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Le 6 juillet 2001
Cher [Collègue],
Je crois très sincèrement que tu es victime de ce que je te propose dappeler le " piège de la notabilité ". Comme lexposait fort bien un ex- du Parti : " À force de dire chaque matin : " Salut Georges [Marchais] ! " " Bonjour Paul [Laurent] ! " on finit par approuver linvasion soviétique en Afghanistan
"
Il se passe ce phénomène étrange quand les hommes se rencontrent dans la sphère du pouvoir quils deviennent, sinon méconnaissables, du moins autres. [...] (Jacques Brel (ou Brassens ?) remarquait : " À partir de trois, on est une bande de cons ")
La faculté de grégarité et cest bien ce dont il est question quand il sagit de décider pour les autres, puisquil ny a pas de troupeau sans chef a la propriété de méduser la faculté de juger. Lune et lautre sont dailleurs contraires et cest parfaitement logique
Ce besoin vital dassociation de certaines espèces explique que, serait-il lavant-dernier des idiots, le chef devient ontologiquement autre dès lors quil occupe cette position. Lors dune récente réunion DEA, un collègue, qui nest pas précisément stupide, ayant employé à plusieurs reprises lexpression : " Le patron a dit que... ", je lui ai demandé de qui il parlait. Mais de [N8], bien sûr. Non, il ne plaisantait pas, et il avait biologiquement raison.
Tu vois, je te trouve des excuses et comme je ne reprocherai pas, non plus, à un juriste dêtre légitimiste (mais il y a des circonstances où il vaut mieux être Antigone que Créon), je te propose donc de faire un peu dhistoire et de considérer que les individus en cause sont de lointains indiens ou de curieux aborigènes. Je pense que cette distance est nécessaire pour déjouer lillusion en cause.
Il faut en effet quelques mots sur lhistoire de notre université. Sans ce regard, tout est invraisemblable. Avec la considération de ces données dhistoire, à linverse, on se convainc que ce qui est pouvait difficilement être autrement. Il y a dailleurs du plaisir à contempler la nécessité. Cest nécessaire, donc cest beau... Merci Spinoza !
Dans un premier temps, le Centre universitaire, puis lUniversité de la Réunion ont été administrés par des enseignants-chercheurs venus de métropole (de luniversité dAix, souvent) qui, après ce séjour dans lîle, ont rejoint, pour la plupart, leurs universités respectives. Luniversité se développant rapidement et les postes mis au concours restant fréquemment sans candidat, le recrutement sest alors fait sur place et pas toujours cest une litote dans le respect des règles qui président au recrutement des enseignants-chercheurs. Le C. N. U. en sait quelque chose qui na pu parer à tout. Cette circonstance a ainsi permis lintégration à luniversité de métropolitains ayant déjà fait le voyage, enseignants du primaire ou du secondaire qui ne seraient jamais devenus universitaires sils navaient eu lheureuse idée de poser leur sac à la Réunion, ainsi que de rescapés de la Coopération africaine qui auraient été réintégrés dans le secondaire sils étaient rentrés en métropole. (Ce nest pas la première fois que je tiens ce discours, je le sais, mais jattends toujours quon me démontre le contraire : la vérification est facile à faire).
Ce sont ceux-là qui, dans un deuxième temps, vont venir " aux affaires ". Lorsquon regarde les titres scientifiques des Présidents et des Doyens successifs, on constate, de fait, une chute régulière des qualifications par rapport à la première période. Entre [X] et [N9], entre [N0] et [N8], il y a un abîme scientifique. Luniversité se développe alors très largement en fonction des plans de carrière des métropolitains recrutés dans les conditions que je viens de dire. On recrute au plus proche et surtout pas des enseignants-chercheurs qui pourraient vous faire de lombre et vendre la mèche de votre bonne fortune.
Dans un troisième temps, il apparaît, notamment avec la loi de Décentralisation, que luniversité ne pourra rester une enclave métropolitaine dans un univers de responsabilité créole. Il faut partager. Les métropolitains fixés à la Réunion qui ne trouveraient pour la plupart aucun poste en métropole ne peuvent donc aujourdhui prospérer quen se conciliant les intérêts locaux.
La création et le développement du département de Sciences de léducation sont emblématiques de cette troisième époque. Cette création répond évidemment à un besoin réel, lié aux circonstances historiques et linguistiques propres à la Réunion, mais il a donné lieu mauvaise conscience des uns souhaitant sincèrement servir la cause créole et suffisamment exonérés par cette création, démagogie des autres voyant là un moyen de se maintenir ou de parvenir à une évidente dérive. Les premiers étant aujourdhui à la retraite, ce sont les seconds qui décident. Toujours est-il que le " ticket " des fonctions représentatives dans cette troisième époque de notre jeune université est donc et ne peut guère être pour le moment quun tandem " créole-métro ".
Dans ce plan pour faire monter en puissance la visibilité créole qui répond, je le répète, à une légitime aspiration , le département de Sciences de léducation était idéal, puisquil permettait à la fois de recruter des enseignants locaux, plus aptes a priori à résoudre les problèmes éducatifs liées à la langue, et des étudiants locaux en quantité politiquement significative puisque la Licence de Sciences de lÉducation permet dinscrire sans DEUG et sans formation initiale, lexpérience professionnelle (lexpression nest pas limitative) en tenant lieu. Plusieurs centaines détudiants (dune moyenne dâge largement supérieure à la moyenne) sont ainsi venus sinscrire, chaque année, et luniversité a dû, pour faire face à cet afflux, créer des postes de Maître de conférences et un poste de Professeur en Sciences de léducation. (Maintenant deux).
Seul un Réunionnais était en mesure doccuper ce poste, lenseignant métropolitain qui avait conçu de la maquette sétant désengagé dès la première année de fonctionnement et ayant pris sa retraite. Mais pour permettre à cet enseignant-chercheur nécessaire doccuper ce poste de professeur, créé et gelé pendant plusieurs années pour lui, il fallait lui faire passer une HDR et le faire qualifier. Son dossier scientifique étant " vide ", selon le mot dune expertise rendue pour la Commission des spécialistes locale, son dossier administratif se devait dêtre plein. Il fallait pouvoir le présenter comme l" inventeur " des Sciences de léducation à la Réunion (quil nest évidemment pas) et démontrer sa capacité danimation pédagogique et scientifique. Mais comment faire habiliter un laboratoire en Sciences de léducation, essentiel à cette démonstration, quand on nest pas soi-même habilité à diriger les recherches ?
Cest ici que mon collègue ethnologue qui part aujourdhui avec son poste (montrant par là son intérêt pour lavenir de sa discipline) sest révélé lutile fourrier de ce plan de campagne. Habilité en 20° section, il demande, au terme du précédent Plan Quadriennal, lhabilitation dune jeune équipe dans laquelle il se trouve être le seul enseignant-chercheur en Ethnologie et où il fait essentiellement fonction de prête-nom pour les Sciences de léducation.
Voyant arriver deux demandes dhabilitation en 20° section, la nôtre (celle du laboratoire créé en 1985 par Paul Ottino, le CAG, et celle de [N14], le CIRCI), le Ministère demande aux représentants de luniversité de choisir entre le CAG et le CIRCI. Compte tenu de ce que je viens dexposer, le choix ne fait évidemment aucun doute
Cest ainsi que lEthnologie, malgré les atouts dont cette discipline peut disposer à la Réunion se trouve aujourdhui amputée et de son laboratoire et dun de ses trois postes denseignant-chercheur. (Du fait du départ [N14], le CIRCI, habilité en 20° section, ne compte dailleurs plus aucun membre en 20° section et il nexiste plus aucune habilitation en Ethnologie à la Réunion). Sagit-il là des " services rendus " dont il est fait état dans le procès-verbal du Conseil de Faculté : la part prise par mon collègue dans ce montage ayant permis lhabilitation à diriger les recherches et la qualification dun enseignant-chercheur au dossier scientifique inexistant mais au destin nécessaire ?
Voilà pour lhistoire. (Et pour le dégrisement). Il ny a donc pas ma " version des faits ", comme dit lautre, et la sienne, ou celle dun autre. Il y a des faits. Et lon ne peut faire de la recherche scientifique ni même tout simplement agir si on nest pas pénétré de cette conviction
Je te répète que je suis très touché que cette situation tinspire, mais je ne peux évidemment partager les " Crois-tu vraiment ? " " Après tout ! " " Ça va sarranger bientôt
" " Est-ce si grave ? "
Comme si lhonnêteté intellectuelle, lhonnêteté tout court, navaient aucune importance.
Je résume :
- Liquidation du CAG, créé en 1985 qui continue dailleurs de fonctionner sans la bénédiction administrative de luniversité de la Réunion : Ottino (dont le dernier livre à la publication duquel le CAG a contribué a reçu un accueil exceptionnel : voir une critique dans LHomme, n° 154-155), [X], [X], (Sorbonne), [X], quatre docteurs qui ont fait une thèse avec moi à la Réunion, huit doctorants, une équipe malgache (quatre doctorants et plusieurs collègues enseignants), tout cela fait une équipe qui produit autre chose que de la langue de bois.
- Déménagement et occupation de nos locaux (meublés par les archives constituées depuis 1985 et par une bibliothèque en Sciences humaines réunie par le département dEthnologie depuis 1975 tout cela se trouve maintenant dans des caisses dans les sous-sols de la B. U. de sciences et dans les " réserves " de la Fac des Lettres) ;
- Liquidation organisée du poste de [N14] qui part pour Bordeaux. Le département dEthnologie étant sacrifié sur lautel des quotas PCEM des étudiants Réunionnais.
Tout ceci pour quoi ? Afin de pourvoir à la résistible ascension de [N8] :
- Scientifiquement (le CIRCI prend la place du CAG) ;
- Matériellement (les locaux du CAG sont occupés par le directeur du CIRCI et le département de Sciences de lEducation) ;
- Pédagogiquement (le dernier PV du Conseil de Fac annonce la " fermeture provisoire " du département dEthnologie).
Si cela nest pas une forfaiture, jy perds mon latin.
Maintenant, tu me dis : "Vois quelle bonne âme : il fait valoir que le département dEthnologie est en déficit de 2,5 postes ! Et il te propose même de rejoindre le CIRCI ! " Après avoir contribué activement à créer ce déficit en organisant le départ de [N14] (et en laissant filer [N22]) et après avoir pris la place du CAG ! Sauf à constater que [N8] ta, comme on dit en franco-africain, largement dupé (cest-à-dire " mis dans sa poche "), ce qui commence à me faire soupçonner quil est plus délié quil en a lair (preuve que le " piège de la notabilité " fonctionne
je plaisante, mais je suis convaincu que tu las conforté dans sa bonne conscience, puisque tout peut se faire en bons camarades et quil ny a, au pire, que des points de vue différents), je ne comprends pas comment ces évidences ne simposent pas à ton esprit.
Je suis donc maintenant, comme [N8] te la dit, de fait, sous " administration judiciaire " (l" équipe décanale ", cest lui), comme un vulgaire failli. Ce qui nest pas sans rappeler laffaire des Tribunaux de commerce où les juges consulaires censés administrer les entreprises en difficulté sen partagent en réalité les dépouilles. Avec cette différence quici, ce sont les juges consulaires eux-mêmes qui ont provoqué la faillite du concurrent cas de figure assez exceptionnel, même dans le dossier des Tribunaux de commerce
Lenvironnement aidant (historique, sociologique et " scientifique "), le crime presque parfait a donc été perpétré : [N14], le principal complice est, sinon liquidé, du moins éloigné définitivement du théâtre du crime (à Bordeaux) et largement rétribué puisquil obtient, en partant avec son poste, la mutation après laquelle il court depuis si longtemps en se présentant sans succès à tous les postes mis au concours en métropole. Il nest pas nécessaire de prêter de lintelligence ou des intentions machiavéliques aux acteurs. Il suffit dun ensemble non contradictoire dintérêts et de causes dans un biotope de veulerie ou dindifférence générale. Cest de cette manière que fonctionne lintelligence des fourmis.
Au titre du " crime parfait ", il faut dailleurs ajouter quil est parfaitement légal (ou presque). Les acteurs sont régulièrement élus et labsence, physique au demeurant, de toute opposition fait que [N8] peut faire à peu près ce quil veut avec ses procurations, le personnel IATOS qui le considère comme son patron et quelques étudiants. Sans doute, comme la noté [N21], les données présentées aux Conseils sont-elles largement maquillées, sans doute les absents non représentés votent-ils toujours comme il convient, personne nétant là pour veiller au grain
Lessentiel nest pas là. Il est dans le principe dautonomie des universités qui légitime à peu tout ce que peut faire une équipe régulièrement élue. Le Ministère nintervient que dans le cas de soutenance de thèses révisionnistes
Quel malheur que le seul collègue, ou à peu près, qui se soucie du sort du département dEthnologie ait si peu le sens du drame et de la sociobiologie !
Amitiés,
B. C.
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