues du département dont je fais partie, de te dire combien, ayant observé - comme beaucoup dautres - que la nouvelle équipe décanale uvrait à mettre en application les principes scientifiques et moraux sans lesquels il ny a pas de communauté universitaire digne de ce nom, nous regrettons la décision que tu as dû prendre.
Quil me soit permis aussi de rappeler que, persuadé de la qualité des intentions et du programme de la nouvelle équipe décanale, javais toutefois émis quelque doute sur la possibilité de le réaliser. Ce que jexprimais ainsi, formant des voeux pour votre réussite le 10 mai 1996 quand bien même votre berceau naurait pas été ombragé par des fées au pedigree toujours immaculé.
Quel est le problème ? Dans limmédiat, comme tu le notes dans la lettre que tu nous a adressée, cest la composition du Conseil de Faculté : Lissue à la crise chronique qui secoue notre Faculté pourrait être une réélection du Conseil de Faculté après un large débat, afin que ce conseil soit représentatif de la diversité de pensée des enseignants-chercheurs qui nous ont rejoints ces dernières années. Cest aussi le constat, partagé par plusieurs, que je formais dans une lettre adressée à [...] le 3 avril 1996 et diffusée auprès dun certain nombre de collègues avant que la nouvelle équipe soit constituée : Rien nest possible [...] sil ny a pas démission du Conseil de Faculté, afin de permettre [dintéresser à la gestion de la Faculté les maîtres de conférences arrivés après les premières couches de peuplement qui bloquent aujourdhui linstitution].
Mais il ne servira à rien de procéder à de nouvelles élections si lon ne sest pas interrogé au préalable sur le fait de savoir pourquoi des élections régulières et (formellement) démocratiques ont pu produire ce Conseil de Faculté, ces dysfonctionnements et ces crises à répétition.
Ces causes sont en réalité bien sommaires, la seule difficulté est davoir le courage de les regarder en face avec les conséquences inévitables quelles comportent : elles tiennent à lhistoire de notre université... et à sa géographie. Je me suis exprimé là-dessus dans un texte à paraître consacré à la départementalisation - dont la création de notre jeune université fait évidemment partie. Il suffira de rappeler ici les conditions délection de ce Conseil de Faculté, en 1993 (sauf erreur) - cétait la première université que je fréquentais où je voyais des élections se dérouler sans assemblée générale, sans programme et... sans candidats : les candidats ne sétant fait connaître que le matin du scrutin sur les bulletins dune liste dite Liste de la Faculté (sic) -, et de rappeler que ceux qui occupent aujourdhui les Conseils - sauf une exception notoire qui démontre lart de la brigue de lintéressé - sont les premiers arrivés. Or, comme le montrent les multiples rappels à lordre et déclassements du C.N.U., le recrutement sest souvent fait avec les moyens du bord : il suffisait de se trouver là au bon moment, parfois enseignant dans le secondaire, voire dans le primaire, pour avoir de sérieuses chances de faire carrière à luniversité de la Réunion. La confirmation de cette légitimité du premier occupant est contenue dans cette réponse que je me suis vu opposer par lancien Doyen lorsque, ayant demandé une évaluation indépendante des travaux de centres de recherche de la Faculté (comme cela se passe dans la majorité des universités et dans tous les laboratoires) : Tu viens de Paris ! Tu nous prends pour des c... !. Il y a évidemment un monde entre ce droit du premier occupant et la légitimité morale ou scientifique.
Par opposition à ces pratiques bestiales, le point de vue développé par Pierre Bourdieu sur les recrutements universitaires (le Monde du 18 juillet 1996) consistant à interdire à tout candidat de se présenter dans luniversité où il a été enseignant, quel que soit son statut : chargé de cours, moniteur, AMN, ATER, maître de conférences... permet dévaluer, à laune de cette rigueur extrême, les recrutements et les promotions chez nous. Si lon ajoute à ce tableau de titres et davancements fabriqués sur place les habilitations cousues main avec les postes créés sur mesure par et pour leur titulaire daujourdhui, puis les postes pourvus alors quil ny avait quun seul candidat (cas de figure qui reporte automatiquement le recrutement dans la plupart des universités) ces bonnes fortunes sajoutant souvent lune à lautre , on ne doit pas sétonner que, les règles les plus élémentaires de lobjectivité et de la morale étant systématiquement tournées, le fonctionnement de notre Faculté soit ce quil est.
Cest donc sans réelle surprise mais quand même étonné par le culot que cela suppose , que je trouve dans ma boite à lettres, de retour dun colloque au Palais du Luxembourg [...], un appel à tous les personnels de lUFR Lettres de luniversité de la Réunion dont au moins trois des signataires (sur cinq) répondent exactement au profil de carrière que je viens de caractériser. Sans doute les pyromanes, cest bien connu, sont-ils les premiers à crier au feu et à jouer aux pompiers. Il est quand même admirable outre le fait que plusieurs de ces signataires ont été ostensiblement (peut-être le sont-ils encore) les alliés lancien Doyen et que, membres du Conseil de Faculté, ils ont directement ou indirectement participé à lobstruction qui a motivé ta démission , que ceux qui chauffent aujourdhui tranquillement leur marmite au bois de ces pratiques [...] crient maintenant au loup, se posent en défenseurs des principes et se portent volontaires pour faire apparaître des solutions adéquates.
Au delà de ce hold-up, la question de la possibilité de réforme tient en celle-ci : existe-t-il à la Faculté des Lettres une majorité - une fois récusés le secours suspect ou le baiser de Judas de ces médecins intéressés, en réalité, à blanchir des titres et des positions usurpés , pour appliquer les règles, banales ailleurs même si, comme me la rétorqué un jour lancien Doyen, des magouilles il y en a partout -, qui président au fonctionnement dune communauté universitaire ?
Je te prie de croire, Cher Collègue, à lexpression de mes sentiments cordiaux et dévoués.
B. C.