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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloniale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale...


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique
Point d'histoire
pour un collègue juriste...

Le 6 juillet 2001


Cher [Collègue],

Je crois très sincèrement que tu es victime de ce que je te propose d’appeler le " piège de la notabilité ". Comme l’exposait fort bien un ex- du Parti : " À force de dire chaque matin : " Salut Georges [Marchais] ! " " Bonjour Paul [Laurent] ! " on finit par approuver l’invasion soviétique en Afghanistan… "

Il se passe ce phénomène étrange quand les hommes se rencontrent dans la sphère du pouvoir qu’ils deviennent, sinon méconnaissables, du moins autres. [...] (Jacques Brel (ou Brassens ?) remarquait : " À partir de trois, on est une bande de cons ")… La faculté de grégarité – et c’est bien ce dont il est question quand il s’agit de décider pour les autres, puisqu’il n’y a pas de troupeau sans chef – a la propriété de méduser la faculté de juger. L’une et l’autre sont d’ailleurs contraires et c’est parfaitement logique… Ce besoin vital d’association de certaines espèces explique que, serait-il l’avant-dernier des idiots, le chef devient ontologiquement autre dès lors qu’il occupe cette position. Lors d’une récente réunion DEA, un collègue, qui n’est pas précisément stupide, ayant employé à plusieurs reprises l’expression : " Le patron a dit que... ", je lui ai demandé de qui il parlait. Mais de [N8], bien sûr. Non, il ne plaisantait pas, et il avait biologiquement raison.

Tu vois, je te trouve des excuses et comme je ne reprocherai pas, non plus, à un juriste d’être légitimiste (mais il y a des circonstances où il vaut mieux être Antigone que Créon), je te propose donc de faire un peu d’histoire et de considérer que les individus en cause sont de lointains indiens ou de curieux aborigènes. Je pense que cette distance est nécessaire pour déjouer l’illusion en cause.

Il faut en effet quelques mots sur l’histoire de notre université. Sans ce regard, tout est invraisemblable. Avec la considération de ces données d’histoire, à l’inverse, on se convainc que ce qui est pouvait difficilement être autrement. Il y a d’ailleurs du plaisir à contempler la nécessité. C’est nécessaire, donc c’est beau... Merci Spinoza !

Dans un premier temps, le Centre universitaire, puis l’Université de la Réunion ont été administrés par des enseignants-chercheurs venus de métropole (de l’université d’Aix, souvent) qui, après ce séjour dans l’île, ont rejoint, pour la plupart, leurs universités respectives. L’université se développant rapidement et les postes mis au concours restant fréquemment sans candidat, le recrutement s’est alors fait sur place et pas toujours – c’est une litote – dans le respect des règles qui président au recrutement des enseignants-chercheurs. Le C. N. U. en sait quelque chose – qui n’a pu parer à tout. Cette circonstance a ainsi permis l’intégration à l’université de métropolitains ayant déjà fait le voyage, enseignants du primaire ou du secondaire qui ne seraient jamais devenus universitaires s’ils n’avaient eu l’heureuse idée de poser leur sac à la Réunion, ainsi que de rescapés de la Coopération africaine qui auraient été réintégrés dans le secondaire s’ils étaient rentrés en métropole. (Ce n’est pas la première fois que je tiens ce discours, je le sais, mais j’attends toujours qu’on me démontre le contraire : la vérification est facile à faire).

Ce sont ceux-là qui, dans un deuxième temps, vont venir " aux affaires ". Lorsqu’on regarde les titres scientifiques des Présidents et des Doyens successifs, on constate, de fait, une chute régulière des qualifications par rapport à la première période. Entre [X] et [N9], entre [N0] et [N8], il y a un abîme scientifique. L’université se développe alors très largement en fonction des plans de carrière des métropolitains recrutés dans les conditions que je viens de dire. On recrute au plus proche – et surtout pas des enseignants-chercheurs qui pourraient vous faire de l’ombre et vendre la mèche de votre bonne fortune.

Dans un troisième temps, il apparaît, notamment avec la loi de Décentralisation, que l’université ne pourra rester une enclave métropolitaine dans un univers de responsabilité créole. Il faut partager. Les métropolitains fixés à la Réunion – qui ne trouveraient pour la plupart aucun poste en métropole – ne peuvent donc aujourd’hui prospérer qu’en se conciliant les intérêts locaux.

La création et le développement du département de Sciences de l’éducation sont emblématiques de cette troisième époque. Cette création répond évidemment à un besoin réel, lié aux circonstances historiques et linguistiques propres à la Réunion, mais il a donné lieu – mauvaise conscience des uns souhaitant sincèrement servir la cause créole et suffisamment exonérés par cette création, démagogie des autres voyant là un moyen de se maintenir ou de parvenir – à une évidente dérive. Les premiers étant aujourd’hui à la retraite, ce sont les seconds qui décident. Toujours est-il que le " ticket " des fonctions représentatives dans cette troisième époque de notre jeune université est donc – et ne peut guère être pour le moment – qu’un tandem " créole-métro ".

Dans ce plan pour faire monter en puissance la visibilité créole – qui répond, je le répète, à une légitime aspiration –, le département de Sciences de l’éducation était idéal, puisqu’il permettait à la fois de recruter des enseignants locaux, plus aptes a priori à résoudre les problèmes éducatifs liées à la langue, et des étudiants locaux en quantité politiquement significative puisque la Licence de Sciences de l’Éducation permet d’inscrire sans DEUG et sans formation initiale, l’expérience professionnelle (l’expression n’est pas limitative) en tenant lieu. Plusieurs centaines d’étudiants (d’une moyenne d’âge largement supérieure à la moyenne) sont ainsi venus s’inscrire, chaque année, et l’université a dû, pour faire face à cet afflux, créer des postes de Maître de conférences et un poste de Professeur en Sciences de l’éducation. (Maintenant deux).

Seul un Réunionnais était en mesure d’occuper ce poste, l’enseignant métropolitain qui avait conçu de la maquette s’étant désengagé dès la première année de fonctionnement et ayant pris sa retraite. Mais pour permettre à cet enseignant-chercheur nécessaire d’occuper ce poste de professeur, créé et gelé pendant plusieurs années pour lui, il fallait lui faire passer une HDR et le faire qualifier. Son dossier scientifique étant " vide ", selon le mot d’une expertise rendue pour la Commission des spécialistes locale, son dossier administratif se devait d’être plein. Il fallait pouvoir le présenter comme l’" inventeur " des Sciences de l’éducation à la Réunion (qu’il n’est évidemment pas) et démontrer sa capacité d’animation pédagogique et scientifique. Mais comment faire habiliter un laboratoire en Sciences de l’éducation, essentiel à cette démonstration, quand on n’est pas soi-même habilité à diriger les recherches ?

C’est ici que mon collègue ethnologue qui part aujourd’hui avec son poste (montrant par là son intérêt pour l’avenir de sa discipline) s’est révélé l’utile fourrier de ce plan de campagne. Habilité en 20° section, il demande, au terme du précédent Plan Quadriennal, l’habilitation d’une jeune équipe dans laquelle il se trouve être le seul enseignant-chercheur en Ethnologie et où il fait essentiellement fonction de prête-nom pour les Sciences de l’éducation.

Voyant arriver deux demandes d’habilitation en 20° section, la nôtre (celle du laboratoire créé en 1985 par Paul Ottino, le CAG, et celle de [N14], le CIRCI), le Ministère demande aux représentants de l’université de choisir entre le CAG et le CIRCI. Compte tenu de ce que je viens d’exposer, le choix ne fait évidemment aucun doute…

C’est ainsi que l’Ethnologie, malgré les atouts dont cette discipline peut disposer à la Réunion se trouve aujourd’hui amputée et de son laboratoire et d’un de ses trois postes d’enseignant-chercheur. (Du fait du départ [N14], le CIRCI, habilité en 20° section, ne compte d’ailleurs plus aucun membre en 20° section et il n’existe plus aucune habilitation en Ethnologie à la Réunion). S’agit-il là des " services rendus " dont il est fait état dans le procès-verbal du Conseil de Faculté : la part prise par mon collègue dans ce montage ayant permis l’habilitation à diriger les recherches et la qualification d’un enseignant-chercheur au dossier scientifique inexistant mais au destin nécessaire ?

Voilà pour l’histoire. (Et pour le dégrisement). Il n’y a donc pas ma " version des faits ", comme dit l’autre, et la sienne, ou celle d’un autre. Il y a des faits. Et l’on ne peut faire de la recherche scientifique ni même tout simplement agir si on n’est pas pénétré de cette conviction… Je te répète que je suis très touché que cette situation t’inspire, mais je ne peux évidemment partager les " Crois-tu vraiment ? " " Après tout ! " " Ça va s’arranger bientôt… " " Est-ce si grave ? "… Comme si l’honnêteté intellectuelle, l’honnêteté tout court, n’avaient aucune importance.

Je résume :
- Liquidation du CAG, créé en 1985 – qui continue d’ailleurs de fonctionner sans la bénédiction administrative de l’université de la Réunion : Ottino (dont le dernier livre à la publication duquel le CAG a contribué a reçu un accueil exceptionnel : voir une critique dans L’Homme, n° 154-155), [X], [X], (Sorbonne), [X], quatre docteurs qui ont fait une thèse avec moi à la Réunion, huit doctorants, une équipe malgache (quatre doctorants et plusieurs collègues enseignants), tout cela fait une équipe qui produit autre chose que de la langue de bois.
- Déménagement et occupation de nos locaux (meublés par les archives constituées depuis 1985 et par une bibliothèque en Sciences humaines réunie par le département d’Ethnologie depuis 1975 – tout cela se trouve maintenant dans des caisses dans les sous-sols de la B. U. de sciences et dans les " réserves " de la Fac des Lettres) ;
- Liquidation organisée du poste de [N14] – qui part pour Bordeaux. Le département d’Ethnologie étant sacrifié sur l’autel des quotas PCEM des étudiants Réunionnais.

Tout ceci pour quoi ? Afin de pourvoir à la résistible ascension de [N8] :
- Scientifiquement (le CIRCI prend la place du CAG) ;
- Matériellement (les locaux du CAG sont occupés par le directeur du CIRCI et le département de Sciences de l’Education) ;
- Pédagogiquement (le dernier PV du Conseil de Fac annonce la " fermeture provisoire " du département d’Ethnologie).

Si cela n’est pas une forfaiture, j’y perds mon latin.

Maintenant, tu me dis : "Vois quelle bonne âme : il fait valoir que le département d’Ethnologie est en déficit de 2,5 postes ! Et il te propose même de rejoindre le CIRCI ! " – Après avoir contribué activement à créer ce déficit en organisant le départ de [N14] (et en laissant filer [N22]) et après avoir pris la place du CAG ! Sauf à constater que [N8] t’a, comme on dit en franco-africain, largement dupé (c’est-à-dire " mis dans sa poche "), ce qui commence à me faire soupçonner qu’il est plus délié qu’il en a l’air (preuve que le " piège de la notabilité " fonctionne… – je plaisante, mais je suis convaincu que tu l’as conforté dans sa bonne conscience, puisque tout peut se faire en bons camarades et qu’il n’y a, au pire, que des points de vue différents), je ne comprends pas comment ces évidences ne s’imposent pas à ton esprit.

Je suis donc maintenant, comme [N8] te l’a dit, de fait, sous " administration judiciaire " (l’" équipe décanale ", c’est lui), comme un vulgaire failli. Ce qui n’est pas sans rappeler l’affaire des Tribunaux de commerce où les juges consulaires censés administrer les entreprises en difficulté s’en partagent en réalité les dépouilles. Avec cette différence qu’ici, ce sont les juges consulaires eux-mêmes qui ont provoqué la faillite du concurrent – cas de figure assez exceptionnel, même dans le dossier des Tribunaux de commerce…

L’environnement aidant (historique, sociologique et " scientifique "), le crime presque parfait a donc été perpétré : [N14], le principal complice est, sinon liquidé, du moins éloigné définitivement du théâtre du crime (à Bordeaux) et largement rétribué – puisqu’il obtient, en partant avec son poste, la mutation après laquelle il court depuis si longtemps en se présentant sans succès à tous les postes mis au concours en métropole. Il n’est pas nécessaire de prêter de l’intelligence ou des intentions machiavéliques aux acteurs. Il suffit d’un ensemble non contradictoire d’intérêts et de causes dans un biotope de veulerie ou d’indifférence générale. C’est de cette manière que fonctionne l’intelligence des fourmis.

Au titre du " crime parfait ", il faut d’ailleurs ajouter qu’il est parfaitement légal (ou presque). Les acteurs sont régulièrement élus et l’absence, physique au demeurant, de toute opposition fait que [N8] peut faire à peu près ce qu’il veut avec ses procurations, le personnel IATOS qui le considère comme son patron et quelques étudiants. Sans doute, comme l’a noté [N21], les données présentées aux Conseils sont-elles largement maquillées, sans doute les absents non représentés votent-ils toujours comme il convient, personne n’étant là pour veiller au grain… L’essentiel n’est pas là. Il est dans le principe d’autonomie des universités qui légitime à peu tout ce que peut faire une équipe régulièrement élue. Le Ministère n’intervient que dans le cas de soutenance de thèses révisionnistes…

Quel malheur que le seul collègue, ou à peu près, qui se soucie du sort du département d’Ethnologie ait si peu le sens du drame – et de la sociobiologie !


Amitiés,


B. C.





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