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le 17 juin 1999
B. C.,
professeur des universités
responsable du dpt dEthnologie de luniversité de la Réunion
à la mission parlementaire [...] sur la RECHERCHE
sur le thème de lévaluation de la recherche
Je souhaiterais, en guise de contribution à la réflexion sur ladministration de la recherche, que la mésaventure (ou le "cataclysme") que vient de connaître notre laboratoire soit utile à la cause commune.
Le jour même où japprenais, dune lettre du Président du Conseil National des Universités, ma promotion à la première classe, le Ministère nous communiquait les termes dune expertise concluant à la liquidation du laboratoire que je représente. Il ny aurait rien eu là de bien remarquable, les recompositions, les réorientations ou les changements de problématique étant chose relativement courante, sil sétait agit dune péripétie de cette sorte.
En réalité, en deux phrases, lExpert du Ministère décidait purement et simplement de retirer lhabilitation (et donc de couper les crédits) à un laboratoire qui existe depuis 1985 et qui constitue lunique pôle de recherche en sciences sociales de luniversité. La première partie de ce verdict nest pas la moins étonnante, car il était à la portée de lesprit le moins affûté de percevoir que, le département dEthnologie - le plus modeste de la Faculté des Lettres - ayant soutenu, à lui seul, au cours du dernier plan quadriennal, autant de thèses que lensemble des autres départements de la Faculté réunis (dont tous les laboratoires ont été reconduits), il était pour le moins aventureux décrire que le nombre des thèses soutenues [y était] faible.
Mais cest ladmonestation qui conclut ce verdict, qui nous recommande de [redéfinir] un projet de recherche en anthropologie capable de rayonner plus fortement dans le domaine de lanthropologie de locéan indien, qui nous a plongé dans la plus grande perplexité. Quand, payant et de notre personne et de nos propres deniers, nous avons réussi, malgré un environnement administratif et scientifique contraire, à mettre sur pied des relations scientifiques et des échanges suivis avec les universités malgaches, avec Maurice et avec les Comores. En témoigne, pour ne prendre quun exemple, le procès-verbal dune rencontre (où nous nétions pas représentés) de 17 enseignants de la Faculté des Lettres de Tananarive et deux enseignants de luniversité de la Réunion, tenue ce 28 avril 1999, qui cite laction de notre laboratoire comme le modèle de la coopération entre nos deux universités.
Comment expliquer que lExpert du Ministère ait pu voir, lui, exactement le contraire ?
Lidée de ma contribution au débat sur lorganisation de la recherche - lextension du cas à la cause - est que ce qui a été fait pour la Justice (ou en passe de lêtre) le soit aussi pour la Recherche. Sil est légitime que la collectivité nationale soit juge des priorités et des coûts, lévaluation de la recherche doit être, sauf à faire exception aux principes de la science, compétente, libre et contradictoire. On sait comment le Ministère quelle que soit la majorité recrute ses Experts : par téléphone. Selon les disponibilités et les relations, lexpertise étant considérée dans luniversité française comme un privilège régalien ou comme une activité de second ordre (dabord par les acteurs de la recherche qui ont mieux à faire), ce sont, de fait, des administratifs, des apparatchiks ou des retraités qui se trouvent en position de juger ceux qui investissent leur temps et leur énergie dans la production scientifique. Rien nest plus faux que celui qui croit connaître, a fortiori quand il na à répondre quà lui-même de ses erreurs. Cest que montre la suite - qui vaut le détour - de notre affaire.
La Direction de la Recherche et des Études Doctorales a annoncé début mai la visite à luniversité de la Réunion, du 14 au 17 mai, du Sous-directeur de la Recherche dont jai quelque raison de penser quil est responsable de notre expertise (il a en effet passé quelques jours à la Réunion en 1989). Son secrétariat nous a alors fait savoir quil souhaitait que nous programmions pendant son séjour un séminaire qui serait animé par une de ses anciennes élèves malgache ayant fait une thèse dhistoire sous sa direction, séminaire dont lobjet était (je cite ce qui a été dicté par téléphone) : détablir des contacts entre luniversité de la Réunion et luniversité dAntananarivo. Il serait donc dit à quoi devait ressembler cette coopération, jusque-là vraisemblablement inexistante ou vaine... Je naurais malheureusement pas pu profiter directement de la leçon car je séjournais à Tananarive à cette date en raison dune exposition que jy organisais avant de partir sur le terrain dans le sud-est de Madagascar. Mais deux de mes collègues du département dEthnologie, rentrant tout juste dune semaine denseignement à Antananarivo et ayant engagé une mission dethnomusicologie dans le nord de Madagascar pour lun deux, sy préparaient. La visite et le séminaire ayant été annulés à la dernière minute, nous avons été malencontreusement privés de cette démonstration.
Il toutefois est permis de douter que la venue à la Réunion de cette collègue malgache, que je ne connaissais pas quelle que soit sa valeur et même revêtue de lonction mandarinale alors que je me rends plusieurs fois par an à Madagascar (séjournant, pour ma part, plusieurs semaines à Antananarivo quand jy assure un enseignement) et que nos deux universités entretiennent des échanges qui mobilisent tous ceux qui sont intéressés par cette collaboration, ait été en mesure den modifier sensiblement le cours. En réalité, dailleurs, ce nest pas, comme nous lavions cru dabord, de Paris, dans les fourgons du ministre, que notre collègue qui est toujours la bienvenue chez nous devait arriver (ce qui aurait expliqué que nous ne la connaissions pas), mais dAntananarivo, sur des crédits Présup, pour y rejoindre le Sous-directeur de la recherche pendant son séjour réunionnais.
Tout cela qui est assez commun montre le sérieux de ceux qui sont responsables de notre liquidation.
Comme il est mal vu que le dénonciateur soit aussi la victime il ny a jamais de fumée sans feu jélèverai le débat en me référant à plusieurs points de vue collectifs publiés dans le Monde (notamment : 18 juillet 1996 et 12 mars 1997) appelant à la constitution dinstances dévaluation dignes de ce nom. Même sil nexiste aucun système parfait et sil est souvent bien difficile, particulièrement en sciences humaines, de dire de tels travaux quils feront date ou quils sont sans grande importance seuls les morts ont vu la fin de la guerre il nest pas impossible de réunir les conditions minimales de lobjectivité.
La première de ces conditions est de considérer lexpertise non pas comme une activité subsidiaire, comme un service que lapparatchik du Ministère, ouvrant son carnet dadresses, demande à un collègue de sa connaissance. Mais comme une activité à part entière, rétribuée et placée sous le contrôle dun collège de chercheurs reconnus - où les principaux courants scientifiques de chaque discipline seraient représentés. Les Experts eux-mêmes seraient recrutés par concours, nominalement (et non sur liste) en fonction de la qualité de leurs publications. Pour éviter quun tel système nengendre des experts professionnels et ouvre de nouvelles voies parasites de promotion scientifique, la non-rééligibilité devrait être la règle. Tout cela requiert évidemment de la part de ceux qui sont engagés dans la recherche un minimum de citoyenneté, dont le défaut fait précisément, comme toujours, le succès des bureaucrates. Si rien nest a priori plus contraire à lhygiène intellectuelle du chercheur que de noter son voisin (le processus de la création intellectuelle est tout sauf un travail de caporal), chacun doit savoir quil est peu ou prou responsable des choix scientifiques futurs. Cest cette conscience qui doit nous impliquer dans lévaluation.
B. C.
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