Jacqueline ANDOCHE
Université de La Réunion jacquelineandoche@wanadoo.fr
La fabrication créole des saints : christianisme ou paganisme ?
L'étude anthropologique des pratiques et croyances religieuses dites « populaires » en terre réunionnaise permet de mettre en valeur la multiplicité et la complexité des dévotions relatives aux « Saints » dans une île créole de l'Océan Indien. Si certaines de ces figures pieuses sont de pure invention locale, d'autres ont subi les métamorphoses de l'exil pour apparaître sous des visages sensiblement différents de leurs originaux.
Comment se sont faites ces modifications ? Que représentent les figures d'invention religieuse pour les hommes et les femmes qui les ont créées ou ne cessent aujourd'hui encore de les remanier ? Quelle place occupent-elles dans leur ferveur au quotidien ? Quelles fonctions leur attribuent-ils ? Quels usages en font-ils ? Mais aussi quel sens anthropologique trouver à ces conduites et à ces inventions ? Sommes-nous là face à une forme renouvelée de christianisme ou s'agit-il d'une modalité de retour au paganisme ?
Notre communication n'aura pas la prétention de répondre à ces questions. Nous tenterons plutôt de les susciter à partir de l'exposé d'un ou de deux exemples portant sur la manière de fabriquer l'invisible dans l'univers créole.
Valérie AUBOURG
Université de La Réunion, CRLHOI valerie.aubourg@gmail.com
Entre rupture et continuité :
Le Renouveau charismatique à l'Île de La Réunion
Après trois siècles d'hégémonie catholique, l'année 1966 marque le début de la pluralisation du paysage chrétien insulaire avec l'arrivée du pasteur pentecôtiste Aimé Cizeron. Envoyé depuis la France métropolitaine par les assemblées de Dieu, il fonde une uvre prolifique : la « Mission Salut et Guérison » qui rassemble actuellement plus de 20 000 fidèles. Moins de dix ans après l'implantation de celle que l'on désigne habituellement sous l'unique terme de « Mission », le Renouveau charismatique est introduit à La Réunion. La naissance, au sein du catholicisme, de cette mouvance considérée de par le monde comme la « second vague pentecôtiste », vient contrebalancer l'offre protestante en matière religieuse : elle s'adresse à son tour à des réunionnais issus des couches sociales les plus modestes et son développement suit une courbe ascendante dans des proportions quasi similaires à celles de la dite Mission. D'autre part, ces deux formations religieuses apparaissent comme une même réponse au mouvement de modernisation rapide de la société insulaire et cette réponse, de manière contradictoire, se décline à la fois en termes de rupture et de continuité vis-à-vis de la religiosité populaire. En effet, le Renouveau et la Mission prennent largement appui sur le « système religieux créole » afin d'occasionner, paradoxalement, un réel abandon de certaines croyances et pratiques populaires.
Bernard Boutter, qui a tout particulièrement étudié la situation des assemblées de Dieu à La Réunion, note qu'« il serait intéressant de chercher à savoir avec précision si le Renouveau charismatique facilite, au même titre que le Pentecôtisme évangélique, l'adaptation de ses fidèles au nouveau contexte « post-traditionnel » en étant à l'origine de profondes ruptures par rapport aux appartenances antérieures », ou si ce Renouveau charismatique « reste uniquement dans la continuité d'un univers traditionnel en désagrégation, sans exiger de ruptures ? » Selon l'ethnologue, la réponse à ces questions nous permettrait de déterminer dans quelle mesure Renouveau charismatique et pentecôtisme évangélique peuvent être associés « au sein du même champ religieux, ou s'il existe, en ce qui concerne le degré de rupture avec l'univers traditionnel, des différences fondamentales qui permettent de distinguer nettement l'un de l'autre ».
Nous nous saisirons ici de sa question, pour observer dans un premier temps comment le Renouveau, à l'instar de la Mission Salut et Guérison, permet à ses membres de s'adapter aux changements traversant la société réunionnaise en les amenant à rompre avec les traditions, sans pour autant les extraire du monde symbolique. Dans une seconde partie, nous verrons comment le Renouveau, en se réinsérant dans la matrice proprement catholique, ne peut être « associé purement et simplement » au pentecôtisme évangélique dans un champ religieux commun.
Delphine BURGUET
Centre d'études africaines, EHESS Paris burguet.delphine@gmail.com
Le jeune guérisseur et la kalanoro,
une forme innovante du culte aux esprits de la nature à Madagascar
Ziky est un jeune homme vivant dans une région rurale de l'Imerina (Hautes Terres centrales de Madagascar). Il est issu d'une famille d'agriculteurs modestes. C'est une nuit du mois d'août 2001 qu'il entre pour la première fois en contact avec un esprit de la nature kalanoro. Contrairement aux récits merina et aux représentations populaires qui inscrivent l'esprit kalanoro dans un monde végétal et sauvage, celui-ci présente des aspects inédits : c'est un être qui se nomme Nika ou sainte Nika, ressemblant à une jeune femme à la peau claire, douce et calme, aimant la musique et les bonbons et préconisant la propreté. Elle lui propose de collaborer afin de soigner les maux et les malheurs des êtres humains. Dans le domaine du culte des esprits, Ziky, le jeune guérisseur, révolutionne les conceptions magico-religieuses qui s'y rattachent. Son histoire, liée à l'esprit kalanoro, met en évidence de nouvelles pratiques qui viennent s'impliquer jusque dans son quotidien. Tout ici est différent des récits de vie déjà relatés par nos prédécesseurs. À tous les niveaux, nous rencontrons des éléments extérieurs au culte des esprits qui n'ont pas été relevés chez les autres guérisseurs. La pratique de Ziky permet d'apprécier une forme innovante de la croyance. Elle est « révolutionnée » à l'extrême, embrassant des notions à la fois moderne, catholique et étrangère. Cette construction syncrétique du culte des esprits amène une dynamique étonnante dans le champ du religieux. Quant à celui de la santé, Ziky n'emprunte pas non plus le chemin « classique » des guérisseurs : absence d'initiation, absence de bénédiction, réduction des objets rituels traditionnels (deux assiettes blanches seulement). Les gestes thérapeutiques enseignés par Nika, l'esprit kalanoro, relèvent également d'une production originale.
Bernard CHAMPION
Université de La Réunion, CRLHOI anthropologieenligne@gmail.com
Remarques sur la perception de l'hindouisme à La Réunion
pour servir à une approche de la créolité
À partir de lectures et d'observations de terrain, la communication souhaite poser la question du « discord » entre christianisme (officiel) et hindouisme.
Une missionnaire protestante ayant uvré au Tamil Nadu au début du XXe siècle (et dont un ouvrage servira d'introduction), Amy Wilson-Carmichael, identifie le sacrifice animal et le panthéon indien au Mal, la mort-résurrection du Christ scellant définitivement la mort des dieux païens. À La Réunion, le panthéon indien et les rites importés du Tamil Nadu sont (ou ont été) identiquement « diabolisés ».
Si l'on prend la question côté indien et si l'on essaie de comprendre l'autre incompréhension, savoir pourquoi le christianisme ne répond pas au besoin de religiosité des engagés (leur conversion est souvent superficielle, c'est un moyen d'intégration dans la société de plantation : le baptême permet notamment de porter un prénom chrétien) deux raisons apparaissent d'emblée :
- le christianisme ne règle pas la question du lien aux défunts ;
- le christianisme, exogène, extérieur au milieu familial, est vécu comme une socialisation secondaire : « l'indien a sa religion qu'il a sucée avec le lait de sa mère » notera un évêque.
Cette problématique permettra de poser la question de la position de l'Église par rapport au culte des ancêtres. On rappellera que la doctrine est fixée en l'espèce par Saint Augustin dans un texte écrit vers 422, De cura pro mortuis geranda, qui règle les devoirs des chrétiens envers leurs morts. Dans la continuité des premiers Pères de l'Église (« Nous tenons en égal mépris [despuimus] les temples des dieux et les sépulcres des morts » écrira Tertullien ; « car morts et dieux sont un » [dum mortui et dii unum sunt] et les dieux des païens ne sont que des démons
(De Spectaculis, XIII), Augustin argumente contre la conception qui fait de la sépulture la condition du salut. Les chrétiens prient leurs défunts « en taisant leur nom », la communauté des croyants se substituant à la parentèle (De cura, IV, 6).
La « religion populaire » a des vues plus larges. L'observation des rituels funéraires et des croyances associées aux défunts à La Réunion permet de constater la permanence de représentations pré-chrétiennes. Alors que « l'air du temps » est à l'cuménisme, on peut se poser la question de savoir si la limite à ces rapprochements de bonne volonté n'est pas le fait de la théologie elle-même. Quand la « religion populaire » opère, de manière courante, des emprunts et des synthèses (dans le panthéon, dans les matériaux utilisés dans les rituels, etc.), les théologies ne seraient-elle pas le principal obstacle à l'cuménisme que prônent les théologiens ? Malgré les pétitions de bonne volonté, les points de théologie, on le sait, ne sont pas « négociables ». C'est le jugement récemment exprimé par Benoist XVI, en novembre 2008, affirmant sa conviction que tout dialogue entre les religions « au sens strict » est impossible, car il suppose de « mettre sa propre foi entre parenthèses » (Le Monde du 16 janvier 2009). Avec cette ouverture de la « religion populaire » comparée à la rigueur théologique, on remarquera que les théologiens sont des spécialistes, généralement organisés en castes ou en classes sacerdotales, par opposition aux simples fidèles à la religion vécue, et que leur fonction est caractéristique de l'organisation verticale des sociétés stratifiées.
Il existe d'ailleurs un moyen terme, une réponse populaire à cette opposition frontale des théologies (de surcroît à la logique de la créolisation). Les « nouveaux syncrétismes » observables à La Réunion se caractérisent en effet par une double émancipation : des rites ancestraux et des médiateurs institutionnels. Continuateurs, à leur manière, de la réforme luthérienne qui sanctuarise la conscience en mettant fin à l'opposition entre « spirituels » et « temporels », les mouvements pentecôtistes font du corps habité le medium de l'Esprit. L'infortune et la maladie signant le poids de l'ancestralité, la guérison apportée par la Mission Salut et Guérison (par exemple) démontre l'efficacité de la démonologie pentecôtiste qui réduit le pandémonium traditionnel à un face à face entre Satan et l'Esprit Saint. Ce type de communauté crée un espace de vie qui permet d'échapper au traumatisme de la rupture généalogique et au « brouillage » du métissage et que la rationalisation de la croyance « officielle » ne saurait combler.
Lalanirina FELANTSOA
Université de Toliara felantsoal@yahoo.fr
Ethnicité et islam à Madagascar : cas des Malgaches métis
L'islam est mal compris à Madagascar. Les Malgaches l'associent au fait de ne pas manger de la viande de porc. Comme la plupart des Indo-pakistanais et les Comoriens sont des musulmans, être membre des ces communautés signifie : tabou de manger de la viande de porc. C'est ainsi que la plupart des Malgaches conçoivent l'identité ou l'appartenance ethnique des Comoriens et des Indo-pakistanais même ceux qui se sont convertis à l'islam.
Pour les cas des métis, généralement de mère malgache et de père « inconnu », soit un Indo-pakistanais ou un Comorien, il n'est pas question de manger de la viande de porc. C'est tabou. On pense que l'interdiction est liée à l'appartenance ethnique, pire encore, au sang, même si la personne est de la 3e génération de croisement et pas du tout musulmane. Elle est convaincue que si elle mange de la viande de porc, cela lui infligerait comme sanction la lèpre. J'ai du sang comorien ou indo-pakistanais par mon arrière grand-père, donc je ne mange pas de viande de porc. On ne pense plus à la religion. Comment une prescription religieuse plus souple est-elle passée en règles rigides culturelles et ethniques ? Ce sera l'une des principales questions à répondre car il y a là un amalgame, un syncrétisme entre l'islam et l'appartenance ethnique.
Yannick FER
GSRL, Paris yannick.fer@gsrl.cnrs.fr
Peut-on danser pour Dieu?
Le pentecôtisme polynésien entre rigorisme et « réveil culturel »
Considérant le corps comme le siège des émotions et de la « nature païenne » polynésienne, les missionnaires occidentaux de la London Missionary Society avaient au 19e siècle banni la danse de l'espace religieux. Cette interdiction a été depuis maintenue par l'église protestante historique, même si celle-ci a par ailleurs encouragé la constitution de groupes de danse paroissiaux, dans le sillage du renouveau culturel des années 1980.
La présence de danses polynésiennes, rythmées par le son du to'ere (tambour de bois traditionnel), lors d'un culte pentecôtiste de l'église du Plein Evangile, à Tahiti, apparaît donc au premier abord comme un « retour » des traditions culturelles anciennes dans l'espace chrétien. Elle marque en fait, avant tout, une rupture de la distinction sacré/profane et témoigne d'une pratique virtuose qui se place « au-dessus » du sens commun des convenances et puise son inspiration au-delà de la culture locale, auprès du protestantisme charismatique « troisième vague » des îles Hawaii et des réseaux missionnaires internationaux.
À l'église du Plein Évangile, c'est la hula hawaiienne que l'on danse et la liberté que l'on s'accorde ainsi tranche surtout avec la retenue que s'imposent les fidèles du pentecôtisme classique (les assemblées de Dieu de Polynésie française). Soucieux de se démarquer du protestantisme historique et de son discours militant sur la culture ma'ohi (autochtone) ; revendiquant un « retour aux sources » des premiers temps du christianisme polynésien, ces fidèles sont engagés dans une quête personnelle de respectabilité incompatible avec un tel défi à la norme sociale.
Cette communication analysera donc les rapports que les différents courants pentecôtistes de Polynésie française entretiennent avec le corps et les émotions, à travers l'exemple de la danse. Elle montrera notamment comment ceux-ci renvoient à la fois à des dynamiques propres au champ religieux local, à l'histoire du christianisme polynésien et à des évolutions globales du protestantisme charismatique contemporain.
Emmanuel Jean FIDANZA
Université de La Réunion emmanuelfidanza@hotmail.fr
Emilien Ropaul, spécialiste des relations avec les ancêtres
Emilien est un thérapeute actif installé depuis plus de 80 ans dans la ville du Port. Bien qu'évoluant dans les conditions socio-économiques de la majorité des Réunionnais, il ne fait pas payer ses patients s'ils n'ont pas d'argent et ne recherche pas la publicité. On préfère le nommer « spécialiste des relations avec les ancêtres » plutôt que « devineur » ou bien « guérisseur », mais c'est bien ce qu'il est.
Il accepte pour la première fois de révéler comment fonctionne une technique qu'il utilise surtout dans les cas graves : le recours aux « calous », des « bons dieux » s'avérant être des pierres sacrées dont l'usage fut vraisemblablement introduit dans l'île par les premiers engagés indiens.
Emilien est au cur d'un processus concernant beaucoup de Réunionnais : se reconnaître d'ancêtres de religions différentes. Il montre comment gérer ce phénomène en 2009. Il accepte aussi que l'on photographie ses différents lieux sacrés dont le fonctionnement est expliqué ses visiteurs.
La présentation mêle les meilleures paroles d'Emilien sur sa religion ordinaire en constante évolution. L'enquête s'élargit à propos des calous des grands temples de plantation, sur « le bord d'mer » et dans d'autres temples « indiens » familiaux (photographies à l'appui).
Principalement axée sur les « calous », la communication présente aussi les principales autres cordes qu'Emilien possède à son arc thérapeutique.
Xavier GRAVEND-TIROLE
Faculté de théologie et de sciences
des religions de Lausanne Xavier.Gravend@unil.ch
L'hindouisation du catholicisme en Inde :
transgression ou accomplissement ?
Depuis plusieurs décennies déjà, et plus fortement à la suite du Concile Vatican II (1962-65) certains groupes parmi les catholiques indiens - pour ne parler que de ceux-ci - récusent l'européanité du christianisme. Celui-ci, dans sa forme culturelle actuelle, paraît trop étranger aux Indiens. Alors que certaines figures, comme Duraiswami Simon Amalorpavadass, ont tenté par différents moyens d'indianiser l'Église catholique et ses fidèles, d'autres, comme Michaël Amaladoss, osent à présent évoquer la question de l'hindouisation du christianisme, ou tout au moins proposent de combiner spiritualité hindoue et spiritualité ignatienne comme le suggère Anthony de Mello.
Ce travail se donne donc pour but donc d'étudier les pensées, actions et trajectoires de ces trois prêtres indiens comme illustrations d'un métissage (ou d'une créolisation, ces deux termes me paraissent fortement synonymes) qui s'amplifie nettement en Inde. Bien que leur statut social ne les situe pas dans les couches populaires, c'est à celles-ci que ces « guides spirituels » s'adressent - contrairement aux expériences précédentes d'un Jules Monchanin, par exemple, qui ne dialoguait qu'avec les élites du Tamil Nadu. Ce faisant, ces trois leaders ont chacun rencontré des difficultés avec les autorités ecclésiales soit locales, soit romaines.
Plus nettement, il s'agira d'examiner comment les catégories d'inculturation ou d'indigénisation, encore porteuses d'une religiosité coloniale européenne, sont contestées et remplacées par de l'interculturation et du métissage interreligieux. Comment ces nouvelles manières de croire et de vivre la religion se profilent-elles alors ? Amalorpavadass propose aux futurs prêtres de devenir des yogi chrétiens ; Amaladoss rappelle que l'interculturation passe aussi par un souci des plus pauvres et non par un lifting cosmétique du liturgique - d'où la nécessité d'éviter l'hindouisation à partir du modèle brahmanique (hégémonique envers les basses castes, parmi lesquelles se retrouvent beaucoup de chrétiens) ; de Mello, par ses histoires, enseigne et communique selon les approches orientales, déboutant ainsi le cérébral au profit de l'expérientiel.
Que de nouvelles formes de christianisme émergent en Inde, à la croisée d'un message chrétien soutenu et authentique, mais modifié, adapté, repris selon les critères et le contexte singulier du sous-continent indien, semble donc un fait incontestable : l'enjeu est d'en évaluer les répercussions, négatives pour certains, positives pour plusieurs, et de comprendre comment l'avenir de l'Inde passe aussi par cette réappropriation.
Benjamin LAGARDE
IDEMEC ben.lalala@gmail.com
Maloya et religions populaires : un nouveau syncrétisme
De nombreux penseurs considèrent que les productions esthétiques et les pratiques religieuses procèdent d'une essence commune. Plus particulièrement (encore que, semble-t-il, observable tout autour de nous et presque à chaque instant) l'on ne peut qu'être frappé de la régularité avec laquelle le fait musical entre en coalition avec le fait religieux. Nous voudrions ici questionner ces catégories à travers plusieurs des liens, au demeurant fort nombreux et complexes, qu'elles nouent aujourd'hui parmi une partie des habitants de La Réunion.
À partir d'enquêtes ethnographiques, nous analyserons les dynamiques propres aux cérémonies offertes aux ancêtres afro-malgaches par leurs descendants réunionnais en portant une attention soutenue au maloya, genre musical insulaire majeur, qui les accompagne.
Si l'étude des phases rituelles renseigne immanquablement sur les différents répertoires du maloya qu'elles sollicitent, l'analyse musicale peut, à son tour, éclairer les changements actuels qui caractérisent ces deux grandes tendances cultuelles que sont les sèrvis kabaré et les sèrvis malgas. En les replaçant à la fois dans leur contexte social et dans le processus syncrétique qui a conduit à la précipitation des formes religieuses actuelles - que celles-ci relèvent de la « religion populaire » insulaire autant que d'une spécificité créolisée de la matrice afro-malgache - il devient possible de penser ce qui a pu, et peut encore, se transmettre des cultes jusqu'au maloya avant de se demander ce qui, dans les cultes et dans la relation au sacré, peut tirer son origine de la prolifique scène du maloya.
Le fait que cette dernière soit considérablement poreuse à l'influence des « musiques populaires de diffusion commerciale », notamment originaires des Amériques noires, conduira enfin à envisager de manière originale, les implications religieuses que plusieurs musiciens rencontrés, modulant ainsi leurs pratiques quotidiennes, rattachent au fait musical.
Yu-Sion LIVE
Université de La Réunion, CIRCI Yu-Sion.Live@univ-reunion.fr
Le servis zanset : de la quête de spécificité à l'universalité
À La Réunion, le servis zanset est une cérémonie dédiée en hommage aux esprits des Ancêtres et de la Nature, pratiquée par des Réunionnais Kaf (Cafres) identifiés comme des Afro-malgaches. Le culte est une pratique réunionnaise dans laquelle des éléments malgaches, africains, tamouls, voire musulmans et chrétiens sont agrégés, et qui, au fil des années, sont sans cesse réinterprétés, reformulés, reconstruits. Il est marqué par des séances de purification, de sacrifices d'animaux, d'offrandes de nourriture, de transes de possession, et jalonné de danses et de chants rituels et profanes, etc. Il se déroule en période de pleine lune, moment de plénitude ou de pureté, et symbole de cohésion sociale. Son objet est de permettre à des membres d'un clan familial de témoigner reconnaissance et gratitude à leurs Ancêtres pour les vux réalisés, et de recevoir leur protection. Depuis près de deux décennies, le rituel connaît un renouveau qui se traduit par une dynamique d'innovation continuelle, se prête à une quête identitaire pour les Réunionnais se disant d'origine « malgache ou africaine », et par conséquent, s'illustre dans un processus d'élaboration de la culture créole.
Notre propos s'inscrit dans une démarche ethnographique de l'itinéraire de certains officiants, pratiquants ou néo-pratiquants qui retournent aux sources, à Madagascar, en quête de savoirs ou de nouveaux savoirs, de spécificité ou d'authenticité dans la pratique dont l'un des principaux objectifs est de l'enrichir, afin de se différencier des autres cérémonies. Nous nous attarderons également sur des éléments de culte (objets, chants, substance matérielle
) identifiés proprement comme malgaches, africains ou réunionnais mais qui s'avèrent être universels.
André MARY
EHESS / CEIFR andre-mary@wanadoo.fr
Syncrétisme et anti-syncrétisme,
les paradoxes de l'indigénisation des pentecôtismes
Le succès des pentecôtismes, dans le Nord comme dans les Suds, repose sur l'effet d'annonce d'une rupture radicale avec les religions « populaires » héritées du passé ancestral ou du catholicisme colonial, stigmatisées comme expression d'un paganisme dont l'essence perverse est le syncrétisme, le mélange des genres. Mais dans le même temps l'indigénisation de cette religion transnationale, son appropriation par les divers peuples « autochtones », sa transformation en Afrique ou en Amérique du Sud, en une véritable religion populaire, mise sur la reprise des catégories de la personne et des schèmes de l'autre païen. En liant conversion et confession de la malédiction ancestrale, délivrance des corps souffrants et exorcisme des mauvais esprits, réussite des entreprises, prospérité matérielle et mobilisation de la puissance du Sang de Jésus, le converti entre dans un combat spirituel et un monde pragmatique de gestion des rapports de force qui participent de ce qu'il dénonce.
De manière globale, Harvey Cox note que : « Les pentecôtistes réussissent à être hautement syncrétistes alors que leurs dirigeants prêchent contre le syncrétisme ». Mais les pasteurs eux-mêmes ont l'art de s'approprier dangereusement les schèmes de la sorcellerie et du fétichisme pour mieux les retourner en quelque sorte sur eux-mêmes, et briser les liens de la malédiction, obliger les esprits à se manifester, ce qui était déjà, sur le terrain africain, le secret des prophètes guérisseurs et des contre-sorciers. Chassez le syncrétisme, il revient toujours
et depuis la diabolisation des sorciers opérée par l'oeuvre de vernacularisation missionnaire, en passant par l'invention prophétique des christs noirs et des Jésus africains, jusqu'aux pasteurs prophètes d'aujourd'hui, c'est cette même dialectique ou dialogique de la continuité et de la discontinuité des schèmes symboliques qui fait la force du travail syncrétique.
Mampionona MIORA
Université de Toliara mioramampionona@yahoo.fr
Analogie entre le Christ et Olivier
Olivier est un esprit qui se vit à travers son médium Rémi. Il fut un serviteur de Ratanibe, un grand mpañazary sihanaka, une ethnie vivant autour du lac Alaotra (Madagascar). Ne voulant pas se plier aux puissances coloniales, ce mpañazary s'est retiré avec ses sujets vers le village mystérieux d'Andrebabe qu'il voulait rendre invisible par les étrangers. Pour réaliser cette volonté, il devait accomplir un sacrifice humain. Il sacrifia Olivier, un de ses serviteurs, en le transperçant avec une sagaie. Les viscères de la victime furent extraits et enterrés sur le lieu de sacrifice même, actuellement au village d'Andrebakely. L'endroit fut clôturé de haies vives et devint un lieu de culte jusqu'à ce jour.
En mars 2008, Olivier ou le « Roi de la sagaie » s'est adressé à nous en tant que porte-parole des villageois d'Andrebabe. Chez Monsieur Rémi, son médium, sur le mur du côté est, juste au-dessus de l'autel qui lui est dédié, il a accroché une grande tapisserie représentant le Christ. Selon lui, ce dernier est le Roi de tous les magiciens et il n'avait même pas besoin de baguette magique ou de talisman pour accomplir un miracle. Une parole lui suffit pour agir sur la matière. Olivier fut sacrifié pour sauver les villageois et le Christ pour sauver l'humanité. Il a aussi affirmé qu'il veut ressembler au Christ qu'il considère comme son idole et agir uniquement par la seule force de la parole. Mais il a admis qu'il a encore beaucoup à apprendre.
Le village d'Andrebabe est un haut-lieu de la croyance des Sihanaka, le seul village qu'aucun étranger n'ait vu. Cependant, Olivier, sans pour autant se convertir au christianisme, connaît l'histoire du Christ à laquelle il se réfère. Le syncrétisme se manifeste ici sous deux aspects : les objets de culte (tapisserie, la croix, statuette des saints chrétiens, etc.) et des idées fondamentales de culte (citant le Christ dans l'invocation sacrée, accueillant les prédicateurs ambulants, etc). Comment a-t-on compris le message chrétien ?
Olivier M. MBODO
Université Laval au Québec olivier-mbenza.mbodo.1@ulaval.ca
Les nouvelles formes de la religiosité en Afrique subsaharienne :
des pratiques inspirées par une éthique du présent
Les nouvelles formes de la religiosité en cours en Afrique subsaharienne ne cessent d'interpeller les chercheurs dans la communauté africaniste. Quel sens donner aux nouvelles formes de la religiosité en cours en Afrique ? Quelles conséquences ce phénomène aurait-il sur l'orthodoxie religieuse en Afrique (pensons aux Églises chrétiennes, à l'islam; pensons également aux Églises africaines prophétiques et syncrétiques) ? Ce sont là quelques-unes des questions que les nouvelles formes de la pratique religieuse en Afrique posent depuis 1980.
Nos premiers travaux sur le sujet (Mbodo, 2003) et la lecture de travaux de chercheurs de renommée nous ont mené formuler l'hypothèse suivante : les formes actuelles de la religiosité en Afrique invitent à découvrir des pratiques religieuses inspirées par une éthique du présent, de l'ici et maintenant. Ainsi, le succès des formes actuelles de la religiosité observée en Afrique s'explique par leur capacité réelle ou supposée à fournir des réponses aux problèmes vécus au quotidien. André Mary observe que dans les formes de la religiosité africaines actuelles, « le souci de la guérison et de la maladie est au cur des itinéraires individuels et familiaux » (Mary, 2000 : 120). Henri Maurier qui tente de rendre compte de l'existence d'une religion « spontanée » en Afrique noire relève que « la pratique la plus commune de la religion, en Afrique, est très largement empreinte des soucis de la vie sur terre
» (Maurier, 1997 : 28).
Ainsi, pour les populations africaines, dont la maladie et la misère sont le lot, une offre religieuse est d'autant plus intéressante qu'elle contribue ou prétend contribuer à résoudre les problèmes de la vie présente. Cette éthique du présent, qu'elle ait pris ou non la forme de religions constituées, demeure présente au fond de cultures africaines. « Devant les vicissitudes de la vie et les épreuves de l'existence, note Sidbe Semporé, [en Afrique], on attend de l'Évangile des remèdes efficaces aux maux du destin et des solutions infaillibles aux problèmes du milieu. » (Semporé, 1994 : 21). C'est ainsi qu'en Afrique, souligne Djénane Kareh Tager « [l]es religions traditionnelles [
] ne s'offusquent pas de l'addition de dieux, ou de saints, au panthéon local
à condition que ces derniers démontrent leur efficacité en participant à l'avancée du bonheur sur terre. » (Kareh Tager, 1996 : 30).
Lionel OBADIA
Université Lyon II, CREA Lionel.Obadia@univ-lyon2.fr
La « religion populaire » : un concept anthropologique ?
La « religion populaire » n'appartient pas en propre au répertoire conceptuel de l'anthropologie. Expression fondée par l'histoire culturelle et les études folkloriques, elle a longtemps désigné des configurations religieuses caractérisées par la domination d'un système religieux sur des formes moins institutionnalisées, socialement assujetties mais culturellement résistantes. Les questions de la généalogie, des contenus, formes, et modalités de fabrique sociopolitique de la religion populaire ont fait les beaux jours d'une sociologie religieuse qui en finalement a décrété le déclin face à l'avancée de la modernité (Lapointe) et l'a écarté de ses objets légitimes, faute d'avancées théoriques majeures (malgré Isambert ou Lanternari). Le chantier de la « religion populaire », pourtant jamais vraiment abandonné, ressurgit en force à l'occasion d'une révision du paradigme moderniste, sur le constat d'une reviviscence et surtout d'une politisation (d'inspiration nationaliste) de ces formes « illégitimes » de croyances et de pratique, un phénomène consécutif de transformations sociétales à l'Est comme à l'Ouest. Jusqu'à quel point, cependant, l'insaisissable religion « populaire », équivalent fourre-tout de ses voisines « primitive », « rurale », « folklorique », dont la définition oscille entre misérabilisme et populisme, correspond-elle à ces religions « de l'émotion » (Hervieu-Léger), « culturelle » (Derenmath), « civile » (Bellah), « invisible » (Luckman) ou « diffuse » (Bruce) supposées caractériser ce renouveau religieux de la seconde version de la modernité ? Se présente-t-elle sous une morphologie « universelle », considérant la diversité des contextes et des acteurs (monothéistes et polythéistes) dans lesquels s'observent des formes vaguement similaires ? Est-elle réellement « intégrative » et syncrétique, ou, au contraire englobante et uniformisante ? Ces questions impliquent un détour anthropologique (comparatif) susceptible de souligner quelques traits saillants, mais aussi des écarts significatifs, de cette matrice socioreligieuse, effectivement commune à quantité de sociétés.
Frédérique PAGANI
Université Paris X, Nanterre f.pagani@free.fr
« Les Sindhis sont un peu hindous et un peu musulmans »
Le syncrétisme d'hindous en diaspora et ses processus de transformation
Syncrétisme, éclectisme, hybridité, liminalité. Voici quelques-uns des termes utilisés par les spécialistes de l'Asie du Sud pour désigner les phénomènes de partage de sites religieux, de rituels ainsi que de figures charismatiques entre hindous, musulmans, chrétiens, sikhs et jaïns. Je me propose de fournir des éléments de comparaison entre les phénomènes de syncrétisme observés dans cette région du monde et dans les sociétés créoles en centrant mon attention sur les Sindhis hindous. Les Sindhis viennent du Sindh, une région de l'actuel Pakistan qu'ils ont fui lors de sa création et de la partition d'avec l'Inde. Ils se sont ensuite installés en Inde et se sont dispersés dans de nombreux pays (Dubaï, Hong Kong, New York, Îles Canaries, Nigeria, Canada, etc.).
L'hindouisme sindhi s'est longtemps caractérisé par son caractère syncrétique qui mêlait des références au sikhisme et au soufisme et dans une certaine mesure, il semblerait que le caractère éclectique perdure. En témoignent les sites Internet voués à la promotion de l'identité sindhie qui font figurer côte à côte Guru Nanak, le fondateur du sikhisme, des saints soufis et des saints hindous. L'éclectisme des références religieuses sindhies est perçu diversement au sein de la société indienne. Un interlocuteur non-Sindhi a ainsi remarqué : « les Sindhis sont entre les hindous et les musulmans ». Par cette assertion, il voulait signifier le fait que les Sindhis sont capables de transcender les tensions entre les deux principales communautés religieuses en Inde. Cette identité floue suscite cependant le ressentiment ou à tout le moins la perplexité parmi les non-Sindhis. Ainsi lors de mes différentes enquêtes, on m'a souvent demandé si les Sindhis étaient des sikhs, des musulmans ou des hindous.
Partant de l'exemple des Sindhis, je me propose de réfléchir aux questions suivantes : est-ce que toutes les sociétés ont une propension au métissage et à l'hybridation religieuse égale à celle présente dans les sociétés créoles ? Quelles sont les conditions pour qu'une religion syncrétique apparaisse ou au contraire se « désyncrétise » ? De quelle manière, les acteurs de ces pratiques conçoivent-ils ces religions et comment sont-ils perçus ?
Danielle PALMYRE
Institut Catholique de l'Ile Maurice madany@intnet.mu
La gestion du mal dans la Religion populaire en monde créole mauricien
Le Rapport de 1995 sur l'Étude des comportements religieux en monde populaire créole mauricien soutient que la religion populaire créole est une religion pessimiste car elle n'accorde pas une place prépondérante à la fête.
La religion populaire (RP) est couramment présentée comme une religion de cumul, une religion qui ajoute des recours à sa panoplie déjà existante. Cependant, la notion même de cumul doit être revisitée. Certes il y a cumul, ajout mais il y a surtout réinterprétation et insertion des nouveaux recours à l'intérieur d'un système hospitalier et éminemment hiérarchisé.
Quels pourraient être les principes organisateurs d'un tel processus ? Quelles sont les traces de recomposition des religions ancestrales au contact du catholicisme colonial ou vice-versa ?
Si la religion populaire ajoute en réinterprétant et essaie de nouveaux recours, c'est qu'elle repose sur la croyance qu'il existe une solution à tout mal. Malgré son pessimisme, la religion populaire n'est pas une religion du désespoir. Elle fait preuve d'inventivité et de créativité, elle ne s'avoue jamais vaincue, elle refuse l'échec et de ce fait, on peut dire qu'elle est traversée par un courant d'optimisme et même d'espoir.
Ce qui nous conduit encore une fois à souligner l'ambivalence et la plasticité de la RP : elle est une religion dont l'axe majeur en monde créole reste l'existence et les manifestations du mal sous toutes ses formes, mais il n'en demeure pas moins que l'arsenal de la RP vise à combattre ce mal en allant chercher, là où elle pense le trouver, le recours qui ferait mouche. Le réel alimente sans cesse cette vision car il surprend par des manifestations inédites de mal, mais il fournit aussi un arsenal de recours toujours renouvelable.
Sa vision cyclique ne promet aucune issue mais permet à ses pratiquants une certaine gestion du mal et de l'angoisse qu'il suscite.
Phanélie PENELLE
Université Lyon II Phanelie.Penelle@univ-lyon2.fr
Entre appartenance unique et curiosité religieuse,
le cas de Réunionnais catholiques d'ascendance yab
L'histoire passée et contemporaine de l'île de La Réunion est marquée par de nombreux processus migratoires qui mettent en présence des traits culturels et religieux aux origines variées. Cet élément fort de la constitution de la population de l'île pousse nombre de chercheurs en sciences humaines à mener la plupart de leurs études sous l'angle du pluralisme. L'observation de terrain ne laisse d'ailleurs aucun doute quant à l'existence de combinaisons de croyances et pratiques qui permettent une approche par les théories relatives aux syncrétismes. Pour autant, cette tendance réunionnaise à la multiplicité ne signifie pas qu'il en soit toujours ainsi et doit donc être nuancée.
L'étude de cas ici retenue, et qui touche à une famille dont les origines yab sont fortement marquées, nous montre qu'un croyant peut tout autant se réclamer d'une appartenance religieuse unique, en l'occurrence ici du catholicisme. Cette mono-cultualité semble trouver ses fondements dans les origines de la famille dans laquelle on peut l'observer. Elle en est même un marqueur fort puisqu'elle contribue, tout comme d'autres éléments socioculturels, à fonder certaines affiliations, individuelles et collectives, en les inscrivant dans une histoire commune à plusieurs individus issus d'une même famille. L'affiliation religieuse est en quelque sorte généalogisée et devient ainsi un important facteur d'exclusion du groupe et, par conséquent, d'affirmation d'une identité propre.
Cette mono-cultualité n'oblitère pas pour autant toute curiosité pour des manifestations cultuelles autres que catholiques. C'est alors avec un bref aperçu des messes de Renouveau catholique et toujours à travers l'exemple de la même famille, que l'on peut aborder le questionnement d'un concept encore peu développé, celui de religion créole. Il ne sera pour l'instant ni défini avec une très grande précision - ce qui supposerait l'interrogation des deux termes qui le composent - ni utilisé pour confirmer l'existence d'un syncrétisme. Son utilisation servira ici à mettre en lumière l'existence de pratiques rituelles transversales à différentes traditions religieuses.
Claude PRUDHOMME
Université Lyon II clprudhomme@wanadoo.fr
Quand l'Histoire des religions populaires se tourne vers l'Anthropologie
L'histoire des religions populaires a longtemps semblé impossible faute de sources suffisantes. À partir des années 1970 au contraire elle a commencé à susciter un intérêt croissant dont témoignent particulièrement les historiographies réunionnaise et malgache. Pourtant elle continue à soulever des questions difficiles.
La première regarde l'identification des sources utilisables par l'historien quand il entend introduire une approche anthropologique. On sait l'importance centrale de la correspondance missionnaire, dont l'exploitation reste très partielle, mais aussi la nécessité d'ouvrir l'enquête à d'autres sources. On s'interrogera sur les règles à suivre pour exploiter correctement les données tirées des archives sans les confondre avec des enquêtes ethnologiques.
La seconde concerne la possibilité d'une lecture de la documentation qui échappe à l'anachronisme. Peut-on lire aujourd'hui les témoignages recueillis sans être excessivement influencé par l'observation du présent, sans recourir à des analogies qui conduisent à des rapprochements hâtifs, sans voir dans les situations anciennes la préfiguration ou l'équivalent de situations actuelles ?
La troisième question rejoint les efforts des anthropologues pour interpréter les combinaisons individuelles et collectives qui s'opèrent au carrefour de différentes traditions. L'historien puise largement dans les concepts élaborés par l'anthropologie. Mais il expérimente aussi l'insuffisance des métaphores proposées (zébrage, bricolage, hybridation, métissage) comme les limites de concepts mis en avant pour décrire les mécanismes à l'uvre (malentendu productif, conversation, recomposition identitaire). Il s'interroge enfin sur la pertinence des catégories retenues pour caractériser la restructuration des croyances (syncrétisme, religion populaire) car elles risquent de diluer les processus propres à chaque groupe socio-culturel, comme le montrent le cas de La Réunion, ou divers travaux récents consacrés à d'autres configurations en Afrique, Asie et Océanie.
Clément SAMBO
Université de Toliara samboclement@yahoo.fr
Les usages de la croix chrétienne à Madagascar,
syncrétisme ou inculturation ?
La croix chrétienne se retrouve dans la plupart des manifestations à caractère religieux et même au-delà. De l'Eglise à la grotte des cultes traditionnels, de la maison au cimetière, de l'ornement en collier au tatouage, la croix est présente. Il s'agit surtout de la croix protestante, une croix sans le Christ crucifié, une croix vide car les protestants reprochent aux catholiques de fixer le Christ sur la croix alors qu'Il est ressuscité.
De tous ces usages, on se demande si c'est un phénomène d'inculturation de la foi chrétienne ou du syncrétisme. Sous l'angle anthropologique, la communication analysera chaque usage de la croix chrétienne en faisant un parallèle entre les deux cultures : christianisme et culture malgache.
Nicolas WALZER
CEAQ, Paris V, Sorbonne sociologue.nicolaswalzer@gmail.com
La jeunesse païenne contre le christianisme
Un bricolage religieux de France métropolitaine
Fabien, 20 ans, est forgeron et habite dans une maison troglodyte près de Tours. Passionné de BD, du Seigneur des Anneaux, d'Harry Potter, de musiques metal/gothic et d'Internet, il se revendique païen. Patrick, 27 ans, est musicien et reconstitue le week-end le folklore païen. Il enfile une cotte de mailles et croise le fer avec ses amis au sein de son association dont le but est de propager le paganisme lors de manifestations grandeur nature. À 17 ans, il a écrit une nouvelle celtique qui est devenue le concept de son groupe de musique. Paradoxalement, il est ingénieur high tech.
En Europe, le néo-paganisme augmente jusqu'à devenir religion officielle en Islande. En France, il regroupe des milliers de jeunes entre 12 et 35 ans fascinés par « Mère Nature ».
Pour le quidam, ils sont « barbares ». Ce qualificatif péjoratif est heuristique car leurs comportements lors des concerts notamment (bousculades, rots, beuglements) relèvent d'un archaïsme tribal. Un retour des Celtes et des Vikings ? L'attrait pour leurs mythologies est parfois pointu mais très souvent bricolé.
Cela s'explique en partie par la déchristianisation progressive des jeunes en France. Pour eux, le christianisme n'a plus de valeur religieuse, il est devenu un fond culturel. Ils rejettent la religion des parents au profit de la religion des ancêtres. Cependant, beaucoup restent païens même après avoir quitté le domicile familial.
Se disant antichrétiens, un inconscient chrétien les anime pourtant. Ce paradoxe revient continuellement dans leurs passions : par exemple l'épopée de Frodon dans Le Seigneur des Anneaux n'est-elle pas christique ? Leur bricolage pourrait s'interpréter comme un « poly(a)théisme » : revendiquer plusieurs valeurs, plusieurs dieux en se déclarant pourtant athée.
Que nous apprend la comparaison entre cette jeunesse très occidentalisée (un peu présente à La Réunion) et la jeunesse créole ?
Contacts :
- Bernard Champion, responsable, anthropologieenligne@gmail.com
- Valérie Aubourg, coordonnatrice, valerie.aubourg@wanadoo.fr