|
le 6 octobre 1998
Paul Ottino,
Villa Clarté, 69 Bd Napoléon 111,
Nice 06200.
Professeur Emérite de l'Université de la Réunion
Ancien Directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
(Recherches interdisciplinaires sur l'Océan indien) Tel 04 92 29 00 45, Fax 93 72 06 21
à Monsieur [X]
Directeur de la Recherche
1, rue Descartes
75231 Paris Cedex 05
Objet : rapport d'expertise concluant à la suppression de la formation doctorale d'Anthropologie Généralisée de l'Université de la Réunion.
Monsieur le Directeur,
J'ai enseigné à l'Université de la Réunion de 1976 à fin 1990 et suis le fondateur du Centre d'Anthropologie Généralisée de cette Université où, après avoir obtenu la première Licence française d'Ethnologie nous avons été, pendant des années, la première et la seule formation doctorale.
Sachant tout ce que - sans quasiment aucun moyen - nous avons accompli à la Réunion et dans l'ensemble de l'Océan indien (je dirigeais également et successivement à cette époque deux formations de Recherche Coopérative sur Programme du CNRS portant sur la même région de l'ouest de l'Océan indien), je m'autorise à vous écrire pour vous demander de faire procéder à une réévaluation des conclusions du dernier expert du Ministère qui, à ma grande surprise, concluait.. à la suppression pure et simple de notre formation. Je pense qu'il a été abusé. Je pense aussi que le rapport de mon collègue [B. C.] fournit toutes les indications nécessaires permettant de revenir sur cette singulière décision. Je renvoie à [B. C.] sans épiloguer davantage.
En ce qui me concerne, je voudrais seulement rappeler que tout au long de mon séjour à la Réunion l'enseignement d'Anthropologie puis la formation doctorale ont, de la part de la plus grande partie de la Faculté des Lettres, fait sans cesse l'objet de manuvres, manuvres situées aux limites (extrêmes) de la déontologie et de l'honnêteté qui tendaient à la même fin : suppression. Depuis le début, le problème n'a rien été d'autre que celui d'un affrontement d'enseiqnants-chercheurs réels et de pseudo enseignants-chercheurs dont, à quelques exceptions près (notamment en linguistique avec des chercheurs tels [X] et [X] - j'en oublie certainement quelques-uns et m'en excuse), les activités de recherches se bornaient surtout lors des réunions de l'Université et de la Faculté des Lettres à se répartir les crédits de recherche qui venaient ainsi accroître les émoluments personnels. Des chercheurs motivés par la recherche - et, surtout, publiant - ne pouvaient que mettre mal à l'aise d'autres enseignants qui s'en souciaient assez peu. (Pour la beauté de la chose, je m'en tiens à un seul exemple, celui d'un dictionnaire malgache lourdement crédité, laissé à sa demande à la diligence d'un enseignant ne connaissant pas un traître mot de cette langue. Le dictionnaire n'a évidemment jamais vu le jour.) Une sorte de concurrence déloyale si l'on veut susceptible de produire le plus mauvais effet. (Je n'ai plus la naïveté de croire qu'il existe quelque contrôle sérieux que ce soit, l'objet de cette lettre en est bien la preuve).
Pendant toute cette période, nous avons fonctionné avec les seuls moyens du département d'Ethnologie. Je tiens à rappeler qu'ayant toujours conservé les contacts avec Madagascar et les Comores je m'y rendais régulièrement pour, dans ces années combien difficiles, tenter d'atténuer l'isolement de ces deux pays. J'y effectuais chaque année des cours intensifs de recyclage destinés non pas aux étudiants mais aux enseignants et aux chercheurs malgaches et comoriens. Je tiens également à faire remarquer qu'alors même que toutes sortes de crédits importants étaient débloqués pour la Coopération Régionale, faute de bénéficier de quelque aide institutionnelle que ce soit, j'allais à Madagascar et aux Comores à mes frais, couvrant moi-même les voyages avion et les frais de séiour. Dans l'autre sens, sans avoir jamais davantage bénéficié du moindre crédit, nous assurions le transport des enseignants et chercheurs de ces deux pays qui venaient faire des cours à la Réunion et les hébergions à titre personnel.
Il n'y a malheureusement rien de très nouveau. Pour ma part connaissant bien ces pratiques, je n'en suis nullement surpris. Lorsque j'enseignais nos seuls soutiens venaient des étudiants qui, eux, reconnaissaient l'intérêt des enseignements. Mes collègues et moi nous sommes toujours efforcés d'offrir les cours les plus à jour, veillant à ce qu'ils soient ouverts sur les derniers développements français, anglo-saxon, allemands et même japonais. J'ai fait la plupart de mes cours sur les auteurs allemands actuels avant qu'ils ne soient traduits. Je dois aiouter que, deux ans de suite, faute d'avoir pu obtenir une salle dans les locaux de l'Université, j'ai dû donner mes enseignements à l'Ecole Normale.
Après mon départ, [...] le département et la formation [doctorale] ont été repris par [B. C.], qui sans surprise se trouve aujourd'hui affronté à son tour aux mêmes manoeuvres lesquelles sont malheureusement cette fois relayées par une bien étrange expertise dont je me permets de contester radicalement les conclusions.
Tout cela est bien triste, vraiment impensable dans un milieu anglo-saxon. Pour ma part, passablement déçu, j'avais pris ma retraite aussitôt que je l'avais pu et après un séjour à Madagascar j'étais directement allé travailler trois ans au Research School de l'Université Nationale Australienne à Canberra. (Quelle différence !). J'y suis à nouveau invité, j'y retournerai avec la plus grande joie mais, malheureusement pour l'instant -du moins- j'espère, de graves problèmes de santé me l'interdisent. Je vous prie de croire, Monsieur le Directeur, à l'expression de mes meilleurs sentiments. En dépit de mon scepticisme, je vous fais confiance.
Je me permets d'envoyer un copie de cette lettre à Monsieur le Ministre de l'Education Nationale et, bien sûr, à [B. C.] et autres collègues dont je voudrais vraiment appuyer les efforts.
Paul Ottino
|
|
|