le 10 mai 1996
B. C.
Département dEthnologie
au
DOYEN [N11]
et au
VICE-DOYEN
de la Faculté des Lettres
Chers Collègues,
Permettez-moi dabord, au nom des mes collègues enseignants-chercheurs en Sciences Humaines, de former des voeux pour la réussite de lengagement que vous venez de prendre sil répond, et nous nen doutons pas, aux idéaux que des universitaires, par nature divers, peuvent avoir en commun et cela quand bien même votre berceau naurait pas été ombragé par des fées au pedigree toujours immaculé.
Puisque votre présence au Conseil de Faculté et aux différents Conseils laisse espérer une meilleure transparence des décisions, je souhaiterais savoir par quelles manoeuvres une position arrêtée dun commun accord - ainsi quil sied dans une communauté intellectuelle digne de ce nom - je veux parler de la répartition des locaux affectés aux différents Centres de recherche (ma lettre du 5 mai à [X]) a été transformée en une décision radicalement contraire quelque temps plus tard, les victimes nayant dailleurs pas été informées de ce retournement.
Pour expliquer lenjeu et les attendus de ma question - et pas seulement pour éviter le soupçon de marotte ou de paranoïa - je dois vous exposer que, lorsque je suis arrivé à lUniversité de la Réunion, on ma présenté un Plan de développement des Sciences humaines à la Faculté (que je tiens à la disposition de ceux que lhistoire de lUniversité de la Réunion intéresserait) doù il ressortait, alors quun Expert du Ministère venait de nous délivrer un brevet dexcellence (visé dans ma lettre à [X]) que le département dEthnologie, Troisième Cycle compris, allait être absorbé (hébergé, peut-être) par le département de.... [...].
Mon programme, en arrivant ici, était dapprendre la société réunionnaise, denseigner de mon mieux et de me tenir bien sagement dans mon coin. Jai dû rapidement renoncer à ce plan de vie irénique. Il ma bien fallu prendre la mesure de cet aigle de lesprit, le principal concepteur de ce projet, qui allait nous dévorer comme des petits oiseaux. Son dossier dhabilitation, qui venait dêtre soutenu à la Faculté - et qui mériterait dentrer dans le livre Guinnes des records - était en effet des plus inquiétants, car son vide presque absolu (un membre du jury devant me révéler, plus tard, lescroquerie à la traduction de son principal argument) montrait que lhabilitation en cause était le premier acte de ce plan de développement qui, lui-même, nétait rien dautre que le plan de carrière de ses trois auteurs.
Lun deux a été éjecté par le CNU, le second, lui aussi disqualifié par le CNU, est rentré par la fenêtre à la faveur de la réforme qui a donné à la Commission de spécialistes locale la préséance sur le jury national et le troisième, son habilitation obtenue, court-circuitant systématiquement les instances de la Faculté et sautorisant de lincompétence de collègues occupant ce quils croient être des positions dautorité il faut navoir jamais fréquenté luniversité pour simaginer et faire accroire quun Doyen ou Président, qui nest que le garant de la légalité des actes administratifs, a du pouvoir fait ses affaires avec le bonheur que lon sait. Il est dailleurs probable que, ayant réussi à attraper le chapelet de saucisses quil convoitait, il se tienne coi quelque temps, occupé à digérer les profits de sa saga réunionnaise sans se gêner, du reste, pour faire un pied de nez à ceux qui lui ont fait la courte échelle...
On mobjectera que, dans le coup de force de loccupation des locaux qui fait lobjet de ma question, ce nest pas le département de Communication qui est en cause, mais lURA. Eh bien, si certains dentre nous se demandaient si lURA, précisément, ne tirait pas depuis plusieurs années des chèques sur le crédit [du créateur de ce laboratoire] dont le compte réunionnais nest plus approvisionné depuis longtemps, ils en trouveraient ici la confirmation. Le fait que, démission des chercheurs aux titres et aux publications les plus incontestables et désengagement des autres, lO.P.A. de [...] sur lURA dEtudes créoles, autrement dit sur le label CNRS (quoique le statut dunité associée permette le recrutement dà peu près nimporte qui) ait pu réussir, ce que javais pour ma part prévu, en dit long sur létat des troupes, quelle que puisse être la valeur individuelle.
Sil existait à la Faculté des Lettres une réelle instance dévaluation scientifique, que je réclame depuis mon arrivée, en octobre 1991, et qui existe dans toutes les universités, de tels faits seraient tout simplement impensables. Mais il me paraît évident que tout ceci relève dabord dun problème de bonne compagnie. Quand jinvite quelquun chez moi, je ne vérifie pas ses poches pour voir sil nemporte pas les petites cuillers. Il ne me viendrait pas à lidée de suspecter de noirs desseins les collègues dautres disciplines avec qui jéchange des articles ou avec qui jai des discussions scientifiques. Si les règles de bonne conduite doivent être rappelées, et toujours à ladresse des mêmes, cest que, dans la bergerie des moeurs universitaires se sont introduits, sous des prétextes pédagogiques divers, des mâchoires et des appétits qui nont rien à faire à luniversité.
En espérant que vous aurez les moyens de répondre à ma question et de proposer des mesures permettant de mettre fin aux usurpations, je vous prie de croire, Chers Collègues, à lexpression de mes sentiments dévoués.
B. C.
Copie
- aux membres du Conseil de Faculté,
- au Président de lUniversité.