avant-propos

le 15 octobre 1997
au

Doyen de la Faculté des Lettres [N8]

Monsieur le Doyen,

L’idée de l’affiche (signée de la totalité des enseignants-titulaires du département d’Ethnologie moins un) que vous avez fait retirer du panneau de D.E.A. répondait à une règle déontologique : nous ne faisons ni démarchage ni débauchage. Elle répondait aussi à une règle économique.

Lorsque le professeur [X] est venu, au début de ce mois, présider le jury de thèse d’un de nos chercheurs, il m’a dit ceci : “Une étudiante de [N14] m’a téléphoné, en pleurs, en ces termes : [N14] veut absolument que je lui signe un papier où je m’engage à le suivre dans le centre qu’il crée...” J’imagine qu’elle n’est pas la seule à avoir été ainsi prise en otage, puisque plusieurs chercheurs du CAG m’avaient déjà signalé qu’on leur avait fait des propositions identiques. S’agissant de chercheurs libres de leurs engagements, il n’y a là rien que de presque ordinaire. S’agissant d’étudiants qui ne savent rien de l’entreprise dans laquelle on les enrôle ni de la signification de cet enrôlement et qui sont, de par leur statut, en situation de vulnérabilité, la chose est moralement beaucoup plus douteuse.

L’information minimale ayant été, de votre fait, soustraite aux intéressés potentiels, il nous faut désormais trouver un moyen de les toucher individuellement. Je répugne, personnellement, à dire mon sentiment sur les qualités morales et intellectuelles de [N14] et je n’ai aucunement l’intention d’influencer qui que ce soit. Les intéressés recevront probablement l’affiche censurée...

De quoi s’agit-il au fond avec cette agitation qui ne peut que nuire à la réputation de notre Faculté, à la Réunion et en métropole ? De créer un centre susceptible d’encadrer les recherches en Sciences de l’Education. Cette volonté est légitime. Mais toutes les démarches qui viseraient à contourner la condition nécessaire à cette ouverture, à savoir la présence à la Réunion d’un enseignant habilité à diriger les recherches en 70° section, ne peuvent qu’inquiéter. Pour obtenir une telle habilitation, la voie est à la fois longue et difficile, j’ai déjà eu l’occasion de vous l’exposer. Il faut faire de la recherche, ce qui est une chose et la publier dans des revues à comité de lecture (parce qu’on ne peut être juge et partie), ce qui en est une autre et autrement difficile. Cela demande un minimum de six à huit années d’un labeur continu. La durée n’étant d’ailleurs pas un gage de succès. Cela fait, on peut alors envisager de constituer un dossier de demande d’habilitation...

Après avoir tenté sans succès d’ouvrir un centre de recherches sous la couverture d’un enseignant de 70° section de Bordeaux, il s’agit donc maintenant d’utiliser la couverture d’un enseignant de la Faculté certes, mais de 20° section (il est vrai que le DESS de Sciences de l’Education a bien été ouvert sous la couverture d’un enseignant d’Histoire auto-proclamé président de la Commission de spécialistes de 70° !). Tout cela est-il sérieux ? Entre ceux qui ne peuvent que suivre – les étudiants et les thésards ne sont évidemment pas les seuls à s’inquiéter de la cohérence scientifique de ce dispositif où ils se trouvent pris en otage – et ceux qui ont décidé d’aller poursuivre leurs études ailleurs (c’est le cas d’une étudiante en thèse de [N14] qui vient de s’inscrire à l’EHESS sous la direction d’un spécialist de son sujet vers qui je l’avais autrefois orientée), le résultat de tout cela est un coup porté à notre crédibilité scientifique. C’est dans cette seule mesure, ayant mieux à faire qu’à batailler avec des ombres, que je suis décidé à tout faire pour tenter de préserver des principes sur lesquels tous les scientifiques, quelles que soient leurs divergences, se rencontrent parce qu’ils constituent le fondement même de leur existence morale et professionnelle.

Avec mes salutations distinguées,

B. C.

Pièce jointe : affiche à l’attention des étudiants et des chercheurs du département d’Ethnologie, signée [des membres du département d'Ethnologie].

Copie :
Présidence de l’Université ;
Vice-Présidence du Conseil scientifique ;
Vice-Présidence du CEVU.

AYANT APPRIS PAR PLUSIEURS CHERCHEURS ET ÉTUDIANTS - QUI VENAIENT D’ÊTRE CONTACTÉS À CETTE FIN - QU’UNE CAMPAGNE DE RECRUTEMENT ÉTAIT OUVERTE DANS LEURS RANGS POUR CRÉER UN NOUVEAU CENTRE DE RECHERCHES PRÉSENTÉ COMME RÉPONDANT À L’ARRIVÉE À LA FACULTÉ DE NOUVEAUX ENSEIGNANTS DANS LE DÉPARTEMENT DE SCIENCES DE L’ÉDUCATION,

LES MEMBRES TITULAIRES DU DÉPARTEMENT D’ETHNOLOGIE FONT SAVOIR QUE L’ENSEIGNANT QUI EST À L’ORIGINE DE CETTE INITIATIVE N’ENGAGE QUE LUI-MÊME

ET NULLEMENT

LE CENTRE D’ANTHROPOLOGIE GÉNÉRALISÉE

OU

L’EQUIPE D’ACCUEIL (E.A. 10),

QUI SONT SEULS HABILITÉS PAR LE MINISTÈRE À ENCADRER LES D.E.A. ET LES THÈSES D’ETHNOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE AU SEIN DE LA FACULTÉ.

LES ÉTUDIANTS ET CHERCHEURS DU DÉPARTEMENT D’ETHNOLOGIE DOIVENT SAVOIR QU’EN ADHÉRANT À CE NOUVEAU CENTRE DE RECHERCHES, RELEVANT DE LA 70° SECTION (SCIENCES DE L’ÉDUCATION), ILS QUITTERAIENT AUTOMATIQUEMENT LA 20° SECTION À LAQUELLE APPARTIENNENT LES ENSEIGNEMENTS ET LES RECHERCHES D’ETHNOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE.

[signature des enseignants (moins un) du dpt d'Ethnologie]