le 16 décembre 1996
B. C. [X] et [X]
département d'Ethnologie
à
[N14]
Cher [Collègue],
Bien que les circonstances soient on ne peut plus mal choisies et quil puisse paraître déraisonnable dajouter des querelles intestines aux difficultés objectives de la vie comme elle va à la Faculté des Lettres, il faut que nous ayons une discussion qui nous permette de travailler ensemble et sans arrière-pensée. Je te propose que nous nous rencontrions, avec [N22], [N19] et [X], le 24 à 14. 30 à Moufia (libre à toi de proposer une autre date si tu ne peux te libérer) pour que nous définissions ensemble quelques règles de fonctionnement.
Ta note manuscrite du 2 décembre pose en effet question sur plusieurs points essentiels. Elle révèle, en réalité, et de manière répétitive puisque nous avons déjà abordé certains points sans que cela modifie en quoi que ce soit ton point de vue, des appréciations pour le moins aventureuses. Et ce nest pas le moindre paradoxe de cette affaire que ces appréciations te paraissent baigner dans lévidence alors quelles plongent tes collègues dans la perplexité.
Dans la mesure où nous pouvons être amenés à tout moment à justifier lutilisation des crédits qui nous sont attribués et dont nous sommes collectivement responsables, il est nécessaire que nous nous mettions daccord sur les conditions à remplir pour le financement des recherches, à commencer par le financement des missions.
Le bénéfice de frais de mission se justifie par exemple par une communication à un colloque, une enquête de terrain, un stage, etc. toutes actions qui, de toute manière, doivent faire lobjet dun compte-rendu qui reste dans les archives à titre de justificatif dutilisation des crédits.
Lhomme seul [étant] en mauvaise compagnie (Paul Valéry), il serait de beaucoup préférable que lattribution des missions se décide collectivement. Ceci pour dire que lintitulé de ta dernière mission, dont tu nous informes par cette note - pour ne pas parler de ta précédente mission dont [le secrétariat de la Faculté] ma appris quelle avait le Bordelais pour destination - laisse tes collègues un peu ébahis. Je vais me rendre moi aussi en métropole et je consacrerai à la recherche tout le temps que je ne consacrerai pas à mes enfants, notre collègue [X] fera de même, mais il ne nous est pas venu à lidée ni à lun ni à lautre de tirer notre billet davion sur les crédits de recherche de luniversité. Si tu as un déplacement à faire de Bordeaux aux archives dAix, ou à Rochefort, alors la prise en charge du déplacement est légitime. Mais loreille du Contrôleur financier le moins chicanier ne peut que se dresser [ou devrait] au constat que les dates de tes missions de recherches coïncident avec les dates des congés universitaires.
Si je peux me permettre, je te rappelle quon ta posé un jour devant moi la question de savoir sil tétait déjà arrivé de prendre en charge le billet davion de tes congés en métropole. Je crois me souvenir que tu nas pas répondu.
La destination des crédits de recherche ne peut pas être dentretenir nos réseaux de relations respectifs, fussent-ils professionnels. Jai travaillé au Tchad et au Cameroun. Il me paraîtrait pour le moins inconvenant de peser sur les crédits de recherche de notre laboratoire avec des programmes qui ne seraient pourtant pas sans justification scientifique. Jai aussi dexcellents collègues au Japon (notamment africanistes) et il me plairait assez daller faire un tour (scientifique bien entendu) là-bas. [X] a des relations et des intérêts à Hong-Kong et à Singapour, [X] en Côte-dIvoire (où il va se rendre prochainement, mais invité par luniversité dAbidjan), je constate quils partagent les mêmes évidences que moi à ce propos. Jen viens au Canada. Tu as ouvert, de ton propre chef et sans en aviser quiconque, un programme DAGIC ayant le Canada pour objet. Pourquoi pas ? Mais jimagine que cette adjonction na pas augmenté notre enveloppe DAGIC pour autant, cest-à-dire, sauf erreur, quil en est résulté une diminution relative (dans lhypothèse dune dotation constante) des crédits bénéficiant à la recherche régionale. Sans doute vas-tu rétablir léquilibre, mais, pour linstant, ces crédits nont servi quà financer ton dernier voyage au Canada, jusquà Toronto ma-t-on dit, pour une mission dont tu es le seul à connaître les tenants et les aboutissants. Étant donné que les crédits nous sont comptés, tu nous accorderas quil devrait y être regardé à deux fois avant dengager un crédit de près de 18 500 F au bénéfice dun seul chercheur, ce chercheur étant à la fois laffectateur et le bénéficiaire du crédit en cause. Javais appris incidemment que tu allais faire une communication acadienne, mais jétais persuadé que les Canadiens te payaient le voyage, ce que je me suis empressé de dire à Maître [X] qui me demandait où tu étais. Cest par hasard, encore une fois, et par Madame [X] [secrétaire aux Relations internationales], que jai su ce quil en était.
Derrière tout cela il y a une équivoque qui me paraît personnellement étonnante et dont je narrive pas à comprendre quelle ne te saute pas aux yeux.
En ton âme et conscience comme on dit, tu parais être convaincu navoir à rendre de compte à quiconque des crédits qui sont attribués aux programmes que tu animes. Cette identification des crédits de recherche à ta personne est si profonde que, lorsque tu mas expliqué le fonctionnement du Centre quand je suis arrivé à la Réunion et que tu me disais : Jai donné telle somme à X et telle somme à Y... tu as réussi à me persuader involontairement, bien entendu que tu sortais cet argent de ton propre porte-monnaie ! Il me semble, à linverse, quune règle de prudence et de sage hygiène comptable serait, pour le moins, de tenir au courant les collègues, comme cela se fait dans tous les laboratoires, de la destination des fonds qui nous sont attribués et de ne tirer pour notre propre compte quavec la plus grande circonspection et toujours en fonction dune argumentation partagée ou avalisée par les collègues. Ce qui permettrait dailleurs à ceux-ci, en cas de litige, de défendre cette utilisation. Tu fais exactement la démonstration inverse et tu dois être, avec [X], le principal consommateur de kérosène de la Faculté (encore lui, ayant un dossier dhabilitation à constituer, avait-il un besoin absolu des factures de Bourbon Voyages).
Les crédits de recherche qui nous sont attribués sont si peu notre propriété que, si pour une raison ou pour une autre, nous quittions le laboratoire auquel ils ont été dévolus, ils nous deviendraient juridiquement et automatiquement indisponibles. Et cela quand bien même ils nexisteraient pas si tel dentre nous nen avait obtenu lattribution par un projet personnel.
Cest la même conviction sans doute qui explique que, bénéficiant à divers titres de crédits sur le patrimoine et lethnicité - dont tu as certes formé et argumenté la demande - il ne te soit pas venu à lidée que [X], par exemple, qui travaille à un dictionnaire sur le sujet, pourrait avoir besoin de soutien. Jai limpression que, dans ton esprit, il doit falloir former des projets concurrents ou parallèles aux tiens pour prétendre émarger au budget patrimoine. (Cette philosophie de chasseur de prime peut se défendre, mais me paraît difficilement praticable à lintérieur dun laboratoire). A linverse, il me semble que ce budget devrait être commun et réparti entre tous ceux qui ont quelque chose à dire ou à faire dans ce champ - étudiants de D.E.A. et de thèse compris. Ce qui implique évidemment une discussion et des choix collectifs.
Comme tu peux le constater, la distance est grande entre tes évidences et les évidences de tes collègues. Je propose donc que nous votions sur cette question. Une règle de fonctionnement pourrait consister dans la double signature pour lengagement des crédits, la seconde étant apportée par celui dentre nous qui voudrait bien assumer le suivi des comptes.
Cordialement à toi,
B. C.