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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloniale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale...


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique


Un dommage collatéral du principe d'autonomie des universités


le 8 juillet 1998

B. C.
Professeur des universités
à
Monsieur [X]
Ministre
de l’Education Nationale

Objet : Habilitation des équipes d’Accueil.


Monsieur le Ministre,

Je viens de recevoir, pratiquement par le même courrier, une lettre du Président du Conseil National des Universités (20° section) m’annonçant la promotion à la première classe (ainsi que le recrutement d’un de nos anciens thésards à un poste de Maître de conférences) et un avis de vos Services m’annonçant la liquidation du laboratoire dont j’ai la responsabilité.

[...]

La question est donc de savoir comment il est possible de rendre deux évaluations aussi contradictoires, qui se soldent l’une, celle portée par les Experts de l’Université, par une promotion et une “consécration” et l’autre, portée par les Experts du Ministère, par une mise à la trappe.

On m’objectera que les Experts dont nous contestons l’évaluation sont, eux aussi, des chercheurs. Le problème est que dans l’université française, à la différence des universités anglo-saxonnes, l’expertise est considérée - bien à tort - comme une activité mineure. Je suis expert pour un organisme canadien d’évaluation en Sciences humaines et je suis frappé, comparant et les méthodes et le mode de recrutement du fait, par exemple, que je sois incapable de répondre à la question (qui m’a été posée) : “Comment et sur quels titres le Ministère recrute-t-il ses Experts ?” - qui tiennent pourtant l’avenir de la recherche de mon université entre leurs mains.

L’évaluation et la critique constituant un des fondement du processus d’acquisition de la vérité, nul ne saurait prétendre s’y soustraire et il ne s’agit donc nullement ici d’installer le chercheur sur une sorte d’Aventin inaccessible. Je préfère personnellement, et de loin, la critique à la louange qui, comme le remarquait Valéry, laisse sans réponse alors que la critique, quand elle est compétente, permet de refaire et de préciser ses évidences... et de progresser.

Je noterai d’abord qu’une précédente évaluation du Ministère - mais cette fois l’Expert était venu à la Réunion - avait conclu à la nécessité de “soutenir” et de “développer” la filière Anthropologie. Et qu’une autre expertise, toute fraîche celle-ci (je n’ai pas retrouvé la précédente, mais elle figure nécessairement dans les dossiers), portée par Madame [...] de la Mission Scientifique et Technique (DSPT 6) sous la référence SHS/CR/97, datée du 12 septembre, conclut au caractère “bien construit et adapté au contexte régional” de notre projet de développement de la filière Sciences humaines...

Permettez-moi, puisqu’il m’a été fait reproche par le Conseiller Pédagogique National qui nous a rendu visite - je me demande bien sur quelle observation - de ne pas faire de recherche locale, une remarque élémentaire d’anthropologie appliquée qui concerne précisément le sujet. La première condition pour produire une expertise et être en situation de prodiguer des conseils est évidemment la connaissance du “terrain”. Il est bien impossible de comprendre la situation de l’université de la Réunion sans la connaissance de l’histoire, de l’économie de l’île et, spécifiquement, sans prendre en compte les conséquences culturelles et sociales de la départementalisation qui, en quelque vingt ans, a fait passer l’île du tiers monde à un mode de vie métropolitain. Comment s’étonner qu’une expertise portée à 10 000 kilomètres de sa matière, n’ayant connaissance ni du milieu ni des acteurs et couronnée par la visite d’une mission express qui ne s’est donnée, à ma connaissance, aucun des moyens d’enquête qui sont pourtant le B-A BA des évaluations (ses conclusions, déjà contenues dans ses valises, précédant visiblement son observation), produise des résultats aussi contraires au jugement qu’ont pu porter sur notre activité les universitaires les plus prestigieux ?

Que notre université soit perfectible, qu’elle connaisse des dysfonctionnements, je ne suis pas le dernier à l’avoir proclamé, m’étant souvent signalé, nul ne l’ignore ici, par des prises de position particulièrement critiques. C’est dire qu’il n’y a pas chez nous, il s’en faut et probablement moins qu’ailleurs, unanimité des points de vue quant au mode de fonctionnement et aux objectifs. Dans une communication faite lors d’un colloque international intitulé “Vingt ans d’anthropologie à la Réunion”, en 1995, j’ai proposé un bilan de l’histoire croisée de la départementalisation et de l’université. Je me permets de vous adresser le texte de cette intervention. On peut certes ne pas partager mes analyses, elles font pourtant maintenant objectivement partie du dossier. J’ai été chargé de la réalisation d’un numéro spécial de la revue Droit et Cultures (éditée par le C.N.R.S.) sur la Réunion, dans lequel j’en reprends l’argument.

Sa position de “juge”, a fortiori quand son évaluation, par exception avec le principe de toutes les juridictions, se donne comme sans appel, faisait une obligation morale à la Commission d’expertise de prendre en compte les différents points de vue locaux - qui lui auraient nécessairement révélé, derrière l’unanimité de façade qui lui a été présentée, une réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît. Le fait de ne pas vouloir savoir et délivrer des solutions est pour le moins paradoxal. Comment administrer des remèdes dans l’ignorance des causes ?

En confondant donc largement, dans une même grisaille, ceux qui produisent et les autres ; davantage : en distinguant ou donnant carte blanche à ceux dont chacun sait ici qu’ils sont tout à fait incapables de figurer dans aucune publication scientifique, on ne peut qu’être inquiet pour l’avenir. Bien que cette inversion des valeurs soit finalement assez rassurante pour soi (en donnant une information indirecte sur la qualité du jugement qui vous déprécie), il n’est pas douteux que, loin de porter remède, tout cela ne fera qu’aggraver les dysfonctionnements... Et que, pour ce qui concerne la recherche en Sciences humaines dans l’Océan indien, il vient d’être tiré un trait non seulement sur “vingt ans d’anthropologie” mais sur ce qui constituait, aux yeux de beaucoup, un pôle d’excellence de la recherche dans la région.

En réalité, l’objet n’était pas d’évaluer, mais de justifier des économies. Soit. Mais il y a faute grave contre la vérité quand ces restrictions - que je ne suis pas compétent pour apprécier - s’habillent de considérations scientifiques.

Je conclurai par une affirmation de l’Expert, aisément réfutable, qui suffit à établir le peu de sérieux de ses observations :
”Le bilan des thèses soutenues depuis 1993, écrit-il, est faible”.
Si l’adjectif “faible” vise la quantité, que dire du fait que, ayant fait soutenir quatre thèses depuis 1994 (Mme et MM. X, X, X et X, une autre ayant reçu deux rapports avant soutenance favorables : celle de Mme X, ce qui m’autorise à porter cinq thèses à notre crédit pour le plan quadriennal), le plus petit département de la Faculté des Lettres (la filière Ethnologie ne préparant pas à l’enseignement secondaire) assure, à lui seul, la production d’autant de thèses que le reste des autres départements de la Faculté ? (une en Études créoles, une en Littérature comparée, une en Information-Communication et deux en Géographie - aucune thèse n’ayant été soutenue dans les autres départements). Ceci rend encore plus absurde le fait que la guillotine soit tombée sur notre tête.
Si l’adjectif “faible” vise maintenant la qualité, il est facile d’établir, sans autre forme de procès, que trois sur quatre de ces thésards ayant intégré l’université : X à Montpellier, X à l’IUFM de Nantes, X à la Réunion, les thèses soutenues sont de bon niveau.
Tout cela mélange sans complexe et avec un manque de professionnalisme évident, le relatif et l’absolu, la qualité et la quantité.

Est-il utile de souligner que l’évaluation de notre université, dans sa généralité, a été ressentie comme profondément injuste et sa condescendance plutôt maladroite, ravivant le stigmate de l’inspection néo-coloniale, sachant, mieux que les intéressés, ce qui est bon pour eux et mieux que ceux qui connaissent le terrain les remèdes adaptés ? A vrai dire nous avons l’habitude, ici - c’est même un trait de la sociologie réunionnaise –, de ces expertises émanant de bureaux d’études métropolitains, engagés à grands frais par les institutions locales en recherche de légitimité, et dont les missionnaires ont pour premier soin de se faire communiquer les travaux de maîtrise et de D.E.A. de nos étudiants (que l’on retrouve largement, et sans guillemets, dans leur rapport final).- Mais eux au moins, supposés rendre de la copie et non des notifications télégraphiques, font-ils un effort de documentation et d’information.

Qu’il soit enfin permis, Monsieur le Ministre, au militant - j’allais dire de la première heure, mais j’étais en effet très jeune quand, engagé dans la campagne électorale de Robert Buron à Laval, nous avons eu la visite familiale d’un candidat promis à un destin national - de dire que ce message d’arbitraire que vous venez de nous adresser sous couvert d’autorité est contraire avec l’idée que nombre de citoyens se font de la responsabilité et de la vie publique.

Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de ma considération distinguée.

B. C.


Pièces jointes :

-Vingt ans après, communication au colloque “Vingt ans d’anthropologie à la Réunion ;
- Lettre à [M. X], Conseiller Pédagogique National ;
- Compte-rendu de missions d’enseignement à Madagascar ;
- Lettre de M.M. [X], Vice-Président de l’université de Paris V, [X], Doyen de la Faculté des Sciences humaines et sociales de la Sorbonne et [X], Professeur à la Sorbonne à M. le Président de l’université de la Réunion.


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